dimanche 7 octobre 2018

My rules


Beaucoup de monde chez moi cet été et cet automne, Brahim et Thierry Smits que je n'avais pas vu depuis les années 80, Jean-Christophe Breysse, Arthur Gillet, Lewis et Laurent Chambon de Minorités.org, Marc Endeweld son boyfriend Sébastien, Rémy, Kader et Fred, qui m'ont tous aidé à rentrer du bois ou bouger de grosses tôles métalliques dans le jardin. Après toutes ces années à accueillir des gens à la campagne, j'ai développé une hospitalité qui est personnelle, un mélange de l'influence de mes frères et de mes racines pied-noir.

La règle première quand on vient chez moi, c'est que je n'ai pas besoin de cadeau. J'ai une aversion pour le chichi gay et à moins de m'offrir une petite barrette de shit (seul cadeau précieux difficile à trouver dans le coin), je considère que le vrai cadeau, c'est la présence de ces amis. Donc pas de dépenses inutiles, pas besoin de rajouter de la consommation quand on vient dans la maison d'un homme qui croit à la décroissance. Je sais que certains aspects de ma maison sont sous-standard, je n'ai pas de cuisine super équipée ou de salle de bains minimale et conceptuelle, mais presque tout fonctionne et cela me suffit.

La seconde règle est : vous ne faites rien, je m'occupe de tout. Si vous voulez vraiment cuisiner, OK, amusez-vous, mais autrement je fais tout, la cuisine, la vaisselle, les courses. Un week-end est trop court pour imposer la vaisselle à quiconque, je déteste ce genre d'activité en groupe, et ce depuis que cet amour de Mustapha m'a réveillé un jour parce qu'il faisait la vaisselle de bon matin et que j'entendais tout de mon lit. Donc depuis, interdiction de faire du bruit le matin. Je cuisine des choses simples, je ne me vois pas du tout comme un cuisinier, mais je fais des plats équilibrés et appétissants qui ne demandent pas des heures de préparation. Depuis tout petit, je trouve que le temps passé à table est hautement surévalué et j'ai très peu de patience envers les dîners qui s'éternisent, peut-être une des raisons de mon désintérêt pour les restaurants. C'est comme les gens qui mettent des heures à se séparer devant la porte de la maison, ça me rend dingue. Enough already! Chez moi, les repas sont rapides, à moins de manger dehors avec un barbecue où là, il n'y a pas de limite à la décontraction et au farniente. Je suis un spécialiste des grillades, en été mon cadeau de bienvenue est souvent un plat de sardines grillées, quelque chose que les parisiens ont rarement l'occasion de manger (à cause de l'odeur). Bien sûr, je ne suis pas végétarien, mais je m'adapte quand les amis le sont, dans ce cas la cuisine est à eux car ils ont leurs habitudes et leurs besoins. 

La troisième règle de la maison est : vous vous servez. Encore une fois, mon dégoût  du chichi encourage les invités à se servir avant de demander. Le réfrigérateur est là, les biscuits et les fruits aussi, vous faites comme chez vous. J'adore les gens qui se font un thé sans avoir à demander. Je trouve ça masculin. 

La dernière grande règle est : vous dormez autant que vous voulez. Je pars du principe que lorsque qu'on vient à la campagne, c'est pour échapper à la vie citadine et même pour un week-end, j'attends que mes amis se reposent. Ils peuvent faire la grasse matinée jusqu'à midi, jusqu'à 14h ou plus. Plus ils dorment et plus je suis content. J'ai alors l'impression de servir à quelque chose lol. C'est sûrement les souvenirs d'Hervé Gauchet et d'autres amis malades qui sont restés chez moi pour se refaire une santé, je vois ma maison comme une cure de repos. Et je ne suis pas du tout du genre à m'offusquer par exemple s'il y en a un qui manque au déjeuner. Je crois que le calme de cette maison et de la précédente est le premier cadeau pour mes invités. S'ils rentrent reposés à la ville, alors j'ai servi à quelque chose. J'aime quand les invités vont bouquiner dans un coin du jardin ou devant la cheminée ou dans leur chambre. S'ils ont du travail à terminer, je comprends. Je suis moins content quand ils passent leur temps sur leur portable ou leur ordi, parce qu'ils devraient faire une pause, mais hey, c'est 2018 et je ne vais pas non plus les embêter avec ça.

