mardi 25 octobre 2011

Un monde d'hommes



Il y a des hommes que je n'ai pas aimés dans ma vie et je commence à accepter le fait que je ne les rencontrerai jamais. Sur Tumblr, on est régulièrement confronté à des idées comme "You only live once" ou "Bad decisions make beautiful stories" et à chaque fois, une partie de moi frémit car je sais que c'est un idiome dangereux qui encourage le risque le plus idiot. Et surtout, cela sous-entend que le moindre écart à cette obligation d'aller au bout de la pire connerie est une déception existentielle, ce qui est parfois vrai, mais il faut rappeler que la vie nous empêche parfois de réaliser tous ces rêves parce qu'il existe d'autres obligations qui sont au-dessus de ces rêves et l'expérience de la vie nous oblige, précisément, à ne pas se laisser dépasser par la frustration de ces rêves parfois impossibles à réaliser.

Depuis plusieurs années, je n'arrête pas de me dire que si j'étais tombé amoureux d'un Espagnol, ma vie aurait bifurqué d'une manière très importante en me dirigeant vers le sud au lieu d'aller vers l'ouest. J'aurais dépassé mes complexes face à la langue espagnole que j'admire tant et j'aurais découvert toutes ces étendues de terre à l'intérieur du pays, celles qu'on voit dans certains films d'Almodovar, une des régions les plus romantiques pour moi.

De même, je n'ai jamais rencontré d'Italien et je considère que cette lacune est un des échecs de ma vie car la langue est aussi si belle et c'est d'ailleurs pourquoi je n'ai jamais mis le pied à Rome. Pour moi, c'était la seule ville à visiter avec un Italien amoureux, il n'était pas question que je découvre cette ville comme les autres, avec un plan et au hasard. C'était amoureux ou rien du tout. Et puis, il y a tout le reste de l'Italie, car ce que j'en ai vu était déjà si énorme que je ne me sentais pas assez fort pour affronter ça tout seul, je suis un vrai gay classique dans ce sens, ces paysages italiens et grecs, pour ma génération, c'est le summum de tout, ça va au plus profond de nos tripes.

J'ai rencontré un Allemand et il m'a beaucoup influencé. J'ai eu la chance de tomber amoureux d'un jeune Canadien moustachu blond qui m'a laissé admirer son accent et ses expressions concrètes. J'ai eu beaucoup d'Anglais et même des skinheads avec l'accent écossais mais jamais eu de mec avec l'accent cockney ou de Liverpool ou de Manchester et je n'ai malheureusement pas eu le plaisir de vivre, même une courte période, avec un Irlandais à l'accent prononcé. J'ai eu un Chilien qui m'a appris des choses et qui baisait avec une régularité réconfortante, un peu comme ce bourge Versaillais souriant, poilu blond de partout, toujours à l'aise, toujours expansif, toujours en sueur. J'ai eu de belles histoires avec des Antillais qui sont parvenus à me faire très vite comprendre que j'avais un don inné pour leur plaire et m'accommoder de leur étrange caractère.

Mais je n'ai jamais rencontré de mecs avec des dreadlocks ce qui est une tristesse dont je ne me remets toujours pas, je n'ai pas eu d'histoire d'amour avec un arabe ce qui explique beaucoup de complexes, et je ne parle même pas ici du continent africain car vous ne voulez pas que j'aborde ici ce sujet tellement il est vaste. J'ai eu un Grec aux jambes blondes poilues (il y a un terme pour ça dans la langue grecque je crois mais je l'ai oublié), mais cela n'a duré que le temps d'un blow-job, je n'ai jamais rencontré de Turc poilu de partout et surtout des jambes, je n'ai pas eu un seul homme d'Europe Centrale et plus loin, de Géorgie, un pays qui symbolise pour moi un des centres telluriques du monde. J'ai eu un Israélien tellement gentil et qui sentait si bon que cela m'a ouvert l'esprit sur beaucoup de choses, je n'ai jamais rencontré de Russe mais cela ne me gêne pas car c'est une partie du monde qui ne m'intéresse pas, mais j'ai eu un Polonais généreux, blond et poilu, qui baisait si bien qu'il en a fait son métier.

