mercredi 23 septembre 2009

La mauvaise typo des socialistes


Il y a moins de deux ans, les médias se sont livrés à un bel exercice : comparer les sites de campagne des deux candidats à la Maison-Blanche. Tout le monde s’y est mis avec plus ou moins d’expertise et de clairvoyance, mais l’idée était là : le message politique dépend de la police de caractère. J’ai alors commencé à découper les articles de mon quotidien préféré. Le 5 février 2008, un premier papier de Noam Cohen prenait déjà parti : « Just look at their sites : Clinton is a PC and Obama is a Mac ». On ne peut être plus clair. Obama avait la machine moderne, celle qui transforme, celle que l’on choisit par conviction. Clinton avait le PC du peuple, la machine qui plante souvent, celle qu’on achète parce qu’on n’a pas réfléchi.

Le 7 avril 2008, un article d’Alice Rawsthorn décrivait pourquoi Obama était en train de gagner la guerre de l’image et du marketing : « Brand Obama : Leader in the image war ». Les couleurs choisies, ainsi que les symboles, les logos et les lettrines symbolisaient le rejet des conventions. Le site d’Obama se montrait clairement plus audacieux.

Le 26 mai suivant, Roger Cohen abordait l’angle financier : comment le design des sites de Clinton et d’Obama influençait la générosité des donateurs pour alimenter la campagne la plus onéreuse de tous les temps. Je reviendrai tout de suite après sur ces articles qui ont décrit, tout en la célébrant, la montée en puissance de l’esthétique Internet dans le cadre d’une campagne présidentielle. Aux Etats-Unis, on sent une réelle curiosité pour le support idéologique. Le message est forcément influencé par l’intelligence de la présentation. C’est l’idée du beau soutenu par la publicité. La conviction politique nourrie par l’image. On dépense pour convaincre.

En France, depuis une dizaine de jours, tout le monde a commenté le site de Ségolène Royal, les couacs de son lancement, la déception générale, les moqueries sur Internet, l’incohérence de l’ensemble. Des parodies sont apparues qui ont entraîné d’autres commentaires, isolant de plus en plus le camp Désirs d’Avenir. Certains sont proposé leur aide pour sauver la situation. Pendant ce temps, Villepin a lancé son propre site, dans l’indifférence générale, juste avant le début du procès Clearstream (yawn). Et puis, souverain en son royaume, n’oublions pas que Bertrand Delanoë avait essuyé les plâtres avec son propre site perso, le pire de tous, no doubt.

Au New York Times, Alice Rawsthorn a une marotte. Elle s’amuse à dénoncer les marques qui font du mauvais design, les sites web qui sont nuls. Elle peut faire un article entier sur cette interrogation : pourquoi les machines à Espresso sont atteintes par une nouvelle maladie, la « designeritis » (10 août 2009). Elle milite pour un Internet qui rend les choses faciles à la fois pour l’œil et pour le cerveau (28 septembre 2008). Elle prédit que le futur éradiquera les objets tout en les créant (31 janvier 2007). Elle se pose souvent la question : pourquoi tant de créativité quand seulement 10% de la population a les moyens d’en bénéficier ? (26 mai 2008). Elle est inquiète face aux conséquences écologiques de ce que nous consommons (2 février 2009) . Elle explique pourquoi le classique est moderne (le 28 avril 2008). Elle se pose la question définitive : qu’est-ce que le bon design ? (9 juin 2008).

Je suis le seul à découper ces articles ? Ou plutôt : n’y a-t-il personne qui les découpe pour Delanoë et Ségolène Royal ? L'article de Suzy Menkes pour le NYT sur la peur des ordinateurs chez les leaders de la mode? On se demande comment ces cadors de la communication (c’est ainsi qu’on nous les présente à chaque fois) font pour se planter ainsi. Car, chez eux, il ne s’agit pas d’un simple bug (qui peut arriver à tout le monde), ou une légère faute de goût, ou un « peut mieux faire » dans le visuel ou l’arborescence. Non, ce sont de véritables catastrophes. Il s’agit de réelles insultes visuelles. Ces sites illustrent une déconnection complète de ce qui se passe sur Internet. Si c’est ça qu’ils nous proposent pour le pays lors des prochaines élections présidentielles, alors partons tout de suite vivre en Moldavie, au moins là France Telecom vient d’installer le HD pour les téléphones portables. Parce que c'est ça le problème : comment ces gens peuvent être crédibles quand ils sont si nuls?

