Pour ceux qui se demandent pourquoi je mentionne sans cesse l’International Herald Tribune, je me suis désabonné de Libération, il y a plus d’un an. J’en avais marre de payer pour un journal qui ne m’apprenait rien avant de l’ouvrir, tellement je pouvais reconnaître entre les lignes la magouille qui se trouvait derrière chaque article. Alors je me suis abonné à l’IHT et j’ai profité de cette année de licenciement à Têtu pour faire un truc où je suis assez bon : faire des dossiers. Je stabilosse, je découpe, je range par thème. J’aurais du être documentaliste dans ma vie puisque j’ai fait ça avant pour la disco, la house, le sida, la prévention. Et je possède toujours ces classeurs mind you.
Et je ne veux pas entendre des folles me dire : « Mais le Guardian c’est tellement mieux ! » ou, pire : « Tu utilises encore le support papier ? ». Oui, mon idée, c’est précisément de voir l’actualité à travers un média pas encore trop con qui n’arrête pas de me surprendre, jour après jour. Pour moi. Pas pour Twitter, pas pour FB. Pour moi.
Pour la troisième fois, à la suite , donc, l’IHT publie un papier dans lequel un des hommes interrogés est présenté dans l’article (aucun rapport avec l’homosexualité) vivant avec un autre homme, son partenaire. C’est casual : ça fait partie de l’écriture. On entre dans un système du matter of fact. On voit ça dans des articles assez banals, comme celui où on voit deux mecs faire l’échange de leur maison pour passer des vacances à l’étranger. Ou un article assez drôle d’ailleurs où on découvre que les Américains sont capables, malgré la crise, ou justement à cause, de payer 300$ (le prix d’une très bonne chambre à New York) pour passer une nuit dans une ferme avec les poules et tout le binz, à condition de nettoyer la merde de l’écurie.
Mon idée, c’est toujours la même. Dans la presse étrangère, on montre des couples pédés comme ça, sans entrer nécessairement dans la vie intime, sexuelle, de l’affirmation. Il se trouve que les gens qu’on interviewe sont gays, on le dit, on passe à autre chose. En France, c’est différent. Passent les universités d’été du PS, où tout le monde est content. On fait même un atelier sur « la gestation pour autrui », comme si ça allait apporter une révolution au PS. Comme s’il n’y avait pas des sujets plus urgents. Mais bon. Apparaîssent alors à la télé quelques folles du PS, notoirement gays, qui n’ont pas encore fait leur coming out. Je suppose qu’ils le feront, comme le reste de ce qui doit être fait au PS, pour les primaires en 2011. Ou 2012. Ou même 2013. Ces folles, que nous connaissons tous, qui travaillent pour le PS sur des sujets aussi divers que la décoration de l’immeuble de Solferino (j’invente), le droit homo parental (j’invente), la taxe carbone (j’invente), le projet du petit Paris (j’invente), la recette des pâtes de mon frère Lala (j’invente), l’Education nationale (j’invente), la vie après Fabius (j’invente), n’ont toujours pas fait leur coming-out. Alors que le ministre flamand de l’Enseignement et de l’Egalité des Chances fait son come out et en profite pour s’exclamer : « Et je ne peux pas donner mon sang parce que je suis homosexuel ! ». Deux pour le prix d’un.
Sur Twitter on voit des mecs comme Michelangelo Signorile, l’inventeur de l’outing, continuer à menacer les folles qui se cachent. 20 ans après, le mec est toujours fidèle à ses principes. En Angleterre, ils ont tellement outé les pédés de l’église, de l’Etat, de la finance et du marché floral qu’ils peuvent même se permettre de faire une pink list des 50 personnalités pédés anglaises les plus influentes. En France, vous avez encore des grosses connes dans les médias gays qui pensent qu’on ne peut pas être de droite et pédé. (Note : JE SUIS de gauche). Du coup, quand cette pauvre Karoutchi fait son coming out, tout le monde lui tombe dessus de faire ça pour faire avancer sa carrière politique. Alors que personne ne dirait ça sur Delanoë – et dieu sait que… ANNONCE DEFINITIVE pour toutes celles qui n’ont rien pigé à l’activisme gay : que vous soyez de droite ou de gauche ou rien du tout d’ailleurs, conne ou pas, vous AVEZ LE DROIT de faire votre coming out ! Si vous tapez sur une folle de droite qui fait son coming out, vous croyez que les autres folles de droite vont l’imiter ? Nooooo.
