mercredi 27 janvier 2010

The Avatar kid


Depuis plus d’un mois, le monde entier commente « Avatar » sous toutes ses coutures et le film étant le blockbuster que l’on sait, chacun a un angle fétiche qui fait que James Cameron est déjà au centre de toutes les polémiques.

En tant que gay, je n’ai pas de problème à soulever sur ce film qui, malgré ses moments « Le Roi Lion » est un truc assez énorme, dans le genre divertissement, pour qu’on soit plutôt conciliant. Je trouve que le casting est parfait, je suis gaga de Giovanni Ribisi depuis « Friends », le suis gaga de Sigourney Weaver depuis toujours. Tous les gays sont en train de devenir dingues de Sam Worthington et je ne suis pas très original, ce mec est incroyable.
La seule chose que je trouve notable, et là c’est un point de vue très pouffiasse gay, mais c’est mon identité aussi, c’est que sur les images du tournage, on voit qu’il n’a pas fait de gym pour son rôle, ce qui est vraiment rare dans le Hollywood d’aujourd’hui. Quand on voit comment Matt Damon est retourné à la gym pour son rôle d’entraîneur poupon d’équipe de rugby dans « Invictus », ou la masse musculaire de Jake Gyllenhall dans le « Prince of Persia » à venir, devenir un bodybuilder est le truc le plus prévisible que peut faire un mec pour monter plus haut dans le box-office. Et on aime ça. Jason Worthington porte des tatouages tribaux sur les bras qui ne sont même pas jolis, une sorte de souvenir de jeunesse probablement, le truc qu’il ne fallait pas faire quand on est bourré à Brisbane, comme ce que l’on voit dans plein de films pornos où l’on se dit que, finalement, le mec serait mieux au naturel. Mais ces tatouages ringards montrent Jason sous un angle encore plus normal, c’est vraiment le mec next door australien. Et on aime ça.

S’il n’a pas fait de gym pour ce film, c’est quand même un sujet de discussion. Cela veut dire que Jason ne pensait pas que son rôle nécessitait des muscles supplémentaires, alors qu’il joue un marine très physique, capable de se battre. Surtout, c’est Cameron qui a dû prendre cette décision, puisque c’est un control freak total, ce qui veut dire que le réalisateur ne voulait pas jouer la carte du mec bodybuildé au point de ne pas pouvoir entrer pas son caisson de transfert avatarien. Les bras de Jason ne sont pas épais et pourtant je m’y connais assez pour savoir que c’est le genre de mec qui prend naturellement du muscle même quand il fait la vaisselle ou qu’il vous sert du poivre fraîchement moulu. Pendant tout le film, il y a des gros plans de son visage et de son corps et j’ai enlevé 35 fois mes lunettes 3D pour le voir mieux, c’est vraiment un acteur qui va nous entrer par tous les pores de la peau.
Maintenant, avançons un peu dans le descriptif. A la fin du premier tiers du film, Jason se laisse pousser ce qu’on appelle une « barbe sincère » et c’est là que l’on comprend l’incroyable angle du casting. Il n’a pas fait de gym pour, sûrement, mettre en valeur cette pilosité si unique chez lui. Sous son t-shirt, les poils de son torse sont tellement à l’aise qu’ils envahissent une partie du cou pour rejoindre le bas de sa barbe. C’est complètement rare dans le cinéma, cette pilosité non contrôlée, et surtout dans un film de cette ampleur où chaque détail est discuté par une équipe de spin doctors. C’est l’équivalent de ce qu’on a commencé à voir dans les années 70, avec des acteurs comme James Caan qui, non seulement étaient poilus sur le torse, mais avaient des épaules et un dos poilus (on voit ça dans « Le Parrain »). Cela ne s’était jamais fait avant pour un leading role. Avant, les seuls acteurs qui avaient du poil sur les épaules étaient, eeeeek !, les bourreaux masqués super gros dans les péplums italiens, toujours sur des échafauds ou à côté d’un bûcher où une princesse était méchamment la proie des flammes.
Le casting de Jason rejoint très clairement le look masculin qui a fait le succès de Jean-Marc Barr dans « Le Grand Bleu », des mecs d’une beauté universelle avec un visage sans défaut, tout rond, avec beaucoup d’émotion, au stade de devenir des symboles d’une époque. D’ailleurs, la très grande majorité des photos de Jason pour « Avatar » le montre comme s’il était dans un timbre poste, un visage fermé dans un cadre très serré, avec plein de bleu autour. C’est le vrai sens du mot icône. Après tout, le producteur du film, Jon Landau a bien résumé ce que je pense : « Ultimately, movies are about a close-up ».
Comme c’est son premier grand grand rôle, personne ne sait comment la carrière de Jason va se dérouler. Mais il a déjà endorsé la dernière pub de Coke Zero dans laquelle il exploite encore son côté boy next door à faire le pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle sur la pointe des pieds juste dans l’espoir de passer une nuit avec lui. Les gros plans de ce film ! On dirait vraiment qu’il a un duvet de poils qui remonte de son torse vers le côté droit de son cou et c’est si étonnant qu’on se pince pour savoir si c’est vrai, si on n’est pas en train de projeter sur l’écran ce qu’on a envie de voir (après tout, c’est un film en 3D).
Mais non, le mec a vraiment ces poils et sur sa page FB, avec près de 400 photos (que je ne peux vous montrer sur ce blog puisque depuis hier soir je suis déconnecté de FB, allez savoir pourquoi), on voit bien le détail de son anatomie à chaque fois qu’il pose avec sa chemise blanche ouverte. Pour un film aussi plastoc, Jason représente le degré total du mec naturel. Il ne se lave pas assez (Sigourney Weaver le lui reproche), il ne se rase pas (au début), il commence à être obsédé par cette merveilleuse jungle de Pandora avec toutes ces fleurs et ces frondes non déroulées de fougères de deux mètres de diamètre, sans oublier ces graines en forme de méduses aériennes qui lui font carrément l’amour. Et sur quelle partie du corps ? Sur le torse, là où sont les poils.
Le seul problème des gays avec « Avatar », c’est qu’on aurait préféré que Jason reste sans son avatar, juste pour qu’on puisse le voir davantage au naturel. Il y aurait forcément eu une scène de douche (c’est obligé lol), mais comme le succès de ces films est basé sur la frustration, il faudra attendre un sequel hypothétique pour nous dévoiler plus de détail.
L’analyse gay du film est donc, encore une fois, différente de l’analyse LGBT. Les mecs que nous sommes voient dans « Avatar » une grosse machine à faire du fric, tandis que tout le reste des minorités y voit une représentation de la suprématie masculine blanche américaine. OK, le mec est handicapé puisqu’il a perdu l’usage de ses jambes. Mais c’est pour mieux vous manger mon enfant ! Sur Melanine.org, l’article génial d’Analee Newitz « Quand les Blancs arrêteront-ils de faire des films comme Avatar ? » montre bien que tout le film est basé sur le sujet de la race, ce mot qu’on déteste si farouchement en France. Dans "Should a film show the real world or a better one?" de A.O.Scott du NYT du 23 janvier dernier, on apprend qu’une des grandes critiques vient des groupes anti-tabac qui sont furieux parce que la première apparition de Sigouney Weaver dans le film, c’est de gueuler pour avoir une cigarette. « Where’s my damn cigarette ? » Tout le monde trouve quelque chose à dire sur le film, d’abord parce qu’il a coûté une fortune, ensuite parce que ses bénéfices sont déjà colossaux, et donc le moindre détail prend valeur de symbole.