Bien sûr, comme je suis désormais vieux, j'adore qu'on me demande si j'ai besoin d'aide dans le jardin (mais je ne suis pas vexé si on ne me le demande pas hé ho!). Il y a des amis qui ne savent rien ou qui ont peur de tout dès qu'ils sortent de la maison et j'essaye de ne pas le relever. D'autres ont vraiment envie de se défouler et ils sont précieux pour couper des branches, faire des fagots de bois ou débroussailler. Mon jardin est ainsi le résultat de collaborations amicales. Untel à aidé à bouger tel rocher, un autre m'a aidé à porter les meubles de jardin en haut du terrain, un autre a fauché les fougères Aigle dans le bois. Je crois que je vais finir par leur demander de tailler leurs noms dans les troncs des gros chênes. Je trouve romantique de retrouver la trace de leur passage des mois ou des années après. Comme je vis seul, leur présence se manifeste à chaque fois que je traverse le terrain (ce qui est souvent!) et cela réduit le sentiment de solitude qui est vécu par presque toutes les personnes âgées. 

Par exemple, je vais bientôt ouvrir un compte Instagram uniquement pour partager ce que je fais dans ce jardin, avec no selfie, uniquement sur les plantes et les détails de ce que je fais (il y aura un autre texte sur ce blog pour l'annoncer officiellement). Je sais déjà que je fais dédier certains arbres achetés grâce à la générosité des amis. Il y aura un cerisier Chantal, un rosier Solange Fille de Pau, un prunier Clarisse Bui, un pommier d'ornement Philippe Coulavin, etc., avec une étiquette et tout. Et quand j'aurai fini mon potager et que les fruitiers donneront, je serai heureux de préparer un cageot de fruits et de légumes à emporter quand les amis se préparent à rentrer à Paris, comme cela se faisait à la ferme quand j'étais jeune. Et puis je suis toujours content d'offrir quelques plantes dont je n'ai pas besoin.

Ma manière d'accueillir les gens est le résultat de l'éducation familiale et de la liberté d'être gay. Ma mère m'a toujours dit que la literie était importante et qu'il fallait des draps simples mais fraîchement lavés. Mon père m'a appris à faire le ménage tout seul et mettre un bouquet de fleurs dans la chambre des invités. Mon frère Lala, le meilleur hôte de la famille, m'a appris la décontraction, exactement comme mes frères Thierry et Philippe qui sont totalement dénués de bullshit. J'adore les amis qui apportent des films ou des documentaires à regarder ensemble le soir. J'adore que les gens me tiennent au courant de leur vie sentimentale ou qu'ils me racontent leurs voyages. J'aime aussi savoir où ils en sont politiquement. Mais la base de mon plaisir d'hôte, c'est de me mettre en retrait pour que les invités aient des moments à eux, surtout quand ils sont en couple. S'ils ont envie de s'amuser dans leur chambre, je vais dans le jardin ou je vais faire les courses. J'adore les amener à la plage du lac qui se trouve à trois kilomètres pour l'après midi. J'adore leur faire découvrir des classiques de cinéma ou de stand-up.  

Alors, bien sûr, ces règles un peu rigides provoquent des gags. Quand Myriam et Peggy sont venues il y a quelques années, je faisais attention à ce que la lunette des toilettes soit toujours baissée. Or Peggy est tellement géniale, en tant que lesbienne pas coincée, elle remontait la lunette en sortant, assumant que c'était, après tout, une maison de garçons. Après deux jours de ce manège, il a fallu mettre les pendules à l'heure : 
- "Mais, je le faisais pour vous!"
- "Mais non Peggy, il y a des filles dans la maison, c'est la moindre des choses!"
- "Ah bon, d'accord, comme tu veux!"

Quand Brahim est venu au mois de juillet, je l'ai surpris en train de nettoyer l'évier de la cuisine où des traces de peinture restaient après avoir peint le sol. Comme je plaisantais qu'il n'avait pas à faire ça, il a prétendu nettoyer les légumes. Les Arabes font toujours des trucs adorables comme ça, comme prendre l'initiative de réparer une prise électrique ou de mettre de l'ordre sur une table de jardin où traîne un paquet d'outils. Mustapha, c'était pire, il profitait de ma sortie dans le jardin pour passer l'aspirateur, ce que faisait Lewis aussi. Il y a donc une catégorie supérieure d'amis qui font des choses interdites parce qu'ils ont une autorité ou une générosité qui font dire : "Bon écoute, on se connaît depuis longtemps donc tes règles, c'est pour les autres ok?". It's sweet.

