dimanche 22 août 2010

Sur la "pénalisation" du sida



Il s’est passé quelque chose cette semaine sur le sida. On a pris connaissance des derniers chiffres de l’InVS sur les nouveaux cas d'infections à gonocoques (chaude pisse) qui ont augmenté de 52% en un an seulement, de 2008 à 2009. Non seulement ces chiffres sont impressionnants et récents, mais ils donnent une idée presque en temps réel de ce qui se passe en 2010. On peut déjà supposer que la banalisation du Treatment as Prevention va contribuer à l'augmentation des IST que l'on constate depuis dix ans. Le TasP, qui propose de réduire la transmission du VIH par des campagnes intensives et ciblées de dépistage et la mise sous traitement des séropositifs pour faire baisser leur charge virale et les rendre moins contaminants, fait que les gays mettent moins souvent la capote et ils ont moins peur du sperme lors des fellations. La « couverture » espérée du TasP entrainera forcément une augmentation des IST puisque le TasP concerne la prévention du VIH (théoriquement) mais pas les IST.
Comme d’habitude, sur les webzines gays, ces chiffres qui pourtant concernent aussi les gays sont annoncés sans faire de commentaire, et certains sites n’en parlent pas du tout. Et Dieu sait que lorsque l’on apprend qu’un acteur hétéro est en couverture d’un magazine gay à l’autre bout du monde, l’info circule.
Donc on ne parle pas beaucoup des IST chez les gays et on ne parle pas beaucoup non plus beaucoup de la récente affaire de juridicialisation de la transmission du VIH alors que tout le monde en a parlé, il y a une dépêche AFP, Doug Ireland a relayé l'article d'Edwn J Bernard dans le Guardian, etc. Déjà, il me semble que certaines rédactions ont envie de faire une impasse d’info sur ces cas de contamination volontaire (ou pas). C’est un sujet sur lequel on s’est écharpé et il y a peut-être l’idée selon laquelle si on n’en parle pas, le phénomène prendra moins d’importance. Le problème, c’est qu’il y a deux forces importantes en jeu.
Primo, certains de ces procès ont un retentissement international, comme l’affaire des 3 séropos hollandais qui avaient drogué et infecté 12 partenaires de partouze en leur inoculant du sang contaminé (un des accusés était infirmier, pratique). L’autre exemple est le cas récent de Nadja Benaissa, une chanteuse allemande qui s’est exprimée la semaine dernière lors du procès pour s’excuser. Elle avait contaminé un de ses ses partenaires en ne lui disant pas qu’elle était séropositive, chose qu’elle considère aujourd’hui comme stupide. Donc c’est une affaire qui prend une nouvelle tournure. L’accusée n’est pas, comme c’est souvent le cas, une personne lambda, des classes modestes. C’est une artiste célèbre.
Donc, la force médiatique de ce procès est émotive et éthique. Secundo, il ne faut pas sous-estimer la force des avis exprimés par les internautes qui lisent (ou pas) les news liées à ces procès. On l’a vu avec d’autres affaires dans d’autres médias et pas les pires comme Libération, quand les gays s’expriment sur ces procès, ce n’est pas toujours l’argumentaire pré-enregistré, que l’on retrouve dans l'article du Guardian. Non, ils ne croient pas que ces affaires font le jeu de l’augmentation des cas de sida sous l’idée communément acquise (par qui ? où ça ? des études ?) que les gens ne se dépistent pas par peur de ces procès. D’abord, ces procès sont rares: plusieurs centaines de cas dans le monde, sur des millions de personnes infectées. Ensuite, le dépistage a de gros retards dans notre pays, surtout chez les gays, largement du fait des lenteurs d’adaptation des associations de lutte contre le sida et du gouvernement sur le dépistage rapide. Ce n’est donc pas ces procès qui effraient les gays au point de refuser de se faire dépister. Ils ne se sont pas dépister car, pour l’instant, ni les associations ni le gouvernement ont décidé de lancer une grande opération d’incitation au dépistage rapide pour vraiment accompagner le concept du TasP. Mettre tous les séropos sous traitement sans aller chercher les 40% de gays qui sont séropos sans le savoir, c’est bancal, ça ne marchera pas. C’est comme si vous éteigniez un feu qui continue de brûler sans entrave un kilomètre plus loin. Les 40% qui ne se savent pas séropos vont continuer à faire circuler le virus alors que les pratiques de prévention vont se relâcher encore plus qu’aujourd’hui (c’est un euphémisme).
Quand les gays s’expriment sur ce sujet, on est loin du discours rabâché lors des conférences internationales. Et il vaut mieux que le modérateur du site soit là pour mettre de l’ordre. Une bonne partie des lecteurs est ulcérée parce qu’ils le prennent personnellement. A force de nourrir ces sites Internet gay de faits divers, ils ne comprennent pas que l’on passe sous silence des histoires parfois choquantes. Ils voient bien que le risque du VIH et des IST se rapproche d’eux, même quand ils sont safe. Rappelez-vous, 52% d’augmentation de chaude pisses en 1 an, cela fait beaucoup de personnes qui se sont emmerdées à traiter une bléno, des condylomes ou une syphilis. Et je ne parle pas de l’explosion des hépatites C chez les gays.

