J'aime aller voir Skyfall
avec un homme que j'aime qui me tient la main pendant tout le film, qui rit
pendant les moments drôles et qui me dit quand on arrive à la scène de Macao
"Tu vois, c'est plus la peine de faire des films de SF, ça ressemble
exactement à Blade Runner avec tous
ces immeubles et ces pubs qui s'affichent sur tous les étages". Pendant le
film, ma main est posée sur sa cuisse, juste pour être plus près, le sentir
réagir quand 3 VW Beetle se font écraser par un Caterpillar avec Daniel Craig
aux commandes.
Paris est sous la pluie et
le vent, les prostituées de Marcadet Poissonniers font toujours autant de bruit
la nuit, on les entend du 5ème étage de l'appartement de Robert qui nous a
prêté son chez lui pour 4 jours, le dernier weekend avec celui que j'aime qui
est tombé amoureux d'un autre. La veille, il m'a invité dans un petit restaurant
africain de Château Rouge, un endroit qu'il m'avait montré lors d'un weekend au mois de mars, quand tout allait bien, même le fait de sortir en boite, quand
tout le monde était heureux de me voir heureux. Dans le restau, il y a des
Sénégalais qui disent à une autre table : "Quand j'arrive dans la banlieue
de Dakar, je vois partout ces 4X4 énormes et je ne comprends pas comment ils
font pour avoir des bagnoles pareilles avec un salaire de 1500 euros" et
il y a des échafaudages dans la salle principale qui tiennent le plafond et le
patron maghrébin parle de ce qui se passe en Egypte parce que c'est le vendredi avant les manif pro et anti Morsi. La nourriture est bonne, c'est notre première
soirée, le lendemain, on va se faire couper les cheveux chez un coiffeur en bas
de l'immeuble, 8 euros pour une coupe par un jeune Indou alors que le reste de
la boutique est tenu par un coiffeur africain. Il y a donc deux radios qui
mettent de la musique, d'un côté de la pop indienne mainstream et de l'autre du
rap français pas mal. Ça
va bien ensemble, on dirait un mash-up naturel, sans incongruité. L'après midi
de samedi, on fait un truc interdit: aller dans le Marais car il a besoin de
s'acheter du gel Silicone chez IEM et voir les bouquins de BD aux Mots à la
Bouche. On s'en sort pas trop mal, pas de troll sur le chemin. En passant, on
voit les graffiti GUD sur le Centre LGBT.
On n'a pas beaucoup d'argent donc on fait des trucs simples
comme manger un kebab et regarder le vendeur turc qui est un gros nounours
bandant avec un sourire gentil et un peu de poils qui poussent dans le creux de
sa chemise bleue. Il me faut de nouvelles chaussures parce que mes Reeboks ont
2 ans et même si j'aime les sneakers quand ils sont usés, à un moment il faut
en changer sinon les gens commencent à se poser des questions sociales et je
trouve aux Halles des New Balance pas chères qui ressemblent exactement à
celles que j'achetais il y a 10 ans à New York pour le tiers du prix de celles
qu'on trouve à Paris. Toujours le même look, toujours fidèle à une marque même
si tous les hipsters portent des trucs avec 25 nuances Pantone juste sur la
semelle. C'est notre dernier weekend ensemble et j'ai décidé de faire les
choses bien, pas de drame ou de reproches, pour que la séparation se passe bien
même si je suis désormais officiellement seul et que ces 6 derniers mois de
brolove m'on aidé à traverser un été pas drôle et un automne encore moins. J'ai
RDV chez la dermato pour mon check-up annuel, tout va bien. J'ai RDV chez les
avocats. Je dîne chez Alice qui me raconte qu'un ami commun lui a sorti
récemment une phrase super drôle : "J'en ai marre de baiser debout"
pour dire "J'aimerais bien rencontrer quelqu'un et faire ça chez moi, dans
un lit quoi".
Après on se retrouve au Bonne Nouvelle avec une bande d'amis
proches, on est assis sur une banquette au fond avec 2 jeunes pédés de 20 ans
qui nous regardent comme si on était too much, exactement ce qu'ils ne veulent
pas devenir, alors qu'il y a objectivement 2 ou 3 bombes parmi nous. On les
terrorise un peu, juste pour rire, pas méchamment, du genre "On sait qu'on
vous fait peur mais quand même, ça va, vous êtes gays aussi". Arnaud Crame
met des disques bien, pas trop fort, exactement comme il faut. Je regarde mon barman
préféré avec son look de brésilien intello funky bouclé poilu souriant mais il
y a Bruno Juliard assis à une table dehors, beaucoup plus précieuse qu'à la
télé, on est tous d'accord, et mon ex raconte que j'avais failli lui faire un
truc shady à la gare de Saint Etienne il y a plus de 6 mois. Sur le trottoir et
à l'intérieur de bonne Nouvelle, il y a facilement 10 personnes qui écrivent
pour Minorités, et Themba me dit
qu'il a fini un nouveau texte.
