lundi 27 septembre 2010

For a friend



Donc vous avez un ami qui meurt d’un accident cardiaque et vous savez très bien que ça devait arriver un jour parce que c’est un mec qui avait pris pour bible les paroles de « No Limit » de 2 Unlimited. Que ce soit d’overdose ou de sida, d’une manière normale ou tout simplement en s’endormant au milieu de la route à 4h du matin avant qu’un semi-remorque passe par là pour livrer les fruits et les légumes du marché des Capucins à Bordeaux, ça devait arriver et il y en a même qui se demandent sincèrement, sans jugement ni rien, pourquoi ce n’était pas arrivé plus tôt. Certains de vos amis sont les plus wild, les plus incontrôlables, les plus seuls.

J’ai rencontré Hervé Robin à la première vraie Gay Pride d’Act Up en 1990. On s’était déjà vus de loin dans les clubs, mais je me rappelle très bien l’endroit et le moment précis quand il est venu me voir pour parler en défilant. On était sur la rue du Faubourg Saint Antoine, à 400 mètres de la Bastille, à peu près avant l’immeuble de Radio Nova. J’étais content de la manif, on avait des grands drapeaux devant avec Laurent Mouret qui les faisait tourner dans l'air, il faisait beau et Robin est venu me dire qu’il voulait faire des choses pour Act Up. Je lui ai dit qu’il pouvait commencer tout de suite, mais il m’a répondu qu’il partait pour deux mois en Inde. J’étais là « Bien sûr, ah oui, tu pars en Inde pour deux mois et ça va tellement te péter dans la gueule ce voyage que lorsque tu reviendras, tu auras oublié même le nom d’Act Up. OK ».

Deux mois plus tard, il débarquait en réunion. C’est là que j’ai appris qu’il tenait ses promesses. Et très vite je l’ai vu mettre tout le monde dans sa poche, les uns après les autres. On découvre alors que c’est une folle super intelligente et qu’il a plein d’idées parce que c’est un instituteur pour gosses de 6 ans et donc Act Up ça ne le change pas beaucoup quoi. A vitesse grand V, il se trouve à la tête du groupe qui organise les soirées et qui conçoit et vend les T-shirts, le poste très important qui a fait vivre Act Up durant les premières années. Comme Hervé connaissait tous les clubs et tous les patrons de bars, c’est lui qui, réellement, a imposé Act Up dans la house. C’est lui qui a créé le slogan « Danser = Vivre » et surtout « Sida Is Disco » à moins que ce soit Loïc Prigent, je ne me rappelle plus.

Donc pendant les premières années, Hervé était très respecté à Act Up, un mec qui faisait rire tout le monde, qui avait toujours de l’énergie, qui savait se faire respecter aussi, quand il se mettait à crier tout le monde se calmait. Et puis, instantanément, c’est devenu un ami de clubbing. Il faut comprendre. Hervé Robin était bordelais. Moi je viens d’Agen et dans ma génération, on a toujours considéré que les folles bordelaises étaient les plus extravagantes, les plus érudites, les plus fashion, les plus droguées, les plus cuir, etc. La génération d’après, c’était plus Marseille, Montpellier, Lyon. Mais les bordelaises avaient le clubbing dans le sang. On a commencé très vite à la Luna et surtout aux raves de Mozinor avec mon mari d’alors, Eric. Notre truc, c’était toujours de faire plus de bruit que tous les autres puisque ces raves étaient quand même hétéros à 90%. Hervé avait un délire à lui qui consistait à casser ses bouteilles de bière sur le sol et de faire du smurf dessus en criant « Aciiiid ». On avait les sifflets d’Act Up sans arrêt dans la bouche et les gens à côté de nous suppliaient d’arrêter et c’est pourquoi, la rave suivante, on venait avec les sifflets ET les cornes de brume d’Act Up (oui on en a piqué une dizaine à peu près) mais c’est un travail d’outreach vers les ravers puisqu’on était toujours là à crier des slogans sur D-Shake. Quand on rentrait en voiture, on rigolait tellement qu’on y voyait plus rien et Eric conduisait à 30 à l’heure tellement il était bourré. Aujourd’hui, ça ne pourrait pas tenir plus d’un kilomètre, il y a trop de flics.

