mercredi 20 janvier 2016

Post-13 novembre : Netflix, Twitter et Nutella

Deux mois après les attentats qui ont fait basculer le pays dans l'état d'urgence, le constat est là : j'ai survécu grâce à Netflix, Twitter et un relapse dans le Nutella.

Disclaimer : je suis tout à fait conscient que ce n'est pas délicat de commencer un texte par "J'ai survécu au 13 novembre 2015 grâce à une pâte de chocolat remplie d'huile de palme".  Et je n'ai pas été payé non plus par Netflix et Twitter pour faire une promotion corporate. 130 personnes ont perdu la vie lors de ces attentats, des centaines ont été blessées, des milliers traumatisées. Tandis que moi, j'étais protégé à la campagne, rien ne pouvait m'arriver. Mais j'étais comme tout le monde, en colère, déprimé, impuissant, désespéré. Je savais que ces attentats allaient plonger la France dans un climat de haine et de racisme qui a été largement utilisé depuis lors des élections régionales et ensuite par les déclarations de Valls. Bref, l'apartheid social pour de bon.

Au bout de deux jours, impossible de regarder la télé et les news, ça me dégoûtait trop, et pourtant je suis un couch potatoe total, je passe mon temps à zapper. Mais là, c'était physiquement intenable. Alors, j'ai décidé de m'attaquer à un grand projet, comme regarder tout Downton Abbey que je n'ai jamais vu. Quatre saisons d'un bloc, pourtant j'ai fini par sentir que même les intrigues de cuisine me faisaient du mal. Impossible non plus de rattraper des séries comme Ray Donovan ou Luther, le moindre cassage de gueule policier était inapproprié. La France était en train de lancer son vaste programme de perquisitions musclées, tout le monde était sous écoute, la parano était grande. Je ressentais le besoin de films dépourvus de violence, de dessins animés, de documentaires animaliers. Je me suis donc dirigé vers les docus sur la nature, la jungle, les océans, l'espace. Mais j'étais si flippé que même les bagarres animales me mettaient mal à l'aise. Il suffisait que des bisons se tapent sur la gueule ou que des lions déchirent une gazelle et je devais détourner le regard de ce sang qui me rappelait la tuerie du Bataclan.

Netflix m'a aidé en me donnant la possibilité de regarder des programmes absolument pas nécessaires comme Under The Dome. Je ne fais pas de pub, je dis juste que j'avais besoin de cette plateforme qui n'avait rien à voir avec la télé et Facebook avec ces portraits en bleu-blanc-rouge, ces bougies à la con, ces montagnes de fleurs du lobby Interflora. Netflix m'a permis de rattraper mon retard sur des séries super idiotes, pour me vider la tête, et je dis merci. Ensuite, ce fut une avalanche de stand-up, encore plus de films comiques débiles. Je me retranchais.

Twitter fut le seul réseau social consulté pendant cette période. Il faut bien l'admettre, c'est le seul endroit où l'on peut encore critiquer le PS  et le gouvernement sans être exterminé dans la grotte d'Ouvéa (remember 1988?). Bon, on dirait qu'on est juste une vingtaine à avoir le courage de dire quoi que ce soit mais on se sent moins seul. Twitter a donc été un bon antidépresseur dans ces moments de panique nationale.

Au bout d'une semaine de ce lavage de cerveau, je commençais juste à faire surface. Dehors, la campagne normande était toujours aussi calme, comme elle l'est toujours à mi-novembre. Mais je sentais confusément un manque. Un goût bizarre dans la bouche. Un désintérêt culinaire qui faisait écho au dégoût des médias. Que me manquait-il?

Du Nutella. Ça m'est venu comme un drogué qui n'avait pas eu son fix depuis une décennie. Car j'en achète jamais en plus, j'aime tellement ça que je n'en ai jamais chez moi. C'est trop bon mais écologiquement pas sérieux, il faut se retenir. L'huile de palme, c'est haram. Mais je me suis rendu à l'évidence. Si ce n'était pas un moment Nutella, alors quoi, fallait-il attendre la guerre civile? Nutella m'est apparu comme la drogue du moment, une crème à la noisette qui fait perdre tous les mécanismes de défense diététique. Il me fallait du Nutella ou je deviendrais fou.

J'ai survécu à ces deux derniers mois mais j'ai perdu une partie de mon cerveau. Je n'étais plus le même. La déprime. Novembre, décembre, impossible d'écrire. Ce fut la plus longue période de ma vie sans publier quoi que ce soit, je ne me suis jamais senti aussi handicapé. Face à Valls, j'ai encore dégringolé l'échelle sociale, je fais partie de cette petite minorité qui n'approuve pas l'état d'urgence, tout ce délire constitutionnel, la perversité de la gauche, les mensonges. 85% des Français qui trouvent ça normal. Et apparemment, on est à peine 31% à se sentir mal, à vouloir tout quitter. Le dégoût définitif envers le gouvernement, la diversion, l'arnaque. Le désintérêt pour ceux qui veulent (ou qui peuvent) vivre comme d'habitude, leurs petites soirées entre copains, leurs anniversaires, leurs nuit de clubbing où l'on met une perruque parce qu'on a 30 ans et c'est super drôle tu vois. En Espagne, on voit une génération de militants arriver au pouvoir et en France, la génération des trentenaires qui ne fout rien en terme politique, surtout chez les gays. Pas le moindre début de sursaut social. Pour un pays qui manifeste pour tout et pour rien, l'excuse de l'état d'urgence est trop belle. J'ai bientôt 58 ans, c'est-à-dire 60 ans. Normalement, je devrais suivre les jeunes qui protestent. Mais je suis un vieux sans leader et c'est ce qui me rend le plus triste.

Netflix, Twitter et Nutella.

Le programme du pays pour les années qui viennent.