Un des grands trous noirs, c'est de ne pas avoir eu d'histoire avec un Japonais, du genre de celui qui joue dans "L'empire des sens", mais je me dis de plus en plus que ces Japonais-là sont totalement inabordables pour des raisons extrêmement nombreuses et peut-être même n'existent-ils plus. Je n'ai pas rencontré d'Indien ou de Pakistanais et ça commence à me pomper grave car je les trouve incroyablement masculins et poilus et je suis assez en colère quand j'en vois de très jolis à Paris, surtout parmi les jeunes de la troisième génération. Les Chinois et les Coréens m'impressionnent de plus en plus, comme tout le monde de suppose, car le XXème siècle a fait semblant de ne pas les voir.

L'Amérique du Sud, c'est comme l'Espagne et le Portugal, des hommes d'une beauté hallucinante et là aussi, je fais partie de ces rares gays qui n'ont pas dépensé toutes leurs économies pour les rencontrer car je ne trouvais pas casher de faire du tourisme sexuel. Résultat : pas d'Argentins, pas un seul Brésilien, ce qui me met de facto dans une case où je dois être la dernière folle au monde à ne pas avoir été en contact direct avec leur beauté, probablement la plus aboutie sur la planète Terre. Il y a ici un sujet qui mériterait un livre tant la frustration est immense, pas uniquement dans le strict cadre sexuel, mais tout ce qui se cache derrière, les villes, les plages, la nourriture, les immenses étendues de pampas avec des graminées qu'on ne trouve que là-bas et qu'on est juste au stade de découvrir. Bien sûr, la langue, la musique, l'architecture, tout.

En remontant vers le nord, ce sont toutes les grandes îles qui me sont passé au-dessus de la tête, Cuba et Haïti, alors que je connais tant de gens qui sont tombés amoureux de ces pays, et le Venezuela et ses 2000 kilomètres de plages pratiquement intouchées et le piiiiiiiiiire pour moi, c'est le sud des Etats-Unis, la Nouvelle Orléans, la Géorgie, la Caroline du Sud, l'Alabama, la Louisiane, tout ça, le plus bel accent au monde pour moi, une sorte de piège fatal du sex appeal, quelque chose qui fait que vous êtes en demande de chaque mot, de chaque expression qui sort de la bouche d'un homme, ce qui est une situation très rare si vous y pensez une seconde. C'est comme un plus produit qui devient en fait presque plus important que la beauté et la sensibilité de l'homme, un puits sans fond, quelque chose qui se renouvelle chaque jour miraculeusement dès le réveil, même quand celui-ci s'avère difficile. C'est une introduction à tout ce méli-mélo complexe du sud, l'esclavage et la catastrophe, le choc de deux races qui se mélangent, l'origine de tout.

J'ai eu ma part d'Américains mais je n'en ai jamais eu assez, bizarrement, au stade où je pense désormais en langue anglaise, dans mon esprit les premiers mots qui me viennent sont souvent dans cette langue et il faut parfois que je me pose la question : "Mais comment on dit ça en français déjà?". Je n'ai jamais rencontré de Latino et ce qui me rend triste aujourd'hui, c'est surtout de ne pas avoir rencontré de métis Américain - Japonais ou Américain - Chinois car you don't wanna me to dwell on this.

Tout ce qui est protégé par le Pacifique est dans mon cœur le summum du summum. Tous ces peuples qui ont inventé le surf et le tatouage, les Maoris et les autres et plus on s'approche de la Nouvelle Calédonie, de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie, je ne pourrais même pas le décrire dans un texte si court. Tout le monde sait dans ma famille que mon père a failli s'installer en Nouvelle-Zélande avant de partir de l'Algérie et nous avons passé notre jeunesse à lui reprocher de ne pas l'avoir fait. Là aussi, mon amour pour ces hommes et toutes les ethnies qui peuplent ces îles est accentuée par une erreur du destin, quelque chose qui était si proche. La vie de ma famille aurait été toute autre et je rage de ne pas avoir grandi dans ces vallées remplies de moutons et des plus belles graminées au monde, et de voir ça à partir du début, dans les années 60 quand c'était vraiment vraiment un monde pauvre. Nous aurions grandi avec les chevaux et les moutons et les hommes qui les élèvent, avec la mer si froide mais si riche, la proximité avec l'Australie et le Japon et l'Indonésie. Quelle erreur de destinée, tout cela pour arriver dans le Lot-et-Garonne.