Un ami m’a envoyé cette question posée à une de ces folles pendant un débat : « Pourquoi tu dis pas que tu es gay ? » Réponse : « Parce que j’attends que tu me prouves que je devrais le faire ». Ou un truc comme ça. Mais, ce n’est pas aux autres de justifier ton coming out ! C’est quoi cette déclaration toute faite pour te sortir de la merde dans laquelle tu t’es mise toi-même ? C’est une sound bite ? C’est ta seule réponse ? Tu vas attendre quoi ? Que la gauche revienne au pouvoir ? Là tu te sentiras assez protégé pour dire que tu suces des bites ? Tu as déjà vu un épisode de « Little Britain » ? DO YOU LIKE COCK ? Ou alors tu veux protéger ton petit capital politique affectif en cachant la vérité alors que la gauche doit, soi-disant, promotionner les « diversités » ?
Question : comment croire que le PS avance quand ses jeunes pousses mentent sciemment sur leur sexualité ? Vous croyez que c’est le genre de truc qui ne nous fait pas vomir ? Qu'on a attendu 40 ans après Stonewall pour que les folles fassent semblant de ne pas voir notre impatience ?
Car tout ça, c’est à mettre en perspective ce qui se passe dans les médias gays. Depuis un certain temps, un étrange retour de situation illustre notre regard face aux stars hétéros. Souvent les gays interrogent ces stars hétérosexuelles en les dirigeant vers le moment où l’interview accouche des conneries de ce genre. Au pif : « J’ai eu moi-même des envies homosexuelles pendant le premier semestre de mon année de seconde ». Woa. Ou alors : « Bien sûr, le soutien de mon public gay est essentiel pour ma carrière ». Fuck. Ou bien : « Je crois qu’il y a une affinité gay qui a joué un grand rôle dans ma construction culturelle ». Non, tu crois ???? Il faut retourner bien en arrière, dans les années 80 du Gai Pied, pour trouver un tel désir désespéré d’être accepté par des grandes stars. Ces dernières, finalement, répondent toujours la même chose. C’est écrit en page 3 du plan média : surtout dire aux pédés qu’ils sont géniaux. Il y a des variantes, bien sûr : « À 19 ans, avec ma bande de copains hétéros, on était si proches qu’on passait des soirées à se branler devant les pornos de Canal » ou « J’envie les homosexuels dans leur quête du plaisir ». Attendez, j’en ai une autre : « J’aime beaucoup François Sagat. C’est mon maître à penser ».
À l’époque, au Gai Pied, ça me hérissait déjà. Pablo Rouy était le spécialiste de ces interviews de chanson française où le but du jeu, c’était de faire dire au mec d’Indochine qu’il avait failli avoir une relation sexuelle avec un roadie. Je respecte Pablo et je me demande bien, comme beaucoup de personnes autour de moi, où il peut être en ce moment. Ce sont les années de célébration des années 80, il devrait en profiter, lui aussi. Mais on se chamaillait souvent sur le sujet. Je trouve ça débile de demander aux hétéros toujours les mêmes conneries. Ils doivent en avoir tellement marre eux-mêmes.
