dimanche 1 novembre 2020

Vivre sans masque


 

Pendant des mois, je me suis empêché d'écrire sur le premier confinement parce que cette expérience avait été dure pour des millions de personnes bloquées en ville dont beaucoup avaient perdu leur travail. Il y avait aussi tous ces malades, l'irruption de la peur, les décès, les hôpitaux dépassés, la découverte d'une nouvelle épidémie. Pour moi, ces deux mois de confinement à la campagne ont été un moment inoubliable. Je ne me rappelle tout simplement pas d'une autre période de ma vie où deux mois consécutifs avaient été si marqués par le bonheur. Soudainement, la vie à la campagne est devenue magique. Je vis sur le bord d'une petite route départementale où passent quand même pas mal de camions (avec les années, j'ai même l'impression qu'il y en a de plus en plus). Et tout s'est arrêté d’un coup, à part le passage des agriculteurs du coin. Comme dans les villes où les rues se sont vidées, la campagne est devenue plus belle, et les taux de pollution dégringolaient à travers le monde. L'air était plus pur. La lumière semblait plus claire.

 

Chaque jour, je me réveillais avec une excitation inédite, le simple fait d'ouvrir la porte de la maison pour découvrir un silence total faisait bondir mon cœur. Pas de bruit, pas de chasse, les animaux de la forêt qui se promenaient sur la route, les migrations d'oiseaux qui se faisaient sans obstacle, c'était la réponse de la nature face à la consommation des hommes. La solitude, que je vis depuis des années, prenait alors une dimension éclatante. Mon potager était fini, laitues, poireaux et fraises marquaient le printemps qui arrivait, cette idée de décroissance qui est la mienne depuis longtemps semblait enfin arrivée. À la campagne, je me sentais plus protégé qu'ailleurs des risques d'infection et le confinement a été pour moi source d'hyper activité. J'ai nettoyé et rangé la maison de fond en comble, refait les peintures blanches des murs, rafraîchi toutes les portes et fenêtres, sans parler du jardin.

 

Dès le confinement, j'ai perdu le seul job alimentaire qui me restait, mais l'aide aux autoentrepreneurs a été rapide, efficace, enfin jusqu'au mois d'août et aujourd'hui je vis encore de la charité des ami(e)s pour boucler mes fins de mois (cette icône est à la droite du texte, si si vous pouvez la voir).

Pour la première fois de ma vie, j'ai accepté le fait de ne pas écrire pendant une longue période, ce qui était très libérateur. Le pays était à l'arrêt, moi aussi. J'ai commencé à me dire que l'âge de la retraite approchait, que je ne retrouverais jamais un job de journaliste, que l'épidémie devait nous inciter, nous les seniors, à laisser le moindre travail aux jeunes. Le confinement nous poussait encore plus vers la sortie. Cela fait aussi des mois que je n'ai pas eu de relation sexuelle et c'est précisément à ce moment que je me suis dit que ce n'était pas grave et j'ai accepté cette solitude comme une base de stabilité et d'acceptation. Je me suis beaucoup occupé de ma mère qui vit à trente kilomètres, en fait j'ai passé tout l'été à faire des bonnes actions.

 

Comme tout le monde, j’étais toutefois effrayé par l'accumulation de catastrophes à travers le monde, comme dans un déroulé de "Years & Years". Les feux en Amazonie, en Russie et en Californie, la fonte des glaces, le permafrost qui libère des tonnes de carbone, la sécheresse qui a frappé ici dès le mois d'avril, ce qui n'arrive JAMAIS, et puis cette politique française toujours plus à droite, violente, policière, militaire, médiatiquement raciste, incapable de comprendre le message de Black Life Matters, prolongeant une surenchère anti-arabe qui a abouti à une nouvelle publication des caricatures de Charlie. Et tout recommence. Il faudra un jour se demander combien de morts auront été la conséquence de la publication de ces dessins. Perso, je reste convaincu qu'aucune liberté d'expression ne justifie la moquerie d'un milliard et demi de musulmans. Nous passons nos vies à nous autocensurer pour le bien commun, mais il y a une poignée de connards qui a le droit d'insulter des millions de personnes, et les médias applaudissent.

 

Au début, j'étais en pleine boulimie de news sur ce nouveau virus. You see, j'adore les films de contagion, ce qui peut paraître paradoxal quand on est séropo depuis plus de 30 ans. Le fonctionnement des virus m'a toujours fasciné, j'ai même essayé, à un moment, de collectionner tous les films qui en parlent. Mais, très vite, je me suis réfugié sur Netflix et j'ai dévalisé tous les documentaires sur l'Égyptologie, la nature, les voyages, j'ai beaucoup regardé de bêtises sur les grenouilles et les oiseaux. Impossible de regarder les chaînes infos à part Euronews, France 24 ou les chaînes étrangères comme BBC, CNN.  Besoin de s'éloigner davantage. 