La seule chose que je demande, c'est une heure seul avant d'aller me coucher. J'ai besoin de ce moment à moi, soit pour regarder du porno ou un truc sur Netflix, soit pour ranger la cuisine pour le petit déjeuner, soit pour sortir sur la terrasse après la prise de mes médicaments. C'est le seul moment qui me permet de faire le point, revenir sur les moments agréables (ou parfois embarrassants!) de la journée, préparer le lendemain, réfléchir à mon travail, prendre des notes. Après une journée à m'occuper des autres, j'ai absolument besoin de cette solitude pour me nettoyer la tête, surtout quand le feu de la cheminée brûle encore ou qu'un clair de lune éclaire la terrasse. Pendant longtemps, j'ai cru qu'il y aurait forcément un homme que ce type de refuge loin de la ville attirerait, j'ai même écrit un livre sur ça mais les années passent et il faut bien admettre que les gays de ce pays se séparent de plus en plus de la nature. C'est l'air du temps, à un moment où l'écologie est de plus en plus pressante. Twitter, Facebook et Instagram replacent désormais les arbres. 

samedi 2 juin 2018

120BPM au pays de l'apartheid.


Tout le monde l'a remarqué. Le succès de "120BPM" aura eu des conséquences bien étranges. L'association Act Up, incapable d'accompagner le phénomène médiatique entourant la sortie du film, a fini par se diviser. Lors de la soirée des Césars, on a vu le président de l'association intervenir d'une manière si embarrassante que ce fut le dernier facepalm en date de ce groupe qui en a connu beaucoup d'autres. J'en ai moi-même payé les frais quand Robin Campillo m'a adressé un mail lapidaire pour me dire que mon tweet controversé d'octobre dernier était "antisémite" : c'est l'unique ami qui m'ait rejeté de cette manière, les autres sachant que ce tweet était mal écrit, mal réfléchi et illustrant ma colère après avoir lu le matin même l'article du New Yorker qui a reçu un prix Pulitzer.  

Je suis resté silencieux pendant les mois de cet hiver, essayant d'oublier ces mois de promotion d'un film qui n'est pas le mien, pour lesquels je n'ai pas reçu de remerciement de quiconque à la production et pour lequel il a fallu que je me déchaine pour recevoir en retard un dédommagement bien maigre. J'étais tricard de ce film, exclu des voyages prévus à Berlin et Stockholm alors que ces voyages avaient été organisés par des militants VIH / sida et non pas par la distribution du film. Silence total de la part des producteurs, je n'ai même pas reçu le DVD du film, ce qui n'est pas si grave mais qui montre bien le ridicule du comportement. Pour moi, cette histoire était close avec un goût amer, celui d'avoir été utilisé. Après tout, le cinéma n'est pas mon milieu et ce film ne m'aura pas fait changer d'avis sur son système. 

Tout ceci, je le garderais pour moi et mes intimes si 120BPM n'était pas programmé ce soir même au festival LGBT de Tel Aviv (TLVFest). Contacté ces derniers jours par Mohamed Paz (de LGBT pour la Palestine), BDS France et mon ami Jean Stern (auteur de "Mirage gay à Tel Aviv"), Robin Campillo a répondu par le biais de sa productrice Marie-Ange Luciani que les droits du film avaient étaient vendus en Israël, que la diffusion du film n'était plus de leur ressort, que Robin était fatigué de la couverture médiatique, qu'il ne serait pas présent lors de la projection (hors compétition du festival) et qu'aucune déclaration serait faite. Embarras. 

Rien ne change mon avis sur ce film, je l'ai écrit à Campillo en octobre dernier. "120BPM" est parfait. Mais l'argument "On a vendu les droits aux distributeurs israéliens" est une des pires excuses entendues dans un cas désormais avéré de pinkwashing. Je demande : quel est le montant des droits qui justifie un tel silence? Après tout, si l'autre producteur du film, Hugues Charbonneau, a fait les news nationales en refusant d'aller à l'Elysée pour protester contre la loi asile et immigration du gouvernement Macron, Robin Campillo peut se fendre d'un communiqué de presse lors de la présentation du film. Et qu'importe si on est épuisé par une surexposition médiatique, on le fait, c'est tout. Ou alors on suit l'exemple d'autres réalisateurs moins connus qui ont décidé de retirer leurs propres films de la sélection du festival. 