Mais tout ça c’est pareil. D’un côté des pédés qui se cachent et qui vont sortir du placard au dernier moment, le plus tard possible, comme les Pet Shop Boys, quand on aura passé des années à attendre une once de courage de leur part. De l’autre des médias qui rabaissent leurs exigences au stade de quémander des phrases d’acceptation dont on a rien à foutre. Et tout ça va de pair. Les médias qui ne cherchent pas à faire avancer le schmilblick en regardant ailleurs car il y a une vraie pression qui devrait être exercée. Et les pédés cachés qui se frottent les mains : par ici la bonne soupe de la magouille ! Et pendant ce temps, on nous rebat les oreilles sur l’homophobie avec la moindre folle qui a eu un problème quand elle est allé s’acheter une eau de toilette chez Sephora. Vous ne voyez pas le lien ? Au lieu de chialer sur la moindre manifestation d’homophobie, vous ne pensez pas qu’il faudrait faire pression pour que ces pédés qui sont au pouvoir puissent s’exprimer eux-mêmes sur ces sujets, comme si ça ne les concernait pas ? Au lieu d’aller supplier de l’acceptation chez les hétéros, vous ne pensez pas qu’on devait d’abord l’obtenir de ces traîtres homosexuels qui ne lèvent pas le petit doigt sur les sujets vraiment importants de l’homosexualité moderne ? Ou pire, qui croient aider dans l’ombre ? Qui est-ce qui dîne avec ces mecs ? Il n’y a personne qui les conseille ? Il n’a personne qui leur fout la pression ?
Bandes de connes.
21 commentaires:
C'est ça :
- transparence de l'homosexualité : homosexuel, tout le monde l'est un peu
- transparence des homosexuels : homosexuel, personne ne l'est, quand c'est risqué de soi de dire qu'on l'est.
Etrange paradoxe de l'homosexualité et des homosexuels en vis-à-vis : quarante ans d'émancipation, et aujourd'hui nous serions attachés à faire reconnaître l'homosexualité chez chacun, quand, en même temps, la question serait sans importance de celle, littérale, de la reconnaissance de nous-mêmes comme homosexuels.
Ca confirmerait le diagnostic dressé par Félix Guattari il y a plus de vingt ans déjà, celui d'un "déphasage profond et réel qui existe entre, d'un côté, les déclarations, les prises de positions conscientes et, de l'autre, l'économie inconsciente, dans les questions de l'homosexualité".
Y a un truc, autour de ces deux trajectoires parallèles, toutes deux en pleine errance : le socialisme d'un côté, les gays en poissons pilotes, ou l'inverse, on ne sait plus. Dans les deux perditions, l'absence du carburant originel, une certaine manière de vivre sur la nostalgie d'un temps révolu qu'on aimerait bien réanimer, tout en constatant que, décidément, le coeur n'y est plus. Peut être que le problème est, en fait, ailleurs. Peut être que "la gauche" pour les uns, que "l"homosexualité" pour d'autres (ceux qui sont à l'intersection des deux ensembles ayant, tout particulièrement, la gueule de bois) ont fonctionné, dans ces années 80 qui furent, en dehors de la sphère fraternelle de la festivité, celles où le monde est devenu, pour de bon cynique, un refuge qui ne nous protège, aujourd'hui, plus. La désillusion ressentie me fait penser à ce que Marx écrivait à propos de la religion. Moi qui n'ai pas connu cette sphère d'autonomie, quand je vois vos albums de famille de ce temps là, j'ai l'impression que vous avez constitué, au sens propre, "le soupir des créatures accablées, le coeur d'un monde sans coeur, l'esprit d'une époque sans esprit; vous avez été l'opium du peuple". Le problème du peuple, c'est qu'il n'est pas fidèle, et qu'il s'est laissé gagner par le cynisme. Le problème des zones d'autonomie, c'est qu'elles sont temporaires : la résistance au cynisme ambiant a trouvé là refuge avant que les digues lâchent, et qu'à gauche comme dans chez les gays, le cynisme innonde les relations, le marchandage envahisse les liens, y compris sexuels, et qu'on dirige tout ça comme on mène une entreprise, avec pour objectif d'être côté au cac40 du cul, et de jouer les Paris Hilton de la baise.
On peut se poser ensemble au milieu des autoroutes de l'information, et entonner tous en choeur "Gimme shelter". Le refuge à la campagne me semble être une bonne option, avec une ou deux chambres libres pour ceux qui réclament asile. En espérant ne pas être, soi-même, atteint d'intéressement.