Donc les homosexuels ont un rapport passionnel et moral face à ces procès. Parce que le sexe n’est pas que du cul, il y a tout ce qui l’entoure, le comportement des partenaires, la politesse, la correction, la morale, appelez ça comme vous voulez, mais quand on baise, on n’a pas envie de rencontrer quelqu’un qui va nous faire du mal tout en le sachant. Voilà les mots qu’il faut dire sur ces histoires. Qu’il y ait des procès ou pas (et c’est ma position catégorique depuis toujours), ce n’est pas à moi d’en décider, mais je refuse publiquement que ce soit un sujet tabou dans le sens où les gens se font des procès pour trois fois rien aujourd’hui et je comprends mal que les leaders associatifs s’adressent à l’ensemble du système judiciaire pour demander de ne pas instruire ces affaires parce qu’il faut étouffer dans l’œuf l’idée même de faire un procès si on a été affecté d’une manière particulièrement abjecte. Si on avait l’affaire des 3 gays hollandais séropos, on réagirait comment ? On dirait qu’il ne faut pas faire de procès ?

La troisième force en jeu dans ces procès, c’est le lobby international contre la jurdicialisation de la contamination du VIH. Depuis le célèbre appel du juge Edwin Cameron en Afrique du Sud, que Laurent Chambon et moi avons rencontré en 2007 pour Têtu, il y a cette idée que ces procès ont un impact encore plus grave dans les pays en voie de développement. C’est ce que nous rappelle l'article du Guardian. Et c’est vrai, c’est un fait. Il y a donc une forte pression pour faire étouffer ces procès dans les pays occidentaux (riches) parce que cela affecte les pays en voie de développement. Encore une fois, on nous demande d’ajuster notre éthique occidentale par rapport à ce qui se passe au sud. OK. Mon point de vue, de gay à gay, c’est que l’appel de Cameron est tout à fait justifié. Nous ne vivons pas, en Europe et en Amérique, comme si on était à Soweto. Nous sommes dans des pays obsédés par la protection, tout le monde le sait, et c’est un droit légitime de faire appel à la justice quand on considère que l’on a subi un préjudice qui ne peut être apaisé par l’oubli. Nous sommes dans des cas moraux qui sont très proches du viol. Bref, des sentiments très profonds qui demandent, parfois, une décision de justice par respect de ce que l’on est, pas forcément pour punir la personne accusée. Il faut arrêter de considérer le sida comme une maladie qui a ses propres lois. Surtout quand on vit dans un pays riche, où les tests de dépistage sont partout, les capotes et le gel aussi, ainsi que les traitements d'urgence et les multithérapies que les pays pauvres n’ont pas encore. Sur ce sujet, l’éthique ne peut pas être la même partout car cela fait dix ans que nous avons les multithérapies dans nos pays (pas dans le sud) et nous savons tous que cela change l’essence même de ce qu’est le sida.
Je répète : je n’ai jamais dit qu’il fallait emprisonner les personnes qui contaminent. On ne peut trouver nulle part une expression de ma part qui va en ce sens. Je ne suis pas une folle sécuritaire, je n'ai même pas particulièrement confiance en la justice de mon pays. Et je ne crois pas que ces lois qui ont été instaurées à travers le monde ont un rapport direct avec l’espoir de réduire l’épidémie. Donc tout l’argumentaire actuellement présenté au plus au niveau des conférences internationales et si bien résumé par Edwin Cameron passe à côté de l’élément central : si la grande majorité des procès à travers le monde ne concerne pas des transmissions volontaires, que fait-on lorsqu’elles le sont vraiment, avec volonté de nuire ? On passe à autre chose ? On oublie ?
Ce que je dis depuis toujours, c’est qu’il y a des jugements de justice qui n’entraînent pas forcément l’incarcération. Il peut y avoir des décisions symboliques. On ne peut pas, non plus, s’en tenir au cliché du « On ne peut pas mettre un flic derrière chaque homosexuel ». C’est une réponse profondément idiote, car c’est ne pas comprendre l’évolution de cette épidémie dans les pays riches, nourrie par la remontée des cas de contamination chez les gays qui disposent de tout pour se protéger, ce qui n’a rien à voir avec ce qui se passe dans les pays en voie de développement. Chaque avancée thérapeutique comme le TasP nous éloigne un peu plus du standard de soins des pays pauvres. Le TasP est une stratégie thérapeutique de prévention pour les pays riches et on est loin de l’introduire en Afrique où l’on est même pas en mesure de donner des antirétroviraux à ceux qui sont malades. Nous sortons d’un dogme de 30 ans où la capote était centrale et on entre dans une nouvelle ère où on dit aux gays : « Vous pouvez oublier la capote si vous faites ceci ou cela ». Ce n’est vraiment pas le message de prévention qui est offert en Afrique du Sud, je vous le garantis.

