lundi 27 juillet 2009

Stoopid Warning


Je m’en vais pendant un an et quand je reviens, c’est toujours la merde chez les associations. Il y a encore plusieurs mois, on disait qu’il fallait laisser la place aux « jeunes », que la présence des anciens ne permettait pas le renouvellement des idées et des alliances politiques. OK, je veux bien, ça ne me dérange pas de prendre un back seat pendant quelques mois. On verra bien, je me disais. Et puis, force est de constater (comme on dit), que c’est toujours le même bullshit. Avec beaucoup de fric, on s’arroge le droit d’écrire des préfaces sur les associations les plus radicales. Avec beaucoup de candeur, on se permet de dire que le débat sur la prévention est devenu plus « serein » alors que rien -mais alors vraiment rien- n’est en voie d’être réglé. C’est le règne de la magouille et personne n’en parle car tout le monde dépend de la magouille pour décrocher quelques milliers d’euros de subvention par ci, quelques billets d’avions payés par les laboratoires pharmaceutiques par là, quelques voyages en Afrique du Sud pour une conférence internationale que personne ne suit vraiment, quelques places dans des comités au sein des hôpitaux qui flattent l’ego. Les associations se justifient en croyant qu’elles poussent l’expertise médicale plus en avant alors que l’Etat leur donne des os à ronger qui les occupe pendant que les mois et les années passent. Les associations sont sincèrement persuadées qu’elles travaillent sur des « dossiers » quand elles ne font que s’épuiser pour tenter de rester à niveau avec les professionnels qui, eux, n’ont rien d’autre à faire. On croit que l’on va justifier une incapacité à agir en se plongeant de plus en plus dans un foutoir de données complexes, quand il suffit d’avoir une voix claire et juste, que tout le monde peut comprendre, sans tomber dans le misérabilisme associatif ou la bonne pensée qui satisfait tout le monde sans vraiment savoir pourquoi. Pendant ce temps, dans le domaine du sida, tout le monde dort.

Le dernier sommet de cette bêtise associative, c’est encore Warning qui nous l’offre. Dans l’article d’Olivier Jablonski du 19 juillet dernier, l’association critique les actions du Syndicat national des entreprises gaies (SNEG) comme si on venait de découvrir un Watergate homosexuel. Tout d’abord, il serait tellement plus franc pour Warning de dire que les messages du SNEG et de L’institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES) sont à l’opposé de ce que pensent Warning et Aides. Message de l’INPES : « Ne vous laissez pas infecter par les idées reçues. Rumeur N°4 : avec une charge virale indétectable, on est moins contaminant ». Oui, c’est une alerte officielle, émise par l’Etat, qui contredit directement ce que claironnent Aides et Warning. Et cela met ces deux associations dans une contradiction frontale avec la prise de position de la santé en France, qui n’a surtout pas envie de prendre sur elle la responsabilité légale des contaminations des nombreux gays qui sont en train de se convaincre qu’à partir du moment où un séropo prend son traitement, on peut avaler son sperme par tous les trous, et en grande quantité SVP.

Pour argumenter ses positions, Warning joue encore le jeu du fer de lance d’Aides. Cela fait des mois que Jablonski parle pour Aides. C’est une sorte de front de conflit, qui permet à Aides de s’exprimer, mais pas vraiment en son nom propre. Ce qui est très courageux, on l’admettra. Personne, dans la communauté sida ou dans la presse LGBT française, ose demander quels sont ces liens si solides qui rapprochent Warning et Aides. Personne ne semble intéressé à l’idée de savoir qui travaille chez qui, qui a suivi des missions chez qui, qui gagne de l’argent avec qui. Personne ne veut savoir aussi si ces paroles viennent de séropositifs, de séronégatifs, de personnes récemment contaminées, de personnes contaminées il y a 5 ans, ou 10 ans. Personne n’a vraiment envie d’illustrer le fil de ces positions depuis le milieu des années 2000 car personne n’a vraiment envie de remuer des alliances politiques tout à fait occultes, qui n’ont jamais été clairement exprimées, donc qui n’ont pas de légitimité politique – puisqu’elles sont opaques.