Peut être faut il accepter que les refuges se soient déplacés. Cependant, sur les îles autrefois peuplées de fraternités pirates, quand les faux-frères ont rejoint le continent, demeurent des gardiens qui, du haut de leur phare, offrent quelque repère aux quelques uns qui, errent de par un monde ordonné, en quête d'autre chose, qu'ils ne sauraient même plus nommer. Et peut être que l'espoir de ces quelques nomades en quête de nouvelle patrie dépasse la simple orientation sexuelle. Je crois de plus en plus qu'il va falloir creuser au delà de ça, parce qu'il ne faut pas nous user à chercher la reconnaissance d'un monde qui, au fur et à mesure qu'on s'agenouille devant lui, tue en nous ce qu'il y a d'encore un peu vivant.
derrière le mot "festivité", il faut rajouter le mot "lutte", sinon, mon propos ne vaut plus grand chose.
@ Vincent. Oui, mon but c'est pas de dire "fais pas ci, fais pas ça" bien que tout le monde est convaincu que je fais ça non stop. Ce que j'écris n'est pas scholaire, c'est pas de l'université, c'est du ressenti comme on dit aujourd'hui. Mais il n'y a vraiment personne qui exerce ce pouvoir de pression sur les pédés influents, particulièrement à gauche. Normalement, cette pression est du ressort a) des assoces, b) des médias, c) des individus. Les premiers ne le font pas, alors que les moyens de communication modernes facilitent encore plu ces pressions, même de manière anonyme. Et les individus sont peu mobilisés, mais c'est surtout parce que les gays sont très suiveurs en fait, et il leur faut un motif, une opportunité, un "moment". Et ça, n'importe qui peut le créer aujourd'hui, sans entrer dans le risque d'être pénalisé pour avoir pénétré dans la sphère privée, très défendue en France.
@ Youri. Beaucoup de trucs à dire, trop en fait pour répondre clairement à 10h30 un dimanche matin. L'idée du refuge (pas l'assoce, le concept), c'est pas tout le monde qui peut l'avoir, mais j'avoue que les gens devraient y penser activement parce que c'est vraiment la base de l'équilibre mental moderne. On dépense beaucoup pour aller chez le psy et tout, cet argent pourrait être utiliser pour respirer VRAIMENT.
Mais le fuel qui a poussé le gays à faire des trucs dans les décennies précédentes, il est toujours là. Bien sûr on était plus contestataires il y a 30 ans, mais on était si rares! Une poignée de personnes. Et contrairement à ce qu'on pense, c'est pas toujours plus facile d'utiliser ce fuel quand on est peu nombreux à la pompe. On voit bien alors qu'on est pas nombreux, ça fait peur, c'est intimidant. Aujourd'hui, il y a tellement de monde. Un exemple : regardez tous les fanzines pédés qui se sont créés depuis 10 ans. C'est énorme, il y en a dans tous les pays. Chaque pays a son Butt maintenant. Et c'est pas que de la futilité, il y a beaucoup d'idées là-dedans, beaucoup de franchise, il suffirait que ça soit 10% plus politique pour que ça déclenche des choses, des prises de positions. Je le sais. C'est pas de la naïveté, il y a là un réservoir de nouvelles générations gay qui n'attend qu'une chose : être sollolicité, participer à son tour.
3 choses:
- quand la Princesse de Galles s'est crashée à Paris, Libé a illustré un article avec la photo d'un "couple qui pleure" (deux mecs) sans d'autres commentaires. J'avais trouvé ça bien de ne pas préciser "un couple de garçons" mais juste un couple.
- Delanöé a fait son coming-out à une époque où la France ignorait jusqu'à existence (je me rappelle de ma déception, mais c'est qui ce mec ? alors que j'attendais une star du PS).
- A droite comme à gauche on croit encore qu'être pd c'est une tarde. tant pis pour eux. Quand ils auront besoin de faire du buzz ils écriront un livre pour tout dire sur leur homosexualité (grand bien leur en fasse, en ce qui me concerne ça me laissera indifférent).
globalement la presse française est médiocre - verdict : elle est lue par peu de monde.elle va doucement à sa perte. rien de nouveau sous le ciel.
une suggestion : demander aux pd ce qu'ils pensent des hétéros - retournement de la proposition, dialectique en marche, surgissement du piège des évidences.
une remarque : lorsque tous ceux qui sont pd, auront dit qu'il sont pd, ce sera le bonheur sur terre. Je doute que ça marche comme ça.
