lundi 28 décembre 2009

All the young dudes


Je reste quand même impressionné par la succession de coming out importants en ce moment. Le dernier en date, Gareth Thomas, a surpris même mes copines anglaises, qui ne sont pas souvent surprises. On a déjà tout dit sur cette affaire émouvante, mais pourquoi a-t-on l’impression que le système du coming out est plus dynamique dans d’autres pays ? il y a sans cesse des apparitions de gays à pouvoir comme le ministre des affaires étrangères allemand ou la maire lesbienne récemment élue de Dallas, Texas. Partout à travers le monde, c’est une lumière de plus qui clignote du Brésil, du Canada ou d’Espagne. Ca blippe de partout.

Je ne vais pas encore radoter sur la place silencieuse de la France dans cette frénésie générale. On dirait qu’à l’étranger les gays et les lesbiennes n’arrivent plus à se cacher. La peur quotidienne, ils ne veulent plus la vivre. Ils arrivaient à surmonter cette terreur, il y a dix ans, mais ils se trouvent tous confrontés à la facilité de la vie gay. Ces hommes et ces femmes de carrière voient autour d’eux des gays de 16 ans totalement affirmés et ils se disent : « Pourquoi pas moi ? ». En France, on dirait qu’ils ont moins de scrupules à vivre sans beaucoup de courage.

L’Angleterre est plus dynamique dans le coming out parce que ça remonte à loin. Avant même les campagnes d’outing spectaculaires, avec plus d’une centaine de membres de clergé dénoncés, l’Angleterre a vécu à travers les vies privées des grands dinosaures, Boy George, George Michael et Elton John. En fait, ces folles ne se sont pas vraiment fait remarquer par leur coming out, mais par leurs problèmes avec la justice précisément parce que leur sexualité était problématique..

Quand culture Club avait beaucoup de succès, Boy George se disait bisexuel. Quand Wham ! avait beaucoup de succès, George Michael se disait hétéro. Nous, à l’époque, ça nous faisait bien rire, mais on ne va pas revenir sur ça non plus.

Il s’agit, encore une fois, de très grands artistes. Je ne vais pas revenir sur la popularité de Boy George en 1984 et je ne radoterai pas non plus sur les qualités de compositeur de George Michael. J’ai adoré leurs disques, ils étaient camp, c’était le golden age de la pop anglaise. Parallèlement à leur succès, Jimmy Somerville avait fait son coming out dès le début. Boy George et George Michel étaient mal à l’aise face à ce précédent. Jimmy les forçait, dans un sens, à se positionner.

Tout le monde connaît cet angle du militantisme des années 80. Ce qui est moins discuté, et là j’arrive à mon sujet, il est temps au bout de 2500 signes, c’est que Boy George et George Michael ont finit par rejoindre la position de Somerville, à travers leurs problèmes avec la justice. Le premier passe 15 ans dans la drogue et séquestre un rent boy chez lui. Le gosse finit par s’échapper, à poil dans la rue, traumatisé par le traitement subi. Meanwhile, George Michel était devenu une divinité de la musique, mais il s’est fait choper plusieurs fois dans les chiottes publiques à travers le monde. A chaque fois, les médias ont été particulièrement atroces. L’anecdote du paparazzi qui l’a suivi en bagnole de Londres à Brighton pour le choper juste au moment où il sortait de sa voiture est assez révélatrice.

Ce qui est intéressant dans ces affaires, ce n’est pas la déchéance sexuelle. Ce qui est intéressant, c’est qu’à un moment, il y a 3 ou 4 ans, les deux George (puisqu’on va les appeler ainsi), se sont dit « what the fuck ». Ce n’est pas parce que Boy Gorge a eu des problèmes de drogue dans les années 90 qu’il est arrivé à une binge sexuelle SM où il finit par violer un prostitué. Et ce n’est pas parce que George Michael a été chopé dans les chiottes publiques à LA qu’il a décidé de ne pas le faire à Londres (ou partout où il va d’ailleurs). A un moment, ces homosexuels ont décidé de faire ce que Somerville avait décidé il y a bien longtemps, en 1985 : sa célébrité ne l’empêcherait pas d’aller draguer dans les parcs et de se bourrer la gueule. Je suis bien placé pour le savoir parce que j’étais là souvent quand il faisait la première page des tabloids parce qu’il avait fracassé sa pinte de bière sur la tête d’une folle qui la faisait chier en boite. Mais, depuis, Jimmy drague toujours et, aux dernières nouvelles, de temps en temps il se coltine une cuite mémorable en public. Mais les médias n’en parlent plus. Il fait tellement partie du décor des folles célèbres de Londres qui se bourrent la gueule et qui baisent avec des freaks que ce n’est plus du matériel à scandale.


Gareth Thomas a sûrement fait son coming out parce qu’il avait toutes les qualités pour débloquer gravement, comme l’ont fait les deux George. Dans son domaine, il est à ce niveau de perfection, c’est un artiste du rugby. La violence qui est dans son jeu de sportif, c’est la même violence qu’exprime Boy George dans le sadisme de sa relation avec le rentboy, c’est la même que s’inflige George Michael quand il va sucer une bite dans des toilettes publiques et qu’il sait qu’il va se faire attraper par les médias. Somerville m’avait raconté, en 1984, que lorsque Elton John avait découvert le premier tube de Bronski Beat, il avait envoyé sa voiture pour aller chercher Jimmy, Larry et Steve car il voulait les rencontrer. Le problème, c’est que Jimmy habitait à l’époque dans les tours de Camberwell. Et qu’Elton avait envoyé sa Rolls, qui attendait à côté de l’entrée. Jimmy m’avait dit : « Tu comprends, c’est gentil de sa part, mais c’est complètement débile, il n’y a jamais de Rolls qui passe par là, il pourrait se la faire brûler. Et puis, on a l’air de quoi ? Il cherche à nous impressionner ou quoi ? ». En fait, Jimmy savait déjà, à cette époque, sans avoir rencontré Elton John, que ce dernier vivait dans un monde qui était très éloigné de celui du commun mortel. C’était déjà « Sunset Boulevard » sur la Tamise. C’est la folle à son niveau le plus dingue, celle qui arrive chez Colette et qui fait fermer la boutique pour faire son shopping et qui achète tout en 4 exemplaires, pour être certain que ses 4 maisons principales auront chacune un set complet des objets qu’il vient d’acheter. C'est de l'extravaganza.

Elton John est un peu la vieille multi-millionaire anglaise, le mothership en quelque sorte. Elle a une responsabilité de mère par rapport à toutes ces stars gays qui ont faire leur coming out depuis 25 ans. Il doit préparer une fête pour Gareth Thomas as we speak. Mais ces hommes célèbres n’ont pas choisi de faire leur coming out uniquement pour être libérés de la peur du secret. Ce n’est pas uniquement une question d’identité ou de fierté. Ils n’ont pas envie de devenir des rôle modèles. Eventuellement, ils s’affirment en tant que gays pour pouvoir jouir des droits de tous les gays, c’est-à-dire : faire des conneries de gays. C’est ce que dit George Michael quand il se moque méchamment d’Elton en disant : « Je sais très bien qu’il attend que je vienne chez lui, chialer à sa porte, pour qu’on me mette en cure de désintox ». Il n’a surtout pas envie d’offrir ça à sa grande sœur Elton John.

Et je crois que l’Angleterre est en avance sur nous, en termes de coming out, parce que les Anglais vont beaucoup plus loin que les autres dans le délire de ce que l’on peut faire – ou non. Ce n’est pas seulement l’influence des tabloïds, le côté rance de la justice anglaise, leur violence urbaine, l’alcool, le foot, la force des séries à la « Little Britain » ou Catherine Tate. Ce sont ces dinosaures de la pop et du cinéma qui établissent ces limites, les Boy George et les Isaac Julien, les George Michael et les Ian McKellen. Et même quand Rupert Everett semble sortir des phrases définitives de vieux réac sur son coming out, il ne faut pas oublier qu'il n'aurait pas pu faire autrement. Il devait faire son coming out. Ces hommes ont souffert pendant toute leur vie des privations causées par la vie dans le placard. Quand ils arrivent à en sortir, c’est comme si leurs pulsions submergeaient leur self contrôle. Il faut qu’ils déconnent.

Bien sûr, en France, le pays où le off est roi, les gays au placard peuvent à la fois déconner, et jouir de leur cachette. D’où l’ennui.

jeudi 10 décembre 2009

Brian Kenny, already.


Quand je suis arrivé sur Facebook, il y a plus de deux ans déjà, j’ai commencé mon profil comme s’il s’agissait d’un album de coloriage. Ce qui m’intéressait, c’était de créer un groupe cohérent de personnes vivant à travers le monde, sur des critères totalement abstraits comme la beauté de la photo du profil, l’esthétique des noms, le côté pluriethnique et les associations de couleur entre chaque photo de profil. Pour cela, je cherchais des hommes vivant aux quatre coins du monde afin d’accentuer l’aspect international de FB. Je voulais voir comment les gays asiatiques vivaient, comment étaient ceux du Pérou ou d’Afrique. Et puis il y avait tous ces hétéros groovy amoureux de house. Mes critères étaient simples : des hommes sympas, avec un vrai nom, une vraie photo.

