jeudi 10 décembre 2009
Brian Kenny, already.
Quand je suis arrivé sur Facebook, il y a plus de deux ans déjà, j’ai commencé mon profil comme s’il s’agissait d’un album de coloriage. Ce qui m’intéressait, c’était de créer un groupe cohérent de personnes vivant à travers le monde, sur des critères totalement abstraits comme la beauté de la photo du profil, l’esthétique des noms, le côté pluriethnique et les associations de couleur entre chaque photo de profil. Pour cela, je cherchais des hommes vivant aux quatre coins du monde afin d’accentuer l’aspect international de FB. Je voulais voir comment les gays asiatiques vivaient, comment étaient ceux du Pérou ou d’Afrique. Et puis il y avait tous ces hétéros groovy amoureux de house. Mes critères étaient simples : des hommes sympas, avec un vrai nom, une vraie photo.
Comme je suis vierge de drague sur le net (pour pleins de raisons que j’ai déjà expliquées zzzz), j’ai découvert à travers FB cette étonnante capacité à pénétrer dans la vie privée des gens – ou ce qu’ils veulent bien présenter comme leur vie privée. Je ne prétends pas être infaillible, mais je suis assez bon pour déceler, à travers une toute petite photo, le caractère de celui qui l’a choisie. Le simple fait de choisir cette photo, et pas une autre, puis d’en changer au gré du temps, tout ça dit énormément de choses sur ce que l’on est, sur ce que l’on veut dire.
Donc, FB était pour moi du coloriage. FB a revalorisé quelque chose qui est très profond chez moi, l’amour du visage. On n’était plus dans la drague de la bite, on avait poussé à nouveau le curseur vers le haut, sur le visage, un truc très Magazine, très classique, très frontal. Comme choisir la photo de son passeport. Et FB était le reflet de l’énorme évolution récente du visage masculin. Alors, je demandais l’amitié d’un mec parce que je savais que la photo de son profil serait super jolie à côté de celle du mec qui avait un nom proche au niveau alphabétique. C’était une collection virtuelle de « mecs biens » au lieu d’être, comme chez d’autres, une collection de connards dark et pervers. Il s’agissait de mecs corrects, dont les photos illustraient une certaine vision de la vie. Et il suffisait de dérouler la liste d’amis (a l’époque présentée en pleine page sur FB) pour voir que c’était cohérent et joli à la fois.
Après, bien sûr, tout le monde est arrivé sur FB et comme ma politique est d’accepter n’importe quelle demande (à part ceux qui sont vraiment trop cons), la liste des amis FB ne pouvait donc plus ressembler à une belle suite de jolies cartes comme une réussite, pas grave, c’était juste un délire de folle au début d’un réseau social et je le savais. Je me doutais bien que choisir des amitiés FB avec comme principal critère la seule poésie de leur profil ne pouvait être un concept qui tienne sur la durée car il était forcément discriminant pour les autres. Et puis, FB est un outil de communication. Et il faut bien admettre qu’on communique rarement avec les plus beaux. Ça se saurait.
Ce qui m’amène à mon sujet. L’évolution de FB, depuis deux ans, marque l’arrivée d’un nouveau type de chef culturel – et je dirais même politique. Celui de la star porno. Je sais, vous en avez tous entendu parler, but, wait, j’ai encore un angle particulier ! Il ne s’agit pas forcément des blogs où l’on voit un aspect de la vie privée des stars porno qui, d’ailleurs, on le sait, ont du mal à s’en sortir en général, comme tout le monde. Il y a un mois ou deux, Tristan Jaxx, sur Twitter, balançait des trucs un peu durs comme le fait d’être viré sur le champ de son boulot alimentaire parce qu’il était encore arrivé avec 5 minutes de retard. Damn, le mec est une des stars de Raging Stallion, je crois même que c’est un de leurs executive producteurs maintenant. Pareil pour la vie un peu tristounette de Cole Ryan. Et je ne parle pas des grandes stars du porno de Colt comme Adam Champ, un mec très gentil qui fait beaucoup de tournées européennes pendant lesquelles il remue son cul dans des clubs pas très top.