Que ferions-nous si nous étions un des 12 homosexuels endormis endormis sous GHB et médicalement contaminés par trois séropos qui ont déclaré : "plus il y a de séropos chez les gays, mieux c'est"? Que ferions-nous ? Que ferions-nous si nous étions dans un couple de gays de 60 ans, qui se sont jurés de rester safe en dehors du couple pour ne pas avoir à utiliser la capote entre eux et puis un jour, un des deux devient séropo, et infecte son partenaire de 40 ans parce qu'il a peur de lui dire qu'il a rompu le pacte ? Après avoir lutté ensemble pendant 30 ans pour ne pas s’infecter l’autre ? Que ce passe-t-il s’il y a un patrimoine commun ? Que feriez-vous si votre partenaire est séropo et qu’il le sait et il ne vous le dit pas alors que vous avez, à de nombreuses reprises, des rapports contaminants? Laissez-moi vous rappeler que l’idée du TasP, précisément, c’est aussi de dire à son partenaire : « Tu sais, on ne va pas mettre de capote même si je suis séropo car je prends une multithérapie et ma charge virage est indétectable depuis 5 ans donc y’a pas de problème ». A un moment du TasP, il faut dire qu’on est séropo, non ? Ou alors vous voulez qu’on arrête carrément de mentionner le sida dans des négociations sexuelles à un moment où les chaude pisses augmentent de 52% en une année ? Comme si ces gonorrhées n’étaient pas un risque aggravant de choper le VIH ?
Mama mia.

jeudi 12 août 2010

Les Tuileries, selon Luc et Yves


Je n’ai pas beaucoup écrit sur ce blog car j’ai eu pas mal de problèmes d’accès à Internet depuis un mois – je ne vais pas entrer ici dans les détails, c’est totalement banal, mais quand j’ai reçu ma nouvelle Freebox, j’en ai profité pour mettre sur mon site beaucoup de vieilles photos des années 80 et des articles pus récents, ce qui a provoqué un pic de visites jamais vu depuis le lancement de ce site. Bref, le gag, c’est qu’à nouveau Internet déconne et je me dis qu’il doit y avoir quelqu’un là haut (je prends ça avec humour) qui veut que j’arrête de télécharger des photos datant de 25 ans, des images qui suscitent des réactions à la fois amusées et émues, mais aussi gênées, comme si nous avions du mal à nous voir plus jeunes, plus beaux, plus insouciants.

Un article du NYT parlait, le 21 juillet dernier, de ce besoin d’oublier, qui est aussi remis en cause par Internet, dans "The Web means the end of forgetting". Avec toutes ces images que les gens mettent sur FB ou ailleurs, notre passé resurgît parfois sans l’avoir demandé. Internet nous incite à partager des aspects de notre vie privée antérieure qui séduit et dérange à la fois. Dans toutes les sociétés, l’oubli sert à avancer car oublier ses erreurs, c’est aussi amoindrir les mauvais souvenirs qui nous hantent. Personnellement, je considère que ma vie privée n’est pas très privée et je n’ai plus beaucoup de gêne par rapport à ces vieilles images. Pendant longtemps, je n’ai pas aimé les photos de moi, surtout quand j’étais mal habillé ou maigre. Tout le monde sait ça dans ma famille. Mais le temps et l’âge font que tout ça prend une tournure plus calme, plus assagie et je finis par apprécier des photos que je n’aimais pas lorsque je les ai prises. Par exemple, j’ai eu longtemps du mal à regarder les photos des boyfriends décédés, ou ceux qui m’avaient plaqué. Not anymore.