Comme je suis vierge de drague sur le net (pour pleins de raisons que j’ai déjà expliquées zzzz), j’ai découvert à travers FB cette étonnante capacité à pénétrer dans la vie privée des gens – ou ce qu’ils veulent bien présenter comme leur vie privée. Je ne prétends pas être infaillible, mais je suis assez bon pour déceler, à travers une toute petite photo, le caractère de celui qui l’a choisie. Le simple fait de choisir cette photo, et pas une autre, puis d’en changer au gré du temps, tout ça dit énormément de choses sur ce que l’on est, sur ce que l’on veut dire.

Donc, FB était pour moi du coloriage. FB a revalorisé quelque chose qui est très profond chez moi, l’amour du visage. On n’était plus dans la drague de la bite, on avait poussé à nouveau le curseur vers le haut, sur le visage, un truc très Magazine, très classique, très frontal. Comme choisir la photo de son passeport. Et FB était le reflet de l’énorme évolution récente du visage masculin. Alors, je demandais l’amitié d’un mec parce que je savais que la photo de son profil serait super jolie à côté de celle du mec qui avait un nom proche au niveau alphabétique. C’était une collection virtuelle de « mecs biens » au lieu d’être, comme chez d’autres, une collection de connards dark et pervers. Il s’agissait de mecs corrects, dont les photos illustraient une certaine vision de la vie. Et il suffisait de dérouler la liste d’amis (a l’époque présentée en pleine page sur FB) pour voir que c’était cohérent et joli à la fois.

Après, bien sûr, tout le monde est arrivé sur FB et comme ma politique est d’accepter n’importe quelle demande (à part ceux qui sont vraiment trop cons), la liste des amis FB ne pouvait donc plus ressembler à une belle suite de jolies cartes comme une réussite, pas grave, c’était juste un délire de folle au début d’un réseau social et je le savais. Je me doutais bien que choisir des amitiés FB avec comme principal critère la seule poésie de leur profil ne pouvait être un concept qui tienne sur la durée car il était forcément discriminant pour les autres. Et puis, FB est un outil de communication. Et il faut bien admettre qu’on communique rarement avec les plus beaux. Ça se saurait.

Ce qui m’amène à mon sujet. L’évolution de FB, depuis deux ans, marque l’arrivée d’un nouveau type de chef culturel – et je dirais même politique. Celui de la star porno. Je sais, vous en avez tous entendu parler, but, wait, j’ai encore un angle particulier ! Il ne s’agit pas forcément des blogs où l’on voit un aspect de la vie privée des stars porno qui, d’ailleurs, on le sait, ont du mal à s’en sortir en général, comme tout le monde. Il y a un mois ou deux, Tristan Jaxx, sur Twitter, balançait des trucs un peu durs comme le fait d’être viré sur le champ de son boulot alimentaire parce qu’il était encore arrivé avec 5 minutes de retard. Damn, le mec est une des stars de Raging Stallion, je crois même que c’est un de leurs executive producteurs maintenant. Pareil pour la vie un peu tristounette de Cole Ryan. Et je ne parle pas des grandes stars du porno de Colt comme Adam Champ, un mec très gentil qui fait beaucoup de tournées européennes pendant lesquelles il remue son cul dans des clubs pas très top.

Non, ce qui m’intéresse surtout, ce sont les photos où l’on voit que ces mecs vivent une vie que l’on ne peut pas imaginer, ni dans leurs blogs, ni dans leurs films. Un exemple très clair, c’est Jason Ridge. Pour moi, c’est un acteur respectable, qui est passé à travers plein de studios et de styles, mais qui n’a jamais été un de mes acteurs préférés. Les goûts et les couleurs. Ce qui est intéressant, c’est son album « Friends of Jason ». 177 photos, dont une majorité de snapshots boring avec toutes les stars du porno californien, dans le genre « je les connais tous ». Mais, wait again, il y a quelques photos intimes avec Damien Crosse, Adam Killian et surtout Blu Kennedy. Il y a 2 photos géniales où l’on voit Jason et Blu sur la plage, en train de marcher au bord de l’eau, en pleine conversation, pendant que Jason porte une planche de surf.

En fait, ce que montre cette photo, comme des milliers d’autres sur FB, c’est la nouvelle classe A gay. Je crois que ces mecs sont les nouveaux leaders de la culture gay, et je ne parle pas de ceux qui font partie du Circuit ou de ceux vont à Madrid et Berlin. Je parle de niveau d’influence. Il y a 40 ans, c’était les écrivains et les réalisateurs de cinéma qui étaient au sommet. Il y a 30 ans, c’était les musiciens. Il y a 20 ans, c’était les activistes. Il y a 10 ans, c’était les journalistes. Aujourd’hui, ce qui a le plus de valeur dans la culture gay, que l’on soit d’accord ou pas, c’est l’image véhiculée par des mecs comme Jason.
Il suffit de regarder leur following. Des milliers de personnes qui sont fans. Des mecs comme François Sagat qui font du « cinéma » ou de la « prévention ». Une sorte d’aspiration culturelle qui fait que l’acteur porno est le nouveau DJ. Des mecs comme Fred Faurtin ont plus de couvertures de magazines que les grands écrivains gays. Mon point, c’est qu’on ne sait pas si ces acteurs ont quelque chose à dire (et certains écrivent assez bien dans leurs blogs après tout), mais en tout cas, ce que l’on sait, c’est que s’ils disaient quelque chose, cela aurait plus d’impact que ce que nous pouvons dire. Il faut savoir l’admettre.

Ce n’est pas un constat d’échec. Mais le militantisme n’a pas la portée qu’il avait il y a dix ans et nous-mêmes, journalistes ou activistes, nous sommes désormais bien trop ancrés dans nos catégories, dans les préjugés des gens, pour parvenir à communiquer quelque chose de très nouveau. Le journalisme homosexuel n’est plus du tout cutting edge. C’est d’ailleurs pourquoi, dans les médias gays, toutes les signatures d’importance qui avaient encore du crédit, il y a 5 ans ont entrepris un travail de désacralisation de leur parole. Internet les a réduits à écrire des mini brèves, des articles sans analyse, des renvois vers des vidéos, à un non-engagement permanent sur les questions saillantes de notre société. Ils ne s'expriment plus. Ils sont blank. Ce qui contribue à une politique gay où personne ne prend de risque en son nom propre, tout le monde suit son plan de carrière : pour survivre, il faut disparaître. Un comble, au niveau gay. Et c’est quelque chose que l’on peut appliquer aussi à l’incroyable renouveau du fanzine gay. Des revues fantastiques partout, mais rarement des déclarations. Et surtout, ce qui domine souvent, c’est l’aspect un peu glauque. Ce sont des revues à problèmes.

Cette montée en puissance (si on peut dire) des acteurs porno dans la légitimité gay est récente. Avant, pour résumer, les acteurs étaient admirés, mais c’était des cons, des loosers. Ils étaient incroyablement doués dans leur sexualité, mais on voyait bien que leur célébrité ne les menait nulle part (à part Aiden Shaw, et encore).
Aujourd’hui, l’acteur porno voit son prestige croître au fur et à mesure qu’il montre à quel point il est performant. Le sexe n’a jamais été aussi technique qu’aujourd’hui. C’est une forme de spectacle, de show. Ensuite, il n’y a jamais eu autant de gays devant le porno et la célébrité devient instantanée. Il est donc possible de percer dans la culture gay à travers le porno, beaucoup plus vite et profondément que dans d’autres médias (à part Slimmy). Enfin et surtout, certains de ces acteurs parviennent, visiblement, à rester des mecs corrects. Je ne connais pas Fred Faurtin, je l’ai jamais rencontré, et je ne sais pas, par exemple, s’il est safe dans la vraie vie, mais dans ses films il tient à rester dans le domaine du safe. Je ne sais pas si Dean Flynn est con dans la vraie vie, mais tout me laisse penser qu’il est smart. Je ne sais pas si Blu Kennedy est un mec équilibré dans la vraie vie, mais chacun de ses films laisse penser qu’il est un mec hypra-sensible, quelqu’un de vraiment bien.

Il y a donc une séparation entre les anciens leaders politiques gays qui savaient attirer à eux la confiance et les acteurs pornos qui eux, se montrent souvent tels qu’ils sont, à travers leur manière de baiser ou de vivre. Les premiers cachent de plus en plus leur vie privée et ne sortent jamais des clous, ils ne révèlent rien de leur intimité. Oubliés les jours d’Harvey Milk et de Renaud Camus. Bonjour Roméro et Macé-Scaron. De l’autre côté, une flambée d’acteurs porno de toutes les couleurs (beaucoup de Français, ce qui est nouveau) qui ne cachent rien. Même à travers le sur-jeu et l’exagération, on sait reconnaître le gay derrière l’acteur porno, ça va, on n’est pas cons non plus. Il y a un mec pour de vrai, là, et il est plus authentique dans son rapport à la célébrité que n’importe quel leader LGBT, fade comme la mort.

Les acteurs porno sont donc au centre d’une époque où le paradigme de la prévention change (ce qui les concerne directement) et où les attentes des gays stagnent. Le militantisme peine à apporter des améliorations concrètes dans la vie des personnes LGBT. S’engager dans l’associatif n’a pas grand-chose de valorisant de nos jours. L’écriture ? les gays s’en foutent un peu, ils veulent de l’image. Du coup, ceux qui deviennent internationalement célèbres, ce sont les Tim Kruger du porno et les Brian Kenny de l’art.

