dimanche 23 octobre 2011

Les noix


Il y a une impression désagréable dans la récolte des noix. Je crois que c'est un trait commun à toute l'agriculture, le moment de la récolte, c'est le plus énervant de l'année. Même si la récolte est bonne, comme cette année, et que les noix n'ont jamais été si grosses et si belles grâce à la pluie cet été, la vie quotidienne change car il faut les ramasser le matin et soir, c'est impératif.

Mon père avait déjà ça pendant la récolte des prunes, dans le Lot-et-Garonne. Il ne fallait pas l'embêter à ce moment-là. Comme la ferme était au centre de 4 fours à pruneaux, le travail se faisait jour et nuit car les fours ne doivent pas s'arrêter et il faut surveiller la cuisson et débarrasser les cagettes cuites pour y mettre les prunes à cuire. Chaque fin d'été, le bruit des fours était incessant, un vrombissement qui s'associait au parfum renversant, celle de la prune qui cuit, comme si une immense tarte aux prunes embaumait l'air, un parfum si chaleureux qu'on se demande pourquoi un parfumeur ne l'a pas encore commercialisé.

Ah bon, ça existe? Donc les noix sont à la merci de mes écureuils qui n'arrêtent pas de les piquer et de les enfouir dans les massifs, ce qui me donne une pépinière de jeunes noyers dans mon jardin, de très bons cultivars car ils viennent d'un arbre très solide et reproducteur. Le matin quand je me réveille, je le vois déjà en train de faire des allers et retours pour me piquer les noix sur le sol et il commence dès le lever du jour le petit salopiot et si je ne vais pas ramasser ce qu'il n'a pas déjà volé, il a gagné quoi.

J'ai beau offrir ces noix aux amis pendant tout l'hiver, ce noyer donne tellement que je ne sais pas quoi en faire. En plus, on ne ramasse pas les noix comme ça. D'habitude, ma pelouse est grillée en fin d'été et les noix se voient bien au milieu des premières feuilles mortes. Là il faut les chercher dans la pelouse toute verte qui pousse encore et enlever cette petite barbe noire qui entoure la coque parce que ce n'est pas joli autrement. Je ne garde que les grosses noix, les autres je les jette à la base de l'arbre, ça fait un petit cadeau à l'écureuil et peut-être même un decoy pour qu'il ne prenne pas les plus belles.

Il faut avoir un panier en grillage pour permettre aux noix humides de mieux sécher, moi je les laisse au soleil pendant la journée, recouvertes d'un tissu autrement l'écureuil vient se servir dedans directement le petit salopiot. Quand on a fini un coin sous l'arbre, on tourne tout autour du tronc dans un mouvement concentrique. Souvent, les plus belles noix ne sont pas sous l'arbre, elles sont à son extrémité extérieure, elles viennent des nouvelles branches plus exposées au soleil, ou elles ont roulé en tombant. Quand on a fini de faire le tour dans un sens, on recommence la même chose dans l'autre sens car il y a toujours des noix qui se sont cachées derrière une touffe d'herbe. Enfin, quand j'ai fait deux tours, je regarde toujours sous l'arbre avec le soleil derrière moi. La couleur des noix qui restent sur le sol ressort alors avec leur belle tonalité qui brille sous la lumière. Il faut aussi utiliser son pied pour sentir les noix sous les feuilles mortes, donc ça fait bouger toute une section du bassin pour gagner la taille fine. Après ça, je peux considérer que la récolte est finie. Avant le soir.

Ca tombe bien parce que ça fait un peu mal au dos. J'ai des amis qui n'aiment pas ramasser les noix et c'est vrai, il y a un côté tatillon et obséquieux dans cette récolte qui ne ressemble pas à celle des pommes ou des poires, même les petits fruits rouges. C'est un peu comme les prunes en fait. On s'en met plein les mains, les doigts deviennent noirs (juste un peu, arrêtez de crier), un ami m'a dit que ça ressemblait aux marques des poppers et c'est vrai, j'avais oublié ça. Mais l'odeur est magnifique, même si certains ne l'aiment pas. Après tout, le noyer est rempli de l'odeur du tanin, une substance que l'on conseille de ne pas ajouter aux massifs de fleurs ou dans le potager car c'est toxique. Pourtant, une des beautés de l'automne, c'est aussi d'écraser dans ses mains quelques feuilles de noyer et de renifler l'odeur poivrée dans le creux de la paume.

