lundi 28 décembre 2009

All the young dudes


Je reste quand même impressionné par la succession de coming out importants en ce moment. Le dernier en date, Gareth Thomas, a surpris même mes copines anglaises, qui ne sont pas souvent surprises. On a déjà tout dit sur cette affaire émouvante, mais pourquoi a-t-on l’impression que le système du coming out est plus dynamique dans d’autres pays ? il y a sans cesse des apparitions de gays à pouvoir comme le ministre des affaires étrangères allemand ou la maire lesbienne récemment élue de Dallas, Texas. Partout à travers le monde, c’est une lumière de plus qui clignote du Brésil, du Canada ou d’Espagne. Ca blippe de partout.

Je ne vais pas encore radoter sur la place silencieuse de la France dans cette frénésie générale. On dirait qu’à l’étranger les gays et les lesbiennes n’arrivent plus à se cacher. La peur quotidienne, ils ne veulent plus la vivre. Ils arrivaient à surmonter cette terreur, il y a dix ans, mais ils se trouvent tous confrontés à la facilité de la vie gay. Ces hommes et ces femmes de carrière voient autour d’eux des gays de 16 ans totalement affirmés et ils se disent : « Pourquoi pas moi ? ». En France, on dirait qu’ils ont moins de scrupules à vivre sans beaucoup de courage.

L’Angleterre est plus dynamique dans le coming out parce que ça remonte à loin. Avant même les campagnes d’outing spectaculaires, avec plus d’une centaine de membres de clergé dénoncés, l’Angleterre a vécu à travers les vies privées des grands dinosaures, Boy George, George Michael et Elton John. En fait, ces folles ne se sont pas vraiment fait remarquer par leur coming out, mais par leurs problèmes avec la justice précisément parce que leur sexualité était problématique..

Quand culture Club avait beaucoup de succès, Boy George se disait bisexuel. Quand Wham ! avait beaucoup de succès, George Michael se disait hétéro. Nous, à l’époque, ça nous faisait bien rire, mais on ne va pas revenir sur ça non plus.

Il s’agit, encore une fois, de très grands artistes. Je ne vais pas revenir sur la popularité de Boy George en 1984 et je ne radoterai pas non plus sur les qualités de compositeur de George Michael. J’ai adoré leurs disques, ils étaient camp, c’était le golden age de la pop anglaise. Parallèlement à leur succès, Jimmy Somerville avait fait son coming out dès le début. Boy George et George Michel étaient mal à l’aise face à ce précédent. Jimmy les forçait, dans un sens, à se positionner.

Tout le monde connaît cet angle du militantisme des années 80. Ce qui est moins discuté, et là j’arrive à mon sujet, il est temps au bout de 2500 signes, c’est que Boy George et George Michael ont finit par rejoindre la position de Somerville, à travers leurs problèmes avec la justice. Le premier passe 15 ans dans la drogue et séquestre un rent boy chez lui. Le gosse finit par s’échapper, à poil dans la rue, traumatisé par le traitement subi. Meanwhile, George Michel était devenu une divinité de la musique, mais il s’est fait choper plusieurs fois dans les chiottes publiques à travers le monde. A chaque fois, les médias ont été particulièrement atroces. L’anecdote du paparazzi qui l’a suivi en bagnole de Londres à Brighton pour le choper juste au moment où il sortait de sa voiture est assez révélatrice.

