J’ai toujours adoré, dans « Network » de Sidney Lumet (1976), quand les gens ouvrent leurs fenêtres et se mettent à crier : « I am mad as hell and I won’t take it anymore ! ». Je viens de dépasser la cinquantaine et je crois que je ressens toujours ce sentiment de colère. C’est pourquoi je vis à la campagne : au moins personne ne me voit quand je suis furieux. Par exemple, beaucoup de gens disent que la télé est pourrie (ce que je n’ai jamais vraiment pensé) parce que la télé est la meilleure fenêtre sur cette colère. Il suffit de regarder n’importe quelle chaîne info, tous les jours, pour s’imbiber de cette révolte. La seule observation du traitement de l’info mondiale est le meilleur moyen de préserver quelque chose en nous qui reste authentique, qui n’est pas foutu en l’air par tous les gens qu’on déteste avec fidélité depuis toujours. Franchement, je trouve trop facile de se définir par rapport aux choses qu’on aime (bien que je n’aie pas honte de mes 50 pages de fans sur FB). Il est beaucoup plus révélateur de faire une liste de ceux que l’on déteste. Les maires gays des capitales qui ne foutent rien et qu’on entend jamais sur les sujets qui fâchent. Les gens qui vous blacklistent parce que vous avez le malheur de soutenir Gaza. Les associations qui hébergent des militants qui finissent par être plus bornés que ceux qui travaillent dans les ministères. Les médias qui nous font encore chier avec des produits de luxe à 5000 euros que personne peut acheter. Les gens trop riches qui deviennent encore plus riches grâce au Pacs alors que ce dernier n’a pas été créé pour ça. Le cinéma français dans son ensemble, la chanson française dans son ensemble, les putes de Daft Punk qui foutent en l’air ce qui reste de l’esprit de la house, les Socialos qui n’ont toujours pas accepté les Noirs et les Beurs au plus haut niveau politique (comme au plus bas d’ailleurs). Les cons qui ne recyclent pas et ces putains de drogués qui nous emmerdent avec leurs dépendances chimiques ou sexuelles.
Selon Gilbert & George, « It takes a boy to understand a boy’s point of view ». Je n’ai jamais prétendu être autre chose. Je parle de ce que je connais. D’où je suis. Nous sommes en train de vivre une crise sans précédent et tous les gens qu’on admire sont en train de nous convaincre de ne pas regarder là où ça brûle. Music as usual ? Business as usual ? You must be joking ! This is a moment of a lifetime !
Ce qui est notable désormais, ce n’est pas le nombre de personnes qui ont des problèmes psy et qui consultent. C’est la très grande partie de ces personnes qui se plaignent du peu d’aide que leur procurent les psys qu’ils consultent. Mais le pire absolu, c’est qu’ils acceptent cette situation, comme si cela faisait partie du marché psychanalytique.
J’oublie souvent que je parle comme quelqu’un qui n’a rien à cacher. Pour la première fois depuis vingt ans, je ne travaille pas pour quelqu’un d’autre, je suis libre, je peux dire ce que je pense. Je suis fondamentalement attaché aux faits et je frémis à chaque fois que je vois ces homosexuels à la télé, dont certains sont séropos, qui ont vécu ces dix dernières années à se cacher. Ils sont persuadés que personne ne voit leur mensonge. Les sourires et les applaudissements qu’ils reçoivent à longueur de temps sont une manière de cacher cet étonnement intime, quand on se demande : « Mais pourquoi ne le dit-il pas ? ». Le temps passe. Chaque année, ce temps s‘étire et la déception finit par gonfler en prenant des formes très visibles. Tout le monde se chauffe sur l’homophobie, mais personne, vraiment personne ne montre le doigt vers ces pédés planqués pour dire que ce sont eux, les principaux fautifs de cette homophobie. D’anciennes menaces d’outing s’oublient et s’ajoutent à d’autres déceptions militantes qui fusionnent avec d’autres incohérences politiques. Je me rappelle que lorsque nous avons créé Têtu en 1995, j’étais persuadé que nous finirions par rattraper le retard que la France avait face à ses pays voisins. Force est de constater, en 2009, que l’échec est total sur ce sujet – et Têtu n’est pas fautif, c’est l’ensemble de la culture gay française qui a refusé de bouger. Quand je dis que le crise économique actuelle ressemble souvent à la déception vécue à l’intérieur de la communauté gay, c’est un peu ce que d’autres remarquent dans leur propre domaine. Gail Collins, le 12 décembre 2008, écrivait dans l’International Herald Tribune que la culture pop n’avait toujours pas abordé le problème de la crise. Dans « The Good News From Illinois », elle remarquait : « Yet Hollywood starlets and pop singers have been unhelpfully quiet ».
Six mois plus tard, rien n’a changé.
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