Quand je suis allé voir « Avatar », je me suis trouvé dans le cliché de la grande salle de Montparnasse, avec 25 kids de banlieue qui venaient voir le film avec leur prof. Ils étaient excités avant même d’entrer dans la grande salle, faisant beaucoup de bruit, des jeunes de 16 ans, blacks à 80%, deux tiers de filles, 1 pédé teenager efféminé obèse. Tous rigolaient beaucoup d’une manière inoffensive, ça se voyait qu’ils étaient contents, c’était une sortie très réussie.
La salle était immense, les kids se sont mis dans le fond, j’étais tranquille assez loin d’eux. Je savais qu’ils allaient faire les cons. Considérant que j’avais déjà trois semaines de retard après le lancement du film en France, je n’avais pas à surévaluer le moment, comme on dit. Après tout, je prenais mon train à Montparnasse quatre heures plus tard pour rentrer chez moi. All is good when you’re leaving Paris.
Vers les deux tiers du film, les méchants sont en train de détruire le grand arbre des Na’Vi et ce que je redoutais est arrivé. Les Na’Vi se sont mis à pleurer, exactement comme dans les images de ce qu’on a vu pour Haïti depuis quinze jours. Et toute la bande des filles antillaises s’est mise à exploser de rire. Plus c’était drama, et plus elles riaient. Elles n’avaient pas compris que la fable du film les concernait, dans un sens. Ou, peut-être, elles le comprenaient trop bien.
Je sais très bien que c’est ce qui se passe dans tous les films où l’on montre une minorité en train de se faire taper dessus. C’est arrivé pendant « Brokeback Mountain », quand les rires nerveux fusaient pendant les moments les plus tristes du film. Le public rigole nerveusement parce que des sentiments de souffrance sont exprimés, et même si c’est un film de divertissement comme « Avatar », cette moquerie concernait le moment central de l’allégorie écologique. Mais ce qui faisait rire ces filles, c’était les cris de la She-goddess, la femme noire qui a des pouvoirs de vision. La shawoman, si on peut l’appeler comme ça. Il doit y avoir un terme pour décrire ce fonctionnement de l’ironie devant l’anéantissement des peuples. Les Na’Vi, on le sait, c’est un mashup de toutes les peuplades qui ont été décimées par les blancs.

J’adore la sci-fi. J’aime tellement ça que je pourrais regarder des films de sci-fi tout le temps. Devant un cinéma, si je peux choisir entre un film de sci-fi et un autre genre, je vais naturellement voir le film de sci-fi (ou de gladiateurs ahahah). Je trouve que c’est un genre tourné vers le futur et je sais ce qui m’attire. Bien sûr, je suis un mec donc j’adore les effets spéciaux. Plus ça arrache et mieux c’est. Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est voir comment l’homme est décrit dans le futur, à quoi il ressemble, comment il se comporte et, finalement, s’il est meilleur. Je ne suis pas particulièrement dingue de James Cameron à cause de « Titanic » que je trouve dodgy. Mais je le respecte énormément pour « Abyss ». Et même si « Avatar » est l’exemple type du film où le héros blanc est un Messie blanc blah blah blah, ce qui est vrai, il y a des messages politiques dans les films précédents de Cameron sur la guerre nucléaire, les armées, l’écologie, la force de la nature et les riches qui sont tous des pourris, et c’est quand même plus large que les films à la con de François Ozon.
Il existe désormais une tendance de meute sur Internet qui fait que, quoi qu’on fasse, il va y avoir un groupe qui va s’offusquer . J’en reviens toujours à « Brüno » où les gays se sont trouvés offensés et le pire, c’est « Hancock », quand des groupes américains se sont mis à crier parce que Will Smith avait des remarques soit-disant homophobes sur le look des héros Marvel. Come on, Will Smith homophobe ?
Peut-être suis-je sensible à ces critiques parce que ça m’est tombé dessus à cause de trois phrases dans « Cheikh » sur les transgenres, mais fondamentalement, je suis effaré de voir comment Internet devient cet élément de meute sur des sujets où même une pointe d’humour n’est plus de l’humour, ne peut plus être de l’humour, ne sera plus de l’humour, comme le décrit dans son livre "You Are Not a Gadget" de Jaron Lanier, qu’il faut absolument que je lise.
Je veux dire, les médias gays sont les premiers à nous diriger comme le proverbial troupeau de moutons de Panurge vers le précipice de la bêtise, avec des questions assez connes qui soutiennent la promo d’un film (« est-ce que Sherlock Holmes est gay ? »). Ou mieux : « est-ce que Kylie Minogue est attirée par les femmes ?». Enfin, Kylie. Tout le monde a interviewé Kylie à un moment ou un autre et tout le monde sait qu’elle n’est pas lesbienne, ni bisexuelle.

vendredi 22 janvier 2010

Je te vois


Lors de mon dernier voyage à New York, j’ai ramené une quinzaine de bouquins sur le fait d’être cinquantenaire. J’étais persuadé que mon éditeur serait intéressé par le nouveau cliché générationnel : 50 is the new 30. Mais non. Fail. Ca ne l’a pas intéressé.

Ni les autres idées de bouquins : La crise ? Le NYT nous apprend qu’il y a toute une vague de livres à venir sur les gens qui ont été virés de leur job. Je peux témoigner ! Facebook et le temps perdu sur les réseaux sociaux ? Je peux témoigner ! Et vivre dans le silence ? Je peux témoigner aussi ! Je dois avoir le malheur de penser à des idées qui sont juste un chouïa en avance. En France, je veux dire.

Je crois que je ne vais pas vivre longtemps.
Cela fait 20 ans que je me dis la même chose. Aujourd’hui, je me suis fait injecter du New Fill et mon visage a récupéré dix années de jeunesse. J’ai meilleure mine qu’il y a dix ans, c’est un comble. Je ne dis pas que je vais mourir parce que je suis malade ; je vais très bien. C’est ce qui fait chier les gens, je suis très solide.
Je crois que je ne vais pas vivre longtemps car je n’ai vraiment pas envie d’arriver jusqu’à 2020. Maintenant que je ne suis plus à Têtu, je peux dire ce que je pense et ces dix prochaines années devraient être suffisantes pour couvrir tous les sujets. J’ai une liberté quasi-totale. Je n’ai même pas besoin de faire attention à mon train de vie, il y a quelques personnes sur cette planète qui s’arrangent pour que je ne manque de rien. Je peux écrire à mon rythme, pendant plusieurs années encore. Mon expression peut se libérer un peu plus avec le temps, sans inquiétude sur mes revenus, sur ma carrière, sur mes amours. Je suis blindé. Je suis autosuffisant. Je ne dépense rien. Je n’ai presque plus rien à perdre. Je n’ai même plus envie de faire de longs voyages à travers le monde, ceux qui coûtent la peau du cul, qui attestent de votre statut social. I don’t give a shit.

Je n’ai pas envie de vivre jusqu’à 2020 parce que je trouve que ça commence à bien faire. Dans ma communauté, on dirait que je suis le seul qui n’a pas peur de montrer son âge et de se retourner sur les décennies précédentes. Les années 60, c’était l’agriculture. Les années 70, c’était beaucoup de souffrance : les hommes étaient vraiment impossibles à rencontrer. Les années 80, c’était beaucoup de plaisir et de lutte avec l’argent, l’impression d’être toujours pauvre et malgré tout fier d’avoir toujours raison, d’avoir un flair qui ne se trompait jamais. Rencontrer l’homme de ma vie. Les années 90, c’était l’autre homme de ma vie, qui finit par me quitter, d’où le désespoir et la dépression, pour en sortir en me battant contre ce putain de complexe d’infériorité face aux activistes américains. Les années 2000, c’est l’écriture, le conflit, la solitude, la campagne. Le pouvoir de dire fuck you à des gens riches et de les confronter à leurs lacunes pendant des dîners, au risque de perdre la face et mon job. La cohérence, la fierté.

Apparemment, j’ai contribué au plus beau cadeau offert par les homosexuels à la société moderne : la découverte des antirétroviraux. Je n’avais jamais pensé à l’arrivée des antiprotéases sous cet angle. Je savais que c’était important. Je ne savais pas que c’était le plus important.
Le magazine New York a publié en décembre dernier un gros papier sur Larry Kramer. Ce dernier développe dans son livre à paraître une théorie qui m’a épatée. Kramer dit que la plus grande contribution des gays, c’est bien sûr l’évolution de la sexualité, la différence, le radicalisme, le style de vie. Mais il dit que la plus grande contribution de toutes fut celle qui a permis la découverte et la commercialisation des antirétroviraux, cette classe de médicaments qui a, on le sait, révolutionné le traitement du sida et qui commence à avoir un impact majeur sur d’autres maladies transmissibles. Selon Kramer, les gays ont un truc particulier avec les drogues (ça on est tous d’accord) et l’exemplarité du travail des homosexuels dans le sida (comment les malades parviennent à bousculer, changer, accélérer la science) est le truc le plus important que nous ayons fait depuis les années 50, c’est-à-dire depuis la libération du mouvement gay.

Kramer reprend là où nous avons perdu notre fierté. Ce sont les homosexuels qui ont rendu ces ARV disponibles, ce sont eux qui les ont offerts au monde (des pays riches aux pays pauvres). On peut donc quantifier cet exploit en termes de vies. Le mariage gay, par exemple, est encore loin d’avoir autant modifié les sociétés à travers le monde.