Ah, si au moins le militantisme avait son Brian Kenny. Le mec est un héros. Il est parfait. Tout serait tellement plus simple si on en avait un sous la main. Il suffirait que Brian Kenny dise « Everybody get up » pour que tout le monde se lève comme dans une pub pour Danette. C’est ce que décrit Malcolm Gladwell dans son livre « Blink ». Le chapitre 3 se demande : « Why we fall for tall, dark, and handsome men ». Il est donc à craindre désormais que le message dépende énormément des capacités télégéniques du messager. Ce qui a toujours existé, mais avant c’était un élément parmi d’autres. Aujourd’hui, c’est l’élément N°1. Sur mes 2800 amis FB, il y a au moins une trentaine de mecs qui casseraient la baraque s’ils émettaient un cri, une alerte, un appel. J’ai toujours pensé que le message d’Act Up passait bien il y a 15 ans parce qu’il y avait des beaux mecs à Act Up. Pas forcément ceux qui étaient porte-parole, mais ceux qui étaient dans la manif. Il y avait un système d’entraînement. Aujourd’hui le militantisme cherche son Brian Kenny et je pense que tant qu’on ne l’aura pas trouvé, on se retrouvera à avancer lentement, très lentement.

jeudi 3 décembre 2009

Le feu


À chaque fois que je poste quelque chose sur le jardin, sur Facebook, on dirait que je touche un nerf sensible. Il suffit de dire « Je commence le feu dans la cheminée » ou « J’en ai marre de l’ordi, je vais ramasser les feuilles » et cela provoque des messages persos, du genre : « Tu as de la chance » ou « Si je pouvais fais ça dans mon appartement à Paris… ». Mon ex Jean-Luc était obsédé par le feu dans la cheminée. Il était capable d’incendier l’immeuble pour avoir le plaisir d’entendre le feu crépiter et de jouer avec le tisonnier. Pour lui, cela faisait partie d’un standing, comme le fait de siroter son verre de vin avec les reflets du feu dedans.

Pour moi, le feu est plus proche de mon enfance. Quand mon père a vendu sa ferme, il y a deux ou 3 ans, j’ai ramené les chenets qui étaient dans la cheminée de notre maison depuis… très longtemps. Ils ont une forme très simple, de gros trucs heavy duty qui supportent de grosses bûches. Ils ont fait partie de notre vie pendant toute notre jeunesse. Il fallait vraiment que je ramène ces chenets chez moi afin qu’ils chauffent une autre maison, comme un héritage. Et dès qu’ils sont arrivés dans la cheminée, ils ont pris leur place comme si c’était la leur, solides, prêts à servir.

Les gens ont une vision magnifiée du feu. On sent bien, sur FB, que le feu dans la cheminée est devenu une notion très exotique. C’est comme si vous postiez une image du Nicaragua. La majeure partie des gens vit désormais dans des maisons sans cheminée. Je sais très bien que c’est impossible pour des raisons écologiques, mais j’ai toujours pensé que les architectes devraient mettre des cheminées partout parce que ça rend tout le monde heureux. D’une manière quasi instantanée. Vous lancez le feu et vous vous sentez mieux, tout de suite. Même quand vous avez un spleen ou un tracas. Ce n’est pas seulement la chaleur qui se diffuse, c’est cette idée très banale du foyer, que plus vraiment personne connaît de nos jours.

Il faut dire que je suis étonné de voir que très peu de gens savent lancer un feu de nos jours, lol. Je ne vais pas à nouveau parler de ça, je crois que j’ai déjà écrit une chronique sur cette perte de connaissance, et puis je ne vais pas faire mon Renaud Camus du pauvre. Mais il est évident que FB est un phénomène qui s’adresse beaucoup aux urbains. Et le feu n’a rien d’exotique.

Il y a même des gens qui sont un peu jaloux. Quand on fait un feu, il faut le surveiller, il faut l’entretenir, il faut considérer qu’une partie du temps doit être consacrée à ce feu. Ce n’est pas un truc qu’on allume et qu’on oublie pour passer 3 heures ensuite devant son ordi. Par exemple, avant de se coucher, la dernière attention domestique est accordée au feu. En hiver, c’est une chose qui se répète, tous les soirs, et les gens ne savent pas que ça finit par être lassant aussi. C’est pour ça que lorsque le printemps arrive, on est content d’arrêter de récolter les cendres, les sortir, ne pas laisser le seau rempli de cendres se remplir d’eau de pluie parce que c’est une vision glauque, surtout devant la porte d’entrée. Toute cette petite intendance qu’il faut avoir en tête pour que les fagots soient secs, que le bois soit à portée de la main. C’est le genre de détail qui finit par vous dépasser. Comme tous ces pulls que l’on porte avec un trou fait par une étincelle. Ou cette odeur de feu que vous apportez avec vous quand vous allez à Paris et que les gens disent : « Tu sens la cheminée ! ». Comme si c’était un truc très far out ! Comme les amis qui ne sont pas venus depuis longtemps chez moi et qui s’émerveillent en passant le seuil de la maison : « Woaou, ça sent le feu de cheminée ici ! ».

Il faut se dire que c’est pas grave, on a un trou dans le pull, so what. Bien sûr, c’est un peu étrange quand on regarde tous ces reportages à la télé sur tous ces gens qui passent leur temps à aller dans les magazines pour changer de fringues parce qu’il y a toujours des réassorts quotidiens chez H&M et donc, il y a toujours un truc neuf à porter. Imperceptiblement, avec chaque nouveau trou dans le pull, vous devenez une personne différente de ce qui est communément présenté comme « normal ». Comme tous ces gays qui posent sur FB avec des t-shirts super jolis avec du design et de la couleur et pas un seul ne semble fripé ou chiffonné. Vous êtes un campagnard, ce qui veut dire que vous ne pouvez plus prétendre à être à l’avant-garde et vous le revendiquez, puisque, look ! ça se voit aux trous que vous portez. Toutes les semaines, vous zappez sur D&Co sur M6 et vous réalisez que presque tout ce qui est montré est juste dernier cri. Vous aviez l’habitude de vous moquer gentiment de cette émission et là, le moindre carrelage est joli, teinté dans la masse, le moindre mur de salle de bains est un alliage super moderne que vous pouvez rayer comme vous voulez puisque ça s’efface d’un coup de chiffon. Et tout est comme ça, sortant juste des derniers salons de déco.

Alors, je mets une bûche dans la cheminée, je me sers un verre de jus de pamplemousse hard discount de Carrefour et soudain la peinture de ma cuisine apparaît telle qu’elle est : vieille de 5 ans. Horreur ! M6 a réussi à me foutre la honte, il est temps que je donne un coup de jeune à ma maison. Je réalise que je n’ai pas touché de pinceau depuis 4 mois. Que mon jardin, vu sous un certain angle, est délaissé. Que la fouine qui s’est installée dans mon grenier se sent si bien chez moi qu’elle a décidé de laisser une petite crotte (très jolie mind you) sur chaque fenêtre du 1er étage pour signifier : « Ici c’est chez moi, pas chez lui ». Que l’énorme rosier Mermaid n’est toujours pas taillé.

Il y a un an ou deux, quand je suis allé à Londres, j’ai été épaté de voir que tous les appartements des gens que je connaissais avaient bénéficié d’un extrême make over. Je ne sais pas si c’était le plombier polonais ou quoi, mais chaque appartement avait été refait à neuf. La cuisine, la salle de bains, les toilettes, l’escalier. C’était surprenant, surtout quand on a connu les salles de bains londoniennes des années 80 et 90, toujours froides, jamais isolées en hiver. Ce que je veux dire, c’est que nous sommes entourés de sollicitations qui aboutissent à des complexes qui nous amènent à dépenser, même si, au fond, la peinture de la cuisine est toujours propre. Même pour ramasser les cendres de la cheminée, il y a un seau particulier dans un salon international de déco.

Et je ne vais pas raconter ici l’histoire du tisonnier à 16.000 F (c'est une vieille histoire) de Bettina Graziani car c’est un private joke familial.

jeudi 12 novembre 2009

Not again, le mariage gay!


OK, je suppose que vous êtes tous au courant des derniers développements sur le mariage gay et/ou l’adoption pour les homosexuels. Je suppose aussi que pas mal d’entre vous somnolent déjà, dès que l’on mentionne le sujet. Oh no, not again, un autre post interminable sur le mariage gay.

C’est la calamité des temps modernes, non ? Vous savez tous qu’on ne pas arrêter de vous emmerder avec ça pour les dix années à venir. Les médias adoooooorent ça. Les médias gays encore plus. Et je vous assure qu’ils prennent du Guronzan et de l’Arcalion pour se motiver sur le sujet car il n’y a rien de pire qu’un réveil avec une alerte Google sur une décision de justice concernant l’adoption pour les gays. Vous arrivez au travail le matin et le rédac chef est déjà sur le pied de guerre (comme on dit) avec une urgence éditoriale : « Il faut que tu fasses tout de suite un feedback sur les réactions homophobes de la veille ! ». Ou : « Tu as fait la liste des personnalités qui ont signé l’Appel de Montpellier ? ». Ou : « On va faire un sondage sur le site pour savoir si Emmanuelle B. a bien fait de garder l’anonymat ».

