mercredi 15 décembre 2010
La testostérone du jardinage
Une nouvelle machine est en train d’envahir les campagnes. Non, ce n’est pas un des ces tracteurs bulldozer américains de 5 mètres de haut, bourrés de chips et de senseurs électroniques qui labourent et évaluent tout ce qu’il faut savoir sur les demandes de la terre en eau et en engrais, en passant par le satellite s’il vous plait. Ce n’est pas, non plus, la machine miracle qui permettra aux agriculteurs d'arrêter de jeter leur lisier au bord des rivières, juste à côté de la route, comme ça se fait encore partout, rien que pour montrer qu’ils font ce qu’ils veulent et qu’ils vous emmerdent et qu’on n’a pas intérêt de leur dire quoi que ce soit. Cette machine est beaucoup plus humble et elle est déjà au point: c’est l’aspirateur /souffleur de feuilles mortes. Et ça fait un boucan pas possible ce bordel.
Avant, à la campagne, les feuilles n’étaient pas un problème. Les gens ne s’embêtaient pas trop avec ça car il y a des arbres partout et le vent se moque totalement du périmètre de votre jardin (si vous avez un périmètre d’ailleurs). Soit vous laissez les feuilles sur place et elles protègent ce qu’elles recouvrent par temps de gel (et procurent un abri à des milliards de petites bêtes comme les coccinelles donc pas besoin d’acheter ces abris ridicules qu’on essaye de nous fourguer pour faire gentil, moi je veux bien mais 15 euros pour des coccinelles quand on a des tas de bois dehors c’est irréel). Soit vous prenez votre courage à deux mains et vous achetez un des ces râteaux Fiskars magiques qui ont révolutionné la corvée des feuilles mortes : plus larges, plus légers, plus rapides.
Mais les modes citadines sont si puissantes qu’elles envahissent les petits villages et les campagnes. Tous les magasins de bricolage vendent ces machines qui soufflent et aspirent les feuilles mortes en un temps record, certains les transforment même instantanément en mulch. Avec tous les insectes qui sont passés à la broyeuse, on n’arrête pas le progrès. Le problème, c’est que tout le monde s’y met, croyant accompagner ce progrès, et dans certains endroits, le samedi, c’est un concert de tondeuses et de souffleurs.
Je n’ai pas à me plaindre de ça, à la campagne, ça reste encore minoritaire. Après tout, on est à la campagne et chacun fait plus ou moins ce qu’il veut. Mais je commence à entendre ce bruit. Et le son qui accompagnait cette belle période de l’année, le bruit du râteau sur le gravier, le silence des aller – retour de la brouette vers le compost pour y déverser les feuilles mortes, tout ça est désormais sur le point de disparaître. Comme l’automne dure longtemps et que les feuilles des arbres ne cessent de tomber à des moments divers (les chênes étant les derniers à perdre leurs feuilles), ce sont des semaines et des semaines de souffleur qui sont nécessaires pour que le jardin ne supporte plus la moindre petite feuille morte. Une catastrophe écologique, encore provoquée par le commerce.
Un article génial du New Yorker du 25 octobre dernier expose les proportions absolument débiles que prend ce phénomène aux Etats-Unis (et probablement en Angleterre aussi). Le jardinage est une occupation merveilleuse qui nous permet de nous entendre penser. On est là, dans le silence de la nature, à écouter les petits bruits du jardin et la rumeur de l’agriculture au loin. But not anymore. Tous les week-ends désormais, c’est la symphonie des souffleurs de feuilles et des tondeuses qui se répondent de jardins en jardins. Ce bruit est le dernier joujou symbolique de la puissance du jardinier viril. Plus ça fait du bruit et plus il est macho. Les hommes ont leurs jouets et celui-ci fait encore plus de bruit que les autres. C’est un bazooka à feuilles. Le jardinage n‘est plus le moment du silence, c’est celui du jeu. Il y a le coin barbecue pour jouer à la dinette du riche. Une terrasse pour faire le bobo qui agrandit sa maison. Il y a la piscine pour jouer au riche tout court.
Le problème, c’est que ce jouet a des règles et les hommes trichent au jeu. Normalement, l’aspirateur de feuilles vous permet de les amener plus rapidement à la déchèterie ou à votre propre compost (c’est mieux). Mais si vous vous êtes flemmard, vous vous amusez surtout à pousser les feuilles de votre jardin chez le voisin, qui vous renvoie à nouveau vos feuilles avec les siennes et tout ça finit en conflit de voisinage. Ah, ces hommes.
L’article de Tad Friend m’a surtout passionné pour 3 choses. D’abord, je commençais à me demander si je devenais con de penser que cet outil avait été créé par le diable. Je vois que je ne suis pas le seul, thank god. Ensuite, je me posais la question: OK, c’est pas écologique (ça marche à l’essence ces trucs), mais ça serait pas dangereux aussi ? Bingo. En fait, avec les feuilles, ces engins remuent des trillions de particules de tout, de pourriture, de germes, de microbes, d’endotoxines, de composés organiques et des crottes de chien – ou pire. On est en plein Little Britain : « Dust, anyone, dust ? ». Aux USA, ils ont réglé le problème en employant les Latinos pour faire le boulot, comme ça ce sont eux qui avalent toute la merde, et des fois on ne leur donne même pas le masque, le casque antibruit et les lunettes de protection. C’est pas cher payé en plus.