Le noyer ne demande aucun entretien, aucun traitement, mais il faut penser à couper les branches qui poussent à l'intérieur de l'arbre car elles ne servent à rien et réduisent la circulation de l'air. C'est un arbre qui n'aime pas la taille donc il faut le faire maintenant (je crois), mais je n'en suis pas sûr, quand la sève se retire des branches pour l'hiver.

C'est un arbre merveilleux pour la sieste et oui, c'est vrai, il est frais en été quand il fait chaud et non, je ne crois pas qu'on attrape un rhume parce qu'on a dormi dessous. En général, surtout en Normandie, le noyer a la délicatesse de coordonner sa récolte avec les derniers beaux jours de soleil comme en ce moment mais parfois, certaines années, elle tombe en pleine saison des pluies et ce n'est pas drôle du tout. Il faut ramasser les noix avec les gants, tout est gluant à cause des coques externes qui pourrissent et il y a toujours la goutte d'eau qui tombe de l'arbre dans votre cou, grrrrrr. Tout est humide, les noix doivent être mises dans un seau d'eau pour les nettoyer un peu, et ensuite mises devant la cheminée pour les sécher et qu'elles retrouvent leur belle couleur blonde. Tout ce qui n'est pas ramassé sera mangé, soit par les écureuils, soit par les corbeaux. Mais c'est le meilleur moment pour regarder ces animaux et l'écureuil est tellement excité qu'il s'approche de la maison car il cache les noix dans tous les massifs, même les plus proches. Il est capable de venir mettre une noix derrière une pierre juste à côté de la porte d'entrée. S'il pouvait, il irait en mettre dans le réfrigérateur de la cuisine.

Ils sont si mignons. Ils jouent à plusieurs dans le grand pin, ils font leur nid dans les charmes près de la maison, ça ressemble à une petite boule de nid de pie à base de brindilles et de feuilles, très haut dans l'arbre, ce qui fait que les jours de tempête ça doit être assez shaky. Avoir un noyer et un châtaignier côte à côte, comme chez moi, c'est l'assurance d'avoir des écureuils pendant des années et des années, bien qu'ils soient très fragiles et perdent beaucoup de petits.

Le noyer à aussi cette couleur d'écorce unique avec un lichen qui forme des taches grises presque argentées et d'autres jaunes vif, un excellent motif de papier mural si je peux me permettre. C'est un peu comme les gens de la mode qui n'ont pas encore compris que le plus joli motif de kaki camouflage, c'est celui du platane. Sortez dans la rue, regardez un platane et imaginez une veste Stüssy ou Supreme avec ce motif. Ah bon, ça existe? Moi je dis ça je dis rien, j'ai pondu le concept de la dernière expo d'Olympia Le-Tan lui disant il y a 5 mois qu'elle devrait faire des sacs à mains à partir des gros livres sur le sida ou les encyclopédies médicales qui sont toujours super bien reliées avec du brochage de la mort, des titres gauffrés en doré, des trucs comme ça sur gros tissu. Bing, elle fait une expo super jolie avec des drôles de canapés en forme de seringues et de logos de la Croix Rouge. Conceptuel or what.

Bref, l'écorce de noyer est magnifique et on aimerait bien porter ça sur soi, une veste avec ce motif-là, c'est reblogué 10.000 fois sur Tumblr, sans problème. Enfin, ce qu'il faut dire sur les noix, c'est que leur récolte n'est pas facile mais c'est celle qui ressemble le plus à la récolte des œufs de Pâques. Bon moi je n'ai jamais été dedans et quand on était petits, il y avait tellement peu de bonbons à récolter dans le jardin, et en plus avec 3 grands frères qui allaient plus vite que moi, c'était un non évènement, mais je suis sûr que parmi les lecteurs de ce blog certains y trouveront une sorte d'excitation fétichiste que je n'encourage pas mais qu'il était bon de signaler à toutes fins utiles.

3 commentaires:

Georges a dit…

Je n'ai pas pensé à la cueillette pascal, je n'ai pas le souvenir d'avoir souvent fait ça.
En revanche, j'ai pensé à ce noyer qui était chez moi enfant et qui me fascinait. Tout ce que tu décris me parle dans ce billet, qui est doux d'ailleurs, comme l'automne.

Anonyme a dit…

Les noix se repèrent avec le pied chaussé fin qui tatonne à l'aveuglette dans l'herbe.
En Iran, les marchands des rues les vendent toute blanche décortiquées et épluchées.
La confiture de noix est un délice d'Alep très difficile à réussir....
Merci pour ce beau texte.
Hyb

Didier Lestrade a dit…

Merci tous les deux. C'est vrai que j'ai oublié d'insister sur le fait de les toucher du pied.