C’est ça la grande différence entre une parole politique crédible et le bullshit. Si un séropositif adopte une position politique parce qu’il s’est fait contaminer il y a 3 ou 5 ans, en plein conflit personnel sur le relapse et le bareback, son discours politique peut être complètement justifié – à condition que l’on comprenne mieux les conditions de sa contamination. On ne va pas commencer à raconter que les conditions de chaque contamination n’ont pas à être exprimées, ou revendiqués, avec tout ce que l’on sait sur l’engagement qui découle de cette prise de conscience de l’identité de séropo ou de séronéga. Je ne veux pas dire que le fait de devenir séropo fragilise en soi une position politique : j’ai précisément toujours dit le contraire, ça lui procure souvent plus de poids. Je veux dire que le fait de cacher son identité de séropo, et la date de sa contamination, met indéniablement un voile de doute sur tout ce que l’on peut dire. C’est le legs du militantisme sida depuis 20 ans et si on remet ça en question, dans ce cas, il faut le dire clairement. Le non-jugement a ses limites, nous avons désormais le droit de savoir à qui nous parlons.

Alors, quand on a dit ça, les critiques de Warning sur la « représentation » du SNEG sont assez drôles. Pour attaquer les positions de prévention du SNEG, Warning dit que ce syndicat des entreprises gaies outrepasse son droit en adoptant une ligne politique qui n’est pas forcément le choix des entreprises (bars, saunas, bordels) qui rejoignent ce syndicat. C’est un peu merdique comme bâton, non ? C’est tenter de décrédibiliser ce syndicat auprès des agences gouvernementales pour dire « mais, en fait, le SNEG ne représente que lui-même ! Au secours ! ». C’est vraiment débile.

D’abord le SNEG a une charte de prévention et ne cache pas ses convictions en termes de prévention. Ensuite, douter de la représentativité du SNEG, cela revient alors à douter de la représentativité de Warning, une association toujours très peu connue, formée d’un nombre réduit de membres, qui a est parvenue, sans grand effort, en 5 ans d’existence, à bénéficier d’une couverture médiatique somme toute très limitée. Ce qui n’a pas offert beaucoup d’infos sur les objectifs réels de cette association – et ses modes de financement. Sans ajouter le fait que le signe Internet de Warning semble relativement peu lu, puisque le nombre de commentaires laissé sur ce site est incroyablement proche de rien.

Warning se comporte comme une association qui parle comme si elle était formée de beaufs qui parlent à un comptoir de café. Quoi, c’est l’Etat qui paye les dispositifs de distribution de capotes et de gel dans les bordels ? C’est incroyable ! Sans rappeler que, justement, cet engagement dans la prévention des lieux hards est une victoire associative car il fallait bien une normalisation de l’accès à ces outils de prévention. Et la preuve officielle que l’Etat s’engageait dans des endroits où il n’avait jamais foutu les pieds (et n’oubliez pas que j’ai assisté à ces premières réunions de systématisation de la prévention dans les lieux gais - et Warning n’était pas là). Si Warning préfère que l’on enlève ces distributeurs, il faut le dire tout de suite. Ils en viennent même à écrire à Bachelot pour protester que les distributeurs de capotes soient payés par les contribuables français ! Envoyé le 22 juillet, c’est une lettre absolument irréelle que Warning pond encore : le SNEG serait présent lors des discussions du groupe de travail sur la prévention (Warning a quitté la table en 2005) et donc s’accorde directement les budgets de prévention. Totalement shocking. Moi, en tant que militant sida, ça fait vingt ans que je vois ça. J’ai toujours vu les associations comme Aides défendre leur fric devant tout le monde. Déjà, à l’AFLS en 1990, c’était le cas. Et c’est le cas partout, à Sidaction, à Solidays, etc... Si cela choque énormément Warning, dans ce cas, il faut être crédible et s’insurger contre toutes les magouilles des autres associations. Nous attendons avec impatience que Warning fasse son travail d’électron « libre » de la communauté sida en nous révélant des détails vraiment croustillants sur les millions que l’Etat débloque pour généraliser le test rapide par exemple.

Warning, tête offensive d’Aides, préfère se concentrer sur des pinaillages financiers certes intéressants quand on a rien d’autre à foutre, mais qui cachent que ces critiques ont un fond réel : Warning préfèrerait que les messages véhiculés par le SNEG et l’INPES changent de ton, de substance, de contenu. Ce qui énerve Warning, c’est que l’on poursuive un point de vue qui est clairement du côté de la personne séronégative. Que se passe-t-il si vous suivez les conseils de Warning et d’Aides sur la réduction des risques ? Si vous êtes séronégatif et que vous tenez à le rester, comment suivre ces conseils de réduction des risques qui sont surtout promotionnés par des personnes qui sont devenues séropositives au cours de la dernière décennie et qui gèrent ainsi leur propre échec de la prévention ?