Avec le temps, Hervé s’est mis à exagérer à Act Up. Son groupe rapportait beaucoup d’argent, il organisait des soirées au Queen qui marchaient, mais il arrivait souvent cassé. Il y a même une histoire super connue comme quoi il s’est fait un fix un soir en comité de coordination rue René Boulanger et qu’il est tombé sur le sol et la seule chose que les autres d’Act Up ont pu faire, c’est de lui mettre une couverture dessus. Et la réunion a continué avec tous les chefs de groupe, comme des pros. La plus grosse blague a été de découvrir dans son bureau à Act Up, là où il rangeait ses carnets de commande de T-shirts et tous les comptes des soirées au bénéfice d’Act Up, qu’il y avait un tiroir en bas avec plein de chèques de dons ou de commandes de merchandising qui n’avaient pas été encaissés. Il faisait les envois et oubliait de donner les chèques au trésorier qui était juste à 5 mètres de lui. On était pas contents.

Pendant ce temps, Hervé continuait son boulot de prof et il était très bon, il prenait toujours des initiatives géniales comme faire découvrir à des gosses de 6 ans tout le travail de Keith Haring (on est alors en 92,93) et il les faisait dessiner et discuter sur ça et les parents d’élèves l’adoraient, même s’il arrivait bourré le samedi matin après une nuit blanche au Transfert. Il avait de l’autorité sur les enfants, mais il était juste et savait leur faire découvrir des milliers de choses tout en restant dans le programme. On peut pas demander mieux.

Ensuite, j’ai un peu moins vu Hervé quand il a partagé un appartement à Montmartre avec Eric. Pour moi, c’était 1994 et il commençait à être un peu too much, même si tout le monde disait à Act Up que les chercheurs auraient du faire un essai comparatif sur lui avec antirétroviraux + alcool versus antirétroviraux seuls car il avait toujours de bons résultats sanguins, ses CD4 étaient bons et même ils montaient en plus, on était tous verts, on se disait que peut-être il fallait être défoncé comme lui pour survivre même si on savait bien que scientifiquement ça ne tenait pas la route une minute. Il était increvable.

Les années 90 ont passé, il est parti d’Act Up avant moi, il est retourné vivre à Bordeaux à nouveau où il s’est mis en tête de terroriser la ville quartier par quartier. En fait, vous devez vous demander pourquoi je parle de lui, vous ne le connaissez pas mais en fait, justement si, vous vous trompez, vous l'avez déjà vu, il a terrorisé Paris, Bordeaux, l’Espagne et un grand pays comme l’Inde donc ça fait beaucoup de monde si on additionne.

A la fin des années 90, on se voyait toujours dans les clubs et c’est là que j’ai commencé à lui gueuler dessus de temps en temps. Il m’adorait mais un peu trop et quand il était bourré en boite, il était juste insupportable comme tous les alcoolos, bien que lui n’était pas à vous cracher au visage comme certains (je n’en dirai pas plus ici). Moi j’étais juste sur le dance floor à essayer de trouver un mec et je voyais Hervé tituber vers moi pour m’offrir une bière. Je disais merci en maugréant dans ma tête car je savais ce qui allait arriver. J’étais là à danser avec un demi dans la main et ça aide pas et 3 minutes après, il revenait avec une autre bière alors que j’avais pas fini la première et il fallait que je lui crie dessus "Arrête avec les bières, c’est bon comme ça" sinon il remettait ça 3 minutes plus tard et des fois je me suis retrouvé comme ça avec 3 bières. Aucune notion de l’espace temps.
Hervé était devenu un magnet de poisse en boite si aviez envie de rencontrer quelqu’un et ça se répétait tellement, toujours de la même manière, avec une telle usure qu’à la fin quand j’arrivais dans un club, je checkais s’il était là. Au Queen, il pissait contre le bar principal. A Scream, dès qu’on le voyait arriver, on se mettait à danser à l’ombre. A chaque fois qu’on le voyait, c’était sur le même niveau alors qu’à jeun, c’était un homme calme, drôle, totalement cultivé, et quand il se mettait à parler en espagnol, il était si irrésistible que c’était du rire non stop. Il me téléphonait toujours pour me dire qu’il allait passer un week-end à Paris pour voir des spectacles de danse et je baillais.