BO-RING ! Non mais vous vous imaginez aller au boulot tous les jours pour parler toute la journée du mariage gay au 1er degré, comme si vous étiez super super super motivé alors que vous êtes en descente parce que vous avez trop bu le week-end ? Et si vous avez le malheur de dire que vous avez déjà écrit 4 brèves la semaine dernière sur le sujet, votre capital militant prend un minus 10 en 15 minutes. En plus, tout le monde vous observe : « Oui, je me rappelle très bien que l’année dernière tu avais dit que le mariage gay, tu en avais un peu marre. C’est bien une remarque de pédé égoïste ». Et ça vous suit toute la vie.

Qu’on me comprenne bien. Je suis à fond pour le mariage gay. Je signe toutes les pétitions que vous voulez. Personnellement j’en ai rien à foutre, mais puisque les autres pays européens l’ont, et l’Afrique du Sud aussi, alors on doit l’avoir, c’est une question de principe. Et je crois que les gens savent (peut-être trop d’ailleurs) que je suis une folle à principe. Je ne me pacserai jamais et je ne me marierai pas non plus (au secours ! Je suis devenu gay précisément pour échapper à ce type de traumatisme), mais la liberté gay passe par là donc je suis d’accord. À 100%.

Mais c’est d’un ennui mortel. Tous les gens qui travaillent sur ce sujet sont des geeks (et je trouve que Caroline Mecary a de plus en plus de tics à la télé), mais c'est remarquable de se battre toute sa vie pour un droit universel qui a un impact symbolique majeur. S’il y a quelques milliers de personnes LGBT qui veulent se marier, on va se faire chier pour les aider. S’il y a une centaine de couples LGBT qui veulent adopter, ils nous emmerderont avec leurs mioches, comme les autres, super. Si une très grande majorité de gays en a rien à péter et rigolent au Cox sur le mariage gay, il faudra fermer sa gueule quand même. Si ces mêmes pédés préfèreraient crever plutôt qu’avoir un mioche, c’est de leur responsabilité de grommeler en faisant le moins de bruit possible. Car, ce qu’ils pensent, c’est :

1) J’ai 5, 10 ou 20 ans à vivre et je suis bored to death à l’idée de me coltiner ce débat jusqu’à mon enterrement

2) J’ai 5, 10 ou 20 ans à vivre et tous mes autres espoirs politiques devront attendre jusqu’à mon enterrement parce que le mariage gay et la lutte contre l’homophobie sont les deux mamelles du militantisme gay de Now et ça prend toute la place.

3) Finalement, tout le monde fait son beurre sur le mariage gay et l’homophobie, sauf moi. Les avocats, les hommes politiques, les assoces, les médias. C’est bien, cela encourage la libre entreprise, mais je me demande si ça aide le débat sur les autres problèmes qui touchent cette communauté. Ou alors croit-on vraiment que lorsque le mariage gay sera là, tous les problèmes psy et sociaux qui touchent les gays et les lesbiennes disparaîtront comme ils ont disparu en Angleterre, en Espagne et en Afrique du Sud. Ah bon, parce qu’ils n’ont pas disparu en Angleterre, en Espagne et en Afrique du Sud ? Savais pas.

4) La crise du militantisme est sûrement au centre de cet avenir bouché. Parlons franchement. Vous savez que je radote souvent, mais je n’ai pas peur de montrer le dopellgänder du discours militant sur les gays ou le sida. En résumé : le mariage gay et l’adoption pour les gays n’évolueront pas en France avant (et encore) les prochaines élections présidentielles. Si l’UMP est assez conne pour ne pas évoluer sur le sujet aujourd’hui, c’est parce que le PS est loin d’être très proactif sur ce thème aussi. Donc, pour les trois ans à venir, on va s’emmerder sur le sujet. Et je crois que c’est un mauvais calcul militant pour le mouvement LGBT. Il va y avoir usure, comme il y a une usure actuellement aux USA sur le mariage gay.

5) Pendant ce temps, tous ceux qui ont envie de parler d’autre chose dans la communauté gay sont invités à se taire. Ces sujets sont toujours systématiquement au deuxième plan, ou même loin derrière. Je peux rêver : cela peut contribuer à un radicalisme LGBT nourri par le ras-le-bol face à des associations qui sont trop monolithiques sur le mariage gay et l’homophobie. Forcément, la toute petite minorité à laquelle j’appartiens ne cessera de grandir. Imaginez-vous dans deux ans. Vous préférez être dans une structure ouverte où tout le monde peut s’exprimer sur les sujets qui l’intéressent ou vous préférez rester dans un média enfermé dans ses propres dogmes militants ?

6) Cette frustration militante aura un coût. Il ne faut pas s‘étonner pourquoi le militantisme gay est arrivé à un niveau de désintérêt quasi général chez les homos et les lesbiennes. Leur avenir est bouché. Oui, le discours est alimenté par les 50 personnes qui font les commentaires sur les news médias gays, mais le reste de la communauté n’intervient pas. Il y a un discours pré-établi, incroyablement normatif qui domine et derrière il y a 95% de personnes de cette communauté à qui on n’a pas offert les moyens de s’engager. C’est du mauvais leadership car pour obtenir le mariage gay, on doit être propre sur soi, être une avocate qui se présente aux élections régionales du printemps 2010.

7) C’est du mauvais leadership. C’est la génération gnagnagna. C’est ce que j’appelle l’âge bête du militantisme. On est passé par l’agit prop des années 70, la rage des années 80, le succès des années 90 et on est dans le « agueubeubeu » militant. Tout le monde dit la même chose. La peur d’être qualifié d’homophobe est le sentiment qui prédomine. Il n’y a personne pour détourner ça en dérision pour rigoler des opposants au mariage gay et à l’adoption. On est sur le ton de l’effroi, encore et toujours. Moi je dis : rendez nous Dustan, au moins on rigolait !

8) A une époque où l’on n’arrête pas de radoter sur la « transversalité », le discours LGBT ne parle que des problèmes LGBT. Pour gagner le combat sur le mariage et l’adoption, il y a des gens qui ont décidé qu’il fallait réduire le spectre du débat gay à son minimum. C’est un fil d’info qui ne parle que du mariage gay et que de l’homophobie et basta. On l’a vu avec l’affaire Mitterrand, dès que le l’on sort de la représentation idéale de l’homosexualité, tous les médias gays sont comme paralysés, ils sont incapables de dire quoi que ce soit, à part répéter qu’il faut défendre la personne concernée, autrement ce serait de l’homophobie. Il n’y a aucun discours de ces gays leaders sur ce qui se passe dans le monde, sur la vision gay plus large, sur les liens entre le discours gay et d’autres problèmes. C’est criant dans les médias gays : surtout alléger le ton de l’info, surtout ne pas prendre de risque, surtout se caler les uns sur les autres. Une seule voix, un seul ennui. Quand je pense qu’en 1991, Act Up défilait sous la pluie contre la guerre en Iraq !

9) Je ne vois pas beaucoup d’analyse sur le lien entre ce qui se passe en France et ce qui s’est passé, il y a une semaine aux USA dans le Maine, où le mariage gay a subi une défaite assez surprenante. Bon, certains commençaient à remarquer que la campagne dans le Maine n’était pas très brillante comme l'explique cet article du Washington Post, mais, pour ceux qui ont raté les épisodes, on va faire court : le mariage gay s’est cassé la gueule dans un état où il avait toutes les chances de gagner, tout comme en Californie au moment de la Proposition 8. Les commentateurs français mettent cet échec sur le dos d’Obama. OK, si ce dernier avait fait un speech bien lancé dans le Maine 2 jours avant les élections, le mariage serait passé sans problème. Mais pourquoi l’aurait-il fait ? Ce dernier prendrait-il le risque de perdre des voix nécessaires au Parlement pour faire passer sa réforme de la santé à cause du mariage gay ? C’est sa priorité absolue ! Déjà il recule devant Israël, alors le mariage gay… please. Le grand débat américain sur le mariage gay, c’est que la stratégie selon laquelle les lois pour le mariage gay devaient être votées état par état se casse la gueule. Un article du New York Times du 6 novembre, "Maine loss prompts rethinking of same-sex marriage tactics" explique très bien tout ça. Presque tous les états où le mariage gay pouvait gagner ont été amenés à se prononcer. Et maintenant, que faire face aux états qui, on le sait, y sont très opposés ? Les vieux de la vieille comme Barney Franck savent que cette stratégie est vouée à l’échec. Et cela fait maintenant pas mal de temps que la communauté LGBT américaine est critiquée parce qu’elle s’y prend mal. Il y a eu des dissensions lors de la grande marche sur Washington du mois dernier. Il y a eu des dissensions sur la stratégie face à la proposition 8. Il y a des dissensions sur Don’t Ask Don’t Tell et de nouvelles infos nous indiquent que cette loi ne changera pas avant l’année prochaine. Or, si le mariage gay n’avance pas aux USA, cela aura des répercutions sur d’autres pays. On ne peut pas dire que les victoires entraînent d’autres victoires si on refuse d’admettre que des échecs entraînent d’autres échecs aussi. Le leadership associatif se doit donc de remporter des victoires, sinon il perd ses munitions.