Non, ce qui m’intéresse surtout, ce sont les photos où l’on voit que ces mecs vivent une vie que l’on ne peut pas imaginer, ni dans leurs blogs, ni dans leurs films. Un exemple très clair, c’est Jason Ridge. Pour moi, c’est un acteur respectable, qui est passé à travers plein de studios et de styles, mais qui n’a jamais été un de mes acteurs préférés. Les goûts et les couleurs. Ce qui est intéressant, c’est son album « Friends of Jason ». 177 photos, dont une majorité de snapshots boring avec toutes les stars du porno californien, dans le genre « je les connais tous ». Mais, wait again, il y a quelques photos intimes avec Damien Crosse, Adam Killian et surtout Blu Kennedy. Il y a 2 photos géniales où l’on voit Jason et Blu sur la plage, en train de marcher au bord de l’eau, en pleine conversation, pendant que Jason porte une planche de surf.
En fait, ce que montre cette photo, comme des milliers d’autres sur FB, c’est la nouvelle classe A gay. Je crois que ces mecs sont les nouveaux leaders de la culture gay, et je ne parle pas de ceux qui font partie du Circuit ou de ceux vont à Madrid et Berlin. Je parle de niveau d’influence. Il y a 40 ans, c’était les écrivains et les réalisateurs de cinéma qui étaient au sommet. Il y a 30 ans, c’était les musiciens. Il y a 20 ans, c’était les activistes. Il y a 10 ans, c’était les journalistes. Aujourd’hui, ce qui a le plus de valeur dans la culture gay, que l’on soit d’accord ou pas, c’est l’image véhiculée par des mecs comme Jason.
Il suffit de regarder leur following. Des milliers de personnes qui sont fans. Des mecs comme François Sagat qui font du « cinéma » ou de la « prévention ». Une sorte d’aspiration culturelle qui fait que l’acteur porno est le nouveau DJ. Des mecs comme Fred Faurtin ont plus de couvertures de magazines que les grands écrivains gays. Mon point, c’est qu’on ne sait pas si ces acteurs ont quelque chose à dire (et certains écrivent assez bien dans leurs blogs après tout), mais en tout cas, ce que l’on sait, c’est que s’ils disaient quelque chose, cela aurait plus d’impact que ce que nous pouvons dire. Il faut savoir l’admettre.
Ce n’est pas un constat d’échec. Mais le militantisme n’a pas la portée qu’il avait il y a dix ans et nous-mêmes, journalistes ou activistes, nous sommes désormais bien trop ancrés dans nos catégories, dans les préjugés des gens, pour parvenir à communiquer quelque chose de très nouveau. Le journalisme homosexuel n’est plus du tout cutting edge. C’est d’ailleurs pourquoi, dans les médias gays, toutes les signatures d’importance qui avaient encore du crédit, il y a 5 ans ont entrepris un travail de désacralisation de leur parole. Internet les a réduits à écrire des mini brèves, des articles sans analyse, des renvois vers des vidéos, à un non-engagement permanent sur les questions saillantes de notre société. Ils ne s'expriment plus. Ils sont blank. Ce qui contribue à une politique gay où personne ne prend de risque en son nom propre, tout le monde suit son plan de carrière : pour survivre, il faut disparaître. Un comble, au niveau gay. Et c’est quelque chose que l’on peut appliquer aussi à l’incroyable renouveau du fanzine gay. Des revues fantastiques partout, mais rarement des déclarations. Et surtout, ce qui domine souvent, c’est l’aspect un peu glauque. Ce sont des revues à problèmes.
Cette montée en puissance (si on peut dire) des acteurs porno dans la légitimité gay est récente. Avant, pour résumer, les acteurs étaient admirés, mais c’était des cons, des loosers. Ils étaient incroyablement doués dans leur sexualité, mais on voyait bien que leur célébrité ne les menait nulle part (à part Aiden Shaw, et encore).