Quand j’ai eu le malheur de mentionner la laideur du site de Delanoë sur Facebook, j’ai eu des amis qui m’ont sorti le traditionnel argument : « Les sites des opposants UMP sont plus classe, mais si un jour Delanoë perd la mairie, on regrettera la laideur de son site ». Ou alors « Son site est laid, ses costumes sont laids, son physique est laid, mais c’est quand même pas très important et ça n’apporte rien au débat ». Mon propre frère a fini en pirouette, comme toujours : « Mais qui aurait envie d’aller sur le site perso de Delanoë ? ». Sister, I love you! Sans oublier la remarque la plus idiote de toutes : « Oui c’est moche, mais bizarrement assez intuitif et… convivial ». Ah, les clichés de l’intuitif et du convivial ! On comprendra que cette tolérance à la laideur est surtout motivée par le risque parano de voir Delanoë perdre sa mairie – comme si c’était possible. Ce masochisme de la laideur provient, faut-il le rappeler, de gays très sensibles au design et à la culture en général, avec des appartements dans lesquels on trouve des meubles originaux, des objets signés, etc. Pour eux, le côté rance du site de Delanoë ne vaut pas un conflit. Je crois même déceler l’idée derrière tout ça : comme il faut faire laid pour réussir une pub de charcuterie à la télé, ce n’est pas très différent quand on lance le site d’un homme politique homosexuel qui doit surtout s’écarter du cliché selon lequel les homosexuels ont du goût. Qui va aller sur le site perso de Delanoë ? Ben, les mêmes personnes qui mettent Delanoë en première place du sondage de popularité OpinionWay, pardi. Un site personnel, c’est un outil de campagne, c’est pas fait pour énumérer les recettes culinaires du maire de Paris. C’est une machine de propagande (enfin, dans l’idéal), c’est une vitrine, et un lieu de débat. Sa fonction même est de répondre à un cahier des charges qui permettra de propulser (ou non) un candidat potentiel à la fonction suprême, celle de Président de la République.

Alors, si tout le monde a donné son avis sur le site de Ségolène, sa vidéo postée en retard, son amateurisme presque revendiqué, ce serait bien de mettre tout ça en perspective. D’abord, comme je disais au début, ces hommes et ces femmes politiques français ont tout de même l’immense chance d’avoir vu se développer, avec le succès que l’on sait, la campagne des élections présidentielles US. Il y avait matière à inspiration. Et dès le début, j’aimerais écarter la réponse toute faite des pintades du poulailler PS : « Mais on n’est pas en Amérique, on n’a pas le même budget pour faire ça, nous ». Réponse : le site de Ségo ne vaut même pas les 47.000 euros qu’il a coûté. À Minorités, on s’en est sortis pour beaucoup moins cher et c’est beaucoup plus joli et efficace. Le PS a, je le répète, une envie fondamentale de convaincre à travers la laideur. Or, Internet, dans l’idée, c’est beau. Si vous avez la chance de pouvoir vous libérer de la pub et des cochonneries qui polluent la vision, comme c’est le cas chez Delanoë ou Désirs d’Avenir, vous devez aller directement vers l’essentiel : le positionnement politique à travers les mots, les couleurs, les lettres, l’espace entre les lettres, toutes ces petites choses qui attestent si vous avez compris ou pas. Grâce à ces choix de maquette, vous embrassez la modernité ou pas.