Ce qui est intéressant dans ces affaires, ce n’est pas la déchéance sexuelle. Ce qui est intéressant, c’est qu’à un moment, il y a 3 ou 4 ans, les deux George (puisqu’on va les appeler ainsi), se sont dit « what the fuck ». Ce n’est pas parce que Boy Gorge a eu des problèmes de drogue dans les années 90 qu’il est arrivé à une binge sexuelle SM où il finit par violer un prostitué. Et ce n’est pas parce que George Michael a été chopé dans les chiottes publiques à LA qu’il a décidé de ne pas le faire à Londres (ou partout où il va d’ailleurs). A un moment, ces homosexuels ont décidé de faire ce que Somerville avait décidé il y a bien longtemps, en 1985 : sa célébrité ne l’empêcherait pas d’aller draguer dans les parcs et de se bourrer la gueule. Je suis bien placé pour le savoir parce que j’étais là souvent quand il faisait la première page des tabloids parce qu’il avait fracassé sa pinte de bière sur la tête d’une folle qui la faisait chier en boite. Mais, depuis, Jimmy drague toujours et, aux dernières nouvelles, de temps en temps il se coltine une cuite mémorable en public. Mais les médias n’en parlent plus. Il fait tellement partie du décor des folles célèbres de Londres qui se bourrent la gueule et qui baisent avec des freaks que ce n’est plus du matériel à scandale.


Gareth Thomas a sûrement fait son coming out parce qu’il avait toutes les qualités pour débloquer gravement, comme l’ont fait les deux George. Dans son domaine, il est à ce niveau de perfection, c’est un artiste du rugby. La violence qui est dans son jeu de sportif, c’est la même violence qu’exprime Boy George dans le sadisme de sa relation avec le rentboy, c’est la même que s’inflige George Michael quand il va sucer une bite dans des toilettes publiques et qu’il sait qu’il va se faire attraper par les médias. Somerville m’avait raconté, en 1984, que lorsque Elton John avait découvert le premier tube de Bronski Beat, il avait envoyé sa voiture pour aller chercher Jimmy, Larry et Steve car il voulait les rencontrer. Le problème, c’est que Jimmy habitait à l’époque dans les tours de Camberwell. Et qu’Elton avait envoyé sa Rolls, qui attendait à côté de l’entrée. Jimmy m’avait dit : « Tu comprends, c’est gentil de sa part, mais c’est complètement débile, il n’y a jamais de Rolls qui passe par là, il pourrait se la faire brûler. Et puis, on a l’air de quoi ? Il cherche à nous impressionner ou quoi ? ». En fait, Jimmy savait déjà, à cette époque, sans avoir rencontré Elton John, que ce dernier vivait dans un monde qui était très éloigné de celui du commun mortel. C’était déjà « Sunset Boulevard » sur la Tamise. C’est la folle à son niveau le plus dingue, celle qui arrive chez Colette et qui fait fermer la boutique pour faire son shopping et qui achète tout en 4 exemplaires, pour être certain que ses 4 maisons principales auront chacune un set complet des objets qu’il vient d’acheter. C'est de l'extravaganza.

Elton John est un peu la vieille multi-millionaire anglaise, le mothership en quelque sorte. Elle a une responsabilité de mère par rapport à toutes ces stars gays qui ont faire leur coming out depuis 25 ans. Il doit préparer une fête pour Gareth Thomas as we speak. Mais ces hommes célèbres n’ont pas choisi de faire leur coming out uniquement pour être libérés de la peur du secret. Ce n’est pas uniquement une question d’identité ou de fierté. Ils n’ont pas envie de devenir des rôle modèles. Eventuellement, ils s’affirment en tant que gays pour pouvoir jouir des droits de tous les gays, c’est-à-dire : faire des conneries de gays. C’est ce que dit George Michael quand il se moque méchamment d’Elton en disant : « Je sais très bien qu’il attend que je vienne chez lui, chialer à sa porte, pour qu’on me mette en cure de désintox ». Il n’a surtout pas envie d’offrir ça à sa grande sœur Elton John.