Aujourd’hui, l’acteur porno voit son prestige croître au fur et à mesure qu’il montre à quel point il est performant. Le sexe n’a jamais été aussi technique qu’aujourd’hui. C’est une forme de spectacle, de show. Ensuite, il n’y a jamais eu autant de gays devant le porno et la célébrité devient instantanée. Il est donc possible de percer dans la culture gay à travers le porno, beaucoup plus vite et profondément que dans d’autres médias (à part Slimmy). Enfin et surtout, certains de ces acteurs parviennent, visiblement, à rester des mecs corrects. Je ne connais pas Fred Faurtin, je l’ai jamais rencontré, et je ne sais pas, par exemple, s’il est safe dans la vraie vie, mais dans ses films il tient à rester dans le domaine du safe. Je ne sais pas si Dean Flynn est con dans la vraie vie, mais tout me laisse penser qu’il est smart. Je ne sais pas si Blu Kennedy est un mec équilibré dans la vraie vie, mais chacun de ses films laisse penser qu’il est un mec hypra-sensible, quelqu’un de vraiment bien.
Il y a donc une séparation entre les anciens leaders politiques gays qui savaient attirer à eux la confiance et les acteurs pornos qui eux, se montrent souvent tels qu’ils sont, à travers leur manière de baiser ou de vivre. Les premiers cachent de plus en plus leur vie privée et ne sortent jamais des clous, ils ne révèlent rien de leur intimité. Oubliés les jours d’Harvey Milk et de Renaud Camus. Bonjour Roméro et Macé-Scaron. De l’autre côté, une flambée d’acteurs porno de toutes les couleurs (beaucoup de Français, ce qui est nouveau) qui ne cachent rien. Même à travers le sur-jeu et l’exagération, on sait reconnaître le gay derrière l’acteur porno, ça va, on n’est pas cons non plus. Il y a un mec pour de vrai, là, et il est plus authentique dans son rapport à la célébrité que n’importe quel leader LGBT, fade comme la mort.
Les acteurs porno sont donc au centre d’une époque où le paradigme de la prévention change (ce qui les concerne directement) et où les attentes des gays stagnent. Le militantisme peine à apporter des améliorations concrètes dans la vie des personnes LGBT. S’engager dans l’associatif n’a pas grand-chose de valorisant de nos jours. L’écriture ? les gays s’en foutent un peu, ils veulent de l’image. Du coup, ceux qui deviennent internationalement célèbres, ce sont les Tim Kruger du porno et les Brian Kenny de l’art.
Ah, si au moins le militantisme avait son Brian Kenny. Le mec est un héros. Il est parfait. Tout serait tellement plus simple si on en avait un sous la main. Il suffirait que Brian Kenny dise « Everybody get up » pour que tout le monde se lève comme dans une pub pour Danette. C’est ce que décrit Malcolm Gladwell dans son livre « Blink ». Le chapitre 3 se demande : « Why we fall for tall, dark, and handsome men ». Il est donc à craindre désormais que le message dépende énormément des capacités télégéniques du messager. Ce qui a toujours existé, mais avant c’était un élément parmi d’autres. Aujourd’hui, c’est l’élément N°1. Sur mes 2800 amis FB, il y a au moins une trentaine de mecs qui casseraient la baraque s’ils émettaient un cri, une alerte, un appel. J’ai toujours pensé que le message d’Act Up passait bien il y a 15 ans parce qu’il y avait des beaux mecs à Act Up. Pas forcément ceux qui étaient porte-parole, mais ceux qui étaient dans la manif. Il y avait un système d’entraînement. Aujourd’hui le militantisme cherche son Brian Kenny et je pense que tant qu’on ne l’aura pas trouvé, on se retrouvera à avancer lentement, très lentement.
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5 commentaires:
"Le bruit de l'underground" Acte II
Je prefere Slava.
Que penser quand un mec sort de votre lit et demande avec espoir « on se retrouve sur facebook ? »
un fois dépasser ce constat, que reste-t-il ? Rien,dernière ruse de l'ultra libéralisme, de la société liquide.Des objets dans un linéaire d'hypermarchés, ou sur l'écran FB. Evanouissement de soi derrière tous les masques possibles - ça, des role-models ? you must be joking.
role-models...j'en ris encore, deux mois plus tard !!!
Que de désillusions s'ouvrent à vous à considérer ainsi le premier go-go boy venu pour un messie du XXIe siècle !
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