1°/ Concernant le besoin de refuge dont parle Yourikane, il existe déjà, pour les lesbiennes, un certain nombre de "maisons de femmes" en particulier dans le Sud-ouest. Dans les années 80 justement, un certain nombre de lesbiennes (certaines allemandes) se sont installées à la campagne pour essayer de vivre autrement.Elles ont ouvert leurs maisons à d'autres femmes, soit sous une formule proche des chambres d'hôtes, soit sous la forme de camp d'été autogéré.
Le journal Lesbia,déjà existant, soutenait leurs initiatives.
Ainsi par exemple les "Estivalières du Pouy", dans les Landes, organisent chaque été, un camp autogéré durant trois semaines pour une trentaine de lesbiennes.
C'est peu, mais depuis vingt-cinq ans cela fait plusieurs centaines de femmes qui ont pu bénéficier de cet "entre-nous" reposant.
Un peu comme les gays du mouvement écolo-paganistes des "Fées" qui se réunissent à Folleterre dans les Vosges.
Ces expériences ont en commun la simplicité volontaire, le retour à la nature et l'homosocialité.
2°/ Je trouve enrichissants les commentaires que Vincent B. ajoute à vos billets Didier, car ils ouvrent des perspectives intellectuelles et donnent envie d'aller plus loin.
Ainsi pour moi la référence à la "sorcière" Starhawk le 26/08.
Et si votre culture n'est pas universitaire, elle n'en est pas moins vaste...
Il y a bien plus que du ressenti dans vos textes, même s'il y a souvent l'expression d'un belle subjectivité :-)
Solange
@vincent & fille de pau. Moi aussi, j'ai été sensible à l'évocation de Starhawk avec qui j'avais passé quelques jours en Ecosse à l'occasion d'un contre-sommet. Où puis-je trouver + d'info sur les Fées écolo-paganistes ? Merci
Oups, j'ai sauté une ligne en copiant ma page, il fallait lire :
" 'Qu'est-ce qu'ils en attendent ?' Ils en attendent une solution politique... Il ne risque plus d'y avoir une solution politique qui ne soit sentimentale, qui ne soit liée à l'art."
C'est dans 'Les années d'hiver (1980-1985)', et ça vient d'être réédité chez Les Prairies ordinaires.
Ces "Fées radicales" se nomment en anglais "Radical Faeries" et il y a une page Wikipedia qui leur est consacrée.
Elles se sont réunies du 17 au 27 juillet 2009 à Ternuay à l'endroit nommé par elles "Folleterre". Il y a aussi un site net à ce nom "www.folleterre.org".
(Si quelqu'un veut des infos plus personnalisées, je peux les mettre en contact avec deux gays allemands de Dresden qui y participaient.)
Solange
Merci pour les infos.
Part 1 :
Vincent, j'aime beaucoup cet extrait de Guattari, dont j'imagine qu'il est issu du volume tout juste sorti, que je trouvais déjà bien désirable sans en avoir encore rien lu (autant dire que là, du coup, je pense bien le mettre dans mon panier d'ici peu !).
J'aime bien, en particulier, le lien qui est tissé ici (mais c'est un des champs de force qui porte la pensée de Guattari et Deleuze) entre politique et désir.
Mais ceci me met la puce à l'oreille d'une autre manière : le désir me semble être cette énergie qui nous pousse vers l'inconnu (sinon, c'est juste une volonté, un projet). Or, cela signifie qu'il n'y a pas désir si on sait où on va, si il n'y a pas un dépaysement fondamental (il n'y a pas longtemps je lisais un article de Christiane Rochefort qui disait exactement ça : "le chemin vers la connaissance, c'est la sexualité". La proposition pouvait sembler étonnante, mais je la comprends comme ça : chacun est en chemin dans une trajectoire qui va toujours du connu à l'inconnu. J'appellerais volontiers "embourgeoisement" tout arrêt dans ce cheminement là. La sexualité est (fut ?) par excellence le domaine dans lequel ce chemin se faisait naturellement, puisqu'il s'agissait d'engager le corps dans une aventure qui le reconfigurait.