Mon ami Yves Averous, qui vit à San Francisco depuis presque vingt ans, est en France en ce moment pour voir sa famille et ses amis. Il est passé à Paris, il s’est promené et je ne peux résister à l’envie de reproduire ici son message sur FB. Car il dit beaucoup de choses.

Bonjour Didier,
Hier, à mon arrivée à Paris, je montrais ton blog plein de nostalgie des années 80 à l'ami hôtelier qui m'héberge, et plus tard, dans la soirée, j'ai remonté les berges de la Seine jusqu'aux hauts-lieux de drague gay de l'époque de tes photos, ou encore de celle du retour de la fête foraine lorsque j'y ai retrouvé l'"infamous" Gaël, pour le perdre plus tard pour cause de séropositivité.
Plus un seul gay aux alentours, comme à Malibu, où mon ami Laurent la semaine dernière s'y désolait de la disparition de la scène des plages (référencée dans "Don and Chris" et "A Single Man"). Nos confrères sont maintenant devant leurs écrans, ou je ne sais où.
Mais devant la beauté de la ville hier soir, je ne pouvais m'empêcher de me sentir "empowered" et si chanceux de pouvoir revenir sur ces lieux, un quart de siècle plus tard, et goûter aux délices d'une ballade dans le Jardin, qui après tout, constituait aussi une bonne partie du plaisir. C'est alors que j'ai eu une grosse remontée de chagrin en pensant à ceux de nos anciennes relations et amis qui n'ont pas cette chance et auraient dû l'avoir, comme Luc Coulavin. J'avais envie de partager cette petite pensée avec toi.
Je t'embrasse bien fort de Paris,
Yves