Je me trouve donc, et ça fait plaisir à lire, au centre de cette contribution. De 1989 à 2002, je n’ai cessé de travailler sur le sujet. Jusqu’à la nausée. Et les gens qui me critiquent n’étaient vraiment pas à mes côtés pour faire ce boulot, je peux vous l’assurer.

Imaginons maintenant que vous êtes richissime. C’est très très très facile de donner de l’argent à la lutte contre le sida. C’est d’une banalité hallucinante. Vous pouvez le faire sans verser une seule goutte de sueur. Vu sous cet angle, c’est presque gerbant. C’est un power trip comme un autre. Dans un édito de lundi dernier dans le NYT, Nicolas D.Kristof pense que le fait de s’engager (à contrecœur, un détail fascinant) dans une cause qui vous dépasse fait partie des plaisirs humains de base. Bien sûr, vous pouvez envoyer un chèque. Une étude du National Institute of Health (NIH) a montré que lorsque l’on vous sollicite pour donner de l’argent à une œuvre caritative, certaines parties du cerveau sont stimulées. Les mêmes qui sont sollicitées d’habitude pour des plaisirs égoïstes comme l’appétit ou le sexe.
Ce que je veux dire, c’est que les choses les plus importantes de ma vie, je les ai entamées contre mon gré, reluctantly, parce que je savais, à l’avance, que ces projets ne manqueraient pas de m’exposer à des personnalités dont je me méfiais, à raison. Avant cela, j’étais parvenu à vivre de mon travail sans dépendre de qui que ce soit, en étant indépendant, en vrai journaliste free-lance. Mais quand vous vous engagez dans des projets qui vous dépassent, vous savez que votre chemin va croiser, naturellement, beaucoup de porcs. Votre succès ne dépend alors pas de votre capacité à poursuivre la route tracée par votre courage. Il dépend de votre capacité à survivre à la mauvaise influence de ces gens.

Donc j’ai offert ma petite contribution à la société. Cela me rend puant de fierté. Et c’est vrai que faciliter la commercialisation de médicaments qui sauvent des centaines de milliers de vies à travers le monde, c’est quand même plus noble que s’engager pour que 1000 femmes Françaises ne puissent pas porter la burqa (suivez mon regard). C’est plus passionnant que servir la soupe à Marc Jacobs et passer ses aprems à faire les soldes pour s’acheter des conneries de Raf Simons. C’est vraiment mieux que dire aux pédés qu’ils peuvent baiser sans capote quand on sait qu’un bon nombre d’entre eux vont devenir séropos dans les 20 prochaines années. C’est mieux que ces folles qui ne s’engagent jamais et qui pensent qu’on ne « fait pas de bons livres avec de bons sentiments » ou des conneries de ce genre.

L’édito du NYT sous-entend que l’on tire plus de bonheur à s’engager dans une cause qui nous dépasse que dans le fait de vivre une vie privilégiée. J’en ai toujours été convaincu. J’ai toujours pensé qu’il me serait plus facile de m’attaquer à des projets irréalisables comme Magazine, Act Up ou Têtu, parce qu’il me serait beaucoup plus difficile de vivre une vie oiseuse de conne qui va à l’Opéra. La gerbe de la musique classique. Les privilèges. Le cirque. Les courbettes. L’aliénation.

Forcément, quitter Paris, c’est s’échapper le plus loin possible d’un abonnement à l’Opéra. Je peux vivre comme je veux. Même ma famille ne peut m’obliger à quoi que ce soit. Je ne suis pas obligé d’avaler mes convictions politiques parce qu’il faut dire bonjour à une pute qui a ses responsabilités à la Mairie de Paris et qui se trouve à dix mètres de vous en train de baver sur Anita Rachvelishvili dans « Carmen » à la Scala.

J’espère être mort en 2020. Parce que je vais passer les prochaines années à régler méthodiquement leur compte à ces connes que je déteste et je crois que lorsque j’aurai décortiqué par le menu (comme on dit) toute leur crasse, ce sera finalement une contribution pas si négative que ça en faveur d’un équilibre des choses. Parce que regardons notre époque en face : il y a beaucoup plus de porcs aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans. C’est évident. Les vieux n’en finissent pas de vieillir et les jeunes sont tous obsédés par l’argent. Nous traversons une crise sans précédent et que font les jeunes ? Ils rêvent de devenir Bryan Boy, cette wtf de blogueuse fashion, au premier rang des défilés de Milan, à deux places de cette wtf d’Anna Wintour de Vogue.

A un moment, cette gentillesse de Facebook, cette fausse politesse envers les amis qui vous ont déçu, ce respect pourri face aux riches, il faut dire non. Et même si cela risque de brûler votre vie, ce type de militantisme doit rester vivant même face à ces milliers de connes qui cherchent, sans cesse, à vous attirer vers leur superficialité et leur normalité. Cela ne vous saute pas à la figue qu’il n’y ait pas un seul gay de ce pays qui soit connu pour un engagement politique radical ? Je veux dire, personne ?
Donc, je pense que dans dix ans, j’aurai épuisé toutes mes forces devant la multiplication de ces porcs qui nous entourent, jeunes ou vieux. Et franchement, si à ce stade, je suis dépassé par une telle noria, je préfèrerai crever. Après tout, à 60 ans, ce ne sera pas un échec. Ça sera un cancer comme un autre.

Je suis séropositif depuis 1987, ce qui veut dire que j’ai tout de suite pensé que je ne vivrai pas très longtemps. Mes ennemis pensent vraiment que j’aurais dû crever et d’autres auraient dû survivre, ça aurait été plus juste. Manque de bol. Je trouve ridicule de réaliser que j’ai passé presque la moitié de ma vie à anticiper ma mort. Si on ajoute qu’à 5 ans, je pensais déjà me sacrifier pour que ma mère revienne à la maison et que j’ai tenté de me suicider à 17 ans parce que c’était décidément trop difficile d’être gay dans le Lot et Garonne, j’ai passé toute ma vie à m’habituer à l’idée de quitter ce monde. Je ne prétends pas dire que le passage sera facile, mais ce que je veux dire, c’est que malgré cette persistance de la mort dans ma vie, le concept de mort, chez moi, c’est quelque chose qui est pratiquement domestiqué. Je m’en branle totalement quand des gens célèbres crèvent. Je ne suis pas triste quand des personnes de ma famille décèdent. Je trouve normal que mes amis sidéens disparaissent après des années de souffrance. Le seul truc qui m’effondre, c’est de voir mes amis séronégas se suicider.

Mon point. Deux ou trois ans avant de mourir, mon ami Hervé Gauchet a commencé à m’énerver quand il partait au Maroc. Je lui disais, ça va, tu es malade et faible comme un chien, et en plus tu vas dans des endroits où c’est compliqué pour toi. S’il t’arrive quelque chose, comment on fait pour te faire revenir ?
Un jour, il était à Marrakech et il est allé dans le souk pour se promener. C’était l’après-midi, il aimait regarder. Ce jour-là, Hervé était épuisé et il marchait très lentement, comme s’il allait perdre son équilibre à chaque pas. À un moment, il s’est arrêté devant la boutique d’un artisan. L’arabe l’a regardé et il a fini par demander à Hervé s’il allait bien. Hervé a souri, comme il le faisait, et il a du dire « ça va aller, je reprends mon souffle ». L’arabe lui a demandé s’il avait mangé. Hervé a bredouillé non alors l’artisan l’a fait entrer dans sa boutique, il a demandé à son fils d’apporter un peu de tagine et du thé.
Quand Hervé mangeait, très lentement, comme il le faisait toujours, l’arabe le regardait et il lui a demandé s'il croyait en Dieu. Hervé lui a répondu « pas vraiment », ce qui a le don de désespérer les musulmans parce que pour eux, le fait de ne pas croire, c’est vraiment un truc triste. Le Marocain lui a dit « Ah c’est pas bien, il faut croire ». Sous entendu : en plus tu vas bientôt mourir, je le vois bien, tu n’as presque plus de force.
L’après-midi touchait à sa fin, une belle journée d’hiver quand le souk n’a pas beaucoup de touristes, comme si le commerce s’était arrêté avec Hervé dans l’arrière-boutique avec le Marocain, son fils et un autre vendeur, qui le regardaient finir ses légumes, avec un regard gentil et peiné. Il ne croyait pas en dieu, ce pauvre Français.