10) Vous vous rappelez le mariage de Bègles ? Et toutes les couvertures de magazine que cela a suscité ? Les articles dans tous les quotidiens, tous ces gays et ces lesbiennes qui ont témoigné à visage découvert ? Combien ils étaient modernes et courageux de révéler des choses intimes sur leur relation, leur vie, leur entourage, tout ça pour faire avancer la cause, et pour faire pression ? Nous sommes 5 ans plus tard. Ces personnes sont des munitions qui ont été utilisées et je sais que nous n’avons pas de problème pour trouver d’autres munitions aujourd’hui. Mais ces munitions, il faut les utiliser au bon moment. Franchement, vous espérez une nouvelle loi à mi-mandat de Sarko ? Keep dreaming. Ou alors ces munitions sont utilisées aujourd’hui par les associations gays et les médias pour se faire mousser car des membres de cette communauté sont en position éligible pour les prochaines élections régionales ? Oui, les lois sont votées parce que les coups de boutoir du militantisme se rapprochent et tapent plus fort. Il faut créer un momentum. Mais le momentum actuel est un trompe l’œil car il n’a pas pour objet de faire passer des lois qui changent vraiment les choses, mais plutôt les individus qui se mettent en avant pour surfer sur des espoirs très sincères. Et ça, en France, dans tous les partis, on en a assez souffert comme ça.

lundi 9 novembre 2009

2013


C’est drôle. Ce week-end, je regardais avec mon mari le Journal de 20h sur TF1 (je ne le regarde jamais, mais mon mari est accro aux news, c’est mon excuse) et on est tombés sur un sujet autour du Quartier des Halles. On a eu la confirmation que les travaux ne commenceraient pas avant 2013 et on était abasourdis de voir qu’on nous balançait ça comme ça. Sans se demander s’il y avait un blocage et de quel ordre. Sans angler le reportage sur : heu, VOUS VOUS FOUTEZ DE NOTRE GUEULE, on va encore attendre 4 ans avant de raser tout ça ? Vous voulez dire que 1,5 million de personnes se fait chier tous les jours à commuter dans la station Châtelet les Halles avec les pires odeurs de la planète et une catastrophe visuelle avec des tunnels de correspondance de 125 kilomètres et rien de fait pour les handicapés et rien ne va changer pour eux avant QUATRE ans ? Déjà le projet de merde qui a été choisi par Delanoë, après toutes ces controverses et ces concertations populaires à la con, a mis des années pour avancer et maintenant on nous dit qu’ils ne sont pas foutus de couler du béton ? Ils attendent quoi, qu’il y ait des émeutes ou des suicides collectifs sur le RER B ? Des rituels de mort subite avec de la couleur ? Un peu de drama ? Que Paris vive quelques années de plus avec cette « structure » des Halles en métal blanc, au centre de Paris, alors qu’elle était déjà démodée, il y a 20 ans ? Vous croyez que les jardins conçus par la mère Lalanne sont toujours aussi représentatifs de l’art paysager d’aujourd’hui ? Vous trouvez que cet endroit est joli - et je suis gentil en choisissant un adjectif aussi désuet ? C’est quoi le projet de Delanoë ? Punir tous les gens qui traversent sa ville ? Ne pourrait-on pas aller plus vite, au contraire, et donner du travail à des dizaines de milliers de personnes pour reconstruire ce centre névralgique de Paris et lui offrir un nouveau souffle, qui rejaillirait sur l’ensemble de la ville et de la région ? Bref, avec un peu de chance, est-ce que ce connard de Delanoë aura, dans son bilan, le plaisir de quitter la Mairie de Paris AVANT le début des travaux ?

Tout ça devient drôle quand on apprend que, wait, super, stop the press, Paris est considéré « ville la plus sexy » par un site touristique américain. Well, ce lundi, j’ai entendu plusieurs personnes se plaindre que la dernière soirée Beardrop n’était pas sexy du tout. Une heure et demie pour entrer, une demi-heure pour le vestiaire, les barmen qui mettent une goutte de vodka dans le verre et 400 pédés sous GHB. C’est une ville sexy !

Au même moment où une pétition sur la mort du clubbing parisien rassemble 11.000 signatures and counting. Les clubs font n’importe quoi parce que la ville de Paris fait n’importe quoi. 11.000 personnes signent une déclaration assez solennelle, qui interpelle les pouvoirs publics et vous croyez qu’ils ont un RDV ? Une réponse du maire ? Christophe Girard, anyone ? Il faut leur faire encore une étude multicentrique pour leur expliquer qu’une ville comme Paris se doit d’avoir une vie nocturne de qualité pour que les gens, en général, soient plus heureux de vivre ? La crise n’est pas assez grave, on n’a même pas droit à du pain et des jeux ? Vingt ans de house pour qu’on oublie que le droit de danser est un droit moderne et que, pour pleins de raisons sociologiques et aussi de santé, ça doit se faire dans les meilleures conditions ? Avec un bon sound system, avec de l’air, avec des chiottes à pas savoir quoi en faire, avec de l’eau potable, avec un soutien sur les drogues, avec des facilités pour rentrer chez soi ? Que c’est une responsabilité politique de faire en sorte qu’une capitale soit aussi connue pour l’imagination de ses clubs, comme il en va de la qualité de ses musées et de la modernité de son urbanisme ? Il faut leur expliquer en détail que la danse, le fait de sortir, est un besoin culturel ?

C’est quand même fantastique de vivre dans une ville qui commence à être la risée de la culture internationale tout en étant la plus sexy de toutes. Je ne vois pas le lien. C’est encore un cliché culturel sur le French loving ? Eeeek. C’est le côté mal foutu qui rend Paris sexy ou c’est les gays parisiens qui sont sexy parce qu’ils vivent dans une ville mal foutue où le métro s’arrête à deux heures et où les taxis sont les pires d’Europe ? Ils font la gueule donc ils sont sexy, c’est ça ? C’mon.

On est tous là à raconter des histoires sur la mort du clubbing new yorkais à cause de Giuliani, mais ce qui se passe à Paris est pire. Personne n’emmerde Delanoë et, à part cette pétition, personne n’élève la voix. À New York, c’était un maire de droite qui a éliminé le clubbing. À Paris, c’est un maire de gauche. La prochaine qui me sort que ça serait pire avec un maire de droite, je lui fais avaler cette pétition. C’est impossible de faire pire puisque Delanoë fait exactement ce que ferait un maire de droite. Il faut que ce soit une folle homosexuelle dépressive du PS qui laisse pourrir une situation qui fait que tous les gens qui font du clubbing à Paris se demandent s’ils ne vont pas laisser tomber. Et qu’on ne me sorte pas que les tracasseries policières envers les clubs et les bars sont uniquement du fait de la Préfecture de police. Quand on dirige une capitale qui doit concurrencer le clubbing de Londres et de Berlin, on s’arrange pour que ça bouge bordel. On arrête d’utiliser l’argument des riverains exaspérés pour justifier les pressions exercées. On arrête de dire que la responsabilité en incombe toujours aux autres, la région, l’Etat, Sarko, je sais pas quoi. On prend ses mains de petite tarlouze (moi j’ai le droit de le dire, j’étais pédé BIEN AVANT Delanoë) et on prend le problème et on le traite comme un dossier, comme s’il concernait le prestige de la ville à l’étranger. Ça ne suffit pas de connaître le maire pédé de Berlin, il faut faire mieux que lui et pour l’instant c’est vraiment mal parti.

Alors voilà, il faudra attendre 2013 pour voir le trou des Halles avec un début de travaux. Ensuite, il faudra attendre deux ans pour les travaux et encore je suis encore naïf. Ça nous met à 2015 pour avoir une ligne B qui fonctionne mieux pour les millions de personnes qui se font chier tous les jours à commuter dans la station Châtelet les Halles avec les pires odeurs de la planète et une catastrophe visuelle avec des tunnels de correspondance de 125 kilomètres et rien de fait pour les handicapés. Peut-être que dans ce nouveau complexe il y aura un endroit pour accueillir 5 salles de clubbing qui permettront à Paris de disposer d’une vie nocturne moderne, avec toutes les facilités d’un club moderne (des installations scéniques, des sound systems et des lumières, des chiottes à pas savoir qu’en faire) dans un quartier souterrain où il n’y aurait pas de nuisance sonore. Mais je rêve. Il y a des quartiers qui se construisent à Paris, comme les Batignolles ou derrière la Bibliothèque Nationale. Et vous n’entendez pas parler de la construction d’un club de grande dimension pour décaler le night clubbing vers ces nouveaux quartiers périphériques. Non. Vous n’en entendez pas parler parce que ça n’existe pas. Delanoë bloque, dès maintenant, notre futur.