Ensuite je suis parti vivre à la campagne et la plus belle blague, c’est quand il est venu passer un week-end. C’était l’hiver, il pleuvait beaucoup, il a raté plusieurs fois son train et il a fini par arriver des heures après, dans la nuit, en taxi. Je savais déjà que les taxis de province sont beaucoup plus gentils que ceux de Paris mais celui-ci était tellement adorable qu’il a aidé Robin à sortir de la voiture alors qu’il avait gerbé dedans. Quand il est arrivé dans le salon, il a jeté un regard vers le feu dans la cheminée que j’avais allumé pour le réchauffer et il a dit ce truc génial, avec l’accent du sud-ouest, bourré : « Ah bé tu sais, moi j’aime pas la cheminée, hein ». Ca m’a fait tellement rire parce que tout le monde, I repeat, tout le monde aime un feu dans la cheminée en hiver. Il a fallu deux heures pour qu’il commence à dessoûler et faire des phrases avec un sujet, un verbe et un complément.

Avec le temps, il me téléphonait toujours pour donner des nouvelles mais je commençais à en avoir marre qu’il me dise qu’il avait arrêté de boire alors que j’entendais l’alcool du week-end précédent dans sa voix. Et moi ce genre de délire, j’accepte pas trop longtemps, même de la part des amis. En plus j’étais en plein combat sur la prévention et god knows ce que faisait Hervé quand il était bourré. Il avait le don de me sortir des énormités comme « Je crois que je vais partir un mois en Iran » il y a 4 ans, quand toutes les milices et les terroristes basés en Irak sont passés par l’Iran pour rejoindre l’Afghanistan où ils sont toujours d’ailleurs. Et je lui disais « Ah oui, super, tu es séropo, tatoué et percé de partout, c’est la guerre là-bas et tu t’approches de plus en plus de l’endroit où on cultive le plus de drogue dans la région et tu veux que je te dise vas-y, bon voyage ? T’es folle ou quoi ? ». Je sais très bien que l’Iran est merveilleux et pas si dangereux, mais pour un mec comme ça, c’est comme s’il se promenait avec un écriteau dans le dos avec écrit dessus « Trempez moi dans un baril de pétrole avec beaucoup de plumes SVP ».
Il me disait « Tu crois ? » et là le téléphone me tombait des mains et je lui demandais « Mais tu regardes pas les news ? Tu ne peux pas choisir un pays où il n’y a pas un conflit mondial ? ça existe encore tu sais ». Je le suppliais de ne pas y aller car je savais que c’était un voyageur qui n’avait peur de rien et qui pouvait très bien partir sans rien dire à personne. Comme il ne travaillait plus à l’Education nationale depuis longtemps, il ne savait pas quoi faire et sa vie le menait de plus en plus vers la marge. Il était tricard de tous les bars et les clubs de Bordeaux sauf de l’Ours Polaire où, pour le calmer, ils mettaient un peu de bière dans un panaché pour lui faire croire qu’il buvait une pression. Mais ce mec a enrichi plein de bars et de clubs et il a fini dehors.

Moi, à la fin, je ne répondais plus quand il appelait car Hervé était devenu la seule personne au monde qui m’épuisait au téléphone, au stade où je ne pouvais pas tenir la conversation. C’était comme pénétrer dans un brouillard de plus en plus épais où tout était lent, très lent, alors qu’il y a toujours plein de choses à faire quand il appelait comme rentrer le bois parce qu’il fait froid, faire à manger pour 4 personnes. Tout était devenu plus important qu’un coup de fil de Robin car on avait en plus l’impression que le mec était indestructible, physiquement. Il y a beaucoup de gens qui sont morts alors qu’ils se tenaient à carreau et qu’ils prenaient leurs médicaments et tout alors que lui a tellement abusé qu’il tenait toujours, il se remettait toujours debout après sa cuite donc on finissait par se dire qu’on serait tous morts de mort naturelle quand lui aurait son premier petit souffle au cœur de rien du tout.