Si le site de la campagne d’Hillary Clinton a été jugé durement (« Her campaign has been so 20th Centhury »), alors celui de Ségolène date de 1981 et celui de Delanoë date d’avant le trou des Halles de Paris, quand les bouchers vivaient entourés de rats. Il y a un côté vieille épicerie dans ce camaïeux de couleurs qui rappelle inconsciemment le caddy de la ménagère avant que Cif Ammoniacal ne soit inventé. Ça sent le vieux. « Tout est global de nos jours, sauf la politique » dit David Sing Grewal dans son livre « Network Power ». You bet. Delanoë et Ségolène Royal ne parviennent toujours pas à transposer de manière novatrice tout le travail mené à la base, cette démocratie participative qui leur procure tant d’heures supplémentaires et qu’ils n’arrivent pas à mettre en valeur. Les personnes qui ont travaillé sur leurs sites ont visiblement reçu des recommandations : ne pas chercher ailleurs pour trouver l’inspiration. Ou pire : « Ne JAMAIS regarder la concurrence ! » . Un slogan impossible à suivre de nos jours, à moins de montrer à quel point on n’a rien compris à Internet. Tout est concurrence. Si Obama a choisi la police de caractère Gotham pour ancrer sa campagne, on se demande si Delanoë et Ségo ont un avis pour trancher le vieux débat : avec serif ou sans ?

À la base, ce que ces sites veulent dire, c’est l’inconfort de l’idée socialiste face à une esthétique moderne. Ségo et Delanoë choisissent leurs lettres comme leurs vêtements : mal. Ils n’ont pas de goût et ils ne laissent personne régler ce désastre visuel à leur place. Ensuite, ces sites disent quelque chose de très clair sur le message, sur le texte. Il n’y a pas de programme, il n’y a pas de bilan, il n’y a même pas une envie de faire diversion sur le visuel. Du coup, il n’y a rien. La laideur intolérable de la mise en page, des typos, des illustrations, de l’éclairage, du contraste ou de la mise en valeur prouve que ces « communicants » n’ont aucun respect pour le mot. Ils ne savent pas écrire, ils n’ont pas d’élocution, ils ne parlent pas de langues étrangères et on voit la peur sur leurs visages quand ils s’approchent d’un micro. Ils articulent les mots qui sont à l’opposé de leur pensée. Le site de Delanoë est laid parce que les textes, en eux-mêmes, sont laids.

L’envie, c’est de gagner au finish par lassitude, en donnant le moins possible. Ils n’ont rien compris à Internet car ils sont complètement dans la rétention anale. Ils croient qu’on peut rester en haut des sondages et qu’on peut gagner les élections en disant le moins de choses possible, en se montrant le moins possible, en se cachant derrière l’écran crasseux de leurs sites. Ces sites entérinent leur évaporation. Plus c’est laid et moins on a envie de les voir. Moins on a envie de les voir et plus ils sont absents. Et plus ils sont tranquilles. Ils peuvent passer ainsi des semaines sans donner de nouvelles. Et le peuple de gauche est satisfait de cette distance qu’il trouve assez chic, alors qu’elle est juste le symbole de leur paresse qui est visible pour tous, dès la première page de leurs sites.

La laideur est donc la protection ultime de ces leaders politiques pendant qu’ils sont invisibles face aux grands enjeux qui les concernent. Quand on demandera ce que fait Delanoë pour (ou contre) le Grand Paris, il aura beau jeu de répondre : « Talk to my website » comme si c’était une nouvelle version de « Parle à ma main ! ». Pour eux, le site web, c’est un gag, comme les pin’s des années 90 : un truc qui pollue l’esthétique de la vie quotidienne, une sorte d’inflation du rien. Ou pire, c’est une menace. On parle de « démocratie du design » ou de « co-design », mais ça les inquiète.

