vendredi 29 novembre 2013

Club lonely

Cela fait six mois que j'aide un mec qui m'a contacté sur FB. Disons qu'il n'allait pas bien et ce qui a commencé comme un simple échange de soutien a débouché sur un engagement de ma part parce que je ne pouvais pas laisser cet homme dans la merde, parce que surtout je le trouvais correct et aussi pas mal physiquement, ce qui ne fait jamais de mal. Un ami m'a sorti l'autre jour que j'étais l'exemple typique de l'agony aunt, la personne qui répond au courrier des gens désespérés, la tante que l'on appelle quand ça ne va pas, le vieux gay qui a du temps en trop, la tata homo qui a toujours des bons conseils. Je ne connaissais même pas cette expression, agony aunt.

Ce n'est pas que le drama soit pour moi un élément du sex appeal. Ca ne m'excite pas, je préfère de loin les gens équilibrés mais il se trouve que mes derniers boyfriends ont été des jouets cassés et je suppose que ça a marché avec eux parce que je savais comment les aider. Quand je quitte quelqu'un, ou qu'il me quitte, il est toujours en meilleur était que lorsque je l'ai rencontré. Vraiment, après ils sont plus stables, plus mûrs, surtout quand je leur permets d'évacuer certaines peurs irrationnelles sur le VIH ou l'identité gay. Je suis un giver.
Avec cet homme, au bout de plusieurs mois, on a passé deux nuits ensemble et puis après, comme je l'avais prévu avant même qu'on se rencontre, c'est passé au niveau "ça me fait bizarre de coucher avec toi, tu es mon ami" tralala, c'est tellement prévisible qu'il vaut mieux en rire même si on n'y arrive pas. Mais je reste correct et ce n'est pas parce qu'un mec ne veut plus m'offrir une tendresse affective que je vais le jeter et me comporter comme un porc.
Il y a quelques semaines, un kid joli de partout est venu passer 24 heures chez moi et là, ça a été parfait, du début à la fin.  Mais comme il est marié avec un mec de mon âge, là aussi je me tiens bien et il est hors de question que j'interfère dans une histoire d'amour que je rêverais d'avoir avec un jeune qui aime les mecs âgés. Je sais que ça existe, il y en a, pas beaucoup, mais en général ils sont tous pris. Cela m'a fait du bien de passer une journée et une nuit avec quelqu'un qui était vraiment attiré par moi, qui faisait les choses bien, généreusement, qui était un giver lui aussi. Sans plus d'attachement.

Dans le débat actuel sur la prostitution, il y a peu d'articles qui parlent de ce qu'on vit nous, les gays âgés. Une bonne partie des homos de mon âge disent qu'on a plus que les escorts à notre disposition. Car même s'ils sont séronégatifs et plus sexys que moi, passé 50 ans, ces amis sont invisibles eux aussi. Nous sommes toujours les mecs les plus vieux dans un club de house. On ne vous remarque plus, même si on a fait des choses assez extraordinaires dans la vie. Et quand on est seul, il faut payer pour obtenir un peu de contact physique. Le fait d'avoir quelqu'un dans son lit, le fait de caresser et d'être caressé.
J'ai toujours pensé que c'était pathétique d'en arriver là. J'ai toujours cru qu'il y avait quelqu'un, pas trop loin, qui pourrait correspondre à mes critères et pour qui je serais désirable. J'ai payé un escort une seule fois à New York et je n'ai même pas pris mon pied, ce qui est presque normal, c'était la première fois. Mais là, je me dis qu'il va falloir y aller parce que la solitude devient insupportable. Récemment, j'ai mis de côté tous mes principes en me mettant sur plusieurs sites de drague, une sorte d'abdication en soi, et ça ne donne rien. Je suis partout sur Internet, il suffit d'un clic pour me contacter. Et quand je contacte les mecs, les trois quart du temps, ça ne donne rien, ce qui est normal aussi. C'est comme ça pour beaucoup de gens.
Il y a plein d'articles qui montent le lien entre la crise économique et l'augmentation des escorts. Malgré tout, la prostitution masculine d'aujourd'hui est moins glauque que celle d'il y a dix ans. Tout le monde s'y met pour boucler son mois, les filles, les bis, les jeunes. C'est aussi le phénomène hookup culture qui déborde. Mon problème n'est pas de payer, j'ai de quoi vivre pour les deux années qui viennent et je sais faire ça sans que ça soit grossier. Même dans la prostitution, je suis obligé de me comporter comme un mec bien. Mieux : je n'arrête pas de me dire que si j'avais 22 ans aujourd'hui, sans fric, sans éducation, je me caserais chez un mec de mon genre pour passer la crise économique pendant un an ou deux, au chaud, à la campagne, avec un mec pas con qui a une bonne collection de disques, qui a des histoires à raconter, qui ne serait pas jaloux si le mec allait à droite à gauche. Si j'avais 22 ans aujourd'hui, je le ferais parce que j'étais comme ça à 19 ans en arrivant à Paris. On était prêt à coucher avec un mec uniquement pour qu'il nous paye l'entrée au Palace, c'est pour dire. On trouvait ça drôle. On était des pédés punk. Coucher avec un mec plus âgé, c'était comme un stage accéléré.