Bien sûr on s’est trompés et il est mort vendredi 18 septembre, par le cœur. C’est vraiment particulier de mourir par le cœur, ce sont vraiment les sentiments qui lâchent, une douleur unique dans le corps, une crampe affective profonde, comme un muscle qui se tord à mort. Je crois qu’Hervé ne supportait plus sa solitude car nous avons été nombreux à ne plus décrocher le téléphone. Mais c’est comme ça. Il était trop fou. Les blagues que je raconte ici, tous ses amis les connaissent par cœur. C’est sa mythologie, des histoires qu’on se raconte quand on parle de lui. C’est quelqu’un qui a fait des trucs importants contre le sida.

lundi 20 septembre 2010

Obama m'écrit


J’adore recevoir des mails de la Maison Blanche. Régulièrement, un docu apparaît alors que mon index appuie automatiquement sur la touche delete de mon ordi. Une invitation FB pour un club avec un flyer immonde. Encore une étude absolument pas nécessaire sur le sida. Une newsletter gay qui me parle de, wait for it, c’est très inattendu… Lady Gaga. Quelqu’un peut m’envoyer une information digne de ce nom, bordel de merde ? Je suis à mon centième mail éliminé depuis ce matin et soudain, Michelle Obama m’écrit.

Ce n’est pas une histoire de prestige. Je ne suis pas particulièrement impressionné à l’idée de recevoir un message « personnel » de la Première Dame des Etats-Unis ou même un coucou de David Axelrod. En fait, tout le clan de la Maison Blanche semble se donner le relais pour nous envoyer ses petites nouvelles. Lundi matin, l’empereur, sa femme et le p’tit prince… « Alors, Michelle, tu écris à Didier le lundi et David (Axelrod), on t’a prévu une lucarne d’envoi pour vendredi ». Non, tout le monde y passe, dans un système d’alternance équitable qui privilégie soit le président, soit un secrétaire d'état qui a quelque chose à dire soit quelqu’un de totalement inconnu.
Je me suis abonné à la Maison Blanche (ça fait une jolie phrase à écrire, je vous assure) il y a plus d’un an, je ne me rappelle plus comment. J’avais sûrement appuyé sur la touche « Submit » du formulaire « Get Email Updates » en haut à droite de la home page de la Maison Blanche, par défi, du genre « on va voir si vous êtes capables de m’étonner ». Et à chaque fois que je reçois un de ces mails, un petit sourire apparaît sur mes lèvres, même quand je suis de mauvaise humeur.
Je vais vous dire : recevoir ces mails, c’est l’équivalent d’un bonbon à la menthe très frais au milieu de mails qui ont tous l’air d’avoir été lourdement amidonnés avant leur envoi. Car, merde, quelle maquette. C’est un vent de fraîcheur qui vous entoure, une brise transparente et caressante, et ce n’est pas pourtant quelque chose que l’on imagine facilement venir de la Maison Blanche. Quelqu’un, quelque part dans la West Wing, ou alors dans un sous-sol de bureau outsourcé ailleurs, a appuyé sur une touche qui a envoyé des millions de mails à travers le monde et le mien est parvenu dans mon petit village de Normandie. Cool, non ?