"120BPM" n'est pas un film comme les autres. C'est pourquoi il a provoqué une telle passion - et aussi, un tel mépris de la part de ceux, très nombreux dans la communauté LGBT, qui se sentaient agressés par cet hommage à la lutte contre le sida. Je l'ai bien vu lors des attaques personnelles, la plupart venaient de personnes qui soit n'étaient pas actives contre le sida à l'époque et qui en ressentaient une honte cachée, soit des personnes qui n'ont jamais aimé Act Up de toute manière. 
Mais ce film raconte que la désobéissance civile est fondamentale pour obtenir des droits et il est projeté à Tel-Aviv alors que le mois de mai qui vient juste de se terminer a vu la plus grande opération de désobéissance civile à Gaza, soldée par des milliers de morts et de blessés, y compris des enfants, des femmes et des personnes âgées. N'importe qui avec un esprit sain y verrait une contradiction politique évidente. Face à tant de vies meurtries, face à la violence écœurante de ces snipers israéliens exécutant des manifestants comme des cibles amusantes, n'importe quel réalisateur politique ferait un geste. Qu'aurait-il fallu pour que Robin Campillo ou ses producteurs prennent la parole? Shakira annule son concert en Israël et Campillo ne peut pas annuler une projection? S'il ne veut pas boycotter l'événement, qu'il s'exprime au moins.

J'entends toujours la même ritournelle. "Le festival de films LGBT de Tel-Aviv est très critique de la politique d'Israël". Je veux bien le croire, comme il existe une minorité d'israéliens qui proteste et milite pour les droits des Palestiniens. Mais ce n'est pas du tout le point. Ce festival reste une vitrine touristique et intellectuelle. Come le rappelle Jean Stern, le pays n'est pas un modèle de tolérance : "Israël reste très homophobe, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 47% des Israéliens considèrent que l’homosexualité est une maladie, contre moins de 10% en France et moins de 5% en Espagne ou en Belgique. Israël est un pays fracturé, d’abord entre laïcs et religieux, puis gauche et droite, colons et non colons, et aujourd’hui entre les hétéros et les gays. Tel Aviv a joué le rôle d’aspirateur à gays dans ce contexte car beaucoup étaient ostracisés, victimes de violence. Mais Israël reste un pays fondamentalement homophobe, dans une région fondamentalement homophobe".
Montrer "120BPM" dans un festival LGBT du pays qui fait l'objet du plus grand mouvement de boycott moderne encourage précisément le double jeu de la politique israélienne à l'encontre des LGBT. C'est un processus de propagande, comme l'expliquait le récent documentaire diffusé sur Arte. Voir ce film instrumentalisé  dans un cas évident de pinkwashing, voilà un effet néfaste que je n'avais pas envisagé en étant que fondateur de cette association. 

Bien sûr, je suis naïf. Tous les gens qui me  connaissent vous le diront. Ma naïveté est grande car je préfère être naïf que pervers, dans la sexualité comme dans la politique. Au début des années 2000, il y a eu une petite fête dans la maison incroyable de la famille d'Isabelle Saint Saëns à Montmartre. Il y avait toute la fine fleur intellectuelle d'Act Up, des gens bien. Comme c'était le moment de l'intifada, on était quelques-uns à participer aux manifestations contre Israël et je me demandais toujours pourquoi il n'y avait pas plus de militants d'Act Up à ces manifs. 
A un moment, pendant la soirée, je me suis tourné vers Philippe Mangeot et je lui ai demandé, à voie basse car j'avais l'impression de poser une question idiote car trop évidente : "Mais alors, Israël fait de l'apartheid à Gaza non?". Philippe m'a répondu "Oui, bien sûr". J'avais besoin d'un avis supérieur, considérant l'histoire, l'éthique, tout ça. Et vous voyez combien ce concept d'apartheid israélien a fait du chemin en quinze ans. Aujourd'hui ce n'est plus une question, c'est un fait, c'est un crime contre l'humanité. Et cette dimension coloniale devrait être encore plus évidente pour Robin Campillo qui est, comme moi, un pied-noir de la dernière génération. Nous avons une dette envers les Arabes et non, ce n'est pas, comme on me dit, un besoin malsain d'expier ses fautes et ses origines, c'est juste notre responsabilité d'accepter cet héritage en s'opposant aux politiques impérialistes partout où elles se manifestent. Nous sommes nés dans une guerre d'indépendance qui est devenue le blueprint de toutes les guerres d'indépendance. C'est ce que décrit Malek Bensmaïl dans son documentaire sur "La bataille d'Alger" quand ce film a été utilisé par les Black Panthers pour expliquer la similitude entre l'asservissement algérien sous occupation française et l'asservissement des Noirs dans la société américaine. 