Et je crois que l’Angleterre est en avance sur nous, en termes de coming out, parce que les Anglais vont beaucoup plus loin que les autres dans le délire de ce que l’on peut faire – ou non. Ce n’est pas seulement l’influence des tabloïds, le côté rance de la justice anglaise, leur violence urbaine, l’alcool, le foot, la force des séries à la « Little Britain » ou Catherine Tate. Ce sont ces dinosaures de la pop et du cinéma qui établissent ces limites, les Boy George et les Isaac Julien, les George Michael et les Ian McKellen. Et même quand Rupert Everett semble sortir des phrases définitives de vieux réac sur son coming out, il ne faut pas oublier qu'il n'aurait pas pu faire autrement. Il devait faire son coming out. Ces hommes ont souffert pendant toute leur vie des privations causées par la vie dans le placard. Quand ils arrivent à en sortir, c’est comme si leurs pulsions submergeaient leur self contrôle. Il faut qu’ils déconnent.

Bien sûr, en France, le pays où le off est roi, les gays au placard peuvent à la fois déconner, et jouir de leur cachette. D’où l’ennui.

jeudi 10 décembre 2009

Brian Kenny, already.


Quand je suis arrivé sur Facebook, il y a plus de deux ans déjà, j’ai commencé mon profil comme s’il s’agissait d’un album de coloriage. Ce qui m’intéressait, c’était de créer un groupe cohérent de personnes vivant à travers le monde, sur des critères totalement abstraits comme la beauté de la photo du profil, l’esthétique des noms, le côté pluriethnique et les associations de couleur entre chaque photo de profil. Pour cela, je cherchais des hommes vivant aux quatre coins du monde afin d’accentuer l’aspect international de FB. Je voulais voir comment les gays asiatiques vivaient, comment étaient ceux du Pérou ou d’Afrique. Et puis il y avait tous ces hétéros groovy amoureux de house. Mes critères étaient simples : des hommes sympas, avec un vrai nom, une vraie photo.

Comme je suis vierge de drague sur le net (pour pleins de raisons que j’ai déjà expliquées zzzz), j’ai découvert à travers FB cette étonnante capacité à pénétrer dans la vie privée des gens – ou ce qu’ils veulent bien présenter comme leur vie privée. Je ne prétends pas être infaillible, mais je suis assez bon pour déceler, à travers une toute petite photo, le caractère de celui qui l’a choisie. Le simple fait de choisir cette photo, et pas une autre, puis d’en changer au gré du temps, tout ça dit énormément de choses sur ce que l’on est, sur ce que l’on veut dire.

Donc, FB était pour moi du coloriage. FB a revalorisé quelque chose qui est très profond chez moi, l’amour du visage. On n’était plus dans la drague de la bite, on avait poussé à nouveau le curseur vers le haut, sur le visage, un truc très Magazine, très classique, très frontal. Comme choisir la photo de son passeport. Et FB était le reflet de l’énorme évolution récente du visage masculin. Alors, je demandais l’amitié d’un mec parce que je savais que la photo de son profil serait super jolie à côté de celle du mec qui avait un nom proche au niveau alphabétique. C’était une collection virtuelle de « mecs biens » au lieu d’être, comme chez d’autres, une collection de connards dark et pervers. Il s’agissait de mecs corrects, dont les photos illustraient une certaine vision de la vie. Et il suffisait de dérouler la liste d’amis (a l’époque présentée en pleine page sur FB) pour voir que c’était cohérent et joli à la fois.

Après, bien sûr, tout le monde est arrivé sur FB et comme ma politique est d’accepter n’importe quelle demande (à part ceux qui sont vraiment trop cons), la liste des amis FB ne pouvait donc plus ressembler à une belle suite de jolies cartes comme une réussite, pas grave, c’était juste un délire de folle au début d’un réseau social et je le savais. Je me doutais bien que choisir des amitiés FB avec comme principal critère la seule poésie de leur profil ne pouvait être un concept qui tienne sur la durée car il était forcément discriminant pour les autres. Et puis, FB est un outil de communication. Et il faut bien admettre qu’on communique rarement avec les plus beaux. Ça se saurait.