Est-il vraiment nécessaire de se plonger dans les méandres des magouilles associatives quand on n’a pas le courage d’aller au fond de la description de ces magouilles ? D’où parle-t-on ? Une personne séropositive qui encourage à plus de liberté sexuelle dans la prévention a-t-elle autant de légitimité qu’une personne séronégative qui tient absolument à le rester ? Cela fait des années que je me positionne du côté des personnes séronégatives dans ce combat pour la prévention. À force de s’intéresser uniquement aux droits des séropositifs, afin que ces derniers ne soient stigmatisés, on finit toujours par oublier les droits des séronégatifs, toujours majoritaires faut-il le rappeler, que personne ne consulte, à qui personne ne tend le micro, pour qu’ils puissent exprimer leurs énormes craintes face à cette banalisation de la réduction des risques, qui leur ouvre la porte de l’inquiétude et d’une plus grande méfiance homosexuelle.

C’est bien joli de poser la question de la légitimité du SNEG et de l’INPES et de la date des réunions et tout ce bordel. Il est temps de se poser la question de la légitimité de certaines associations qui pensent la prévention uniquement pour faciliter la vie des séropos – tout en compliquant celle des séronégas, qui est assez complexe comme ça, merci.

 

 

11 commentaires:

Emmanuel a dit…

Welcome back Didier L.

Antoine a dit…

Tout à fait d'accord. Bravo.

Anonyme a dit…

Clair et efficace. Mériterait d'être davantage publié.

Stéphane a dit…

Bravo Didier, limpide et surtout juste. La prévention doit être pensée pour la majorité des gays, séronégatifs heureusement, et c'est en partant du point de vue des gays séronégatifs qu'il faut concevoir les actions.

Christelle a dit…

Hello Didier
Je pense que tu es le seul à pouvoir porter cette parole et tu sais bien que le journaliste qui enquêterait sur les liens opaques entre financeurs et associations pourrait se choisir un bon pseudo et disparaître ensuite, pour la rubrique jardinage... Bon papier, bon courage

Emmanuel a dit…

Christelle, faut pas exagérer non plus, c'est pas la mafia.

Enfin si, peut-être un gros groupe associatif qui fonctionne par fusion acquisition dans le cas où le journaliste travaillerait pour son journal...

C'est plutôt les petits arrangements et les compromissions d'associations devenues pour certaines des multinationales avec pléthore de salariés qui préfèrent gérer l'épidémie qu'y mettre un terme. Et puis les petites carrières que certains s'y construisent.

Mais le point fondamental de Didier à mon avis, ce sont les petits arrangements complaisants à l'égard du sexe à risque de certains séropos dans ces associations. Ceux-là qui s'offrent une bonne conscience à bon compte avec la réduction des risques.

Anonyme a dit…

Cher Didier,

excusez-moi la confusion entre intérêts publics et cupidi... pardon intérêts privés a tout intérêt à être relevée dans ce cas... ne serait-ce que pour la distribution des capotes...

Ok j'entends bien vos arguments Didier "normalisation ta ta ta" en lien avec tout le côté "mobilisation de la communauté gay". Mais depuis quand les gays ne forment qu'une communauté ? En réalité, cela fait sourire de voir Act-Up "nous sommes la gauche", proches des alters, s'allier avec une organisation patronale dont le but naturel est de maximiser le profit de ses adhérents... ?

En réalité c'est un comig-out car Act-Up est-il aujourd'hui réellement de gauche ? Pas sûr.

Cette attaque contre l'INPES est dégoûtante car le SNEG n'a pas à promouvoir une vision de la prévention dépassée, en France et ailleurs dans le monde, par les autres associations, par le CNS, qui a trop longtemps conduit à nier la liberté sexuelle de chacun (vos allusions injustifiables sur les "pratiques privées" des gens de Warning en disent long sur votre tentation à contrôler la vie des personnes -qui a dit "fachos" ?-, sinon à respecter leurs choix de vie).

En réalité, et mon Cher Didier, vous serez peut-être d'accord avec moi. Désavoué par le CNS, à mille lieux de la vie des séropos (un petit tour sur Seronet suffit à s'en convaincre) ,Act-Up ne peut pas continuer à exister. L'ayant quitté, vous êtes certainement d'accord sur le fait que cette association d'une rigidité cadavérique aurait du être dissoute au moment de l'arrivée des trithérapies...