Quand "Act Up, une Histoire" a été réimprimé l'année dernière, Robin Campillo a proposé d'écrire sur le bandeau du livre " Didier Lestrade est un génie politique". Par bêtise ou par humilité, j'ai trouvé ça too much. Robin m'a dit que j'avais tord. Je le sais. Mais le génie politique s'adresse désormais à Robin pour lui dire que sa lâcheté envers les problèmes que pourraient lui apporter un retrait de son film aujourd'hui entachent sa carrière, contredisent ses convictions politiques et détruisent une amitié que je croyais solide. Ce festival est l'antichambre de la propagande d'un pays dirigé par un bully qui pourrit l'ensemble de la politique mondiale, comme le fait Trump, Poutine ou Erdogan. Ne rien dire, ne rien faire, accepter l'argent des droits du film en échange du silence est une faute indélébile. Ce film raconte la résistance, la colère, la beauté de l'activisme à un moment où il n'y avait pas d'espoir. L'analogie avec le peuple palestinien est totale. Et ce peuple, je le soutiens depuis toujours.

mercredi 4 avril 2018

Tumblr fever


Depuis plusieurs mois, quand j'ouvre mon iPad, et c'est plusieurs fois par jour, l'écran d'accueil est recouvert d'une avalanche de notifications. Ce n'est pas pour me vanter, bien que lorsqu'une image atteint plus de 11.000 likes et reposts, ça devient un sujet de discussion. J'ai fait une capture d'écran d'un garçon appelé Diego Barros et je ne sais pas pourquoi, cette image est devenue la plus populaire de mon Tumblr depuis sa création. J'aurais préféré que d'autres posts parmi les 45.000 choisis depuis le début, plus personnels, aient un tel succès mais bon, ça fait toujours plaisir. 

Diego Barros fait partie de ces stars instantanées qui naissent à partir du site Only Fans, une version améliorée et payante de Cam4, où des inconnus se filment pendant que les gens discutent et envoient de l'argent pour montrer leur approbation. C'est une prostitution virtuelle que les jeunes utilisent pour répondre à leur soif d'exhibitionnisme qui est un des marqueurs de la sexualité d'aujourd'hui. Sur Tumblr, on voit beaucoup de mecs qui se déshabillent dans des endroits loufoques comme des supermarchés ou des trains. Talk about manspreading lol. Il y a même un Tumblr spécialisé dans les mecs qui se branlent dans leurs voitures, ce qui est une nouvelle catégorie érotique en soi. Diego Barros est un Brésilien bien foutu, pas forcement mon genre mais qui déborde de swag et qui se filme en jouant avec lui-même, avec beaucoup de tease. Il est probablement hétéro, en tout cas complètement gay for pay. 

Je me suis beaucoup demandé pourquoi ce post avait tant de succès. Je crois avoir été le premier à faire une capture d'écran de lui donc c'est du hasard et de l'intuition. Quand une image dépasse 10.000 likes, à partir d'un Tumblr minoritaire (je n'ai que 8000 followers), elle devient un symbole moderne qui capture un érotisme contemporain. La différence avec un post sur FB ou Twitter, c'est qu'il disparaît très vite, poussé par les autres. Ici, cette image vit toute seule et se propage à travers le monde et dure dans le temps, c'est intéressant, c'est un genre de production très warholien. Ce n'est pas la personne à l'origine du post qui importe, c'est son propre développement, sans promo, sans buzz.