Depuis, Hervé est mort. À chaque fois qu’il allait au souk, il me ramenait un petit morceau de musc. Pendant des années, le parfum de ce petit cube blanc laiteux envahissait la boîte en bois dans laquelle je mets les médicaments qui m’ont permis de survivre. À chaque fois que j’ouvre cette boîte, le parfum est là. Et maintenant, le parfum s’estompe avec le temps qui passe, chaque jour un peu plus. Quand je n’avais pas envie de prendre mes médicaments, quand je n’avais pas envie d’être compliant, ce parfum m’encourageait. « Allez, encore un jour, encore une fois, prends tes médicaments ». Et quand Hervé passait me voir à la campagne, je lui disais que ce parfum était peut-être le détail minuscule qui m’avait gardé vivant toutes ces années.

Ce petit bout de parfum est un des talismans contre les gens avec qui je m’affronte. Quand Hervé allait au Maroc alors qu’il était malade, je me mettais en colère en lui demandant pourquoi il bravait un tel danger. Et je sais que tout le monde autour de moi se demande pourquoi je persiste à passer les dernières années de ma vie à me battre contre ces homosexuels riches que je méprise. C’est pareil. Hervé disait qu’il avait le droit de contredire la maladie pour quelques jours de beauté mystique à Essaouira. Moi, dans ma campagne, j’utilise mes dernières forces pour m’opposer à ces gens qui veulent détruire la beauté de l’homosexualité. Comme disent les Na'vis : « I see you ».

mercredi 13 janvier 2010

Juste la beauté


Je suis incroyablement heureux de voir le renouveau des revues et fanzines gays depuis cinq ans. Avec tout ce que l’on sait sur les difficultés de la presse, il y a des homosexuels qui s’acharnent à développer une liberté éditoriale et visuelle que les médias gays traditionnels ont du mal à offrir désormais, pour les raisons que l’on connaît. Il s’agit d’un tournant décisif de la culture gay moderne. Pendant longtemps, j’ai cru que l’époque de Magazine serait révolue pour de bon. Travailler avec le papier, aller à l’imprimerie, payer les factures de l’imprimerie, diffuser des revues d’une manière artisanale, se faire payer pour des pubs difficiles à obtenir, difficiles à conserver, dans le monde actuel, c’est un labour of love.
A New York comme partout, cela fourmille de publications. Il faut au moins un fanzine gay par pays. En fait, ce revival du support papier est une des adaptations évidentes face à l’omniprésence d’Internet. Comme je le dis toujours, Flickr est une mine d'hommes magnifiques. Laurent Chambon et d’autres n’arrêtent pas de me bombarder de sites qui rassemblent ces mecs. La photographie moderne regorge de visages et de corps. Je ne parle pas de bites ici, mais de portraits. Ces revues sont une manière de trier cette surabondance d’images et de faire du sens en choisissant certaines images plutôt que d’autres.
C’est ce que faisait Straight to Hell dans les années 80, quand Boyd McDonald juxtaposait des nouvelles de sexe (toujours bien écrites, avec beaucoup d’histoires de mecs qui se draguaient dans des coins paumés des USA, à la Joe Cage) avec des photos de mecs à poil provenant de studios divers, sans rapport avec le texte. Butt, Pinups ne cessent d’illustrer cette partie sexy de la culture gay moderne, avec un fort penchant bear, mais pas seulement. Il suffit de regarder la diversité des mecs dans le calendrier 2010 de Butt. Il y en a presque pour tous les goûts, comme on dit. Même si la colle de ce calendrier ne tient pas les feuilles, ce qui est l’erreur NUMERO UNO à ne pas commettre quand on se lance dans un calendrier qui, par essence, est un objet qu’on n’arrête pas de malmener. Les folles de Butt devaient avoir un lunch avec Marc Jacobs quand le calendrier est parti au brochage.
La France est encore à un bon niveau avec Kaiserin et Monstre. Belle impression, beau papier, un travail clair sur la maquette, une tradition du formalisme français, dont se réclamait Magazine à son époque. La très grande majorité des fanzines et revues pour hommes, à travers le monde, respectent des maquettes très basiques. L’American Typewriter de Butt est le même que celui de Maga. Ce sont des fanzines qui préfèrent souvent une impression en noir et blanc, pour mieux revendiquer un lien historique avec la vieille presse. C’est aussi une manière de garder des volumes pleins, des reliefs d’encre marqués, des trucs masculins quoi.
Les fanzines et revues françaises ont ce je-ne-sais-quoi d’inquiet qui ne m’a pas échappé, bien sûr. Monstre et Kaiserin ne sont pas des médias joyeux. Tous les autres titres étrangers sont plutôt happy happy happy, on ne parle pas trop de ce qui cloche chez les gays, tout le monde est sexy, c’est normal, ce sont d’abord des revues érotiques, il ne faut pas l’oublier. Les modèles de Butt sourient souvent et il y a un élément d’humour positif affiché. Il s’agit de la génération des gays de la trentaine qui a envie de vivre et de baiser, refusant de se caler sur la génération précédente qui a BEAUCOUP SOUFFERT LOL. Dans ces magazines, le sida est persona non grata.
Mais les Français sont plus inquiets. Est-ce que c’est un révélateur de la France ? Déjà, ils écrivent d’une manière beaucoup plus appliquée. On sent que ces garçons en ont gros sur la patate. Ce qu’ils veulent exprimer ici, ils n’ont pas pu le dire ailleurs. Le temps passe, les années aussi, et l’envie de s’imposer est brûlante. C’est très intense. Par exemple, j’ai totalement adoré le texte "Du voile et du placard" d'Ibrahim Abraham dans Monstre, mais je n’ai pas compris la première partie, tellement je suis cruche, ou tellement c’est compliqué. J’aurais été fier de publier quelque chose d’aussi brillant dans Minorités, même si je ne suis pas d’accord avec tout. Ce qui prouve qu’il y a des sujets transversaux qui apparaissent dans nos médias, sans pour autant rabâcher les banalités qui rassurent la communauté LGBT.
« Fanzine » a donc été un des mots-clefs des dernières années. Le renouveau du fanzine bouscule l’image des gays telle qu’elle se développe dans les pages des grands médias gays à travers le monde. Le type d’homme que l’on voit dans ces revues reste largement peu représenté dans les magazines majeurs. Et même si ces fanzines répondent à des niches très précises, avec des maquettes qui répondent à des codes bien définis dans le genre, certaines idées pourraient être adaptées par une presse dominante dépendante des nouvelles modes. Il y a plein d'idées dans No Milk Today ou Spunk.

Le seul truc qui me tarabiscute (un drôle de verbe !) avec ces fanzines, c’est (soupir, here we go again) le peu de noirs et de mecs de toutes les couleurs. Butt en choisit toujours quelques-uns, et montre aussi des latinos et quelques asiatiques, mais on ne peut pas dire qu’ils sont aussi intéressés à l’idée de montrer des noirs que des Espagnols ou des Jordaniens. Dans toutes les revues marginales, les noirs ne sont pas là. Ça m’énerve parce que ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Et ça m’irrite d’un point de vue érotique aussi, parce que je trouve qu’il faut vraiment le faire exprès pour ne pas tomber gaga devant toutes ces photos de blacks gays super beaux qu’on voit partout. Pareil pour les Arabes. Je ne parle pas de ces photos super jolies où les mecs posent devant des photographes pros, mais toutes ces photos où on les voit au naturel. Ceux que l’on voit dans ces revues, ce sont finalement ceux qui appartiennent au circuit des A gays, de la scène art/sexe/Liban/whatever qui est à la base de ces fanzines.
Ces fanzines, c’est toujours une affaire de mecs blancs, middle class. Et la lacune de la mixité raciale m’énerve d’autant plus que les gays qui dirigent ces fanzines vivent tous dans des pays où la mixité raciale existe dans la communauté gay. Par exemple, Facebook est un média de cliques, c’est bien connu. Mais même dans FB, on voit bien que beaucoup de personnes ont des « amis » noirs ou beurs ou turcs ou whatnot. Au moins, si ce n’est pas réel, ces minorités ethniques sont là grâce à un fantasme et j’ai la bêtise de penser que c’est déjà ça. Or il y a plus de mixité raciale sur FB que dans ces fanzines, qui sont pourtant le domaine du possible, de l’expérimentation, de l’audace.