Et surtout, c’est là le point central, quel joli mail. Le logo de la Maison Blanche est calé au centre supérieur du docu, entouré d’un halo grisé d’une luminosité incroyable. Ce n’est pas du blanc, ce n’est pas du gris, c’est un gris-blanc-poudré qui semble accrocher la lumière de votre ordinateur. Cela rappelle l’émerveillement qui a accompagné les premiers jours de Photoshop. On imagine même des sous-couches de couleurs encodées dans le blanc, indiscernables par le commun des mortels, pour le rendre inconsciemment plus beau, plus riche, plus institutionnel, plus américain quoi ! C’est l’équivalent du parchemin moyenâgeux avec le ruban scellé par la bougie. A message from the White House to youuuuu ! C’est ce blanc qui signe l’envoi de la Maison Blanche et on imagine une équipe de 25 geeks en train de faire des sessions de brainstorming pour lui donner encore plus de relief, dans un style très WASP, très Calvin Klein. D’ailleurs, pour ajouter du prestige, quand vous recevez un mail d’Obama-himself, le logo de la Maison blanche a carrément disparu pour un autre en-gris-sur-blanc-sur-beige. Du genre less is more, là on ne rigole plus.
Et le texte ! En bas, le titre du mail est inscrit en doré, oui en or ! On dépense sans compter ! Et dans le texte, chaque mot paraît plus clair, plus dynamique. C’est la Maison Blanche qui vous écrit, bordel. Et vous lisez le mail, même si le sujet ne vous intéresse pas, parce que vous vous dites qu’ils ont pris la peine de faire ça bien, eux. C’est pas comme si vous receviez un message de la Mairie de Paris pondu par un stagiaire du PS qui est arrivé là juste parce qu’il espère coucher avec quelqu’un pour avoir de l’avancement et qui vit dans un studio avec une mezzanine en bois clair (du pin, tiens) achetée dans une rue secondaire du sixième arrondissement.
Ah, vous me voyez venir. La Mairie de Paris. Ben non, pour une fois, je parlerai plutôt de la Présidence de la République française. Vous avez remarqué le joli pupitre qu’ils ont choisi pour les conférences de presse de l’Élysée ? Avec un joli logo bleu en relief qui donne un côté Washington au 55, du Faubourg Saint-Honoré ? C’est bien, on s’en approche de la signalisation présidentielle. Mais le reste ! C’est comme si les gens qui « travaillent » à l’habillage de l’Élysée s’étaient dit, d’un commun accord : « OK, on a réussi le pupitre de la salle des médias, on fera le reste et toute la déclinaison de la charte graphique quand la maquette du Canard Enchaîné sortira du 19ème siècle. Traduction : NEVER !

Il y a vraiment un truc qui me tarabiscote dans le design Web o.2 machin. Comme Facebook est le "troisième Etat" de la planète, on est submergé d’invitations à des fêtes ou à des événements avec des images hideuses. C’est le revival des flyers pédés des années 90. Et que je te mets des mecs dénudés qui n’ont même pas le look de Now et qui semblent sortis d’une banque d’images qui vient de Budapest. Et que je t’envoie des invitations d’expo qui ressemblent à des cartons pour des débats de quartiers organisés par la mairie du onzième arrondissement (je crois que c’est PS là-bas, ahah) ou alors une icone de pouffiasse par une pouffiasse qui t’invite à jouer à Farmville. Connasse, je vis à la campagne, j’ai pas besoin de ton succédané de récolte champêtre.

Moi je dis. Regardez un peu les mails de Michelle Obama. J’ai beau être furax à mort contre son mari et Hilary Clinton qui se foutent de notre gueule sur le sujet de Gaza et tout ce qui se trouve autour dans un rayon de 1000 kilomètres (au moins), mais ça fait du bien de respirer et de mettre de côté sa colère pour écouter à ce qu’elle a à dire. Tiens, aujourd’hui, c’est la maltraitance des bébés girafes. Intéressant.

mardi 7 septembre 2010

Delanoë, le Boniface de Paris


De passage à Paris, il y a quelques jours, je suis tombé sur le magazine de la ville de Paris, A Paris. Arrêtez de vous moquer, je vais juste donner mon avis. Au début, j’ai feuilleté les pages d’une manière distraite. Je n’attendais pas grand chose d’un gratuit municipal. Et puis, très vite, j’ai fini par réaliser que même dans ces brochures municipales, le message du maire de Paris, c’était : « Surtout, rien de masculin, rien de dangereux ».