Only Fans est en train de changer imperceptiblement la production pornographique actuelle avec de plus en plus de scènes où les acteurs s'adressent à leur caméra d'ordi ou se filmant avec leurs portables. Quand les gens baisent aujourd'hui, le fait de prendre son portable pour se filmer devient presque anodin, autant pour documenter sa performance que pour avoir un souvenir, comme un selfie devant la Tour Eiffel. Cela crée de nouveaux angles qui ont déjà intégré le porno traditionnel avec le POV. Mais le porno traditionnel persiste dans l'idée que les acteurs ne doivent pas regarder la caméra comme s'ils avaient prétenduement oublié qu'elle est là. Only Fans rajeunit le format en incorporant directement l'œil du voyeur qui se sent privilégié d'être témoin de ce qui se passe, comme si la scène avait été faite pour lui. C'est une forme de pornographie où le réalisateur a complètement disparu, il n'y a plus de troisième personne dans la pièce qui choisit l'éclairage, le décor, les positions sexuelles. Dans un des récents films de Only Fans, le vétéran Rocco Steele baise avec un mec jeune, Gabriel Cross,  qui s'assoit sur la bite de Rocco sans même soupirer mais ce sont les regards vers la caméra qui font toute la différence. Ils regardent l'objectif comme s'ils avaient un miroir devant eux mais ce miroir est le public.  Cette technique toute simple mais irrésistible influence déjà des studios indépendants comme MEN.com où la récente scène "Tell Me What To Do" de Diego Sans (vraiment, un des plus beaux Brésiliens de Now) regarde la caméra et s'adresse à elle pendant qu'il baise Allen Lucas.

Only Fans est le signe d'une réappropriation du porno par les jeunes d'aujourd'hui. C'est leur moyen d'accéder à la célébrité et l'argent sans passer par le biais du studio, même amateur. Ils contrôlent ainsi complètement leur image même si tout ce qu'ils font est le signe d'un abandon de la pudeur. C'est une prolongation de Snapshat, exactement comme Tumblr est le prolongement d'Instagram avec ces milliers de selfies de mecs qui font leur propre promo pour rencontrer encore plus de mecs. C'est un signe d'intersection entre des réseaux sociaux qui grandissent tellement qu'ils débordent sur les autres. 

Je reste très étonné par les différences intellectuelles entre les différents réseaux sociaux. Les gens qui aiment Facebook dénigrent Twitter et inversement. En même temps, les utilisateurs de Facebook et Twitter ne comprennent pas Tumblr. C'est pourtant le même système de scroll. Je ne fais pas de différence entre les discussions de Facebook, l'info de Twitter ou le sexe de Tumblr. Il y a du bon et énormément de déchet. Je les mets au même niveau car tous ces réseaux sociaux sont l'expression d'un moi invisible, comme l'a expliqué la série "The OA", une manifestation de ce que l'on est vraiment, en dépit ou à cause du regard de la société. Par exemple, je vérifie systématiquement tous les blogs des mecs qui me suivent sur Tumblr. Ça m'intéresse beaucoup plus que sur Facebook. Le problème, c'est que FB et Twitter sont des enjeux de pouvoir avec une main-mise de ce que les anglais appellent "virtue signaling", cette manière de vous faire chier dès que vous utilisez un mot qui va offusquer un troll. 

Ce qui est merveilleux sur Tumblr, c'est l'absence de censure associée à l'absence de conflit. Il n'y a vraiment personne qui va râler sur le fait que j'objectifie les hommes ou que je publie des photos politiques clairement pro-palestiniennes. Contrairement à FB ou Twitter où il y a toujours un con quelque part qui se sent offensé par un avis, et je suis bien placé pour le savoir, Tumblr est le seul espace libre d'Internet. Je l'ai déjà écrit sur ce blog, et ,  Tumblr est un anti dépresseur basé sur l'érotisme et le collage. Dans son dernier stand-up sur Netflix, Ricky Gervais dit que pour lui le monde moderne était génial jusqu'à il y a 2 ans et quelque (2015 après J.C. donc) à cause de la surenchère des gens qui se sentent agressés par la moindre blague sur Caitlyn Jenner. D'ailleurs tous les grands du stand-up (Dave Chapelle, etc) discutent des polémiques idiotes dans lesquelles ils se sont emmêlés en racontant à quel point la planète est devenue ridicule à cause de ces trolls qui utilisent le politiquement correct pour faire chier tout le monde (oui vous savez que je parle de vous, bande de cruches). Tumblr est toujours un média inspirationnel car on y trouve presque pas de conflit. Et vous savez quoi? C'est surtout un média de mecs. Sans conflit. Des hommes, sans bagarre? Ça existe quelque part? Ben oui, et tout ça concentré dans une photo de Diego Barros. 


dimanche 14 janvier 2018

Été 1963


Ça doit être l'âge qui avance mais depuis un an ou deux, des visions de mon enfance réapparaissent sans vraie raison. Je ne suis pas nostalgique de nature, quand je me rappelle mon enfance et mon adolescence, je vois surtout de la tristesse et de la frustration, pas de quoi traumatiser un enfant mais assez pour savoir que ces années ne furent pas agréables. L'école et le collège ont été difficiles, j'ai découvert une discipline que je trouvais incohérente, la vie en pension était proche de la prison. Avec le divorce de mes parents à 4 ans, au moment de l'indépendance de l'Algérie, le concept de famille est vite devenu quelque chose de menaçant. Si c'était ça le mariage, autant ne jamais le vivre.