On aurait vécu avec la terre rouge, nos mains seraient épaisses et brulées par le soleil, nos corps se seraient développés malgré les complexes de l'homosexualité d'alors, nous saurions survivre pendant plusieurs jours dans la dureté de la nature, bref je serais un homme Brokeback Mountain au lieu d'être un activiste sida. Je serais reconnaissant à mon père de nous avoir extirpé du drame algérien que nous payons encore jour après jour, année après année, décennie après décennie et j'aurais forcément développé une fascination sans borne pour la culture française, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Je ne suis jamais allé dans ces pays, redoutant toutes les choses qui m'émerverveillent, les paysages et les hommes, pour ne pas voir ce à quoi j'ai échappé. Inconsciemment, j'ai utilisé toutes les excuses financières, ou la longueur des voyages, ou la peur de tout laisser tomber pour recommencer à zéro à partir du choix malheureux de mon père, ce choix qu'il a pris pour respecter sa famille et ses propres fils, ce choix qui l'aurait pourtant rendu plus libre. Ces choix qu'on ne peut pas toujours faire, contrairement aux slogans que l'on nous impose aujourd'hui comme "Vivez votre vie comme si c'était le dernier jour" ou "You only live once", des slogans que l'on impose aux jeunes pour des raisons strictement commerciales et qui nourrissent finalement la vente de jeans et d'Energy drinks. Cette Nouvelle-Zélande, qui vient de gagner la Coupe de Rugby, qui aurait pu être mon pays, je n'ose même pas la découvrir car je crois que je me mettrais à trembler dès l'apparition du premier homme barbu blond ou des graminées à flancs de colline, brutalisées par le vent et le froid, et par tous ces hommes d'Australie, surtout ceux qui sont arrivés de Grèce il y a quelques décennies et ces accents différents qui sortent de leurs bouches. C'est juste too much et s'il n'y avait pas eu le sida et l'obligation de me soigner dès 1986, je serais parti, je le jure, je serais parti loin pour renouer avec le rêve de mon père qui ne s'est jamais réalisé.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Un monde de graminées ! Vous parlez tout le temps de graminées Didier, j'adore.
Elena

PS : mes parents ont failli s'installer en Australie et ils ne l'ont pas fait. Mon père est resté au chômage à Rome (oui, comme Venise, on ne peut aller à Rome qu'amoureux) pendant 15 ans avant de retourner vivre en France après avoir miraculeusement retrouvé un travail magnifique qui lui convenait parfaitement. Pendant ce temps ma mère trimait comme guide touristique...

Fastbear a dit…

J'ai eu une histoire avec un italien de Rome. Joli barbu, poilu et bien cochon au lit. Il adorait me faire la bouffe et me promener à travers la ville sur son scooter... Puis un jour il m'a viré parce qu'il voulait un "vrai" mari :o)

Didier Lestrade a dit…

je suis gaga des graminées, c'est pas original, parce que c'est vraiment le truc à la mode depuis plus de 5 ans. mais tant pis, j'adore ça. Et Fastbear qui a eu la chance d'avoir eu un barbu romain! Tssss

Fastbear a dit…

@Didier. Te lire m'a d'autant amuser que mon mec d'après était espagnol :o) Un joli trapu à belle fourrure et belle barbe très noire et surtout il a été ma première relation avec un gars plus jeune que moi. Finalement lui aussi a fini par me virer !

Anonyme a dit…

c'est beau, déchirant, palpitant, mais ne faut-il pas vivre ses rêves pour ne pas rêver sa vie... j'ai rencontré un parisien, c'est mon premier, c'est pas si loin, c'est compliqué, mais je vais quand même essayer plutôt que rêver...

vitavi a dit…

Pas d'autres vies que la tienne
Les lignes de la main comme aiguillages
Train de nuit, les rideaux s'envolent
Saveurs de langues étrangères, rêves d'ailleurs, isla verde
Loin d'Italie, le lit défait garde l'empreinte de ses fesses collines
Survit un refrain : on dirait le sud

Yukiguni a dit…

Finalement votre genre d'homme c'est un peu comme une graminée, blond et poilu... je comprends pourquoi vous écrivez si bien sur votre jardin !

Arthur a dit…

Un de mes plus bel amour était avec une Japonaise. Après, il y a failli avoir une tahitienne, mais ça n'a pas collé. Et puis une Indienne aussi, mais ça n'a pas collé non plus. Maintenant, je vis avec une Française que j'aime infiniment, elle et moi allons parfois en Italie, l'exotisme c'est bizarre (je suis toujours amoureux de la Japonaise, quinze ans après !).

Et donc : merci pour vos mots, qui sont pour moi comme des perles de souvenirs.