On a beaucoup parlé du maire de Reykjavik en Islande qui est allé à la Gay Pride en travelo. Normal, c’est un acteur. On a beaucoup moins parlé du même élu, qui a surpris tout le monde en prévenant qu’il ne travaillerait qu’avec des partenaires (dans son camp ou contre lui) qui auraient vu l’intégrale des 5 saisons de « The Wire ». Quand j’ai lu ça dans l’Herald Tribune, mon cœur a fait un bond, c’est comme si un EUREKA ! avait traversé ma journée. Enfin un homme politique qui annonce que son travail serait directement influencé par la série la plus politique de tous les temps, celle qui va au fond des problèmes urbains les plus insolubles, une série qui présente le monde à travers les quartiers pauvres de Baltimore. C’est comme si les spin doctors de Sarkozy décidaient, pour le remaniement ministériel prochain, de s’entourer uniquement de collaborateurs qui se comporteraient à longueur de journée comme les personnages de « The West Wing ». On peut toujours rêver…

Je sais très bien que je demande la lune. Espérer de Delanoë la moindre influence trouvée chez « The Wire », c’est un peu comme si vous attendiez de Fogiel une interview approfondie et sensible de Tony Kushner. Mffff, wtf. Mais penchons nous, si vous le voulez bien, sur le contenu de A Paris. Tiré à 1.150.000 exemplaires (c’est pas rien), c’est l’exemple typique du magazine qui n’a aucune saveur. L’édition Automne 2010 débute en fanfare avec un édito du maire qui, dès la 9ème ligne, nous rabat les oreilles avec la politique de la ville pour les crèches et les haltes garderies. Je crois qu’il écrit ces textes pendant son coma. Intitulé « Les enfants dans la ville » (on nous a épargné « Les enfants dans la cité »), cet édito est tellement téléguidé qu’on a envie de se plaindre directement à la hotline de maltraitance. Peut-on aborder un autre thème pro-bobo, SVP ? C’est l’ensemble des articles de ce canard municipal qui semble dédié « aux enfants de Paris, à leurs parents, à leurs enseignants », comme si ce maire ne parvenait pas à se libérer de l’obligation de s’affranchir de son homosexualité tout en dorlotant son électorat socialiste.
Delanoë, l’homme, semble mal à l’aise avec les hommes. Il y a bien un micro-article en page 22 sur Jean-Michel Basquiat, mais on ne sait rien de ce qui se cache derrière la phrase : « Né en 1960 à Brooklyn (Etats-Unis), Jean-Michel Basquiat disparaît en 1988 ». De quoi ? Est-ce que ça arracherait la gueule du directeur de la rédaction, Patrice Tourne, de publier le mot « overdose » ou « léger petit problème de drogue »?

Des années après son élection, je me demande si les gays et les lesbiennes qui ont contribué à élire ce maire avaient comme espoir de le voir devenir le champion de la natalité. Delanoë est un de ces homosexuels breeders, très concerné par les possibilités d’élevage de ses concitoyens. C’est un peu comme quand vous regardez les pages Facebook de ses collaborateurs comme Bruno Juillard, toujours très attentif à poster des statuts virils et consensuels comme « Je suis allé au Stade de France pour encourager les Bleus ». Ouais, bien sûr. Il y a une envie très précise de ce maire de se dissocier de tout ce qui est gay, mais surtout, c’est ça qui est nouveau, de tout ce qui est masculin. C’est comme si ce maire s’appuyait sans cesse sur son électorat féminin, comme si la fidélité électorale était du côté des femmes, un peu comme tous ces écrivains gays célèbres, d’Yves Navarre à Guibert, qui ont gagné des prix littéraires en témoignant de leur amour des femmes. C’est le syndrome haute couture : vous êtes une folle à lier, mais du moment que vous dites devant les caméras, quatre fois par an pour les défilés, que vous êtes « amoureux du corps de la femme et que vous voulez les rendre plus belles encore », vous avez votre laisser passer pour les bordels où personne ne vous emmerdera si vous vous relaxez dans des baignoires remplies de pisse. Je dis pas que Delanoë fait ça, mais d’autres le font.