Mais ! Toute cette poussière ne tombe pas seulement sur les Latinos: elle va partout. Elle pénètre dans la maison, elle se dépose sur le potager, bref, le jardin pollue à partir de ses éléments naturels, ce qui est un comble. On remue la poussière et on étend le risque non seulement à son jardin mais aussi à celui des autres, super ! Vous avez de l’asthme, je vais vous aider ! Vous me voyez en train de dire à mon voisin par dessus la haie : « Heu, vous savez que vous êtes en train de m’envoyer des particules de caca de votre chat dont je me passerais bien parce que c’est pas parce que je suis un séropo avec une charge virale indétectable et un système immunitaire vraiment top que j’ai pas envie de me choper une toxoplasmose ou pire encore ». La tête qu’il ferait.
Aux Etats-Unis, il y a déjà des viles qui interdisent l’usage des souffleurs / aspirateurs. 24 dans l’état de Californie. Mais voilà, là-bas, l’état de la pelouse est un signe social très important, c’est quelque chose qui doit être nickel pour appartenir au tissu communautaire. Une pelouse mal entretenue devant la maison et c’est tout le quartier qui vous montre du doigt au supermarché comme si vous aviez pris en otage toute une maternelle avec deux sabres ! Cela me rappelle un article que j’avais lu et découpé (bon je le trouve pas aujourd’hui tant pis et je ne vois pas sur Google) sur les municipalités américaines qui interdisent formellement aux propriétaires de jardins de les laisser un peu sans entretien. Même si les proprios veulent rendre leur jardin plus écolo, laisser quelques mauvaises herbes pour abriter une certaine faune, c’est interdit. Dans le cas des souffleurs / aspirateurs, il sera difficile de créer une culpabilité sur le bruit. La machine de référence, le StihlBR-500, qui ne fait pas beaucoup de bruit, coûte 469$. Mais l’engin juste à côté, qui n’a pas de réduction sonore, est deux fois plus bruyant et il coûte pratiquement pareil (juste 40$ de moins) et il est 33% plus puissant. Les jules jardiniers veulent de la puissance entre les mains. C’est un peu comme si c’était un remplacement phallique, vous voyez ? Le problème du bruit, on verra plus tard. L’article du New Yorker le rappelle très bien : après tout, le bruit est une arme. On a utilisé des chansons de Britney Spears pour faire craquer les prisonniers de Guantànamo.
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5 commentaires:
Complètement en accord avec vous. Cet objet ridicule, emblématique de la société de consommation, n’a quand même pas réussi à détrôner les publiroules http://www.publiroule.fr/popup/sfr.php ces trucs publicitaires roulant qui consomment de l’énergie pour rien. Le développement durable ce sera quand les puits de pétrole seront à sec et là il sera trop tard.
" le bol d'air "
quel article délicieux , j'étais ailleurs , vraiment ! .
donc merci
et spécial dédicace pour ça :
" Le jardinage est une occupation merveilleuse qui nous permet de nous entendre penser "
et ça :
" On est là, dans le silence de la nature, à écouter les petits bruits du jardin et la rumeur de l°agriculture au loin " .
se Didier ! ...un maître zen nous fait de la poésie ! .
bye douzi28.05.70
Oui Douzi, il y a de la sagesse dans "notre" m'sieu Lestrade.
Et c'est pour cela même que des personnes étrangères à la culture gay et ignorant tout des musiques électroniques peuvent trouver intéressant de le lire.
Par ailleurs, c'est vrai que dans la tradition du Zen, la contemplation de la nature est l'une des voies les plus directes pour percevoir la dimension spirituelle du réel, au coeur de l'instant présent...
Solange(30.07.62)
oh oui merci ! des années que je gueule contre les cantoniers à Marseille qui nous emmerdent chaque automne avec leur souffleur dégueulasse et polluant. Alors que prendre le temps du balai, ou mieux laisser les feuilles mortes par-terre puisqu'elles ont leur fonction de charme et écolo !!!
salut " Fille de Pau " je vois que tu a bien capter le truc !.
pour ma part si je suis " encore en vie " je le dois uniquement a mes lectures sur le zen en tant que philosophie de vie ! . ma passion ( pourtant obsessionnel ) pour la musique ...ne vient que après . mais je parle en tant que " célibataire " (de très longue durée) , car pour ceux qui ont la chance de vivre une histoire d'amour heureuse et durable ! cela leurs suffi largement . quand a ceux qui ont des enfants , que pourraient t'ils leurs manquer ? . pour en revenir a m'sieu Didier , il y a des tas de raisons de l'aimer , et son amour de la nature en est une importante ! . y a des choses avec lesquelles on ne peu pas tricher , L'intérêt pour la nature , en est une . et m'sieu Didier , il triche pas ! . pour aimer la nature ( et les animaux ) il faut savoir être a l'écoute de notre amour Universel . cela rend généreux , serviable ...très humain ! , en fait , tout se que les sociétés capitaliste détruisent , en nous et au dehors ...pour nous transformer en se que nous somme pas " des machines sans âmes " . Salutations Madame de Pau , douzi28.05.70
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