Demain, ça fera exactement un an que ma dernière histoire d'amour s'est terminée. Lundi, je vais dans une clinique pour une coronarographie et sûrement une angioplastie qui va me déboucher une artère ou deux afin que je retrouve mon énergie. Je l'ai déjà fait, après mon licenciement de Têtu. Ca arrive souvent quand on a des coups durs, quand on se sent trahi. Je n'ai pas le cœur fragile, après tout je suis tout le temps dehors à jardiner. Mais le cœur souffre de la solitude, du lit désespérément vide pendant 365 jours (moins 3), de l'impossibilité de donner l'affection qu'on a à donner pendant ces temps durs  - et de l'affection que l'on devrait recevoir si ce monde n'était pas aussi autocentré. Je suis une agony aunt et ce n'est pas la manière la plus sexy de se décrire mais ce n'est pas parce que je suis seul que je vais commencer à me comporter d'une manière perverse. Je n'ai pas envie de me venger sur les autres de cette solitude qui me ronge tous les jours. Mais mon cœur ne supportera pas ça indéfiniment. Il est gentil, mon cœur mais il déteste constater qu'il se fait toujours avoir, précisément parce qu'il est tendre. Trop tendre? A mon âge, le cœur n'est jamais trop tendre. C'est même une réussite de le garder dans cet état quand on passe la limite de péremption. 55 ans, quand on est gay et séropo, c'est déjà une réussite.

13 commentaires:

Anonyme a dit…

Le premier décembre 2012, j'avais la joie de vous rencontrer à Bordeaux pour la mal-saint Sida.
Depuis, je constate que vous donnez toujours autant le meilleur de vous même, notamment à travers Minorités.

Apprendre à aimer est toujours la grande affaire de nos vies.
Le vieillissement nous apprends, volens nolens, l'humilité...

Fille de Pau

Didier Lestrade a dit…

Oui c'était ma dernière bonne intervention sur le sida. tout ce monde! mais j'étais si triste, je venais juste d'apprendre que le mec que j'aimais en avait rencontré un autre. Une heure avant.

Anonyme a dit…

Oui, je me souviens de votre douleur que vous aviez évoqué en fin de soirée.

Peut-être que dans votre vie, il manque la dimension spirituelle, celle dont vous vous approchez par la perception de la Beauté. Souvent elle se révèle à nous en des moments de "grâce". Laurent Chambon en a décrit quelques uns vécus par lui dans son blog des années 2009/10. Je trouve que cette beauté gratuite aide à vivre lorsque l'on a la chance de la percevoir (parfois).

Bon courage pour l'opération.

Fille de Pau

Madjid Ben Chikh a dit…

De passage sur ton blog, gros bisous de Tôkyô.

Fastbear a dit…

Didier me fait penser à 3 copains citadins d'à peu près le même âge que lui (un truc de génération ?) qui se sont offerts leurs trips de "maison à la campagne" et 2 sur 3 sont en totale dépression. Le 3ème a vendu et acheté un appart à Berlin et il est heureux comme tout.

