Deux mois de soleil insistant. Et malgré la
tristesse du monde, la solitude, la dureté du semestre précédent, l'inquiétude
face au futur, l'annonce d'une année à venir politiquement désastreuse, le bel
été a fait son travail: il fait beau, les gens respirent, d'une manière
répétitive, exactement comme l'hiver et le printemps avaient apporté la pluie
et le spleen d'une manière répétitive. En Normandie, ces deux mois ont été les
plus beaux depuis longtemps. Sur la colline, le vent et le soleil ont fini par
nettoyer les mauvais souvenirs. Enfin la chaleur qui donne envie de nettoyer et
lessiver la maison du sol au plafond, brosser la poussière des murs de pierre,
bouger les meubles pour découvrir un ou deux étuis de capote oubliés et
poussiéreux datant de l'été dernier, derniers vestiges de sexe, retourner les
matelas, laver vitres et fenêtres, ranger les papiers, faire le tri de tout, remplacer
la fatigue par l'odeur du propre, mettre toutes les couvertures, les tapis et
les oreillers en plein soleil, vivre de l'aération.
A force de laver les draps qui sèchent sur la
pelouse grillée, le soleil et la chaleur pénètrent dans chaque fibre de tissu,
délavant davantage les couleurs et cette douceur se dissipe dans le lit le soir
quand on est seul. La maison respire, elle emmagasine cette chaleur qui lui
fera défaut plus tard, le toit brûle, les papillons réapparaissent, les libellules
sont partout cette année, grosses, multicolores, chassant les insectes dans les
graminées. L'été fait taire les oiseaux, c'est le silence complet de la
campagne, seuls les pigeons ramiers, les tourterelles, les buses et les
corbeaux dans le ciel. La terre s'assèche en profondeur. Les prunes sont plus
grosses, plus juteuses, plus sucrées. Désherber les coins perdus du jardin est
facile. Les mauvaises herbes sont déjà grillées, il suffit de tirer dessus et
faire de grands feux avec toutes les branches élaguées des haies. L'odeur des
flammes et de la fumée s'attarde dans le jardin, riche d'huile de branches de
laurier, de sauges, de mélisse. Cette fumée s'accroche aux haies de pruneliers,
effrayant davantage les mauvais insectes, les parasites des arbres, on les voit
s'envoler plus loin. Et puis soudain le vent tourne et tout devient clair.
Le bois coupé est rangé, prêt à sécher dehors pour
les deux années à venir, comme des autels de rondins de bûchers, comme des sculptures
aux quatre coins du jardin, des abris pour les bêtes en hiver. En arrachant les
ronces et les branches inutiles, on découvre à nouveau les cachettes du jardin
délaissées à cause d'une jambe cassée l'été précédent. On retrouve une pipe
oubliée qui a passé des mois dehors, recouverte de broussailles. On monte dans
les arbres pour délivrer les rosiers du bois mort. On arrache le lierre au sol
qui va trop loin ou celui qui pousse sur les arbres. Après on décore les deux
cèdres avec des bijoux, comme d'autres les habillent avec des tricots. On brûle
un bouquet de sauge séchée dans la maison pour chasser les mauvais esprits. On
ne regarde plus les news à la télé ou sur Twitter pendant des semaines. A midi,
impossible de manger sur la terrasse, le soleil est trop fort. D'ailleurs, on
oublie de manger, la chaleur suffit. On saute les repas. On préfère s'attaquer
à des choses qui auraient d'être faites depuis plus d'un an comme tailler les aubépines
pour leur redonner une forme ronde. Offrir les joubarbes aux amis qui s'en vont
après quelques jours de repos. Récolter toutes les graines de lychnis, de
camomilles ou d'ancolies. Des millions de graines. Couper les branches basses de
sapin, de cèdre et de pin et les passer au broyeur pour parfumer le sol d'un
chemin. S'attaquer chaque jour à un coin du jardin pour encourager la lumière,
le vent, le bien être des arbres. Cicatriser les plaies au goudron, ça sent
bon. Travailler jusqu'à la nuit, jusqu'à ce que le dos n'en puisse plus.
En bas, la rivière n'a plus de pêcheurs, plus
de touristes. L'eau rebondit sur les rochers, on est seul avec les amis, le
soleil est exactement dans l'axe du courant. La Sarthe se traverse à pied, à
gué. Tumblr pour de vrai. L'endroit est idéal pour une histoire d'amour mais tout le monde est parti
à la mer, loin, le plus loin possible, sur d'autres continents qui nourrissent
les photos de Facebook. Moi je n'ai pas vu la mer cet été et je le regrette,
bien sûr. Mais il y avait tout ça à faire. Les bouquets de thym et de
marjolaine, les siestes. Et toujours cette question: pourquoi être seul avec
toutes ces jolies choses quand on a tant à partager?
Bientôt viendra le moment d'offrir un nouveau
toit de tolles métalliques à la cabane et les repeindre en rouge, remplir le
pick-up de toutes les cochonneries en plastique pour la déchetterie, finir la
serre et enfin, le meilleur pour la fin, puisque la chaleur s'en va: sortir le
ciment et les pierres, finir les murets du jardin.
Et il n'y a pas un seul homme joli qui n'ait pas envie d'en profiter.
Et il n'y a pas un seul homme joli qui n'ait pas envie d'en profiter.
You must be joking.
2 commentaires:
"Est-ce la beauté qui sauvera le monde ?" demandait le personnage d'un grand auteur russe...
Très beau billet, merci !!
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