P.S. Les seuls qui ont été malins, dans cette affaire, c’est Djoon. Ils ont été les premiers à faire le club sans cigarette. Et ils ont compris dès le début que le clubbing de Paris ne doit plus être central, il doit s’approcher le plus près du périf pour faire tout le bruit qu’on veut. Et ils font venir Timmy Regisford.

mercredi 28 octobre 2009

Les clones



Il y a deux jours, j’ai écrit sur FB qu’il y avait tellement de soleil que les mésanges avaient entamé leur chant de printemps… en octobre. Ce n’est pas le signe d’un dérèglement, les mésanges sont des oiseaux d’hiver, elles sont juste éblouies par tant de lumière, elles sont contentes, donc leur chant n’est pas vraiment associé à la drague, bien que. Aujourd’hui, mon frère Lala, qui vit en Suisse, dit sur FB qu’il « fait tellement beau… qu’il fait beau ». L’automne que nous vivons est splendide. Le mois de septembre a été lumineux et sec, octobre finit avec une impression de limpidité encore plus forte. Ce matin, en me réveillant, la vallée était noyée sous un brouillard très dense, immaculé, presque radioactif, et ma maison, au-dessus de ces nuages, semblait être dans l’air, comme lorsqu’on est dans l’avion au-dessus de tout. Chaque jour, le réveil est marqué par cette luminosité et durant la journée, le soleil tape en plein sud dans la maison, avec des rayons déjà obliques mais qui pénètrent très loin dans les pièces. Encore une journée presque éblouissante, dans le sens physiologique du terme. On a presque envie de sortir avec des lunettes de soleil.

J’ai beaucoup à faire dans le jardin, mais je passe beaucoup de temps devant mon ordi à écrire. Un ami va venir ce week-end et on va faire sûrement de la taille de bois ou vider le compost pour préparer la place pour les feuilles mortes. On fera même peut-être un feu de broussailles si le vent ne pousse pas la fumée directement chez les voisins. Il faut que je réduise les rosiers grimpants avant les premières tempêtes et il y a tant de vivaces à changer de place. J’ai encore trop de poires. La récolte de noix a été bonne, sans plus. Il faut faire réparer le motoculteur dont la roue avant droite est crevée, bordel de merde.

À chacun de mes passages à Paris, je suis toujours plus épaté de voir tous ces mecs barbus. Wait ! Je sais ! Je radote ! Mais j’ai une histoire inédite à raconter ! Sur le mur de mon bureau traîne une photocopie depuis déjà… six ans. Hervé Gauchet avait pris une photo de Libé qui montrait quelques pêcheurs bretons. Je crois qu’ils étaient en grève ou un truc comme ça. Juste en passant, je dois dire que je n’ai aucune affinité avec ce métier, je trouve que ce sont des cons. Mais Hervé avait découpé la photo d’un des pêcheurs, un timbre poste de 2cm de côté, et l’avait agrandi en A4. Quand il m’avait apporté cette image, pendant un de ses week-ends à la maison, j’étais en plein drooling gaga (dans le vrai sens de gaga). Hervé souriait car il savait que cette photocopie aurait cet effet sur moi – car il ressentait la même chose lui-même. Avec une trame plus grosse, plus épaisse, la photo devait un dessin au trait.

Tout, dans cette image, est classique. Une de ces illustrations qui vous rappelle que Renaud Camus avait raison quand il a développé cette théorie, il y a plus de vingt ans, sur ces hommes très beaux que l’on voit dans les pages de faits-divers des journaux, surtout en province. Il s’agit de voleurs, de criminels ou de sportifs, de mecs qui se trouvent être photographiés quand ils n’en ont pas envie ou quand ça les fait un peu chier. Seuls les gays sont capables de reconnaître dans cette photo souvent mal prise la beauté d’un homme qui apparaît au détour d’une page d’un journal en général morne.

En 2003, quand Hervé m’a apporté cette photo, nous nous sommes posé des questions sur cet homme. Hervé était déjà malade, mais nous avons eu de bonnes discussions sur lui. D’abord, pour un pêcheur, il avait un caractère très latin, ou très basque. La pose, c’est de la Renaissance à donf, on dirait un détail de tableau du Titien et je vais arrêter ici de faire la folle. C’est une pose totalement religieuse, on ne sait pas ce qu’il regarde, mais il regarde d’une manière calme, très concentrée. Le fait qu’il porte un ciré blanc exagère le cadre de son visage. Hervé et moi on se demandait même quel type de parfum ce mec pouvait avoir, sachant qu’il ne devait pas en avoir du tout, bien sûr, puisqu’il était sur son lieu de travail. Mais il y avait une idée de proximité que nous ne parvenions pas à définir. C’est ce qui fait que cette image, six ans après, est toujours là, devant moi, tous les jours.

Ensuite, on était en 2003 et notre désir de barbe appartenait encore au rêve. On se demandait quand on verrait des hommes comme ça dans les rues. Après tout, ce qui nous a attirés l’un vers l’autre, il y a plus de vingt ans, c’était notre amour pour les clones naturels. Hervé et moi avions la même passion pour les barbus et les moustachus qui, déjà en 1983, commençaient à disparaître. Et on a passé ensuite deux décennies à attendre patiemment qu’ils reviennent et que la mode soit à nouveau pour le poil. Bien sûr, il y avait déjà les Bears en 2003, mais ce n’était pas exactement ce qui nous attirait. On était dans l’idée du mec pédé (ou hétéro) qui porterait une barbe cool. Et maintenant, six ans après, c’est partout. Allelujah.

OK, chez les gays, on a encore beaucoup de barbes super clean et dessinées et tout. Mon ami Fred, quand il va encore dans les bars du Marais, dit qu’il ne reconnaît plus rien. « Bah, ils se ressemblent tous ! » dit-il avec l’accent de Toulouse. Je sais, mais je suis tellement pour la pilosité faciale que les trois quarts du temps, j’ai un gros sourire. J’ai vraiment attendu vingt ans pour voir ça, et je n’ai pas arrêté d’écrire là-dessus, donc on se dit que ça a eu un tout petit impact.

D’ailleurs il y a un truc drôle dans le docu DVD sur Keith Haring, (ou alors c’est dans un autre docu vu à la télé). Au début des années 80, on le voit se plaindre qu’il y a encore trop de pédés barbus et moustachus et il dit qu’il faudrait les raser tous, il voulait que ça cesse, il en avait marre de voir des barbes. Bon, ça faisait partie de sa génération, qui se rebellait contre l’uniformité des gays des années 70. Mais moi, j’ai toujours aimé les clones. J’aurais aimé en être un, et je vois ça chez plein de gays que je connais, comme Frank Boulanger. C’est un look fondamental, on en est à la quatrième vague successive. Donc, voir partout dans le métro ou dans les rues ces mecs, hétéros ou gays, avec des barbes, c’est une des rares bénédictions de notre époque, et ça devrait durer encore quelques années.

Ce qui est beau chez ces hommes qui laissent pousser leurs barbes avec relativement peu d’entretien, c’est la signification de leur statement, qu’il soit sexuel, religieux, mystique ou simplement esthétique. Ces hommes ont décidé que cela leur allait bien, malgré les avis négatifs autour d’eux. Il y a toujours quelqu’un pour trouver ça laid. Sur FB, il y a des mecs dont la barbe est l’essence même de leur succès, comme Joe Mitchell (OK, le mec fait aussi de la gym, il a des pecs parfaits, etc.). Mais il y a un truc avec ces mecs. Ils ont beau être très narcissiques, il y a toujours des albums de photos qui montrent leur attachement à la nature, au trekking, à la promenade. Et c’est ce qui me ramène à cette image d’Hervé Gauchet. Ce pêcheur est forcément un homme d’eau, mais on l’imagine aussi, comme dans les tableaux de la Renaissance, entouré d’un paysage quasi religieux, qui annonce une prédiction.

lundi 19 octobre 2009

MJ : the biggest lie



Il y a vraiment un truc qui m’a turlupiné depuis la mort de MJ. Je sais, le sujet n’est plus chaud du tout, il est au contraire presque glacial malgré le fait qu’on nous sorte des morceaux posthumes vraiment ratés et un film encore plus tartignole et ne parlons pas de la tournée à venir avec les cons de frères. Je m’étonne que l’on puisse encore acheter quoi que ce soit avec dessus le nom de Michael Jackson. Je trouvais déjà complètement débile de monter une série de 50 concerts à Londres puisqu’il était évident que MJ ne pourrait jamais tenir la distance, surtout devant le public pop le plus éduqué au monde. J’ai trouvé pathétique le délire qui a entouré sa mort, du début à la fin. Les gens qui chialent, les amis au bord de la dépression sur FB avec des commentaires qui ne veulent rien dire comme « Oui mais c’est émouvant quand même », les cons qui courent acheter les albums qu’ils ont raté pendant les vingt dernières années, la famille de MJ qui est vraiment le clan le plus risible de la musique dite moderne, la laideur du « show » au Staples Centre (vraiment, il y a quelqu’un à la régie qui sait ce que « éclairage » veut dire ?), et puis les enterrements successifs. C’est du comique de A à Z et épargnez- moi le truc new-yorkais à la Body & Soul, dans le genre « Tu peux pas dire ça sur MJ, le mec a révolutionné la place des Noirs dans l’Amérique et le monde ». Sure. Pass me the mayo. Même Obama a déclaré que la vie de MJ était « triste ». Il faut remonter au Crétacé Supérieur pour trouver un dinosaure aussi malheureux. Il n’y a rien dans cette affaire qui procure de la vraie émotion, celle qui fait chavirer les plus cyniques d’entre nous, celle qui fait ravaler les moqueries avant même qu’elles soient formulées. Tout a été laid dans cet enterrement et on se demande où est ce foutu médecin qui a administré ces doses de cheval de Propofol, sûrement peinard à Acapulco, menaçant d’écrire le livre dans lequel on finira par avoir la liste complète des prescriptions de c’te folle de MJ. Il doit déjà avoir un cabinet à Los Angeles avec la plaque sur la porte « I KILLED MJ ». Tout a été cheap et laissez-moi être spécifique sur ce point : tout.