Il y a un an, grâce à Facebook, j’ai retrouvé beaucoup de personnes avec qui je travaillais à l’époque de Magazine. Billy Miller, par exemple, qui dirige aujourd’hui Straight To Hell, faisait partie de l’underground arty de Chicago (je crois) et je possède encore des tirages photos de ses performances. Comme AA Bronson, il fait partie de ces mecs sympas et érudits qui n’ont cessé d’aimer ce support alternatif. Moi j’ai arrêté ces fanzines dans les années 90 et 2000, parce que j’en avais marre de la vie instable imposée par des factures d’imprimerie toujours en retard, mais eux n’ont pas cessé, ils sont restés fidèles. Quand le revival des fanzines est arrivé, ils étaient forcément aux premières places, avec des tonnes d’images à publier. Sur FB, il est très facile de repérer ce microcosme fanzine international, on voit clairement qui est ami avec qui, c’est aussi tellement plus facile de contacter les gens qui ont la même passion pour ces revues parallèles.
Si je devais faire un fanzine aujourd’hui, ce serait 1) soit Capture le projet de Thomas Doustaly, mais c’est son idée donc c’est pas possible 2) soit un fanzine qui reprendrait une partie de cette icono immense de mecs, gays ou pas, sur Flickr. En les mélangeant avec des photos de mecs vraiment bien de Facebook. Pas forcément les plus beaux (bien que), mais surtout ceux qui ont l’air d’être les plus sympas, comme lui par exemple.
Je pense même qu’il y a largement matière pour un bouquin Tashen. Exactement comme les fanzines comme Butt et Pinups illustrent d’abord une attraction pour les bears et les mecs naturels, et les sacralisent en tant qu’objets que l’on peut garder chez soi, il faudra bien que quelqu’un tente de figer une partie de la surabondance des photos de beaux mecs, d’où qu’ils viennent. C’est une question de santé mentale ! Par exemple, je retrouve désormais sur des sites des photos qui ont été, pour moi, la base de mon identité sexuelle. Des pleines pages de Playgirl d’il y a 40 ans. Je croyais être le seul à avoir un délire particulier pour telle image, je croyais surtout qu’elles étaient oubliées à jamais, et les voilà qui réapparaissent sur Internet.
De même, les librairies LGBT sont remplies de bouquins de photo érotiques où les mecs sont beaux, mais aussi très pétasses. Il doit y avoir un marché pour ça puisque ces bouquins ne cessent de sortir, et l’industrie porno a envahi ce créneau aussi. Mais il y a beaucoup moins de livres de photos qui montrent la vraie vie des centaines de milliers de gays à travers le monde
Ce qui se passe sur Flickr depuis plusieurs années est absolument à se tirer les cheveux. Et les gens ont besoin d’avoir un objet chez eux qui résume une partie de cette hypertrophie picturale. Exactement comme dans la musique. Plus elle devient virtuelle et plus les gens ressentent un désir confus de posséder un objet qui symbolise cette activité, qui sert de focalisation matérielle. L’iPod a servi à ça, c’est connu. Aujourd’hui, les vinyles réapparaissent. Il faut un livre qui résume et rassemble ces photos. Bien sûr, il y a le bouquin de Rough Gods, mais il devrait y en avoir beaucoup plus.
Dans la dernière décennie, il y a eu une profusion de livres de photographie sur le hip hop, le skate, le surf, les tatoos, tous les bouquins vendus chez Colette. Juste à côté, les revues et les fanzines. Ce sont des objets qui vivent ensemble. C’est pourquoi, par exemple, je ne fais pas de différence entre une revue et un fanzine. Le dénominateur commun, c’est de sortir des systèmes de diffusion de la grande presse. Et il y a eu assez de revues qui copiaient les fanzines et assez de fanzines qui copiaient les revues pour savoir que la frontière est souvent fine. Ces produits sont vendus ensemble. Vous trouvez Butt dans chaque grande libraire internationale et 50 mètres plus loin, il y a une boutique American Apparel. C’est comme ça.
Donc, pour moi, le rêve, c’est de revenir à des revues ou fanzines où ces mecs de Flickr et de Facebook sont réunis. Sans trop de blabla intellectuel. Sans trop parler de « problèmes ». J’entends certains dire que je n’y connais rien à l’art moderne. Comme si on devait être cuting edge sur tous les sujets. Comme si je n’avais pas remarqué le jargon de l’art moderne et à quel point c’est du bullshit. Moi ce qui m’intéresse, c’est un sujet beaucoup plus bête, beaucoup plus facile, beaucoup moins intellectuel. C’est juste la beauté. Il faudrait un Jamel Shabazz gay.

mercredi 6 janvier 2010

J'adore cet homme



4,000 Pages And Counting
January 4, 2010
New York Magazine

Larry Kramer’s boundless outrage changed the course of AIDS. Now, with his still-unfinished epic about America’s hidden gay past (George Washington, Alexander Hamilton), he’s furiously rewriting history again.

By Jesse Green


The Associated Press was at least half-right when it ran a headline, in 2001, saying Larry Kramer was dead. He was awfully close. Because he’d been sick for several years, many people who didn’t know him thought he had died already, presumably from AIDS. But AIDS, for so long his cause, was not Kramer’s problem. His long-standing HIV infection had never progressed, the virus perhaps having found that rare human host more ornery than itself.

Rather, he had end-stage liver disease, the result of a hepatitis B infection contracted decades earlier. His partner, David Webster, an architect and designer, kept him as comfortable and hopeful as possible in their Greenwich Village apartment and Connecticut country house. Still, at only 66, Kramer knew it was time to close up shop. He appointed a literary executor: Will Schwalbe, a young family friend who was then the editor-in-chief at Hyperion. Among the properties that would eventually fall under Schwalbe’s purview were plays including The Normal Heart and The Destiny of Me, the novel Faggots, the screenplay (from his Hollywood days) of Women in Love, and a raft of journalism, blog posts, op-eds, and historically important letters and e-mails. These were works that marked the world: that prompted, in a way rarely accomplished by words on paper, social action. He might have died proud of that alone.

And yet to Kramer, everything he’d been known for was just a prelude to a massive unpublished work called The American People, at which he’d labored on and off since 1978. All the plays and speeches put together would not equal it in extending his argument about the centrality of gayness in human achievement. It would also, he believed, deliver the coup de grâce to those who had for years forbidden his work entry past the polished gates of art, consigning it instead to the slum of agitprop. The American People would prove him a citizen of both neighborhoods, which were actually not even separate.

The only problem was that it wasn’t nearly done, and time was running out. “He had thousands of pages of manuscript,” recalls Schwalbe, who started working with Kramer on the material that summer, using index cards to map out the plot. “It was his legacy—and it was a mess.”

But Kramer didn’t die. On December 21, 2001, in a thirteen-hour operation, he received the liver of a 45-year-old Pittsburgh-area man who had suffered a brain embolism.

The new organ seemed to set Kramer’s clock back a few decades. His chest hair, white before it was shaved for the transplant, grew back black. The liver also seemed to recalibrate his humors, pushing his reflexive biliousness and melancholy sweetness to greater extremes. Perhaps that’s why it was possible, earlier this fall, to find him waving shyly from a leather-upholstered, artificial-flower-bedecked, horse-drawn carriage as it clopped through the streets of Dallas. Dressed in white overalls (they don’t disturb the scars the way pants do) and encrusted with turquoise (as amulets against relapse or rejection), he looked more like a retired folk singer than the gay world’s leading apostle of unrest.

He was, strangely, the honorary grand marshal of Dallas’s 2009 pride parade. Never having been so honored in New York, he was flattered. Still, after a lifetime spent in opposition, at 74 he seemed to find the perquisites of tribute both awkward and insufficient. What happened to the convertible he was promised? Was the day too hot for the horse? Would anyone listen to his speech at the end?

For he was aware that few of the 35,000 revelers along the parade route seemed to know who he was, despite a sign hastily attached to the coach and despite a three-minute biographical video that for the previous few weeks had been looping in gay bars amid the regular fare of sports, music, and porn. The video, produced by the Dallas Tavern Guild, which also produces the parade, emphasized the AIDS work that made Kramer both a hero and a lightning rod for controversy, in particular his co-founding of Gay Men’s Health Crisis in 1982 and, when that ended badly for him, his creation of ACT UP in 1987. Arguably, these organizations were responsible, in their good-cop-bad-cop way, for bringing drugs to market that now make it possible for millions of HIV-positive people to live reasonably normal lives. As a side effect, they also instigated a fundamental shift in the way the public participates in decisions about health policy and pharmaceutical research. His former archenemy, now friend, Anthony Fauci, longtime director of the National Institute of Allergy and Infectious Diseases, divides American medicine broadly into two eras: “Before Larry and after Larry.” So while it was nice that Dallas named him an honorary grand marshal, putting him in the company of such luminaries as Bruce Vilanch, why has this man not been awarded a Nobel Prize?


