mardi 9 novembre 2010

Le cinéma castré




Encore une histoire toute simple. Comme d’habitude, je passe un week-end à Paris et je vais au cinéma avec mon mari. En général, quand on ne veut pas souffrir, quand on veut vraiment passer un bon moment, on va au MK2 de la Grande Bibliothèque. Mais quand n’a pas envie de se fader la ville, avaler quinze stations de métro, deux changements, la pluie ou le froid, on va à Gambetta.

Et à chaque fois, je me fais avoir. Je suis tellement conne. J’entre dans la salle, on se met dans un coin tranquille ou il n’y a personne qui mange du popcorn avec la bouche ouverte et je suis content d’être au cinéma. Commencent les pubs et on a même de la chance, en ce moment c’est beaucoup moins bête, il y a mêmes des pubs multiraciales pour Microsoft et le Blackberry. Et dès que l’on pénètre dans les bandes annonces des films à venir, il se passe quelque chose.

Le son vient de baisser de 20% au moins. Tout d’un coup. C’était déjà pas fort avant, mais la transition est si brutale qu’on a l’impression d’avoir perdu son audition à cause d’une maladie grave ou pire. Et le souvenir revient. Ah d’accord, c’est le cinéma où les gens ont bridé le son. Déjà ils ont un son numérique DTS, Dolby SR. (c’est marqué sur Internet) mais dans cette salle, il vient de l’écran, comme en 1960. Surtout, on dirait que quelqu’un vient de baisser les curseurs du volume, comme dans les studios d’enregistrement.

C’est le 7ème art, mais plutôt son murmure. Le film commence, c’est Fair Game et le générique s’apparente à un prout qui vient du ciel. Au fur et à mesure que le film avance, le suspense s’effiloche, il n’y a pas de momemtum, c’est comme si le réalisateur et toutes les personnes qui ont travaillé sur le son s’étaient fatigués pour rien. Au lieu de pénétrer dans l’intrigue qui est pourtant très bonne, on est là à sentir que le son est à son minimum, c’est comme une frustration qui vous empêche de vous laisser aller, d’apprécier le film qui vous envahit. On dirait que Naomi Watts parle très doucement en corps 8 s’il vous plait, et Sean Penn, qui passe son temps à gueuler, est aussi révolutionnaire que Tom Hanks.

Vers les deux tiers du film, j’ai déjà un orage noir sur la tête. Je connais l’histoire, j’ai presque envie de sortir. Je suis conscient du comique de la situation, mais je ne trouve pas ça drôle du tout. Je me demande pourquoi les jolis hétéros que j’ai vu dans la salle (et certains sont vraiment des vrais de vrais, pas des bobos du quartier) ne rigolent pas ou ne font pas des remarques quand le vieux qui se lève devant en plein milieu pour aller pisser fait plus de bruit que les explosions tournées pendant la reconstitution de l’invasion en Irak et god knows qu’il y a beaucoup de missiles qui tombent sur ces Arabes.

C’est le cinéma sudued. Moi qui comprends assez bien l’Anglais, il faut que je lise les sous-titres, parfois on perçoit à peine ce que disent les acteurs – et je ne suis pas sourd, je voudrais le mentionner quelque part. Et personne ne dit rien, il n’y a même pas un frémissement d’énervement, on se demande si on a été inclus à notre insu dans une étude scientifique qui consisterait à baisser progressivement le son de la salle pour trouver le point de rupture qui ferait que, enfin, peut-être, mais on peut toujours rêver, quelqu’un se lève et aille à la caisse du cinéma pour dire au patron : « Heu, il y a un problème là, tout le monde s’est endormi car on n’entend rien. Du. Tout. »
Mais personne ne se lève et je suis bloqué à l’intérieur d’une rangée et je n’ai pas envie de déranger trois personnes pour aller faire l’actupien qui s’immole devant le MK2 Gambetta pour que la collectivité bénéficie d’un vrai moment de cinéma. Cet endroit, c’est déjà là où j’avais vu le dernier Star Wars, il y a quelques années, dans une salle qui était plus petite que mon rez-de-chaussée à la campagne et où, tenez-vous bien à l’établi, la lueur du petit panneau rouge de SORTIE DE SECOURS me tapait dans l’œil, plus fort que ce qui venait de l’écran. Star Wars ! Ils sont où les fans de Star Wars pour faire un groupe de protestation sur FB contre la maltraitance du cinéma ?

Et puis c’est quoi cette passivité de cons dans ce pays ? On est en train de regarder un film sur les mensonges de Bush et où Sean Penn exhorte les gens à se soulever, pas seulement quand il y a un nid de poule sur la route, mais pour la justice et quand il sortent du cinéma, il n’y en a pas un pour aller dire gentiment au personnel de ce cinéma qu’il faut apporter un appareil auditif pour comprendre pourquoi l’Irak a été bombardé alors qu’il n’y avait pas d’outils de destruction massive ? Ah, vous préférez regarder la derrière merde d’Ozon ?