Mes vrais souvenirs datent de l'été 1963, le premier jour de mon arrivée dans la vallée du Lot, à Saint Etienne de Fougères, à 3 kilomètres de Sainte Livrade-sur-Lot. Je découvrais le Sud Ouest et, comme je l'ai raconté dans la préface de "Kinsey 6", ma première surprise a été de remarquer que sur les routes il y avait encore des charrettes de foin tirées par des bœufs. Tout était très agricole, très années 50. La ferme de mon père était comme les autres fermes du coin, juste un peu plus moderne peut-être. Il y a eu des vaches (une douzaine), une porcherie, un poulailler, des canards à la mare, 3 chiens qu'on adorait, des chats, des souris sous le lit et parfois même dedans, des fouines dans le grenier qui faisaient beaucoup de bruit jusqu'à que l'on supplie mon père de les faire partir, et plus tard une volière avec des canaris et des sereins. On a grandi dans le froid, parfois le matin mon père mettait de l'alcool dans une soucoupe pour chauffer l'air de la chambre. La grange était le centre de la ferme, grande, beaucoup de foin au premier étage, l'odeur un peu dégoûtante du lait chaud, il y avait des pièces sombres qui donnaient l'impression de trésors cachés.

J'aimais beaucoup ma grand-mère, elle s'est assurée que nous devions savoir tuer une poule, l'ébouillanter et la plumer et la passer sur le réchaud pour brûler les derniers duvets. En tant que fils d'agriculteurs, nous devions savoir un peu tout faire. Ramasser les haricots dans les champs (épuisant), remplir les bocaux de ces haricots en les serrant (incroyablement boring), surveiller la cuisson des confitures, ramasser les prunes, rentrer du bois pour la cheminée, mettre du fuel dans le poêle à mazout, arroser le jardin, balayer la terrasse, plus tard tondre la pelouse, aller chercher des choses à l'épicerie du village, aller à l'école en vélo, accompagner mon père les soirs d'été à la coopérative de Monclar d'Agenais pour y livrer les sacs de haricots verts, travailler dans les fours à pruneaux. Je suis content d'avoir eu une éducation de manuel. On côtoyait constamment les marocains qui vivaient dans la maison d'à coté. 

Je n'aimais pas particulièrement travailler à la ferme, il fut vite évident que je ne serais pas agriculteur même si j'appréciais cette vie indépendante. La vallée du Lot était alors très belle, Sainte Livrade était une ville débordante de commerces, de marchés avec plein de bêtes et de volailles, je trouvais les maisons jolies, il y avait deux jolis petits cinémas avec des noms fleuris comme "Florida" et malgré la très grosse chaleur de l'été, j'aimais le climat, en tout cas davantage que celui de l'Algérie et de l'Alsace où nous avons passé quelque temps après l'indépendance. Le Sud Ouest était encore jalonné de ces grands bâtiments noirs rectangulaires qui servaient de séchoirs à tabac, il y en avait deux dans la ferme et le parfum des feuilles qui pendaient du plafond, sous la chaleur, était enivrant. Dès qu'il y avait un fleuve, une rivière, un étang, les gens pêchaient partout. C'était un département qui respirait l'abondance, ma grand-mère disait toujours que les fruits et les légumes étaient plus beaux que partout ailleurs. On entendait les coqs chanter partout et constamment, quelque chose qui n'existe plus aujourd'hui. Le plastique n'avait pas encore envahi notre monde. On vivait encore dans une civilisation de bois et de métal. 

