vendredi 17 novembre 2017

Nouveau jardin


Je n'ai pas encore raconté ma nouvelle maison et le jardin qui l'entoure. Cela fait six mois que j'y habite et c'est une de mes plus grandes sources de plaisir. La maison est plus petite, au départ il s'agissait de deux minuscules maisons collées l'une à l'autre, adossés à une colline recouverte de forêt. Elles datent de 1863, il y a une inscription sur la façade et on m'a dit que des bûcherons vivaient là, ce que je trouve poétique. L'ancien propriétaire a tout reconstruit à l'intérieur il y a une dizaine d'années avec beaucoup de bois et ces murs en torchis et pierres typiques de la Normandie. Une immense cheminée se trouve dans la cuisine dans laquelle on peut mettre des bûches de presque 2 mètres et un poêle trône dans le salon, ce qui fait que le rez-de-chaussée dispose de deux sources de chaleur. L'escalier qui dessert le premier étage est dangereusement tordu et bas, c'est comme une grotte de barbu, d'ailleurs je me cogne régulièrement la tête, c'est le seul endroit qui demande de la prudence et pourtant je ne suis pas si grand. Au premier étage, deux chambres et la salle de bains. C'est simple, idéal pour une vie basée sur la décroissance, avec le strict minimum.

La maison n'a que deux défauts. Elle est sur le bord de la route et elle n'a pas d'ouverture sur le sud, ce qui est totalement illogique dans la région. De plus, la colline boisée qui surplombe la maison cache le coucher de soleil et à partir de la fin d'après-midi, le terrain est plongé dans l'ombre. C'est embêtant mais c'est un sacrifice acceptable quand on ne paye pas de loyer puisque je suis logé gratuitement. Heureusement, elle est orientée plein Est, ce qui veut dire que le soleil du matin la réchauffe. Et puis cette maison offre des avantages inédits. D'abord il y a une cave juste à côté de la terrasse de l'entrée où je peux entreposer tout le bois de la cheminée et du poêle. À 20 mètres de la maison, à côté du futur potager, une petite bâtisse protège le puits. J'y entrepose les fagots de bois et les premiers outils. Il y a donc une source d'eau gratuite près de la maison, ce qui est inespéré pour un jardin. Au fond du terrain, une grande cabane en bois où je peux garer mon motoculteur et ranger tous mes outils, avec un grand établi, les meubles de jardin qu'il faut protéger en hiver et aussi des plantes en pots fragiles comme les géraniums.  Quand il pleut ou qu'il fait froid, je peux bricoler car il y a de la place. Et derrière cette cabane, un ancien petit poulailler en dur, très bien isolé et sec. J'y mets une autre réserve de bois récemment coupé pour qu'il sèche tout en abritant des bêtes (la porte est toujours ouverte).

Rien que ça, c'est déjà formidable. Mais le meilleur est à venir. Le terrain fait 4 hectares, ce qui me change des 5000 mètres carrés de mon jardin précédent. J'aurais très bien pu me satisfaire d'un jardin parvenu à maturité où tout était fini, cela fait moins de travail. Mais 4 hectares, c'est une source d'excitation permanente, surtout quand on y trouve une telle variété de sols et d'expositions. Et puis je suis un bâtisseur, j'aime par dessus tout créer des murs, des allées, des chemins. Tout d'abord il y a un accès direct à la forêt qui surplombe la colline et ça, je ne l'ai jamais eu auparavant. C'est une parcelle de chênes, châtaigniers, de genêts et de houx et au sommet il y a des pins, mes arbres préférés. J'ai commencé un escalier qui monte directement à travers la forêt au sommet de la colline qui s'étend sur plusieurs kilomètres. C'est une jolie promenade. Il y a des myrtilles, des fougères, plein de troncs d'arbres morts ou abattus qui se décomposent. On y voit des chevreuils, des traces de sangliers, des chouettes, quelques lièvres et même un ancien terrier de blaireau. Il n'y a pas d'épicéas donc pour la première fois je pourrai planter cette espèce d'arbres que je méprisais auparavant, mais aussi des ifs, des genévriers, des rhododendrons, d'autres fougères, et des arbustes comme des pyracanthas ou des cognassiers du Japon en forme libre pour offrir un abri pour les merles. À l'entrée du bois, j'ai déjà installé une avalanche de cyclamens qui étaient dans mon ancien jardin, des bruyères arbustives, des hortensias et plusieurs plicatum Watanabe, un de mes arbustes adorés. Ce sera la partie japonaise du jardin avec quelques érables et des topiaires et pour la première fois, de la place pour des cerisiers du Japon.