Nico

Didier Lestrade a dit…

Ce qui est dit dans ce texte est surtout une mise au point pour Warning. En venir à chipoter sur la crédibilité d'un syndicat comme le SNEG (qui n'est pas vraiment un "syndicat" comme on le pense), c'est vraiment à mettre en parallèle avec la "crédibilité" de Warning. Au départ, Warning était à fond dans la prévention et une version très rigide de la responsabilité, c'est pourquoi on a travaillé ensemble pendant quelques mois. Et puis il y a eu un changement à 360° de la politique de Warning et je suis parti. Ce fut un échec triste pour moi. Warning s'en prend à l'INPES, mais tout le monde sait que Warning a participé à l'immobilisme de l'INPES en critiquant tout ce que faisait l'INPES. Quand on participe à des groupes de réflexion de ce type, le consensus, c'est le maître mot. On sait qu'on va accepter des trucs qu'on aime pas trop, à condition d'obtenir l'essentiel. Et on reste à la table des négociations. On sait très bien que pour faire passer la prévention gay dans les établissments et dans les médias, il faut passer par le SNEG. Et franchement, je n'ai jamais été fan du SNEG, mais il y a une constance dans leurs campagnes qui n'est pas seulement motivée par les intérêts financiers. On voit qu'ils croient vraiment à ce qu'ils proposent. Et Warning ne peut pas s'exclamer avec une certaine joie que "le CNS siffle la fin du tout préservatif" pour s'étonner que d'autres ne sont pas d'accord avec un tel usage du sifflet. Il y a encore des gens qui pensent que la capote ne protège pas uniquement du VIH. Derrière la capote, il y a ENCORE les IST, les hépatites, tout le reste. Je suis même persuadé que Warning ne pense pas VRAIMENT ce qu'ils racontent à longueur d'année sur la prévention, pour eux c'est juste du positionnement politique opportuniste.
Sur Act Up, je ne cache pas que je suis en désaccord avec la politique générale du groupe. C'est pourquoi je ne participe pas aux "réjouissances" du 20ème anniversaire. Je ferme ma gueule. Mais critiquer Act Up et le SNEG parce qu'il y a du fric à la clé dans la prévention, que dirait-on si ces campagnes n'étaient pas financées? Le fond du problème, c'est l'alliance Warning / Aides, et maintenant que je ne suis plus lié à Têtu ou quoi que ce soit, ça ne me dérange pas de dire ce que les autres pensent tout bas. Quand à Sernonet....

morue barbue a dit…

Nico,

C'est quoi la liberté sexuelle en 2009?
La liberté de se contaminer quand on est séroneg au nom d'une liberté sexuelle?

Tu fais comme si la liberté était un droit inaliénable hors de tout contexte.

Un contexte où malheureusement de plus en plus de mecs pratiquent le bareback, où sucer sans capotes est devenu une norme.
Un contexte où l'injonction de consommer du sexe, tous les jours, est imposée. Et je ne parle pas que des pédés.
Consommer du sexe pour la plupart des pédés, c'est comme aller faire ses courses avant de rentrer à la maison. C'est devenu un truc normal.
Si ce n'est pas avant de rentrer à la maison, c'est après sur des sites où les culs, les bites s'exposent comme de vulgaires morceaux de viande sur l'étal virtuel du net. Où le choix est immense. Où la "viande" plus trop fraîche est mise de côté. De toutes manières, il y a tellement de choix...

Anonyme a dit…

Oula ça sent furieusement le désir ton texte Morue Barbue.

Excuse-moi si t'es blasé à ce point, tu peux toi aussi te retirer dans un couvent (un vrai!), tu n'es plus obligé de vivre en société.

La liberté sexuelle implique évidemment "le droit" de se contaminer. La société du risque zéro n'existe pas sauf dans les (futurs ?) univers orwelliens.

Nico.

Emmanuel a dit…

Ton risque pour toi mais celui des autres?
Qui t'as parlé d'une société du contrôle?

Tu sais, j'ai un pote qui est bipolaire. Et bien moi j'enrage de savoir que quand il est down il aura face à lui des mecs qui ne se poseront même pas la question pour l'enfiler sans capote au risque de le contaminer.

Si toi tu trouves ça bien, pas moi. Cela me dégoûte et me met en colère.