Alors, à la fin du film, je suis allé m’acheter du popcorn afin de parler à une des responsables, une femme belle et intelligente, ça se voit tout de suite, à qui j’ai tenu à peu près ce langage : « Heu, bonsoir, on ne vous a jamais dit que le son n’était vraiment pas assez fort ? Non parce que je n’ai pas du tout envie de vous énerver et de prendre le rôle de l’emmerdeur un samedi soir à 22h mais à chaque fois que je viens ici, le son est tellement bas que ça me fout les boules et ça se reproduit à chaque fois et c’est pas normal ». A ce stade, je ne dis même plus ça dans l’espoir que ça change un jour, je parle comme si j’étais dans Brazil. Je suis juste en train d’exprimer un besoin de justice. I need to vent.

Elle me regarde pour savoir si c’est du lard ou du cochon ou si j’ai pas une caméra du Petit Journal derrière moi. Mais elle voit très bien à mon attitude que je suis sérieux comme la mort même si je commence à grignoter mon popcorn pour faire le mec calme. Elle me dit : « C’est vrai, on nous l’a déjà dit, mais on nous a aussi dit que c’était trop fort ».

Oublie. C’est encore un coup des vieux qui aiment leur cinéma atténué. Je sors, il y a 2 bobos pédés qui se disent en se donnant des coups de coude « Ah tu as vu, il a fallu qu’elle aille gueuler encore une fois » et je vois le regard de mon mari qui dit « S’il te plait, ne les tue pas tous ce soir, on et samedi ».

Il y a 15 ans, J’allais à l’UGC Ciné Cité des Halles avec Loïc Prigent et des fois on s’amusait à aller voir un film de nul comme le dernier Chabrol dans une des très grandes salles, bien 300 personnes, pas un siège libre, et au bout de 5 minutes du film, on disait très fort : « QUOI, 5 MINUTES DANS LE FILM ET IL N’Y A PAS D’EXPLOSIONS ??? C’EST QUOI CE FILM FRANÇAIS ? » Et on faisait ça pour leur faire comprendre qu’un film sans explosion au bout de 5 minutes, c’est pas viable quoi. Des fois, je me demande s’il ne faudrait pas programmer Network de Sidney Lumet tous les dimanche soir sur TF1 . La passivité de notre époque. J’aimerais tellement voir des fenêtres s’ouvrir avec des gens qui crient « I'm mad as hell and I won’t take this anymore !!! »

11 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est moche de vieillir.

Didier Lestrade a dit…

C'est encore pire de ne pas avoir d'humour et surtout quand on est plus jeune

Anonyme a dit…

Reste plus qu’à retourner en boîte pour y perdre définitivement l’audition ! Dernier plan drague des vieux, aller chez les vendeurs d’appareils auditifs : c’est maintenant là que l’on rencontre des jeunes pas toujours effarouchés par le grand âge. Mais la demande la plus triviale peut s’avérer une franche galère. Kes tu dis vieux loulou : bus pois ? puce toi ? suze bois ? s’use moi ?

Didier Lestrade a dit…

Cher Anonyme a dit... (wow, tu es tellement courageuse) :d'abord j'entends très bien et regarde ce que m'a envoyé un copain sur FB : "Heu tu me fais peur , non je te jure vraiment, J'ai m'a copine qui habite Gambetta et hier elle etait off, en RTT... Bref elle me tel pour qu'on aille au cinoche prés de chez elle le fameux MK2
- Non le son est pourri je lui ai dit
Et mon mari le soir nous a loué le dvd Network
et ce matin je comptais te parler de ce film genial
en te disant tu l'as deja vu?
Te jure mon mari est temoin !"

Et de toute manière, c'est quoi ton problème, tu travailles dans un cinéma du centre de Dunkerque ou tu aimes pas qu'on se moque de Chabrol? Mfffff.

Anonyme a dit…

beau dialogue de sourds, exit chabrol l'avenir c'est le film muet :)) mon problème c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'occasions de rire, merci pour ce drole de texte

Anonyme a dit…

Bonjour,

Suite a votre texte, je viens de dloader Network.I'm curious.
Connaissez-vous Twin Shadow "Forget"?
Qu'en pensez-vous?
Bien à vous

Anonyme a dit…

Tu l'as DitDier, les gens, oui, oui, mm les d'jeuns, ne sont plus réctifs... Mais il aurait suffit que un, une dans la salle, crie haut et fort : "LE SON" et répète si pas réaction en cabine de projection, "LE SOPN KOI MERDE!!!" Perso, c'est ce que j'aurais fait et quitte à perdre qqs minutes je serais sortie en furie pour prévenir à la caisse, le son, merde on n'entend rien. J'aurais été d'autant plus furibarde que le prix des places...
Allé, bonne meilleure prochaine séance :,)
J2Mars

Anonyme a dit…

La barbe d'un activiste gay :

http://www.nytimes.com/slideshow/2010/11/24/opinion/20101125_LincolnBeard.html

Bons slides

Julian

Anonyme a dit…
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Didier Lestrade a dit…

J2mars : apparemment, si j'avais gueulé "le son merde", ça aurait été trop grossier selon les bobos de la salle. Depuis ce texte, j'ai eu des informations très précises sur le fait que MK2 bridait le son, donc je suis pas totalement folle. C'est un billet d'humeur, les mecs.
Et merci pour ce slide de barbichette à la Lincoln. It's funny.