File de Pau a dit…

Pour Fastbear,
dans son livre "Cheikh", DL raconte précisément les motifs de son retour à la nature après quinze années de lutte, de travail contre le Sida et l'épuisement subséquent.
Il y évoque aussi l'importance de l'exemple du philosophe spiritualiste Henry Thoreau et l'influence de la beauté de Dame Nature.
A chacun, en fait, de trouver ce qui est juste pour lui à chaque étape de son chemin.

DIdier a dit…

Oui, encore une fois Fille de Pau a tout compris, cette fille est géniale vous savez. Faut dire que j'ai expliqué dans tout un bouquin pourquoi ça a marché chez moi et pourquoi chez certains, ça foire et c'est normal aussi. Pour partir vivre loin de tout et traverser 5 premières années consécutives de célibat total (on redevient vierge quoi), il faut vraiment aimer la nature. D'ailleurs c'est elle qu'on vient chercher car on en voulait trop. Donc les premières années c'est un boulot de dingue qui vous passionne car y'a tout à faire et c'est une découverte tous les jours (365!) et puis après c'est tellement bien toute l'année qu'on en vient à perdre la drague sexuelle à proprement dit. Mais jamais je ne reviendrai vers une ville, c'est fini, ce que j'ai autour de moi là, vous pouvez pas savoir...

Anonyme a dit…

Merry x-mas the Gardener. Neveralone. Love, c;

( CécileH )

Anonyme a dit…

sacrée Didier , tu continu a passer ton temps libre a pleurnicher au yeux du monde , sur l'état de ton nombril. petit a petit tu perd absolument toute trace de Morale et passe ton temps a donné les raisons qui font que tu considéré que tous devront t'accorder le Pardon . un de tes plus grand drame est probablement celui de n'avoir aucune pudeur , cela te permet de t'enfoncer dans l'erreur sans limite et avec en plus les encouragements de ceux comme toi lobotomiser par l’esprit du Gaytto . tu n'est plus qu'un vrai bourgeois colonisateur qui cherche une jeune pute qui pourrai se croire Punk en te vendant son cul , parce-que tu lui aurais dit que c'est ça être Punk ! .
c'est fascinant quand même de te lire écrire autant de conneries ! tu semble n'avoir aucunes limites .



Scae (de Brain) a dit…

Hey Didier, je viens de lire ton post, avec quelques mois de retard. Ce que tu racontes me parle beaucoup, c'est très touchant. Je t'embrasse fort, j'espère que ça va en ce moment pour toi.

H.

Didier Lestrade a dit…

Ah oui, pour répondre à l'avant dernier Anonyme. Je n'ai aucune limite en ce qui concerne la franchise, et c'est ça qui me permet de te dire d'aller te faire foutre, je m'en fous complètement des commentaires qui viennent des gens qui ne sont pas capables de signer leur avis. En anglais : go fuck yrself.

Patrice Salsa a dit…

« Car même s'ils sont séronégatifs et plus sexys que moi, passé 50 ans, ces amis sont invisibles eux aussi. »
Mais toi, les gars qui ont passé 50 ans, est-ce que tu les regardes ? Est-ce que tu les considères comme des partenaires possibles et des compagnons potentiels ? En lisant ton texte, j'ai le sentiment, peut-être erroné, que tu n'es attiré que par des gars plus, voir bien plus, jeunes que toi...

Stevia a dit…

Bonjour Didier,
juste une petite pensée pour vous.
continuer à se réchauffer auprès de ses amis, sa famille, les livres..., tout est bon à prendre, jusqu'à ce que vous oubliiez tout une fois de plus en retombant amoureux. mais je sais que plus on avance, moins c'est facile de se relever! et je n'ose même pas imaginer ce que c'est que d'être homo, cinquantenaire et séropo! :p
je viens de découvrir Minorites.org en m'intéressant à Guy Hocquenghem et j'aime beaucoup!
je suis hétéro, j'ai 38 ans, j'ai changé deux fois de vie dans les 7 dernières années, au bout d'un moment ça use... mais disons qu'on sait de plus en plus précisément ce qu'on est, ce qu'on veut et ce qu'on ne veut pas.
j'ajoute que j'aime aussi les hommes plus jeunes que moi, ha que c'est bon cette sève cette fougue cette beauté! après, il faut se blinder pour le moment où la différence de vision et d'âge nous rattrape... mais TOUJOURS REESSAYER!!!
je vous embrasse.
Stéphanie