Ce qui m’amène à mon sujet. L’évolution de FB, depuis deux ans, marque l’arrivée d’un nouveau type de chef culturel – et je dirais même politique. Celui de la star porno. Je sais, vous en avez tous entendu parler, but, wait, j’ai encore un angle particulier ! Il ne s’agit pas forcément des blogs où l’on voit un aspect de la vie privée des stars porno qui, d’ailleurs, on le sait, ont du mal à s’en sortir en général, comme tout le monde. Il y a un mois ou deux, Tristan Jaxx, sur Twitter, balançait des trucs un peu durs comme le fait d’être viré sur le champ de son boulot alimentaire parce qu’il était encore arrivé avec 5 minutes de retard. Damn, le mec est une des stars de Raging Stallion, je crois même que c’est un de leurs executive producteurs maintenant. Pareil pour la vie un peu tristounette de Cole Ryan. Et je ne parle pas des grandes stars du porno de Colt comme Adam Champ, un mec très gentil qui fait beaucoup de tournées européennes pendant lesquelles il remue son cul dans des clubs pas très top.

Non, ce qui m’intéresse surtout, ce sont les photos où l’on voit que ces mecs vivent une vie que l’on ne peut pas imaginer, ni dans leurs blogs, ni dans leurs films. Un exemple très clair, c’est Jason Ridge. Pour moi, c’est un acteur respectable, qui est passé à travers plein de studios et de styles, mais qui n’a jamais été un de mes acteurs préférés. Les goûts et les couleurs. Ce qui est intéressant, c’est son album « Friends of Jason ». 177 photos, dont une majorité de snapshots boring avec toutes les stars du porno californien, dans le genre « je les connais tous ». Mais, wait again, il y a quelques photos intimes avec Damien Crosse, Adam Killian et surtout Blu Kennedy. Il y a 2 photos géniales où l’on voit Jason et Blu sur la plage, en train de marcher au bord de l’eau, en pleine conversation, pendant que Jason porte une planche de surf.

En fait, ce que montre cette photo, comme des milliers d’autres sur FB, c’est la nouvelle classe A gay. Je crois que ces mecs sont les nouveaux leaders de la culture gay, et je ne parle pas de ceux qui font partie du Circuit ou de ceux vont à Madrid et Berlin. Je parle de niveau d’influence. Il y a 40 ans, c’était les écrivains et les réalisateurs de cinéma qui étaient au sommet. Il y a 30 ans, c’était les musiciens. Il y a 20 ans, c’était les activistes. Il y a 10 ans, c’était les journalistes. Aujourd’hui, ce qui a le plus de valeur dans la culture gay, que l’on soit d’accord ou pas, c’est l’image véhiculée par des mecs comme Jason.
Il suffit de regarder leur following. Des milliers de personnes qui sont fans. Des mecs comme François Sagat qui font du « cinéma » ou de la « prévention ». Une sorte d’aspiration culturelle qui fait que l’acteur porno est le nouveau DJ. Des mecs comme Fred Faurtin ont plus de couvertures de magazines que les grands écrivains gays. Mon point, c’est qu’on ne sait pas si ces acteurs ont quelque chose à dire (et certains écrivent assez bien dans leurs blogs après tout), mais en tout cas, ce que l’on sait, c’est que s’ils disaient quelque chose, cela aurait plus d’impact que ce que nous pouvons dire. Il faut savoir l’admettre.