Après la victoire d’Obama, les médias se sont posé la question : l’Europe pourrait-elle avoir son Obama ? Réponse : avec de tels sites, c’est facile : no way José. Ces sites ne montrent absolument pas en quoi Delanoë ou Ségo sont différents. Plus on est femme et plus on reprend l’image de Mitterrand. Plus on est gay et plus on se montre beauf. Cette manière de ne rien revendiquer à travers le graphisme, c’est la meilleure manière de montrer son incapacité à imposer le changement. Dans la société actuelle, où le design et le graphisme n’ont jamais été aussi présents, parfois même jusqu’à la nausée, ces sites sont totalement décalés. Hello ! Vous avez des gosses de 12 ans qui passent à la télé parce qu’ils sont dans un groupe de rock. Vous avez un rapper comme Soulja Boy qui devient millionnaire en 6 mois grâce à MySpace. Vous avez un musulman qui devient maire d’une ville comme Rotterdam, for fucks sake. Vous avez EuroNews avec un habillage parfait. À Londres, le gouvernement est en train d’apprendre aux fonctionnaires à utiliser Twitter. Barack Obama a 2.225.926 followers (and counting) sur Twitter. Et Delanoë ? Il n’est même pas sur Twitter.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Comme la madeleine de Proust « cif amoniacal » remue les neurones : propreté, brillance des éviers des écrans, appel du mot clean. Rotterdam, Amsterdam : intérieurs hollandais, rideaux impec, table du salon polishée, vase et fleurs, un monde domestique en représentation, prostituées dans les vitrines rouges, dématérialisation. Musulman : intériorité, ryads, moucharabieh. Plonger dans l’internet : mémoire de la chute vertigineuse de l’alice du pays des merveilles, autre côté du miroir. Profondeur, souvenir d’un soir d’hiver, jeune fille entrevue sur msn, épaules dénudées, décolleté, tentures en arrière plan, école italienne, Louvre. Portrait de Dorian Gray, miroir de l’internet, miroir suis encore la plus belle ce soir ?

Didier Lestrade a dit…

Hey merci.

me a dit…

J'adore lire ton blog. Les thèmes d'actualité que tu y sélectionnes m'interpellent, forcément, mais c'est surtout le regard de "sémioticien" que tu poses sur les choses qui m'intéresse : se concentrer sur des signes apparemment anodins de la vie sociale, les analyser, les déconstruire, en dénoncer l'apparente gratuité ou innocence, n'est pas sans me rappeler le mythologique "Mythologies" de Barthes. Et c'est un immense compliment dans ma bouche !

Bon, le coup de brosse à reluire n'est pas gratuit lui non plus. Il illustre simplement que Sylvain, même s'il n'est plus là, continue à façonner, subtilement, nos vies, nos pensées, nos consommations (au sens large du terme). Je ne t'aurais probablement pas lu, ou en tout cas pas avec cette assiduité, si je n'avais pas vu ton nom dans un article dédié à notre bonhomme. En fait, quand j'avais lu ton nom dans l'article, je ne l'associais ni à Têtu, ni à Act Up, mais à Libé, dont je pensais que tu étais journaliste. Va savoir pourquoi :-/

Unknown a dit…

"Parce que c'est ça le problème : comment ces gens peuvent être crédibles quand ils sont si nuls?"

Un militant socialiste - et par ailleurs webdesigner - s'exclaffait sur le plateau d'LCI en expliquant que le principal était qu'il y ait du buzz sur le site de Ségo... Va savoir qui est le plus nul : le site de Ségo ou le cynisme de militants dépités ??!

Anonyme a dit…

Parce que vous trouvez "Minorités" réussi ?

Didier Lestrade a dit…

Parce que tu trouves qu'Anonyme est un pseudo réussi? gnagnagna? Quelle conne!

fille de Pau a dit…

En tout cas, je note un point commun entre la page d'accueil de "Minorités.org" et celle du moteur de recherche Google, c'est l'utilisation généreuse du blanc comme zone de repos pour l'oeil...
Un peu comme dans la calligraphie japonaise où
l'essentiel se dépose
dans un espace de silence.

Didier Lestrade a dit…

Fille de Pau a bien vu. L'idée principale derière le design de Minorités, c'est surtout Laurent chambon. Moi j'allais dans cette direction naturellement, pas de caca, de la clarté et tout, mais lui a imposé des idées beaucoup plus extrême comme pas de vidéo. Ce qui est une hérésie aujourd'hui. On est folles.