Derrière la maison, il y a un autre biotope. L'ancien propriétaire a carrément défoncé le versant de la colline pour y aménager une promenade surélevée qui surplombe la maison. Cette saignée dans la roche a dégagé une petite falaise de rochers sur 70 mètres de long (j'ai compté), il y a de la caillasse partout, idéal pour plantes alpines, sédums divers, joubarbes (beaucoup), érigéron, iris, euphorbes (plein), plusieurs variétés d'origan, rosiers lianes et même 2 glycines de couleurs différentes. Il faut dire que je suis gaga de cailloux et de roches, dès qu'on fait un trou pour planter quelque chose, c'est un gisement de pierres plates fracturées qui forment un très joli gravier. C'est en plein sud donc très sec en été.
La plus grande partie du terrain est envahie par les ronces qui se sont développées en l'espace de quelques années. Cette prairie inclinée est en forme de demi théâtre que l'on voit depuis la route et où j'ai déjà disposé les pieds mères de mon ancien jardin : héléniums, miscanthus, asters, campanules, centaurées marguerites, échinops ritro, artichauts, phlox, sauges des prés, anémones Honorine Jobert, heliantus Lemon Queen (vraiment une plante merveilleuse, immense, sans souci), marjolaines, bulbes de muscaris et d'alliums, verveines de Buenos Aires, que je regroupe pour faire des effets de masse. L'idée est de détruire toutes les ronces et les orties de ce terrain pour en faire une prairie fleurie avec coquelicots, pavots, bleuets, immortelles et autres annuelles comme des cosmos (plein de nouvelles variétés sont apparues dans les catalogues de graines). Je comptais brûler ces ronces d'un coup, comme je l'ai déjà fait, mais avec le feu de l'année dernière, il n'est plus question de prendre ce risque. J'arrache donc ces ronces et ces orties à la main car la débroussailleuse est trop lourde et fatigante à mon âge, et puis c'est plus safe. Ça prendra des années mais j'ai déjà récupéré une bonne partie du terrain. Et détrompez-vous, c'est un travail que j'adore. Quand on s'attaque à un talus de ronces de 2 mètres de haut, le résultat est visible en fin de journée et la terre dégagée est très bonne, prête à être plantée ou semée.

Enfin, derrière la cabane principale, un autre biotope est en chantier. Le sol est toujours humide et riche car il est à l'ombre de grands chênes et de grands frênes et ça aussi, je ne l'avais pas dans mon jardin précédent qui souffrait toujours de sécheresse.  Des framboisiers Old Gold y poussent depuis des années à mi hombre, je vais y planter d'autres fruits rouges et j'ai déjà installé une ligne de miscanthus Yaku Jima, des fougères plumes d'autruche, des rosiers grimpants sur les vieux pommiers qui entourent la cabane , des calamagrostis, des luzules, des polygonums, des molinas et une énorme réserve de pieds de consoude du Caucase que je vais installer à la place des orties car c'est une plante incroyablement envahissante (ne surtout pas mettre dans un petit jardin!) qui produit des fleurs bleues avec beaucoup de nectar au printemps que les abeilles adorent. Bien sûr, je garderai une grande partie du terrain avec des orties car je vois bien qu'elles servent de garde manger pour toutes les variétés de papillons de la prairie, très nombreux et divers.