Alors, à partir de là, je me fabrique deux hypothèses :
1 - Si ce postulat est toujours valable, alors c'est que nos orientations politiques manquent singulièrement de cette dose de désir, qu'ils n'embarquent pas suffisamment ce dont nous sommes faits (des corps en tension vers un "ailleurs") vers une aventure dont on pourrait espérer une quelconque jouissance.
2 - Je me demande si le postulat est encore vrai, et en particulier pour les gays. On peut être un peu épouvanté de le constater, parce que c'est peut être au fond d'une impasse qu'on se trouve. Mais la sexualité, une fois obtenus les droits et les moyens de la pratiquer sans entraves, est passée du champ du territoire aventureux à explorer à celui du studio quotidien dans lequel on se complait. Pour celui qui quotidiennement se connecte sur Bearwww en choisissant sur l'étalage quelle viande il va consommer, la sexualité n'est plus qu'une aventure d'opérette; le fait d'être tatoué, d'avoir un corps affuté pour être conforme, au millimètre de muscle et de poil près à ce que ce type de vie exige, en matière de panoplie, peut donner l'impression d'être aventureux, mais on sait bien, tous, qu'il n'en est plus rien : ça ne choque plus personne, ça fait partie du paysage, et ceux qui s'y adonnent ne franchissent plus aucun cap personnel, puisque c'est au contraire leur quotidien, aussi fermement établi que leur profil sur les différents sites qui, de manière tout à fait organisée et sécurisée, leur servent de terrain de chasse. Bref. Nous sommes sans doute ceux qui, à un moment donné, avons proposé à l'homme (les mecs, en particulier, mais l'humanité était invitée à la fête) de franchir un cap, de ne pas en rester avec un corps dont les fonctions seraient si étroitement définies que le désir se réduisait, pour lui, à fort peu de choses. Mais à partir du moment où cette orientation devient pour beaucoup l'évidence, voire même une nécessité, sésame vers la satisfaction personnelle, mais aussi vers la reconnaissance des autres, sans doute cela ne relève t il plus du désir, mais du simple projet de réussite.
Part 2
Mais si je m'en tiens là, aucune perspective n'est offerte. Au delà de l'aventure personnelle qui consiste à placer son corps dans telle ou telle configuration à travers les expériences sexuelles, il me semble que la véritable aventure relève toujours de la rencontre avec autrui. Or, si le sexe n'est plus révolutionnaire, ou l'est si peu, c'est qu'on a un peu fait le tour de ce qu'on peut faire avec notre corps. Les prochaines frontières ne seront plus celles du sexe, mais des réalités augmentées. La sexualité a réussi à devenir, chez nous en particulier, un truc totalement autocentré dont autrui n'est que l'outil, le moyen. Une fois découvert que "ah ben tiens, ça, ça me fait jouir; tiens, ça aussi", on sait assez bien comment téléguider les autres pour en obtenir satisfaction, et ce ne sont plus que quelques variations dans le scenario qui vont permettre de ne pas mourir d'ennui. Si ni mon corps, ni celui de l'autre (ou des autres, peu importe) n'est mystérieux, alors c'en est fini de l'aventure, c'en est fini du désir. C'est au réenchantement d'autrui qu'il faut alors travailler. Et sans doute que, pour un temps, un tel enchantement ne peut-il plus être centré sur le sexe, parce que c'est le studio dans lequel nous tournons depuis si longtemps, en se valorisant énormément, croyant que, vraiment, sous prétexte qu'on vit ce que le bourgeois hétéro ne vit pas, on est mille fois plus libéré que lui. Je ne le crois pas : ceux qui, quand cela constituait un choix radical, parce que quasi solitaire, ont pu à bon droit penser cela. Aujourd'hui, ce n'est rien d'autre qu'une option parmi d'autres dans le catalogue identitaire, et rares sont les milieux dans lesquels cela soit véritablement impossible (je rejoins Didier, sur le fait que c'est en banlieue que ça se joue, parce que c'est là que les corps peuvent encore désirer et se vivre non pas comme le centre vers lequel doivent converger tous les intérêts, mais comme le véhicule d'un mouvement de soi tout entier, une démarche. Ailleurs, il n'y a plus de démarches, il n'y a, majoritairement, que des postures et des attitudes).