Bref, je me suis senti exactement comme pendant l’été 1977 (je sais, this is showing my age) quand je suis arrivé à Paris, juste au moment où Elvis clamsait. Quel soulagement, me suis-je dit en me promenant sur une des avenues du 16ème arrondissement après avoir volé plusieurs pots de crème aux amandes dans un magasin La Vie Claire de la place Victor Hugo : « Maintenant on va pouvoir enfin vivre tranquille ». C’est ce que je me dis à chaque fois qu’un grand bonnet de l’entertainment crève. Romy Schneider ? She used to play on Hitler’s lap, for Polanski’s sake ! No wonder she was depressed all the time ! Edith Piaf ? She was so black n white ! James Brown ? Il était tellement hétéro !

Non, le truc qui m’a le plus énervé, encore une fois, c’est le mensonge. J’ai déjà écrit un post qui disait, en substance : y’a personne qui va dire que c’était une folle lubrique ? Est-ce qu’on va aborder le sujet de la sexualité de MJ ? Oui, le fait que l’on n’ait pas insisté sur ce point est tout à fait normal, c’est un décès que l’on peut qualifier de…mondial, c'est un maxi-grief quoi! Mais c’est précisément là l’idée. Vous avez souvent des folles qui sont admirées par pratiquement 6,3 milliards d’habitants sur la planète ? Bon, imaginons, à la louche, qu’un milliard de Terriens ne savent pas qui est MJ, ou qui n’en ont rien à péter. Ça vous donne quand même 5 .3 milliards qui sont apeshit devant l’annonce de sa mort et qui s’engouffrent dans le cliché du Roi de la Pop alors que le mec n’a rien fait depuis 10 ans. C’était quand la dernière fois que vous avez eu une folle qui a ce degré de pénétration domestique ? Elton John au moment de la mort de Lady Di ? Même pas. Après tout, c’était pas lui la star N°1 même si c’est difficile de cacher Elton John dans le background d'une basilique. Non, MJ a réussi à mettre dans la poche 5.3 milliards d’habitants qui, pendant quelques jours, ont oublié la crise, la famine, la maladie, la soif, la guerre et le chargeur du portable qui est introuvable.

D’où mon point. Quand vous avez 5.3 milliards de personnes qui sont là à bramer parce que MJ est mort, ça veut dire que l’ensemble de la planète préfère ravaler le dégoût que leur inspire le visage de MJ qui, je vous l’assure, n’est pas quelque chose que vous avez envie de mettre dans n’importe quel cadre sur le mur. Même si on met de côté le conditionnement médiatique de cette affaire, ça veut dire que 5.3 milliards de personnes, avec des cultures très différentes, ont décidé d’occulter qu’ils étaient en train de chialer la disparition de la plus grande folle de tous les temps. Ce qui veut dire beaucoup de choses sur nos capacités d’absorption de la follitude en général. Ça dit beaucoup de choses sur la sublimation de l’homophobie. Ça veut dire que plus gros le mensonge est, plus il est accepté avec une ferveur sans précédent. MJ était un child molester et la condamnation était unanime lors de ses procès. Et il suffit qu’il disparaisse pour qu’un cordon de sécurité se forme tout de suite dans sa communauté pour faire taire la moindre rumeur qui puisse entacher sa sexualité.

J’ai déjà vécu ça plein de fois dans mon travail de journaliste. Quand je me suis mis à rencontrer les DJs et producteurs qui avaient connu Larry Levan, j’étais très étonné de voir que le silence était général sur les conditions de sa mort. Je n’étais vraiment pas en train de chercher la petite bête pour révéler des détails sordides sur son addiction, sa mort, et tout ça, j’étais bien trop fan du Paradise Garage. Ce qui m’intéressait, c’était de rassembler les personnages qui l’avaient aimé, pour qui sa musique avait été déterminante. Et après avoir rencontré plusieurs fois certains DJ’s comme Frankie Knuckles, j’ai fini par comprendre que la version officielle était partagée par tout le monde : surtout ne rien révéler pour protéger la mémoire d’un héros de la dance music américaine.

Mais le cas de MJ n’a rien à voir avec ce qui s’est passé avec les autres. Ici, ce sont les gens qui l’admiraient qui ont fait office de cordon sanitaire, bien mieux que la famille, l’entourage proche ou les médias. Les 5.3 milliards de personnes avaient vraiment envie de soutenir et d’encourager ce mensonge. Ils n’avaient pas envie qu’on leur casse le plaisir de leurs émotions, ils ne cherchaient surtout pas à se rappeler cet étrange haut-le-coeur qu’ils ressentaient à chaque fois qu’ils voyaient MJ de son vivant. Pour moi, l’homosexualité de MJ ne fait pas de doute et ces centaines de millions de fans ont voulu absolument écarter cet aspect de leurs pensées au moment où ils étaient si occupés à célébrer son souvenir. D’un point de vue militant gay, c’est quand même un des rares moments de la culture moderne de masse : un homosexuel, ayant entériné depuis longtemps l’amalgame si redouté (homosexualité et pédophilie, eeeeeeeek!), se trouve amnistié par l’ensemble de la planète dans une oblitération complète de ce qui a fait de lui un freak.

Certains ont vu ça comme une manifestation exemplaire de la tolérance, non seulement vis-à-vis de MJ, mais aussi vis-à-vis de toutes les polémiques qui l’entouraient. Au lieu d’utiliser un Stabilo pour souligner tout ce qui était effrayant chez lui, le public, sur les cinq continents, a décidé de courir vers l’effaceur. De mémoire de vieille folle, je ne crois pas avoir vu ça de ma vie. C’est du « damage control » intériorisé, parce que des millions de personnes, sans en discuter, on décidé, en masse, de faire l’impasse sur ces questions. Et je ne pense pas que ce soit une bonne chose, finalement. Parce que tous ces fans n’ont pas exprimé qu’ils aimaient MJ en dépit de la pédophilie, de la gestion totalement ridicule de sa carrière, de son image, et plus important : de sa musique qui n’a finalement pas cessé de dégringoler. Ils ont décidé de passer outre, et de ce fait, ils ont apposé le sceau de leur étroitesse d’esprit au moment de la disparition de la plus folle des grandes folles, de la pédale la plus incohérente de tous les temps. Les gens ont aimé MJ parce que c’était un freak qui était évidé de toute sa freakitude, dans un mouvement généralisé d’hypnose mondiale. C’était le seul moyen pour eux de saluer sa mort en faisant semblant de rien voir.

Et tout ceci est à mettre dans une perspective moderne où les questions de genre n’ont jamais été autant discutées. Après tout, comment décrire MJ, surtout au vu de ses enfants ? Comment peut-on faire semblant de ne pas voir l’étrange particularité de cette descendance, à la peau blanche, aux cheveux blonds, avec un vrai père biologique britannique et une mère porteuse dans le secret et tout ce que cela sous-entend en termes d’insémination artificielle ou de financement de la procréation ? On est là au centre d’un noeud de sujets complètement identitaires sur ce que l’on a le droit de faire (ou pas) dans le cadre d’une « famille ». Si un pédé ou une lesbienne se trouvaient à la télé avec des « enfants » aussi déracinés de leurs origines, la fureur serait pratiquement générale. Mais MJ n’est pas gay, pour ses fans, et donc il peut passer à travers des jugements qui seraient sans appel pour les autres. Du genre : « Waitaminit, Paris est un peu blanche, non ? On dirait la voisine!». C’est un peu ce que révélait Nicholas D.Kristopf dans son édito du New York Times du 4 octobre de l’année dernière, « Racism without racists ». Dans la rue, si quelqu’un est à terre, les blancs appelleront à l’aide à 75% si la victime est blanche. Si la victime est noire, ils ne seront plus que 38% à appeler à l’aide.

Will the real MJ please stand up ?

Well, she’s dead now.

samedi 10 octobre 2009

Le chapitre 11


Finalement, la défense de Frédéric Mitterrand sur TF1, à part celle de la dramatisation, fut de dire que toute cette affaire avait pour origine sa souffrance d’homosexuel. Il n’a pas dit que c’était l’homosexualité, mais nous sommes habitués à voir, à travers son éloquence, les mots qui nous intéressent. Plusieurs fois, il l’a répété, prétextant une certaine modestie, dans le genre « Je ne vais pas vous embêter avec mes histoires, mais… ». Alors, si Frédéric Mitterrand, en tant que privilégié social et culturel, utilise lui aussi la souffrance pour expliquer ses écarts de comportement, il est clair désormais que tout le monde a le droit de le faire. Si une folle (et chez moi ce mot n’a rien de caricatural) comme lui a souffert parce qu’en tant qu’homosexuel, il ne s’est jamais aimé, alors imaginez la souffrance d’un apprenti boulanger gay de 18 ans.