À un moment, on décide de prendre
le métro pour aller à la Mona parce que j'ai beau être téméraire, mais pas
assez pour affronter 200 personnes que je connais à la BLT où tous les gays
vont ce samedi soir. Dans le métro, je vois des bandes d'étudiants bourrés de
20 ans qui chantent des trucs qui semblent sortir de "La Nouvelle
Star" et je me dis Groumf. Bien que sur le quai, Arlindo montre à Asven
comment il faut marcher sur un runway et il se met à danser comme MC Hammer
dans Can't Touch This. Je fais des
compliments à Marc en lui disant "Tu t'habilles comme un vrai gay désormais"
mais il croit que je me moque alors que c'était bien sûr un compliment.
À Mona on arrive à 6 et Fred
Pellegrino nous fait entrer, il y a Nick V à la porte avec qui je discute trop
peu dans la nuit mais il est occupé et des fois c'est comme ça, on est arrivés
assez tôt et le club se remplit avec beaucoup de monde qui, je dois dire, n'a
aucune connaissance de ce qu'il faut faire pour ne pas bousculer les gens qui
ont le malheur de boire une grande pinte de bière et qui traversent le dancefloor
sans faire attention mais tout le monde me dit "C'est partout comme ça
maintenant" et il y a même deux couples hétéros qui dansent le rock alors
que c'est de la bonne house qui passe mais bon. Dans le backstage, il y a Fred Djaaleb
et son boyfriend Martin qui est le seul mec de toute la soirée qui me capte en
un regard, pas besoin de parler, je vois comment il est et il voit comment je
suis. Il y a cette fille, Julia, qui commence une battle verbale en impro où elle
insulte Kader et Fred et on rigole tellement que je dois m'assoir pour
apprécier. She rocks! C'est sûrement un des plus glauques backstages que j'ai
vus de ma vie mais c'est pas grave et derrière la porte Nick V et Mike Huckaby sont
en train de travailler la foule comme il le faut, les 5 premiers mètres devant les
DJ's, ce sont tous des kids de 20 ou 30 ans qui sont vraiment des amoureux de
house. Vers 4 heures du matin, il me vient à l'idée que ça y est, je suis le
mec le plus âgé dans le club, il y a encore des étudiants sur les tables qui
chantent "HAPPY BIRTHDAY" pour une de leurs copines avec des
bouteilles de Champagne et je me dis à nouveau Groumf, ça on l'aurait jamais vu
avant tellement c'est corny. C'est la première fois que je sors en boite depuis
que je me suis cassé la jambe cet été et ma cheville commence à faire mal.
Dans les peintures qui recouvrent les murs de la salle du bar de
la Java, il des dessins complètement old school d'un Paris imaginaire des
années... c'est assez difficile à dire... 50, 60 ou 70, je ne sais pas. Les
gens passent sans vraiment regarder le narratif de la fresque mais
je reste longtemps à observer les détails, la manière avec laquelle les arbres
sont peints. Les étranges perspectives des immeubles, le vernis de crasse qui recouvre
certaines scènes, le peu de personnages humains dans ce qui est, après tout,
une illustration de vie urbaine d'une période oubliée, que les jeunes de Mona
n'ont jamais connue. Je dis à Asven : "Le truc super cool, ce serait
d'écrire 10.000 signes sur ces peintures que personne ne regarde" alors
que cette salle de bar, dans la boite, a un côté vraiment agréable, avec des
banquettes rouges de restau sur lesquelles on peut s'assoir.
À 6 heures du matin, le club
se termine et je passe la tête devant les platines pour faire un signe à Nick
V, ensuite j'attends dehors avec Tom que Rodolphe sorte du bordel du vestiaire
et on marche tous les deux en descendant vers République en blaguant sur les
choses drôles et moins drôles de la soirée. Il a dansé toute la nuit et surtout
à partir de 4h quand la musique est devenue plus techno, s'étonnant que le
public ne réagisse pas plus à un classique de UR que tout le monde connaît. Il
est content et moi aussi car je ne pensais pas rester si longtemps. Quand on
rentre, on est contents de se mettre au lit après une douche, et je ne fais pas
grand chose du dimanche, ma cheville fait très mal donc il faut attendre.
L'après-midi, Rodolphe va à la messe et ensuite prend l'apéro avec ses amis et
quand il rentre il fait une bonne omelette et des pattes et je lui dis en
souriant : "C'est notre last supper" et lentement, en silence, il se met à pleurer. Je le console. Tout a
été dit, il n'y a pas un caillou d'unfinished
business qui n'ait pas été retourné et retourné et remis sur place pour
tout se dire, on s'endort dans les bras l'un de l'autre et le matin il se lève à 5h pour
prendre son train pour Saint Etienne. Moi je me rendors tout de suite dans son
odeur du lit comme je faisais avant quand il partait travailler.
C'est fini.
Quand je rentre chez moi, la seule bonne nouvelle c'est qu'il
fait beau sur Le Mans, pas un seul nuage, belle lumière d'hiver. Je n'ai plus mal à la cheville. Ma voiture
m'attend à la gare, je passe au Carrefour m'acheter du tabac pour pipe à la
vanille, c'est le seul endroit qui vend ça, je ne sais pas pourquoi. Comme
toujours, je traverse la banlieue pavillonnaire de Condé-sur-Sarthe en me
disant qu'il y a forcément un mec pédé de 25 ans gentil sexy qui m'attend dans toutes ces
maisons, le soleil tape en plein dans le bare brise, j'espère que mon mototracteur
sera livré demain pour tondre la pelouse et nettoyer un peu ce jardin pour les
80 ans de ma mère, le weekend qui vient.