Je sais que tout cela réclamerait mille nuances supplémentaires, je sais aussi que ce sont des pistes qui doivent avoir été mille fois empruntées. ca mérite sans doute pas mal de baffes, ne serait ce que pour le ton un peu présomptueux que je me trouve moi même. Mais derrière Guattari, j'ai lu comme une nécessité du déracinement, de la déterritorialisation, dont il me semble que nos prédécesseurs ont su l'incarner, et que nous ne faisons plus que mimer aujourd'hui.
@ Youri
Moi je me pose beaucoup de questions sur cette obligation de "découvrir", de "transgresser". Je sais très bie que j'ai la réputation de chercher mon plaisir pas très loin, je n'ai jamais été très compliqué au niveau du cul, je suis un pédé vanille comme on l'appelle, et j'ai pas de problème avec ça. Je ne crois pas qu'on aime quelque chose ou quelqu'un uniquement quand on découvre. La répétition, pour moi, c'est une des plus belles manifestations de l'amour et du désir. Et donc je peux comprendre que sur le marché du sexe, sur Internet ou ailleurs, le fait de répéter ses expériences, c'est un plaisir aussi, même quand ces expériences se ressemblent beaucoup. Je crois qu'on a été enfermés, as gay people, dans l'obligation de faire de l'extraordinaire. C'est cette banalité que j'aime beaucoup à travers le coming out, ce dont je parlais dans le blog. Je suis en colère parce que tous ces pédés qui sont juste derrière Martine Aubry n'ont toujours pas pigé ce qu'on reprochai aux pédés de droite, du genre ceux qui ont beaucoup de pouvoir, comme en haut des maisons de disques, des maisons d'édition, des médias. Et maintenant, ceux qui m'énervent le plus, c'est plus les pédés de droite qui se cachent, c'est les pédés de gauche qui se cachent. Et là, il y a un travail un peu révolutionnaire qui s'offre à nous. On n'a pas fini de faire des choses scandaleuses! Si un groupe faisait de l'outing aujourd'hui, ça serait aussi pertinent qu'il y a 10 ans (quand Act Up ne l'a ps fait). Et ça permettrai de répondre à un ou deux petits problèmes générationnels qui nous gênent.
Pour Youri (2)
Je radote sûrement, mais dans le porno, tu vois vraiment une poursuite de l'expérience sexuelle qui, on le sait tous, est le reflet (ou l'avance, ou la consécration, au choix) de ce qui se passe dans la sexualité gay réelle.
Je savais que j'avais manqué de nuances, et de clarté aussi.
En fait, pour moi, la transgression, c'est pas le fait de choquer le bourgeois, comme on dit, mais plutôt le fait de se transgresser soi même, d'aller au dela de soi. Et pour moi, ça signifie pas devenir un cosmonaute du cul, mais plutôt, tout simplement, aller vers l'autre, parce que c'est quand même le territoire inconnu par excellence. Sans jouer excessivement mon Levinas, il me semble bien que les autres sont autant de percées dans un monde qui ne serait, sans eux, qu'une surface. Enfin, bon, je m'égare un peu.
Mais je crois que, finalement, nous sommes plutot d'accord : le combat pour la reconnaissance, aujourd'hui, ne passe plus par cette exploration des sensations fortes. Si, un temps, ce fut ce par quoi nous avons pu être repérés, et reconnus, c'est peut être maintenant par le caractère quelconque de nos vies que nous avons à percer.
Et ça ne me semble pas du tout opposé à la possibilité de cultiver le désir, bien au contraire : celui ci ne me semble pas s'épanouir dans la multiplicité ou dans les exploits accrobatiques, mais dans ce qu'on pourrait assimiler au fameux "cultiver son jardin" (voila une image qui devrait parler :)).