The gayest story ever told: Kramer's manuscript of The American People.

That they don’t have a category for pains in the ass is only one reason. Amnesia is another. History may be long, but gay history has to rebuild itself from scratch every few years. Though Kramer was a biblical figure, the Jeremiah if not the Moses of the AIDS struggle, his achievements are, by the standards of a fast-forward culture, archaeological. It was 1978 when the jaw-dropping Faggots scandalized the gay bon ton. (“How dare you give away all our secrets!” the playwright Arthur Laurents supposedly complained to him at the time.) Faggots might have sunk permanently under a wave of hostility had not the first reported cases of a new disease, three years later, made the novel’s famous warning to gay men (change your ways “before you fuck yourself to death”) seem prophetic. But a prophet was not what Kramer wanted to be. That he was for too long one of the few people screaming about “the gay cancer” (and collecting money to fight it at the ferry dock in the Pines) just made him angry—and the sentiment was reciprocated. In response to his 1983 New York Native article “1,112 and Counting,” a condemnation of government inaction and gay nonchalance now acknowledged as a landmark of activist journalism, he was dismissed by his peers as a nasty prude. And in response to his mounting disappointment with what he regarded as the insufficiently militant tactics of GMHC, he left—or got kicked out the door.

But that was 26 years ago, and the articles and screeds he produced as the devastation continued were already published as a historical collection (Reports From the Holocaust) in 1994. The Normal Heart, in which a Kramer-like figure named Ned Weeks acts all Kramer-like and gets ousted from an organization like GMHC, was old enough five years ago to deserve a revival at the Public Theater. The production made for rich entertainment but could not have given a young person any sense of the degree to which the original had guilted and galvanized audiences in 1985, permanently altering New York’s—and thus the country’s—conversation about AIDS.

Well, not permanently. The attention of gay people is mostly elsewhere these days. And though a few twentyish admirers thank Kramer for teaching them, via his books, to fight, they have little else in common with him. He was never much of a youth, even in his youth. In Faggots—a Boschian nightmare of sexual excess fueled, Kramer argues, by the characters’ internalized homophobia, but more proximately by drugs and alcohol—it’s the Kramer mouthpiece, Fred Lemish, who harshes everyone’s highs. (Kramer says that despite its humor, the book was not satire but pure reporting.) Today he barely drinks, and not just because of the new liver—yet he seems to find it unremarkable, or even exciting, that his partner co-owns a leather-and-jeans bar called the Dallas Eagle. It was in fact Webster, a member of the Tavern Guild, who proposed Kramer for grand marshal, keeping the whole thing a secret so as not to disappoint Kramer should the proposal be rejected.

Webster is almost uniquely exempt from Kramer’s absolutism, perhaps because it never worked on him. Fetishized in Faggots as the beloved but untouchable Dinky Adams, Webster kept Kramer at bay even when they were lovers in the late seventies; after they broke up, they did not see each other until seventeen years later, when Kramer sought him out to design the country house in Connecticut. Now Webster takes meticulous, if not exactly doting, care of Kramer: an apple, a bottle of water, and half a sandwich were neatly prearranged in Kramer’s parade tote bag. That the two men are together after all this time—though often in different cities—is, as Kramer sees it, a validation of the virtue of persistence, though it can also be read as the opposite; his persistence may be what originally pushed them apart. In any case, nothing’s perfect: “I know I’m not the love of his life, and that hurts,” Kramer says.

Clearly, though, Webster is the love of his: “I still look at him and can’t believe he’s here. I can’t believe he puts up with the likes of crazy me.” Webster says he does so by engaging not with “the public Larry” but with the “little boy who just wants to have a friendship.” As composed as Kramer is kvetchy, Webster prefers to be the “backstage wife”—to have “my own life and not live in his spotlight. Nor he in mine.” That was evident at the parade: When Kramer reached the end of the route and backtracked to watch the tail of the event, he shouted joyfully at the Dallas Eagle float, with Webster dancing atop it. Trim and distinguished, Webster is one of the few 62-year-olds who can still pull off the bare-chested-with-leather-sash-and-armbands look. But he did not hear Kramer’s cheers.

Being heard matters terribly to Kramer now. (Listening to others is harder; he wears expensive hearing aids that sometimes get misplaced and must be protected from the curious palate of his dog, Charlie.) Temperamentally unsuited to ceding the pulpit, he has never accepted the national gay organizations as competent advocates for gay people, and, in the wake of New York’s failure to pass a same-sex-marriage law, can only repeat his contention that state-by-state incrementalism on such matters is “a waste of time.” If it depresses him, that’s because it’s personal: “I can’t afford to wait for gay marriage in ten years!” he moans. “Unless something radically changes, I won’t be able to leave my estate in any sensible way to David, and everything we built up together suddenly won’t be there to support him. That’s criminal.”

Depression wasn’t so much a problem back in the days of his AIDS activism, when he was “operating on all cylinders.” The posture of opposition cured him, if temporarily, of the anomie and drift that had defined his awful childhood (bullying father, unprotective mother) and young adulthood (he tried to commit suicide during his freshman year at Yale). After his glamorous but unfulfilling movie career (mostly spent in London) and a big flop Off Broadway in 1975, he was happy to be fully occupied with AIDS. “It was a euphoric feeling: to be useful, to not have enough hours in the day,” he says. “And I came to realize that I had been given this, like a reporter who gets parachuted behind enemy lines and gets his first big story. I was the one left alive to tell it.”

But now that there isn’t any political issue he “wants to get in on or that wants me to get in on it,” what story can he tell?

Welcome to Larry Kramer’s Third Act.

At the moment, The American People towers high on a desk that has overtaken his book-lined living room. From a simple insight, it has grown to some 4,000 pages. “Ronald Reagan kept making speeches about ‘the American people,’ ” he says, “and it totally pissed me off because his American people didn’t include me or us. So that’s the name of the book, but it’s the gay American people.”

Kramer is stingy with details, perhaps because the book beggars description: a screed that swallowed a history, or vice versa; the combination further swallowing parts of Kramer’s oeuvre (Faggots and The Normal Heart are embedded in their entirety); the whole thing framed as a tale, complete with villains, heroes, and something like a plot. Whatever it is (he grudgingly calls it a novel, for legal reasons), he believes it to be an entirely true work. Certainly it’s epic. From primordial Florida swamps to the homophilic colony at Jamestown to Lincoln’s male love and the “holocaust” of AIDS, he reframes the country as a gay creation, culminating with the advent of modern antiviral drugs: “the single greatest achievement that gay people have accomplished in history.”

If the drugs were gay people’s masterpiece, he clearly intends this book to be his. How any publisher will produce it (in several volumes? As an e-book?) is not Kramer’s immediate concern, though Schwalbe hopes they can cut about 20 percent, and polish the rest, by 2011. In any case, what interests Kramer now is getting it done while he’s still healthy, and then getting it read. It’s not an intellectual exercise. He has a messianic need to show the world, especially but not only the gay world, how much it has lost to the bowdlerizing of history. Indeed, when I ask Schwalbe what previous work the book reminds him of, he immediately says Moby-Dick: “strange, visionary, moral, questing, and also filled with fascinating and odd digressions.” Not to mention an authorial stand-in who is part all-seeing Ishmael and part maniacal Ahab.

“It’s not some suburban novel,” Schwalbe adds. “It’s a history of evil in America from the dawn of time, and I don’t mean bad upbringings but real evil: malefaction. And it’s a history of gay people from the dawn of time. The denouement is when evil attacks gay openly, in full force—and the cataclysmic effect that has.”

Though The American People includes controversial sections set in worlds and times Kramer has himself experienced, it is his “queering” of beloved historical figures that will surely get the most attention. “His idea of history is that everyone was gay: Joe Louis, De Gaulle, anybody,” jokes Kramer’s friend and Yale classmate Calvin Trillin. With Lincoln, at least, Kramer isn’t alone; recent academic studies, and articles in the popular press, have debated the nature of Lincoln’s feelings for his roommate Joshua Speed, with whom he shared a bed for four years and a loving correspondence thereafter. But Kramer says he has new evidence, including details of other male lovers, that expands on accounts that first came to light when a diary and stash of letters were supposedly found under the floorboards of a building in which Lincoln and Speed lived together. Even so, what he writes about other famous names in American history will, he advertises, prove “far more stomach-turning” to the masses.