Je ne suis pas nostalgique, je le répète. La seule période de la vie que je regrette un peu, c'est la musique produite entre 1980 et 1985, grosso modo de Prelude à Flyte Tyme en passant par Bronski, l'époque de Cherelle et du Love Come Down d'Evelyn "Champagne" King quand les chanteuses avaient une diction parfaite, tout ça. Je n'étais pas encore séropo. Mais je suis triste quand je pense aux papillons de mon enfance et de la multitude d'insectes qui ont aujourd'hui disparu. You see, j'avais 5 ans et il y avait encore beaucoup de machaons. Dès qu'un pied de fenouil sauvage poussait sur le bord d'un chemin, il y avait souvent une chenille dans les feuilles. On voyait souvent des chrysalides de papillons, partout. L'insecte que je regrette le plus, ce sont les vers luisants. Les soirs d'été, mes frères et moi allions nous promener sur le bord de la route et il y en avait toujours dans les fossés. Je trouvais ça magique, on en ramassait un ou deux dans un verre que l'on mettait à côté du lit avant de s'endormir. Chaque ferme attirait une foule d'oiseaux, divers et jolis. Les chardonnerets étaient nombreux, les hirondelles revenaient chaque année, il y avait encore des moineaux. J'avais un nid de chouette de Minerve juste au coin de la fenêtre de ma chambre, sous le toit et j'ai grandi en entendant chaque année les bébés crier et plus tard s'envoler dans les branches des Acacias qui étaient tout près. Parfois, en voiture, on passait devant des granges où des rapaces avaient été cloués pour conjurer le sort. Les gens parlaient encore le patois, il y avait des rebouteux, la France des années 60 était encore très marquée par les croyances, les tabous, les fictions, les mystères, ce qui devrait nous rappeler que nous étions pas si longtemps comme les migrants qui arrivent (ou pas) chez nous. 

Dans chaque village, il y avait une clique qui traversait les rues pendant les grandes fêtes, parfois avec des majorettes. Chaque semaine de mai ou juin était remplie de processions de communions solennelles. Les gens portaient encore des habits du dimanche pour aller à la messe. Dans les champs, il y avait des coquelicots et des bleuets. Partout. Les près étaient encore envahis de jonquilles et les vignes de muscaris. Avec mes frères, on jouait dans les champs de maïs. Les derniers ormes immenses, que l'on voyait alors partout dans le paysage français, étaient en train de mourir mais leurs silhouettes marquaient l'horizon. Il y en avait deux dans le petit bois, ça nous a crevé le cœur quand il a fallu les abattre. On voyait beaucoup de pies, de huppes dont les nids sentaient mauvais, des bouvreuils, des Martin-pêcheurs, des têtards dans chaque flaque d'eau des champs. Souvent dans les fermes il y avait un arbre à kakis dont les fruits orange étaient toujours une surprise en hiver. Mon frère Thierry dit qu'il regrette certains oiseaux qui ont disparu comme les roitelets, il y avait toujours un nid caché sous l'arche du petit pont à l'entrée de notre ferme, dans le bosquet. L'hiver, des bandes de grives s'approchaient de la maison, mon père qui n'était pas un vrai chasseur prenait alors le fusil qui traînait près de la porte de l'entrée pour en tirer quelques-unes mais nous nous mettions souvent à crier pour les effrayer avant qu'il ait le temps de tirer.

Mon plus grand regret était l'abondance des chicorées sauvages que j'ai vite mis dans le Top 5 des plus belles fleurs sauvages avec les primevères veris et les jacinthes des bois. Un de mes arbres préférés était le peuplier tremble, ces grands monuments argentés dont les feuillent faisaient tant de bruit pendant les coups de vent. Ma vie était essentiellement tournée vers le rock et la nature et les champs étaient l'extension de la maison. Les chiens affectueux étaient toujours allongés dehors, attendant de suivre le tracteur dans les vergers. J'étais rassuré dans les champs parce que je n'aimais pas l'école et le catéchisme (oui, ça existait encore), je n'aimais pas les intrus non plus. Dès que quelqu'un arrivait à la ferme ou frappait à la porte (et c'était souvent), je préférais disparaître, ce qui énervait mon père d'ailleurs qui disait, avec raison, que c'était notre travail d'accueillir les voisins quand il labourait. D'une manière générale, je trouvais les fermiers idiots, incultes et méchants. Je voyais déjà qu'ils maltraitaient de plus en plus la terre et les arbres. Très vite, les saules taillés en têtard que l'on voyait partout au bord des ruisseaux ont disparu, comme les haies, les pigeonniers. Les gens ont arrêté de faire leurs paniers en jonc.


Je n'ai aucune idée du pourquoi de ces souvenirs maintenant. Cette année j'aurai 60 ans, c'est sûrement la raison, ce chiffre est tellement ahurissant que je n'arrive toujours pas à le réaliser. Je fais partie de vos aînés, comme Patrick Vidal et notre XXème siècle est rempli de mélodies et du blues. Oh, avoir 10 ans et être déjà marqué par les Beatles, Janis Joplin, Aretha Franklin et Jimi Hendrix!