Maintenant, est ce que le triomphe de la quelconquitude peut se faire à travers des outings ? Je n'en sais franchement rien, je crois que je n'ai pas ce sens stratégique là, et que cette utilisation des autres m'effraie toujours un peu. Mais bon, je vais pas faire le malin : si je suis "out" auprès de mes collègues, je ne le suis clairement pas par rapport à mes élèves. Pour plein de raisons. Dont certaines sont sans doutes mauvaises.
D'une certaine manière, je me demande si j'attends pas que quelqu'un balance la chose à ma place. Mais je ne suis pas certain que cette manière de voir soit partagée par nos dirigeants, de droite comme de gauche ! :)
Enfin, si l'association des minorités a un sens, elle nécessite sans doute cette confiance commune là, de venir tel qu'on est, parce que sinon, il n'y a pas de véritable lutte commune, et rien ne se fonde. Ca semble être de plus en plus évident.
Quant au porno, hmmmm... je crois que je suis trop cinéphile pour parvenir à les regarder sans plaquer dessus des couches d'analyses. Dans mon blog, je m'étais dit que je consacrerais une partie à ce créneau là, et puis jusque là, j'ai eu fort peu à en dire. En fait, j'ai l'impression qu'ils ont été, un temps, un objet de conquête, l'expression d'individus qui lançaient dans la mer des bouteilles avec un message un peu particulier. Maintenant, la marchandisation extrême de la chose me semble avoir produit un effet étrange, dans lequel les films ne représentent pas la réalité, mais l'image qu'on a des idées que sont censés avoir les clients. Je suis mal à l'aise de voir l'ambiance développée par les videos mettant en scène les gars d'origine étrangère, dans un rapport de domination systématique envers les blancs. Je suis, d'ailleurs mal à l'aise de voir les rapports de domination, de manière générale, à ce point dominants dans ces videos. Et je me dis que si c'est censé représenter une réalité, j'ai du mal à me reconnaitre dans cette réalité (ce qui me ferait pencher vers une hypothèse, selon laquelle je ne serais pas réel, ce qui est plutôt intéressant, au final :))
Un jour, faudra que je prenne le temps de mettre tout ça au clair :)
J'aime bien l'anecdote à propos des élèves, comme chargé de cours à la fac j'ai connu moi aussi ce genre de difficultés entre moi et moi-même, entre ma liberté concrète et mes liens mutuels. La banalité évoquée par Didier, si je comprends bien, est celle d'un choix affirmé, et c'est ni plus, ni moins éprouvant que voir ce dont on est capable, rencontrer ses limites et apprendre d'elles.
Comment on passe de l'expérience banale, ordinaire, à l'expérience commune ? Ca vaudrait peut-être le coup d'inventorier les situations de culpabilité, qui fait comme si notre droit même à l'existence s'écroulait, repérer, être attentif à tous les facteurs de culpabilisation, pour les dissoudre.
Quand les médias gays demandent aux stars hétéros à s'identifier au style de vie gay, c'est en ce sens une manipulation sans doute même pas consciente, une manipulation des gays par les gays eux-mêmes, parce qu'il ne sera jamais question, au fond ici, que de reconnaître l'expérience homo comme quelque chose valable à la marge, même - et surtout - en inversant les valeurs, du déchet au glamour, mais ça n'y change fondamentalement rien : la hiérarchisation (imaginaire) est implicitement reconduite, et nos modes d'existence sont écrasées par la promotion de figures prêtes-à-porter. On pourra, après ça, continuer de se casser la tête sur le sexe en général, et le nôtre en particulier.
Dans un certain porno, celui qui met en scène la banlieue, n'est-on pas encore dans la production de cette inversion de valeurs, dans cette manipulation imaginaire, ne fonctionnerait-elle pas sur un fantasme (fort douteux) de tansgression ?
Une philosophe parle des Starhawks, et elle le fait plutôt bien. Pour ceux et celles qui s'y intéresseraient, voilà le lien :
http://www.dailymotion.com/video/x9lygb_les-starhawks-femmes-magie-et-polit_shortfilms
Merci Vincent ;
Isabelle Stengers a aussi rédigé une postface à l'édition française de "Femmes, magie et politique".
Toujours pas de nouvelles de Pablo Rouy?
Enregistrer un commentaire