“I do not think it is too much to state that Washington was major gay,” he says. “That the big love of his life was Hamilton, who returned that love, and that Lafayette and Washington were involved with each other romantically over many years. Others I go into include Lewis, who was desperately in love with Clark, and who committed suicide when the expedition was over and he would be with Clark no more.” He says he has “much, much better stuff” about J. Edgar Hoover than anyone has reported, as well as on FDR’s foreign-policy adviser Sumner Welles, former CIA counterintelligence chief James Jesus Angleton, and even Kramer’s old nemesis Ed Koch, who has lived in the same building as Kramer since he left Gracie Mansion, and who always denied joining the fold.

That the idea of “big queen” George amuses us—I giggled at Kramer’s phrase, and was upbraided—is itself a historical problem. However thin the proof he adduces, why should it seem silly or sacrilegious to investigate the matter? In any case, Kramer isn’t interested in proof, or facts, or the historian’s dainty calculus of context and social construction. He’s interested, ravenously, in the possibility, surely the likelihood, that at least some famous American men before 1968 had sex with other men. With their “nonstop effusive correspondence that rivals anything in Barbara Cartland,” he asks, do we imagine that none of them knew how to use their penises? In effect, Kramer is removing the quotation marks scholars have put around the flowery language of previous eras; he is turning “romantic” back into romantic and “love” back into love. When Hamilton, in a 1779 letter to his comrade John Laurens, writes that he wishes “it might be in my power, by actions rather than words, to convince you that I love you,” a sexual reading can seem unconvincing. But it’s harder to dismiss a line like this, from the same letter: “I have gratified my feelings, by lengthening out the only kind of intercourse now in my power with my friend.”

Academics may argue that the Oxford English Dictionary dates the first published use of “intercourse” in its sexual sense to 1798, but Kramer isn’t cowed by pedantry. Nor is he fazed by those who ridicule the historians on whose work many of his inferences are based. They have been marginalized, he feels, by a gay Catch-22 that casts doubt on the judgment of anyone who in seeking new understandings finds them.

Kramer can’t understand why “every gay person doesn’t agree with everything I say.”

Though he is “dying to say more” on the subject, and barely manages to stop himself before the name Andrew Jackson pops out, he doesn’t want to leave the impression that The American People is a cavalcade of presidential outings. Rather, it is an attempt to reveal history in a different light, in part by identifying gay heroes hitherto denied us. Neither the AIDS movement nor gay liberation in general created the central figure he dreamed of, around whom a cult of inevitability might form. In Faggots, a character Kramer says he based on Barry Diller is punished for failing to fill that role despite his wealth and connections and access to the tiller of popular culture. Many others have been found wanting since. Kramer himself clearly hoped to be what Malcolm X was to Martin Luther King: the scarier radical who made the more presentable figure look moderate. But since no gay Martin Luther King came along, Kramer went looking for him in the past.

It was not hard to find him, his long legs and stovepipe hat sticking out from beneath the rumpled bedclothes. But bringing gay Lincoln to life has been a trickier proposition and directly led to what Kramer calls, along with his fallout with GMHC and the “self-destruction” of ACT UP, one of his major life disappointments. It began when Kramer’s good friend Tony Kushner told him over lunch that he was working on a screenplay about Lincoln for Steven Spielberg. Kramer pounced at the opportunity: “I hope you’re going to make him gay,” he said. Kushner wasn’t sure, so Kramer followed through—for three years—with a barrage of e-mails and references and offers to set up meetings with people who might be convincing. Communications eventually broke down, with Kushner telling Kramer (as Kramer recalls): “Why must everybody agree with you?”

“How could he not have agreed?” Kramer indignantly asks. “And how could he not have used his position of power in being the writer on this script to at least promulgate the possible notion that he was gay?”

Kushner, whose blurb on the paperback edition of Faggots describes it as one of the “few books in modern gay fiction, or in modern fiction for that matter, that must be read,” remembers it differently. “Anyone who’s been in a situation like this with Larry,” he says, “and many people have, will find implausible his account of what happened, in which he’s made himself sound reasonable and interested in serious discussion. From the first moment I told him I was writing the script, he made it clear that our friendship wouldn’t survive should I fail to obey orders. It got uglier after that, or rather, Larry’s rhetoric and behavior did. Finally, this spring, I stopped responding to his e-mails.”

I ask Kramer if the way Lincoln might be portrayed in a Hollywood film was worth losing a friend over—in particular a man he used to describe as a comrade and, yes, a gay hero.

“I don’t want him as a friend if he’s going to be this kind of a person,” Kramer answers instantly. “He disappointed me mightily. He was no longer a gay hero, because he was not willing to sign on to this fight. There was enough information out there for him to create a character in which this was possible, and he was refusing to do that, and I don’t know why.”

Kramer seems genuinely mystified, but this is a man who also says he can’t understand why “every gay person doesn’t agree with everything I say—and I’m serious!” Others might argue that the requirements for a movie are not the same as those for an academic biography. That an artist gets to write what he wants. (“I don’t submit my work for political preapproval to anyone,” says Kushner.) That there are things about Lincoln more important than his being gay, if he was. But Kramer’s lifelong project has been at all costs to expand and complete the historical picture; art is not separate from politics or exempt from its exigencies. Odd that in this argument he should have turned against Kushner, of all people, who has done as much as anyone in that cause. And yet not so odd, if you interpret Kramer’s quest as an attempt to find and promote a great gay father in history since there was none in his childhood or, despite his desire to manufacture one, in his life since then. In that sense, Kushner did something far worse than refusing to toe the Kramer line: He assassinated gay Lincoln—this time, at the movies.

“I’ll be happy to discuss my thoughts about Lincoln,” says Kushner, “if and when my screenplay—not one word of which Larry has seen—is filmed. Until then, perhaps he should drop his unhealthy obsession with my writing and concentrate on his own.”

Kushner is not alone in exile from Kramer’s good opinion. Kramer and Edmund White—another co-founder of GMHC—have been sniping at each other for years. Of White’s Farewell Symphony, a sex-drenched memoir-as-novel that resembles Faggots, except that Faggots is a critique of promiscuity while White’s book reads as a giddy cook’s tour of it, Kramer wrote: “There are so many faceless, indistinguishable pieces of flesh that litter these 500 pages that reading them becomes, for any reasonably sentient human being, at first a heartless experience and finally a boring one.” Now the feud has devolved into Internet mudslinging. In a Wikinews interview, White and his partner gleefully deride Kramer as “too ugly” to have fully participated in the seventies Fire Island scene and compare him unfavorably to “real writers” who don’t spend their time “yelling in public.”

Kramer doesn’t buy that opposition, pointing to the long tradition of great literature, from Swift to Dickens to Zola, that amounts to politics by other means. Rather, he justifies outrageousness as necessary, citing Joe Papp, who had nurtured The Normal Heart at the Public Theater: “If you haven’t made somebody angry, you haven’t done your job.” But the advent of electronic yelling has changed the stakes. When Kramer is inflamed, he doesn’t just schedule a speech but zaps an e-mail to everyone on his considerable list of very powerful names. In 2008, the writer Michael Cunningham, a friend since ACT UP days, found himself publicly shamed—in just those words, “shame, Michael, shame”—by an e-mail Kramer sent, as Cunningham puts it, to “about 10,000 of his closest friends.” The crime? In its World Voices festival that year, the writers’ organization PEN, of which Cunningham was a board member, had not included enough gay panels or gay voices. (Around a dozen gay writers participated, though it was hard to count; as Michael Roberts, then PEN’s executive director, says, the work of people like Kramer has in fact made it possible for authors not to define themselves on the basis of sexual orientation.) In a return e-mail, Cunningham suggested that “public shaming” may not be “the most effective initial reaction to a disagreement with a peer,” to which Kramer (according to Cunningham) replied, “Michael, stop whining.” Things quickly devolved into what Cunningham calls “a La Brea Tar Pits fight.”