Ce n’est pas un constat d’échec. Mais le militantisme n’a pas la portée qu’il avait il y a dix ans et nous-mêmes, journalistes ou activistes, nous sommes désormais bien trop ancrés dans nos catégories, dans les préjugés des gens, pour parvenir à communiquer quelque chose de très nouveau. Le journalisme homosexuel n’est plus du tout cutting edge. C’est d’ailleurs pourquoi, dans les médias gays, toutes les signatures d’importance qui avaient encore du crédit, il y a 5 ans ont entrepris un travail de désacralisation de leur parole. Internet les a réduits à écrire des mini brèves, des articles sans analyse, des renvois vers des vidéos, à un non-engagement permanent sur les questions saillantes de notre société. Ils ne s'expriment plus. Ils sont blank. Ce qui contribue à une politique gay où personne ne prend de risque en son nom propre, tout le monde suit son plan de carrière : pour survivre, il faut disparaître. Un comble, au niveau gay. Et c’est quelque chose que l’on peut appliquer aussi à l’incroyable renouveau du fanzine gay. Des revues fantastiques partout, mais rarement des déclarations. Et surtout, ce qui domine souvent, c’est l’aspect un peu glauque. Ce sont des revues à problèmes.

Cette montée en puissance (si on peut dire) des acteurs porno dans la légitimité gay est récente. Avant, pour résumer, les acteurs étaient admirés, mais c’était des cons, des loosers. Ils étaient incroyablement doués dans leur sexualité, mais on voyait bien que leur célébrité ne les menait nulle part (à part Aiden Shaw, et encore).
Aujourd’hui, l’acteur porno voit son prestige croître au fur et à mesure qu’il montre à quel point il est performant. Le sexe n’a jamais été aussi technique qu’aujourd’hui. C’est une forme de spectacle, de show. Ensuite, il n’y a jamais eu autant de gays devant le porno et la célébrité devient instantanée. Il est donc possible de percer dans la culture gay à travers le porno, beaucoup plus vite et profondément que dans d’autres médias (à part Slimmy). Enfin et surtout, certains de ces acteurs parviennent, visiblement, à rester des mecs corrects. Je ne connais pas Fred Faurtin, je l’ai jamais rencontré, et je ne sais pas, par exemple, s’il est safe dans la vraie vie, mais dans ses films il tient à rester dans le domaine du safe. Je ne sais pas si Dean Flynn est con dans la vraie vie, mais tout me laisse penser qu’il est smart. Je ne sais pas si Blu Kennedy est un mec équilibré dans la vraie vie, mais chacun de ses films laisse penser qu’il est un mec hypra-sensible, quelqu’un de vraiment bien.

Il y a donc une séparation entre les anciens leaders politiques gays qui savaient attirer à eux la confiance et les acteurs pornos qui eux, se montrent souvent tels qu’ils sont, à travers leur manière de baiser ou de vivre. Les premiers cachent de plus en plus leur vie privée et ne sortent jamais des clous, ils ne révèlent rien de leur intimité. Oubliés les jours d’Harvey Milk et de Renaud Camus. Bonjour Roméro et Macé-Scaron. De l’autre côté, une flambée d’acteurs porno de toutes les couleurs (beaucoup de Français, ce qui est nouveau) qui ne cachent rien. Même à travers le sur-jeu et l’exagération, on sait reconnaître le gay derrière l’acteur porno, ça va, on n’est pas cons non plus. Il y a un mec pour de vrai, là, et il est plus authentique dans son rapport à la célébrité que n’importe quel leader LGBT, fade comme la mort.

Les acteurs porno sont donc au centre d’une époque où le paradigme de la prévention change (ce qui les concerne directement) et où les attentes des gays stagnent. Le militantisme peine à apporter des améliorations concrètes dans la vie des personnes LGBT. S’engager dans l’associatif n’a pas grand-chose de valorisant de nos jours. L’écriture ? les gays s’en foutent un peu, ils veulent de l’image. Du coup, ceux qui deviennent internationalement célèbres, ce sont les Tim Kruger du porno et les Brian Kenny de l’art.