C’est un procédé que nous connaissons désormais trop bien. Les hommes politiques et les célébrités s’échangent le registre émotif de leurs interventions, pour attirer l’attention, et faire diversion. Ils utilisent la dignité et la vie privée pour revenir sur le devant de la scène, pour vendre des livres, ou tout simplement pour faire parler d’eux. Leurs éditeurs les encouragent à révéler ce qui est le plus borderline, car tout document doit désormais comporter un chapitre (en général le onzième dans le plan du livre) qui doit aborder le vrai sujet du caca. Un article récent du New York Times expliquait ça, mais il y a plein d’autres articles qui ont décortiqué cette recette, puisqu’elle est désormais internationale. Pendant ce temps, la politique avance, sous couvert de diversions médiatiques.

Donc les artistes du divertissement abordent des sujets graves tels que le viol, l‘inceste, la maltraitance, la maladie, la mort. Et les hommes politiques font la roue sur les plateaux télé, racontent des histoires qui les mènent dans l’intimité de Lady Di, ou à l’arrière-plan de Liza Minnelli. Le problème, comme le révèle Alessandra Stanley dans « Going all-out to stage a comeback » (30 septembre 2009), c’est que le prix à payer est de plus en plus élevé. C’est une inflation dans la révélation. En 2005, on trouve tout à fait remarquable de raconter qu’on est allé en Thaïlande pour s’amuser tout en ramenant une culpabilité flatteuse. En 2009, le voile tombe car, forcément, la Thaïlande n’est pas la destination rêvée quand on veut rencontrer des joueurs de boxe de 40 ans. Si c’est ça qu’on cherche, on va en Turquie et god knows que là-bas les lutteurs moustachus s’enduisent d’huile d’olive, c’est plus crédible.

Je me rappelle. Il y a 15 ans, j’avais été estomaqué par un couple de gays, dont un travaillait dans une association de lutte contre le sida. Ils m’avaient raconté qu’ils faisaient des réserves de capotes ramassées dans les bars gays. Ils en avaient des sacs remplis. Très bien me suis-je dit. Jusqu’à ce qu’ils me décrivent, très fiers, leur machination : ils payaient les jeunes Marocains qu’il draguaient pendant leurs vacances avec des poignées de capotes. Au lieu de leur donner de l’argent, ils les payaient en nature, avec des capotes gratuites. Et ils étaient persuadés qu’ils faisaient office de prévention.

Je me rappelle. Il y a 10 ans, quand certains responsables associatifs sida de haut niveau passaient de longues vacances à Cuba. On ne parlait pas, alors, de tourisme sexuel. Il s’agissait plutôt d’un dernier contact avec la sexualité, avant les trithérapies, avant de mourir. C’est comme se ressourcer quoi. Un dernier cadeau de la nature. C’était beau.

Je me rappelle. Il y a 5 ans, quand tout le monde est parti baiser au Brésil. Les rumeurs étaient nombreuses avec des histoires de baise fabuleuses dans des bordels où « toutes les nuances de peau étaient rassemblées, on pouvait choisir parmi le nuancier complet du métissage brésilien, du noir à la peau très foncée au café au lait le plus clair, le plus blond ». Dans toutes ces histoires, inutile de rappeler que l’usage de la capote est marginal. On va baiser à l’étranger pour faire ce que l’on ne fait pas chez soi. Y compris être safe.

Un jour, j’ai sucé un marocain dans un parc de Marrakech, pendant une conférence sur le sida, et je lui ai donné du fric. Et je n’ai pas aimé, ça ne m’a pas excité. Je me suis aussi payé un black à New York et j’ai vite compris que ce truc n’était pas pour moi. J’ai arrêté depuis longtemps, exactement comme je suis safe depuis toujours, pour que ça ne me tombe pas sur la gueule. J’appartiens pourtant à une génération post-68 qui a des idées différentes sur la prostitution et la pornographie, surtout dans les pays occidentaux. Mais il faut arrêter de raconter des histoires. L’affaire Mitterrand nous concerne, nous aussi, en tant que gays, car nous sommes nombreux à décider des destinations touristiques en fonction des possibilités de sexe commercial qu’elles offrent. Toutes les modes successives ayant bénéficié des faveurs du tourisme gay ont pour base le tourisme sexuel : Miami, Puerto Rico, Cuba, Brésil, Argentine, Asie, Afrique du Sud, Turquie, Liban, Egypte, - sans mentionner le Maghreb et l’Europe de l’Est. Est-ce qu'on peut parler ici de ce qui se passe au Maroc depuis 30 ans??? Que ceci ne soit dit dans aucun média gay n’est pas très à l’honneur de notre capacité à commenter cette affaire. S’insurger contre le traitement médiatique de l’affaire en montant en épingle l’outrage causé par une manifestation supplémentaire d’homophobie à l’égard de Frédéric Mitterrand, c’est un peu juste, non ?

Derrière cette affaire, il y a encore notre rapport au capitalisme, à la consommation, au traitement des autres ethnies. Et le tourisme sexuel, il faut vraiment insister sur ce point, ne concerne pas uniquement les mineurs. Je suis persuadé que Frédéric Mitterrand n’est pas pédophile, mais je me doute qu’il est comme beaucoup d’homosexuels de sa génération, et de ma génération : émerveillé par la beauté des hommes jeunes. Quand on fait du tourisme sexuel, on est forcément plus riche que le tapin du coin, qu’il soit à Sao Paulo, à Puerto Rico, ou en banlieue parisienne. On participe à la colère imposée par un système basé sur une suprématie sociale. Et ça, si on n’est pas capable d’en parler dans les médias gays, dans les associations gays, alors que cela a provoqué (et encore aujourd’hui) des débats et les commentaires interminables dans les médias généralistes et sur Internet, alors cela veut dire que la réflexion s’arrête aux portes de la communauté gay. Est-ce que ces débats doivent seulement apparaître dans les échanges des internautes gays qui parlent grâce à l’anonymat ? Ou ces questions doivent-elles être reprises par des journalistes gays, des leaders associatifs gays qui doivent relayer ces questions auprès du reste de la société ?

Il y a 20 ans, lorsque j’ai créé Act Up, je me suis trouvé à faire de nombreuses émissions télé pour présenter l’association. J’étais sincèrement reconnaissant lorsque je montais sur le plateau d’une émission comme celle de Frédéric Mitterrand. Mais, c’est étrange, je me rappelle très bien aussi le regard froid, distancié, de ces homosexuels célèbres qui m’invitaient à parler. Bien sûr, ils aidaient la cause militante en ouvrant la télé à la lutte contre le sida, en invitant Act Up. Mais je voyais bien dans leur regard, avant et après l’émission, un certain dédain mondain alors que moi, naïvement, je les regardais comme un benjamin homosexuel regarde un aîné homosexuel : avec respect. J’ai vite appris que leur distance journalistique n’était que du mépris. Act Up n’a reçu aucun encouragement de leur part. C’est longtemps après, quand il est devenu évident qu’Act Up ne disparaîtrait pas, qu’ils ont commencé à formuler, avec prudence, leur soutien. D’autres ont mis main basse sur l’activisme. Mais ces homosexuels sont restés majoritairement dans le placard, offrant le strict minimum à la cause gay.

Alors, aujourd’hui, on les défend. Des groupes se forment sur FB pour laver leur honneur. Les homosexuels ont peu de mémoire, ils protègent tous ceux qui ont vécu au chaud, loin du militantisme, dans la culture, dans l’art, dans l’argent. Ces défenseurs des artistes appellent à eux le soutien de tous ceux qui se considèrent comme des artistes – et ils sont nombreux. Car l’artiste souffre, c’est connu. Il sublime, c’est connu. Il n’a pas de compte à rendre, c’est connu. Et la Thaïlande est méga célèbre pour ses boxeurs gays consentants de 40 ans. Comme dit Daniel Schneidermann, c’est « s’engluer dans le mensonge ».

La crise économique actuelle ne fragilise pas le monopole des riches. Elle le consolide. L’affaire Mitterrand, c’est une victoire des privilèges, de l’aristocratie, du népotisme, d’un grand ministère de la culture avec ses homosexuels dans le placard. Comme disait un ami sur FB, cette affaire, c’est finalement ce qu’on a essayé de changer pendant ces trente années de combat militant. Nous les connaissons tous, ces homosexuels aisés et populaires, qui vivent leur vie sexuelle grâce à la prostitution. Ils sont agents de stars, ils sont dans la mode et la chanson, et ils sont dans l’art. Et quand ils parviennent à des postes de pouvoir, nous voyons en eux notre propre ascension dans le pouvoir. Forcément, le ministère de la culture et de l’information possède une place déterminante dans les rouages de la politique. Et la communauté gay soutient un ministre, non pas parce qu’elle est convaincue que le tourisme sexuel dont il est question n’a pas eu lieu. Mais surtout parce que réfléchir sur cette affaire est suicidaire pour ceux qui oseront lever la voix. Il existe, quand même, un incroyable paradoxe entre le voyeurisme et l’obsession actuelle de la communauté gay pour tout ce qui touche aux faits-divers. Et l’étrange flottement qui a entouré cette affaire, la peur de se dévoiler, d’analyser, de partager son propre vécu sur le tourisme sexuel. La communauté a raté une occasion de s’emparer d’un sujet homosexuel qui, c’est très rare, a été le sujet N°1 de cette semaine en France.

Aujourd'hui, elle a déjà tourné la page.