“Gay people are being persecuted in ways that make noninclusion on a panel look petty,” Cunningham says. “I’ve been to a few protests about gay people being murdered in Iran and Iraq, and I haven’t seen Larry at those. I give him his due for what he accomplished. I think he has made a real difference in the world—and abusive and slightly crazy Larry doesn’t negate heroic Larry. Probably one wouldn’t exist without the other. But he makes a fundamental mistake in abusing people who are on his side, insisting on a macho form of activism that reminds me of what I call Bad Daddy or Bad Boyfriend. Maybe he underestimates what a powerful figure he is to so many of us. Or maybe he doesn’t.”

Bad Daddy may be the template, but Calvin Trillin suggests a family dynamic that’s just as telling. Arthur Kramer, eight years older than Larry and straight, “was the single best big brother in the world,” Trillin says. “And the most tested. If there was a way to find out whether he could push Arthur away, Larry explored it”—writing about him unflatteringly in The Normal Heart, just for starters. “And no, there wasn’t a way.”

Arthur, a lawyer whose firm became a leader in pro bono gay advocacy, died in 2008. Though Kramer has no time for psychological interpretations based in family history (he asserts that his life essentially started with AIDS in 1981), his grief over the loss of his brother—and over the suicide of his best friend and AIDS ally Rodger McFarlane, in May—seems to be amplified by his inability to identify an equivalent fraternal love in the world and its institutions, which keep turning into his father instead.

Not that he ever stops looking. Despite the profound unhappiness of his student years there, no institution means more to him emotionally than Yale—his father and brother attended, and his father made it clear that he would not pass muster as a son if he didn’t get “that piece of paper with Yale on it.” Kramer has made two major attempts to underwrite gay studies (and students) there; the first was rejected in part so as not to encourage separatism on campus, while the second, eventually known as the Larry Kramer Initiative, and financed by a $1 million gift from his brother, has now joined the list of his Greatest Disappointments. What he hoped would be an ongoing center for the study of gay history ended, after five years, in 2006: the victim (Kramer maintains) of bureaucratic infighting, gender-studies gobbledygook, and “a monstrous unacceptance of what I was trying to have taught.” A university spokesman says only that “Yale produces leaders and Larry Kramer is one of them. He is a prominent alumnus, and Yale is proud to be the home of his papers.” Kramer says that being treated so shabbily by his alma mater was shattering and forced him to take antidepressants. But to judge by his 1957 senior-class portrait, in which he looks as if he has been interrupted while crying, you’d have to conclude that the shattering happened long ago, and that Yale has something to answer for, then as now.

It is not news to Kramer that he loses friends and institutions the way other people lose glasses. Sometimes he says he doesn’t care, but other times he admits it pains him deeply. “I’m complicated, what do you want?” he explains. His good name matters to him; he begs me to contact people who will say nice things about him. There is no shortage of fans, in fact. But few are unmindful of the danger of exile, especially those who have returned from it. Alison Richard, the vice-chancellor of Cambridge university, says Kramer is now her “dear friend,” though she no doubt remembers his calling her a “termagant woman” when she was Yale’s provost and stood in his way. “How we got from ‘there’ to ‘here’ is among the joyful mysteries of my life,” she wrote in an e-mail, “and I’m content to leave it that way!”

For someone so loving and sensitive, Kramer has a strangely vague sense of the effect his anger has on people. After all, in writing an autobiographical character like Ned Weeks in The Normal Heart, he would seem in some way to be acknowledging, if valorizing, his own bullying. (Kramer admits that he can see his fingerprints on what happened to him at GMHC.) Having learned at an early age to fight back loudly—his father “never spoke in anything but top volume”—he may not even hear his yelling as an expression of anger. Trillin thinks it’s usually just pump-priming, a clearing of the throat. “But the essential thing about Larry and AIDS,” he says, “is that he was right. And the theater of it had an effect. It made you think: If this normally civilized man was acting in this manner, then it really must be as bad as he says.”

But who is the enemy now? Not that old standby, the medical Establishment, which gave him a liver and thus his life. Nor his insurance company; Kramer gratefully pays almost nothing for the thousands of dollars’ worth of anti-viral and anti-rejection drugs delivered monthly to his door. As for homophobia, it may now be too diffuse to respond to the full-bore strategy of a Kramer-style attack. The “lack of anger” he finds around him, and which he has attempted in recent years to replenish from his own apparently bottomless supply, similarly cannot be attacked head on. And sitting on a sofa in his third-floor apartment (he’s terrified of heights because they invite jumping), sweet little Larry—asking after one’s health, cuddling his terrier—seems to know it. Of course one quickly remembers that even pets are made part of the struggle. A few years (and another dog) ago, when Koch moved into his building, Kramer was ordered by management to keep his distance, at least verbally. So when Kramer ran into the ex-mayor in the mailroom one day, he looked at his pooch and said, “Don’t go near him, Molly, that’s the man who murdered all of Daddy’s friends!”

The weird hilarity of the remark made it famous, but Kramer wasn’t being funny; he was being true to his principles. “He’s so in-your-face, so outrageous, so offensive in his tactics, that for all the good work he has done he has been marginalized,” says Barbara Kellerman, who teaches Kramer alongside Lincoln and Lao Tzu in a course called Leadership Literacy at Harvard’s Kennedy School. “But that doesn’t mean the tactics aren’t necessary. Leadership is a question of the person meeting the moment. His extreme leadership met that extreme moment. It is arguably less suited to a moment that appears to be about slow and steady progress. Is Larry Kramer agile enough to adjust to the needs of the moment? That’s very much an open question.”

It was Kellerman who brought Kramer word of the latest—and, in some ways, most insulting—outrage against him, this time courtesy of Harvard. In October, the university’s art museum and Carpenter Center for the Visual Arts opened “ACT UP New York: Activism, Art, and the AIDS Crisis, 1987–1993,” but nowhere in the exhibit’s online guide is Kramer mentioned. Furthermore, in all the ancillary “programs, speakers, panels, readings, what-have-yous,” Kramer wrote in one of his e-mail zaps, “there is not one appearance scheduled for the person who started it all.” His anger was not assuaged by a curator for the exhibit who told him (he says) that they had decided “only to use ‘young people’ so that the Harvard kids would identify more.” “I was boiling over and wanted to say, ‘You are selfish and incompetent,’ ” he continued, “but all I could blurt out was, ‘These kids should hear me!’ ”

It’s not vanity, or not just vanity. Kramer is genuinely concerned about the fate of others, a fate in which he believes himself to be crucially involved. He therefore worries constantly about the project that failed, the friendship that cratered. Recently he’s been up nights working the e-mail list to set up (with Scott Rudin’s help) a production of A Minor Dark Age, a startling 1973 play that he thinks may revive his theatrical reputation. And when he ran into Cunningham at a holiday party, he humbly reintroduced himself: “I’m Larry Kramer.”

“I know who you are,” said Cunningham. The two men apologized and kissed.

But no matter how many e-mails Kramer circulates, or fences he mends, the danger of rejection is everywhere, inside and out. The present constantly renews its depravity. No wonder he has turned his attention to history: as a corrective but also a salve. In history heroes are treasured for their peccadilloes, not vilified for them. (Lincoln, gay or not, was a very strange, emotional man.) In writing The American People, he can write himself a context he wants to be part of instead of the context he actually lives in. He can join a bigger parade than Dallas’s, or even New York’s.

But for the moment he has come to the end of the route. The last float has floated. Thousands of revelers have collected to cruise and mingle in Dallas’s Lee Park, where Michael Doughman, the Tavern Guild’s executive director, introduces Kramer: “If you’re a young person you may never have heard this name, but he is a true American hero.” There is polite applause.

Kramer has shown me what he intends to say. He will remind the crowd how they are hated, he will criticize passivity in the face of that hatred, he will paint a picture of the glorious days in which gay people made progress because they “fought like screaming fucking banshees.” He will say gay people are smarter and make better friends than straight people, a contention that might surprise Tony Kushner, if not Lincoln. All of this will draw the usual divided response. Commenters on the Dallas Voice website will start an online shouting match afterward: “His bloated and self-righteous performance today is further proof that times have changed, and changed dramatically.” “If it wasn’t for people like us, most of the people you call friends would probably be dead now.” “I rest my case.” At least that will be better than the local television news coverage, which is next to nil, not only for Kramer but for the entire pride event.

But Kramer doesn’t yet know about any of that as he bounds surprisingly nimbly up the stairs to the dais, grabs the microphone, and stares at the crowd in front of him, like a lover who hopes his passion will be returned but from experience knows better. If he ever finishes The American People, these happy, ahistorical citizens will be his audience. “Can you hear me?” he shouts. “Are my words coming through loud and clear?”