Cette prairie sera le grand projet de ce jardin avec beaucoup d'espèces de plantes nourricières pour les abeilles, les papillons et les oiseaux (petits tournesols, etc.). J'ai aussi assez de place y pour planter en ligne des fruitiers, ce que je n'ai pas pu faire dans le jardin précédent. À terme, deux variétés de cerisiers (Napoléon et bigarreau rouge), un prunier, un pommier à récolte tardive, des mirabelles et peut-être un figuier. Et surtout, enfin, un vrai potager en plein soleil, à côté du puits et de la maison, que je commencerai cet hiver (oui, ce sera en permaculture, don't worry). Dans la prairie, je mettrai aussi beaucoup de légumes qui se débrouillent tout seul comme des rhubarbes et les cardons.

Avoir un terrain si grand est un challenge quand on vieillit. Il faut faire attention presque tout le temps car plusieurs espaces sont inclinés mais je dose mes efforts selon la météo et mon énergie. Par exemple quand j'arrache des orties ou des ronces, j'ai besoin d'un jour de repos le lendemain que j'utilise pour l'écriture ou pour la peinture dans la maison. Il faut aussi penser à alimenter le feu de la cheminée en hiver, ce qui peut s'avérer à la longue très rébarbatif mais le feu de la cheminée est un énorme réconfort, je le mets au même niveau que la présence d'un chien ou d'un chat, même si je vis très bien sans animal domestique. C'est beaucoup d'attention mais ça coûte moins cher. Comme je n'ai pas de souris dans la maison et que je fais tout pour ne pas en avoir, je n'ai pas besoin de chat. Je considère les arbres et les plantes comme des animaux domestiques. 
Sur le pourtour du terrain, il y a de grands chênes et de grands frênes avec de gros troncs. A leur base, chaque année, les champignons sont nombreux et au printemps, c'est recouvert de jacinthes des bois. En face de la maison, de l'autre côté de la route, deux étangs abritent des oies et dès que je fais un peu de bruit, je les entends me répondre, c'est adorable. Le soir, dès la tombée de la nuit, les voitures sont rares et la terrasse que j'ai peinte aux couleurs du drapeau Basque devient un endroit parfait pour regarder les étoiles ou écouter les bruits de la forêt toute proche. Il y a zéro pollution nocturne, ce qui n'était pas le cas dans la maison précédente où un coin du ciel était illuminé par la lueur d'Alençon à 20km.  Il y a beaucoup de chouettes, même des rapaces assez rares comme des hiboux et des chouettes effraie, les plus belles. Les oiseaux du jardin sont ceux que l'on trouve partout, rouge gorge, merles, troglodytes, plusieurs sortes de mésanges, mais pour l'instant pas de pinson (ouf, tant mieux) et de chardonnerets que j'espère attirer avec les graines de cosmos. 
Il faut dire que le grand projet de ce jardin est de le protéger sur le bord de la route par plusieurs variétés de bambous non traçants de 4 ou 5 mètres de haut et il en faudra beaucoup puisque cette ligne de séparation est longue de 100 mètres (j'ai compté). Un des voisins de mon ancienne maison a ainsi planté plusieurs sortes de bambous dans un coin humide de son jardin et en quelques années cet endroit est devenu le dortoir de plusieurs centaines d'étourneaux qui viennent d'on ne sait où pour nicher. On les voyait tous les soirs traverser le ciel comme dans un film de Terrence Malick, cela fait des volutes dans le crépuscule qui procure une sensation d'émerveillement et de joie. Les bambous sont un endroit idéal pour abriter les oiseaux qui savent qu'ils sont totalement protégés pendant la nuit, de la pluie et des prédateurs. C'est aussi un isolant phonique très efficace. Il me faudra du temps pour constituer cette ligne car les bambous coûtent cher à l'achat mais c'est le prix à payer pour ne plus voir les voitures qui passent sur la route, bien que je salue les agriculteurs qui passent tous les jours avec leurs tracteurs et qui me saluent en retour. Les gens sont gentils ici, et ça change des voisins prout prout de mon ancienne maison. Ici pas de voisinage du tout, la première ferme est à un kilomètre, je peux mettre la musique à fond si je veux bien que cela ne m'arrive plus souvent. C'est pourtant l'endroit idéal pour une petite rave.