Cet été par exemple, je suis tombé sur Vice qui faisait appel à des témoignages sur les journalistes qui voulaient abandonner leur vocation, leur carrière. Et je me suis complètement retrouvé dans ces témoignages de conditions de travail indignes, de perte de confiance dans le métier, de dégoût. Zemmour et les autres m’ont fait détester les médias et les réseaux sociaux, je ne suis presque plus sur FB et je n’ai même plus envie de regarder les autres sur Instagram. J’ai passé ma vie à exprimer un point de vue marginal, minoritaire, aujourd’hui il est étouffé par le bruit nocif de CNews. Cela ne m’intéresse plus d’écrire la moindre chose sur la musique ou sur des sujets plus légers et je me désole devoir si peu de personnes de ma communauté  défendre les autres minorités exclues de la société.

 

Et voici la seconde vague et le nouveau confinement. 

Visiblement, tout le monde a oublié que nous avons connu une autre épidémie ces dernières quarante années. Une grande partie du legs historique, médical, social du sida a été perdu alors que les mêmes phénomènes se répètent : peur de la contamination, prévention, dépistage, course aux traitements et aux vaccins, magouilles de Big Pharma. Tout ce qui a traumatisé les gays pendant plusieurs décennies traumatise désormais la population générale. Après tout, les politiques de distanciation sociales sont très proches du safe sex des années 80 et 90 : réduction des partenaires, port du masque (ou de la capote), crainte d'être porteur asymptomatique mais contaminant, disparition des lieux de drague et de nombreux bars ou clubs, auto-contrôle et souci de la santé des autres. Les rivalités générationnelles apparaissent sur les comportements à risque et je ne suis pas le seul à voir des points communs entre le bareback classique du début des années 2000 et cette envie de vivre la vie "comme si c'était le dernier jour", les fêtes illégales étant assez proches des fêtes bareback, le besoin d'être rebelle, ou nihiliste. Le déni est le plus grand allié des maladies en général. Le consumérisme avant la santé, le plaisir avant la protection, le moment présent avant l'incertitude du futur. 

Vous vous plaignez parce que les librairies sont fermées pendant un mois. 

Nous, on a vécu sans sperme pendant vingt ans, bordel. 

Faites un effort, relisez vos classiques, je sais pas moi.

 

Comme au début du sida, les malades du Covid sont morts seuls, à l'hôpital. Comme au début du sida, ils ont été enterrés à la va-vite. Le travail de deuil n'a pas été fait pour de nombreuses familles à travers le monde. Et beaucoup de rescapés du Covid souffrent de complications mystérieuses, comme au début du sida. On a passé sous silence les derniers jours des plus fragiles, particulièrement en France où le black-out médical a été total à l'hôpital (pas de photos, pas de témoignages, invisibilité complète de la maladie). Ce type de drame a des conséquences psychologiques dans les familles et la société que personne n'aborde aujourd'hui. Il faudra s'attendre à un effet rebond de ces lacunes, qui se sont multipliées tout au cours de l'été quand le Covid a été mis de côté pour le sacro-saint plaisir des vacances. Nous, les anciens du sida, aurions pu être sollicités pour témoigner, mais personne ne nous a demandé notre avis, seuls les experts et les médecins ont eu le droit d'apparaître à la télé ou dans les médias. Seule consolation, la plupart étaient issus de la génération sida, ce que je remarquais déjà chez Slate en mars dernier

 

Pire, cette crise humanitaire n'a absolument pas fait avancer les sujets liés à la mort ou la survie en société, comme la possibilité de mourir dignement, la dépénalisation du cannabis thérapeutique, l'aide aux seniors LGBT, ou même le revenu universel qui serait pourtant la meilleure réponse à la montée du chômage et des précarités. Cet oubli de la génération sida est le résultat du mépris pour notre histoire et notre culture. Désormais, tous les sujets LGBT et sida sont sous la main d'un seul homme, Jean-Luc Romero, à la mairie de Paris, un homosexuel qui cumule une dizaine de "vocations" qui n'ont pas progressé depuis qu'il s'en est accaparé (je vous laisse le lien avec sa page Wiki parce que c'est édifiant).

 

Aujourd'hui, si j'avais 30 ans, je partirais de France. Comme je voulais partir de France en 1987 pour vivre à New York avec l'homme que j'aimais. J'aurais pu passer les cinq dernières années qu'il lui restait à vivre avec lui et j'aurais été plus efficace dans mon soutien dans ses derniers jours. Je comprends les parisiens qui quittent la ville, réalisant que la province est moins chère et souvent plus amicale. Cela fait 25 ans que je n'ai pas subi d'homophobie et je l'attribue à l'âge qui avance ("It Gets Better") et à la gentillesse des Normands. Grâce à la campagne, je vis sans masque. Je ne le porte que lors des courses que je fais pour moi-même ou pour ma mère. C'est un message personnel, forcément personnel car je n'ai pas de compagnon ni d'enfant. Mais c'est un message malgré tout, avant le long hiver noir qui nous attend. Cette crise va durer longtemps. Oubliez Noël si vous voulez voir 2021.



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