Ah, si au moins le militantisme avait son Brian Kenny. Le mec est un héros. Il est parfait. Tout serait tellement plus simple si on en avait un sous la main. Il suffirait que Brian Kenny dise « Everybody get up » pour que tout le monde se lève comme dans une pub pour Danette. C’est ce que décrit Malcolm Gladwell dans son livre « Blink ». Le chapitre 3 se demande : « Why we fall for tall, dark, and handsome men ». Il est donc à craindre désormais que le message dépende énormément des capacités télégéniques du messager. Ce qui a toujours existé, mais avant c’était un élément parmi d’autres. Aujourd’hui, c’est l’élément N°1. Sur mes 2800 amis FB, il y a au moins une trentaine de mecs qui casseraient la baraque s’ils émettaient un cri, une alerte, un appel. J’ai toujours pensé que le message d’Act Up passait bien il y a 15 ans parce qu’il y avait des beaux mecs à Act Up. Pas forcément ceux qui étaient porte-parole, mais ceux qui étaient dans la manif. Il y avait un système d’entraînement. Aujourd’hui le militantisme cherche son Brian Kenny et je pense que tant qu’on ne l’aura pas trouvé, on se retrouvera à avancer lentement, très lentement.

jeudi 3 décembre 2009

Le feu


À chaque fois que je poste quelque chose sur le jardin, sur Facebook, on dirait que je touche un nerf sensible. Il suffit de dire « Je commence le feu dans la cheminée » ou « J’en ai marre de l’ordi, je vais ramasser les feuilles » et cela provoque des messages persos, du genre : « Tu as de la chance » ou « Si je pouvais fais ça dans mon appartement à Paris… ». Mon ex Jean-Luc était obsédé par le feu dans la cheminée. Il était capable d’incendier l’immeuble pour avoir le plaisir d’entendre le feu crépiter et de jouer avec le tisonnier. Pour lui, cela faisait partie d’un standing, comme le fait de siroter son verre de vin avec les reflets du feu dedans.

Pour moi, le feu est plus proche de mon enfance. Quand mon père a vendu sa ferme, il y a deux ou 3 ans, j’ai ramené les chenets qui étaient dans la cheminée de notre maison depuis… très longtemps. Ils ont une forme très simple, de gros trucs heavy duty qui supportent de grosses bûches. Ils ont fait partie de notre vie pendant toute notre jeunesse. Il fallait vraiment que je ramène ces chenets chez moi afin qu’ils chauffent une autre maison, comme un héritage. Et dès qu’ils sont arrivés dans la cheminée, ils ont pris leur place comme si c’était la leur, solides, prêts à servir.

Les gens ont une vision magnifiée du feu. On sent bien, sur FB, que le feu dans la cheminée est devenu une notion très exotique. C’est comme si vous postiez une image du Nicaragua. La majeure partie des gens vit désormais dans des maisons sans cheminée. Je sais très bien que c’est impossible pour des raisons écologiques, mais j’ai toujours pensé que les architectes devraient mettre des cheminées partout parce que ça rend tout le monde heureux. D’une manière quasi instantanée. Vous lancez le feu et vous vous sentez mieux, tout de suite. Même quand vous avez un spleen ou un tracas. Ce n’est pas seulement la chaleur qui se diffuse, c’est cette idée très banale du foyer, que plus vraiment personne connaît de nos jours.

Il faut dire que je suis étonné de voir que très peu de gens savent lancer un feu de nos jours, lol. Je ne vais pas à nouveau parler de ça, je crois que j’ai déjà écrit une chronique sur cette perte de connaissance, et puis je ne vais pas faire mon Renaud Camus du pauvre. Mais il est évident que FB est un phénomène qui s’adresse beaucoup aux urbains. Et le feu n’a rien d’exotique.