Pour rester en place et traverser ses périodes de déprime, Delanoë doit se montrer asexuel, un homme attiré par les hommes qui ne parle jamais des hommes ou de sa sexualité, qui est pourtant si fondamentale dans son identité (enfin, j’espère) et qui se comporte comme n’importe quel homme politique de droite : la porte de la vie privée est fermée, c’est un coffre fort. Pire, non seulement cette porte est fermée avec une combinaison digne de « Inception », mais le hall de l’amour des femmes est grand ouvert. A Paris est la publication la plus hygiéniste que l’on peut imaginer. Si vous vous y connaissez en iconographie, c’est fascinant de voir comment les hommes et les femmes sont représentés. A force de montrer une image socialiste, apaisée de la société, c’est comme si les habitants de cette capitale française n’existaient pas, c’est le rêve citadin de Delanoë dans toute sa flemmardise. Plus de débats, plus de problèmes, plus de RER B encore bloqué aujourd’hui même, c’est le village « Tout va bien ». On dirait que le maire et son entourage ne voient pas à quel point les parisiens se transforment vite.

Par exemple, je viens à Paris une fois par mois seulement, mais je suis ébahi de voir à quel point le look des parisiens, jeunes ou vieux, évolue vite. Toutes les modes du monde s’imprègnent dans cette ville, avec les noirs qui adoptent de plus en plus des coupes de cheveux qui font des chignons crêpés, des fringues de streetwear que l’on ne voyait qu’aux USA il y a encore deux ans. Et ce que veut nous montrer Delanoë dans sa brochure de paroisse tirée à plus d’un million d’exemplaires, ce sont des images génériques d’enfants, d’hommes et de femmes qui semblent sortir des dépliants de l’industrie pharmaceutique. Mais qui sont ces gens qui décrivent l’activité sociale et culturelle de cette ville uniquement à travers le prisme de la gentillesse conne, de l’Opéra middle-of-the-road, la Techno Parade agueubeubeu, la « fête des vendanges qui fait la part belle à l’humour » et de tout un bêtisier de formules toutes faites qui sont sensées donner une image positive d’une ville remplie de SDF ? Ce maire vit dans une dimension de proximité à la France 3, comme un Samuel Etienne franchement de gauche, mais qui nous parle avec ses grands yeux en surjouant sa capacité à dire des banalités feel good pour les plus de 65 ans. On est dans un monde de cuicui les petits oiseaux rempli d’annonces d’agenda connes comme « Montmartre fait la fête » (on dirait la dernière image de Groland) avec une pleine page du groupe le plus idiot du monde, Le duo de la chanson du dimanche. C’est ça la ville de Paris, qui rayonne sur le monde de la culture ?

Six mois après les élections régionales qui ont vu un raz-de-marée de la gauche et des Verts dans la région, vous avez l’impression que quelque chose est sur le point de changer, vous ? Moi je vis en Normandie et de chez moi, la seule chose que j’entends, ce sont des potins comme Clémentine Autain qui dit à qui veut l’entendre qu’Emmanuelle Cosse ne lui a pas donné le moindre coup de téléphone depuis qu’elle a été élue chez les Verts. On s’est bien fait avoir, non ?
Delanoë a vraiment un problème. A force de prendre ses distances avec tout ce qui le définit, il devient un homme hybride, immatériel, sans passion réelle, sans élan, un homme transparent, comme les "magazines" qu’il publie à 1 million d’exemplaires. C’est un homme qui n’a pas de sexe, qui n’a plus la moindre aspérité et je m’émerveille que l’on puisse encore dire que c’est un « grand communiquant ». Si c’est ça la communication politique, donnez moi tout de suite une brochure dépliante de Pasteur Mérieux. Quand je pense à la beauté des gens de la rue, qui m’émerveille à chaque fois que j’arrive à Paris, dès les premiers pas sur les quais de la gare Montparnasse, et que je vois un magazine aussi aliénant que ce A Paris, je me dis que le peuple de gauche ne devrait pas uniquement manifester contre Sarko comme ce samedi 4 septembre, mais s’insurger aussi contre cette aseptisation que leur impose l’administration d’un maire homosexuel, le plus terne de la planète, car c’est une insulte à ce que nous sommes, ce que nous espérons devenir. C’est un visage Boniface qui croit qu’on ne voit pas son jeu quand il traverse toutes les crises économiques et les universités d’été du PS sans sourciller, sans motiver quoi que ce soit. C’est bien gentil de crier contre un président qui fait honte à la France. Il faudrait aussi crier contre ce maire qui fait honte à la culture de notre capitale. Cet homme est un homme générique. No testostérone here.