Yves parlait ici de Luc Coulavin, parmi les photos prises au Gai Pied en 1985, où on le voit, mystérieux et doux à la fois, presque 25 ans après sa mort. Voir cette image, où il est en bonne santé, me rend heureux, et provoque en moi ces questions, qui sont toujours les mêmes face à quelqu’un qui a disparu. Je me demande quelle serait la guidance de Luc aujourd’hui ? Que ferait Luc Coulavin en 2010 ? Que dirait-il sur la politique, les gays, le monde ? Luc a toujours été un conseiller important pour moi. Il fut la seule personne de mon âge, dans les années 80, qui me donnait des conseils spirituels, mais aussi politiques. C’est lui qui m’a versé dans ce qui était holistique, sans en faire tout un tralala mystique. Il prenait ses propres conseils avec beaucoup d’humour, il ne vous obligeait à rien, mais il avait un certain regard quand je faisais l’idiot ou le con, quand je faisais le mauvais choix dans la vie, quand je disais une énormité. C’était ma conscience, comme Jean-Marc Arnaudé est devenu plus tard ma conscience, même si cette crétine est injoignable (une sorte de conscience qui refuse de vous voir, super). Il y a des amis à qui on décerne le droit d’avoir un jugement catégorique sur ce que l’on fait, comme s’il y avait des limites à ne pas dépasser. Par exemple, Arnaudé fut le premier à me dire que je n’aurais pas du choisir le nom « Paradise Garage » pour la compilation de ce nom. En 1991, quand Luc est devenu plus faible à cause du sida, il a pris du recul à Act Up (c’est un des trois co-fondateurs) car il était critique sur l’ambiance à l’intérieur du groupe qui grandissait sans cesse, trop vite selon lui. Il y avait des disputes internes qui lui faisaient mal. J’ai compris ce qu’il disait, je lui en ai voulu intérieurement car j’avais besoin de lui, je ne voulais pas qu’il s’écarte, je savais qu’il avait raison, mais je savais aussi qu’Act Up devait aller de l’avant, on ne pouvait pas ralentir cette machine, elle était trop remplie d’énergie, même si cela provoquait des heurts internes.
Je m’écarte. Ce que dit Yves dans son message, c’est que nous avons dépassé la douleur de la mort des amis et des amants. On s’est endurci en vieillissant, mais les photos nous rappellent des personnes qui ne provoquent pas en nous de la nostalgie, comme le dit Yves – même si je sais qu’il ne pense même pas que c’est de la nostalgie, Yves utilise ce mot pour faire plus rapide, il sait bien que ce n’est pas ça.
Ces images des années 80 ne sont pas faites pour provoquer de la nostalgie. Pour l’instant, je n’ai pas voulu clarifier mon idée dans le fait de les partager avec qui veut les voir. Ces images ne sont pas faites pour glorifier une époque ou la mettre particulièrement en valeur. Il y a des jeunes de 20 ans qui me disent qu’ils adorent ces images parce que c’est un aspect de la vie homosexuelle qu’ils n’ont jamais connu, puisqu’ils n’étaient pas nés. Ils me demandent si c’était mieux avant et je ne sais pas quoi leur répondre. Ce que je sais, c’est que ces images, même intimes, avec mes boyfriends, ça ne m’appartient plus. J’ai fait ces photos, elles portent ma signature, mais ce sont des vraies personnes sur ces photos et je considère que je dois révéler un moment de leur vie qu’ils ont peut-être oublié, quand ils étaient jeunes, beaux, insouciants.
Je n’ai pas pensé expliquer de que je voulais faire avec ces photos car je voulais les montrer comme si c’était un album de famille. Ce n’est pas un album nostalgique, c’est un aspect de ce qui se passait alors, comme ces promenades aux Tuileries et ces endroits de drague dont parle Yves, sur les bords de Seine, qui ont pratiquement disparu. C’est un moment du passé, au milieu de beaucoup d’autres moments du passé. Aujourd’hui, il n’y a plus d’endroit ouvert à Paris où les gays peuvent aller se promener, pas forcément pour draguer d’ailleurs, mais pour prendre l’air, pour discuter, pour rêver, s’appuyer sur un de ces arbres qui poussent à Tata Beach, au bord du jardin des Tuileries. Partout où on va aujourd’hui, il y a un établissement commercial. A Londres, il y a plein de jardins, à Berlin ce sont des parcs entiers, à Montpelier il y a le Pêyrou, des endroits où, forcément, dès qu’on y arrive, on s’ouvre l’esprit, parce que c’est beau, c’est ouvert, il y a une perspective. Ce n’est pas comme draguer entre les ifs sombres du Carrousel du Louvre, avec ces passages usés par les va et vient des gays, avec quelques rats qui passent de temps en temps. Ce n’est pas la Porte Dorée non plus, qui ne sert que pour la drague.
Je parle d’un endroit où on pouvait lire, ou draguer, ou venir avec ses amis. La vie des gays aujourd’hui, c’est beaucoup de consommation alors qu’avant, il n’y avait pratiquement rien à consommer car le business gay n’était pas vraiment né. A la limite, nous nous comportions comme les Arabes de la Méditerranée, nous trompions notre ennui par beaucoup d’affection, le dos contre des murs ou des arbres.
Ces photos, c’est un moyen de se rappeler, pas dans le sens de la mémoire et des archives, mais dans un laisser-aller avec le passé. C’est une sorte de rêverie qui fait peur à certains, je le sais. Mais c’est un moyen de nous accepter tels que nous étions. Plus maigres, plus pauvres, plus jeunes. C’est aussi un message à ceux de ma génération. Après tout, c’est nous qui avons délaissé les endroits comme Tata Beach ou les Tuileries. Nous avons cessé d’y aller. Nous sommes allés ailleurs, pensant que les Tuileries seraient toujours là, comme elles l’ont été depuis des siècles, puisque ça drague dans ce coin depuis toujours. On pensait que les Tuileries étaient un acquis qui ne disparaîtrait jamais. Je me demande alors, puisque notre société est totalement gouvernée par l’idée du revival, que Lady Gaga est l’ultime symbole de ce concept de réappropriation, pourquoi les gays ne choisisseraient pas de se réapproprier les Tuileries ?
Et je m’adresse aussi surtout aux jeunes qui sont fascinés (enfin, c’est une minorité) par ce flair des années 80 et 90 qui les attire. Pourquoi ne seraient-ils pas les leaders de ce revival, pour en faire quelque chose de nouveau ? Tous les queers, les transgenre et whatnot, au lieu de faire des pique-nique républicains, pourquoi n’envahissent-ils pas à nouveau cette partie du Louvre qui serait un écrin de leurs différences, pour se voir, s’amuser, parader, faire les folles, des flashmobs ou des vidéos drôles pour Youtube ?
C’est un endroit gratuit. C’est inestimable à notre époque. Cet endroit est là, personne n’y va, il pourrait être l’équivalent des Piers de New York avec des kids et des boom boxes et des mange disques. Cela pourrait même devenir un endroit mondain, comme c’était avant, quand les gays venaient pour voir et être vus. Et un dernier conseil maternel, comme en avait Luc Coulavin. Aller au soleil, prendre l’air, c’est le meilleur moyen de produire de la vitamine D. Quelques moments d’exposition au soleil et à la lumière produit la quantité journalière de vitamine D. Et je vous assure, amis gays et les autres : vous en avez besoin. Moi ça va, à la campagne, j’ai plus que ma dose. Mais vous, les folles d’aujourd’hui, ce n’est pas dans le Marais que vous allez trouver votre vitamine D.