Il y a même des gens qui sont un peu jaloux. Quand on fait un feu, il faut le surveiller, il faut l’entretenir, il faut considérer qu’une partie du temps doit être consacrée à ce feu. Ce n’est pas un truc qu’on allume et qu’on oublie pour passer 3 heures ensuite devant son ordi. Par exemple, avant de se coucher, la dernière attention domestique est accordée au feu. En hiver, c’est une chose qui se répète, tous les soirs, et les gens ne savent pas que ça finit par être lassant aussi. C’est pour ça que lorsque le printemps arrive, on est content d’arrêter de récolter les cendres, les sortir, ne pas laisser le seau rempli de cendres se remplir d’eau de pluie parce que c’est une vision glauque, surtout devant la porte d’entrée. Toute cette petite intendance qu’il faut avoir en tête pour que les fagots soient secs, que le bois soit à portée de la main. C’est le genre de détail qui finit par vous dépasser. Comme tous ces pulls que l’on porte avec un trou fait par une étincelle. Ou cette odeur de feu que vous apportez avec vous quand vous allez à Paris et que les gens disent : « Tu sens la cheminée ! ». Comme si c’était un truc très far out ! Comme les amis qui ne sont pas venus depuis longtemps chez moi et qui s’émerveillent en passant le seuil de la maison : « Woaou, ça sent le feu de cheminée ici ! ».

Il faut se dire que c’est pas grave, on a un trou dans le pull, so what. Bien sûr, c’est un peu étrange quand on regarde tous ces reportages à la télé sur tous ces gens qui passent leur temps à aller dans les magazines pour changer de fringues parce qu’il y a toujours des réassorts quotidiens chez H&M et donc, il y a toujours un truc neuf à porter. Imperceptiblement, avec chaque nouveau trou dans le pull, vous devenez une personne différente de ce qui est communément présenté comme « normal ». Comme tous ces gays qui posent sur FB avec des t-shirts super jolis avec du design et de la couleur et pas un seul ne semble fripé ou chiffonné. Vous êtes un campagnard, ce qui veut dire que vous ne pouvez plus prétendre à être à l’avant-garde et vous le revendiquez, puisque, look ! ça se voit aux trous que vous portez. Toutes les semaines, vous zappez sur D&Co sur M6 et vous réalisez que presque tout ce qui est montré est juste dernier cri. Vous aviez l’habitude de vous moquer gentiment de cette émission et là, le moindre carrelage est joli, teinté dans la masse, le moindre mur de salle de bains est un alliage super moderne que vous pouvez rayer comme vous voulez puisque ça s’efface d’un coup de chiffon. Et tout est comme ça, sortant juste des derniers salons de déco.

Alors, je mets une bûche dans la cheminée, je me sers un verre de jus de pamplemousse hard discount de Carrefour et soudain la peinture de ma cuisine apparaît telle qu’elle est : vieille de 5 ans. Horreur ! M6 a réussi à me foutre la honte, il est temps que je donne un coup de jeune à ma maison. Je réalise que je n’ai pas touché de pinceau depuis 4 mois. Que mon jardin, vu sous un certain angle, est délaissé. Que la fouine qui s’est installée dans mon grenier se sent si bien chez moi qu’elle a décidé de laisser une petite crotte (très jolie mind you) sur chaque fenêtre du 1er étage pour signifier : « Ici c’est chez moi, pas chez lui ». Que l’énorme rosier Mermaid n’est toujours pas taillé.

Il y a un an ou deux, quand je suis allé à Londres, j’ai été épaté de voir que tous les appartements des gens que je connaissais avaient bénéficié d’un extrême make over. Je ne sais pas si c’était le plombier polonais ou quoi, mais chaque appartement avait été refait à neuf. La cuisine, la salle de bains, les toilettes, l’escalier. C’était surprenant, surtout quand on a connu les salles de bains londoniennes des années 80 et 90, toujours froides, jamais isolées en hiver. Ce que je veux dire, c’est que nous sommes entourés de sollicitations qui aboutissent à des complexes qui nous amènent à dépenser, même si, au fond, la peinture de la cuisine est toujours propre. Même pour ramasser les cendres de la cheminée, il y a un seau particulier dans un salon international de déco.

Et je ne vais pas raconter ici l’histoire du tisonnier à 16.000 F (c'est une vieille histoire) de Bettina Graziani car c’est un private joke familial.