mercredi 30 septembre 2009

Calamagrostis x acutiflora "Karl Foerster"


Je disais que le jardin a bénéficié de beaucoup d’eau en début d’année, jusqu’au mois de juin et que ça a continué avec des vagues d’orages qui se sont succédées jusqu’au 16 juillet, ce qui n’est pas très habituel. Le grand massif de graminées, planté l’année dernière, est presque adulte. Toutes les variétés ont poussé très fort cette année. Je suis en train de me demander si je n’ai pas planté trop serré, comme d’habitude. On est tellement content d’essayer des herbes différentes qu’on a tendance à vouloir en mettre beaucoup, pour que ça fasse de l’effet plus rapidement. Alors que tous les catalogues, tous les livres nous avertissent de ne pas faire cette erreur. C’est une des grandes bêtises du jardinier amateur et j’admets avoir été étonné par la force de ces plantes. Je n’aurais jamais pensé qu’elles iraient si vite. Les premiers miscanthus sont en train de porter leurs plumes. Tant qu’aux Calamagrostis, ils ont eu assez d’eau pendant le printemps, au moment de leur poussée, pour être superbes aujourd’hui. Cela donne presque le tourni de voir autant de textures de feuilles. Je n’ai plus besoin d’arroser pour que ça pousse, elles se débrouillent toutes seules. Au centre du massif, les artichauts ont été tellement contents qu’ils ont poussé cette année jusqu’à trois mètres de hauteur. C’est une variété du sud, donnée par mon frère Philippe, qui fait des petits artichauts qu’on mange crus avec du sel et un peu d’huile d’olive. Ce qui me rend dingue, c’est de réaliser que je suis devenu accro aux Calamagrostis, je crois que ce sont mes graminées préférées. Ils sont tellement immenses, plus de deux mètres cette année, droit debout, et les plants n’ont que deux ans. À la sortie d’Evreux, ils en ont mis des centaines au milieu de la route, en ligne, on ne voit que ça. Je me dis maintenant que j’aurais dû presque planter uniquement ça. Un champ entier de Calamagrostis. C’est joli 365 jours par an. C’est pas tout le monde qui peut dire ça.

Ce champ de Calamagrostis, je vais le faire chez Ray. Cet été, je lui ai promis de monter un mur de pierres d’1m80 et je dois le faire. Mais il ne pleut toujours pas et il fait trop chaud. Maintenant, je ne me lance plus dans le ciment quand il n’y a pas de nuages, on transpire trop. Je dois aussi nettoyer tout son jardin, ça va me prendre des jours et des jours de travail. Son jardin sera plus joli que le mien quand il sera terminé. En fait, il sera la somme de tous toutes les erreurs de mon jardin que je ne reproduirai pas chez lui. Maximum effet pour lowest maintenance.

Le mien, je l’ai laissé tranquille depuis cet hiver. Il y a des coins du jardin où je ne suis pas intervenu du tout. De temps en temps, ça fait du bien à un jardin de rester intouché pendant presque une année. Il y a des plantes qui se ressèment, on peut ainsi multiplier le nombre de ses vivaces, c’est complètement naturel pour les animaux. Et ça repose aussi. Là j’ai un lièvre dans le jardin qui s’est installé près de la cabane. Tous les soirs il se promène sur la pelouse et il reste là, à prendre l’air, à regarder autour de lui. Chaque année, un lièvre cherche à s’installer chez moi, c’est peut-être le même d’ailleurs. Il y a deux ans, l’herbe était si haute au moment de tondre que je suis passé avec le motoculteur sur un petit lapin qui s’était blotti dans l’herbe, comme ils font quand ils ont peur ou qu’ils cherchent à se cacher. C’était pas joli à voir. Redrum on the lawn. C’était vraiment impossible pour moi de voir cette toute petite boule de poils.

Bref, le fait d’avoir laissé le jardin à l’abandon, presque pas entretenu, a attiré ce lièvre et aussi la fouine qui s’est installée dans le grenier. Il y a des vivaces qui ont germé dans des coins inimaginables, il y a des fleurs qui venaient de la voisine, probablement, qui se sont mises à pousser juste devant la maison. Même une variété de verbascum que j’essayais de faire germer depuis deux ans qui est arrivée toute seule, de je ne sais où. C’est la première année de repos de ce jardin et même s’il n’est pas très bien entretenu, il est comme en pause. Tout s’est installé.

Bon, là, bien sûr, tout le monde est content parce qu’il ne pleut pas et que l’automne est magnifique. Paris a eu de la pluie au début du mois de septembre, mais nous, dans ce coin de Normandie, on n’a rien eu. Cela fait donc trois mois sans eau, et le jardin souffre presque autant qu’à la fin de la canicule de 2003. Mais ça ne m’a pas emmerdé comme les autres années de sécheresse. D’abord, j’étais content de ne pas avoir à tondre car la pelouse est complètement grillée, partout, même dans les endroits où c’est plus humide. Beaucoup d’arbres caducs sont en train de perdre leurs feuilles, plus rapidement que les années précédentes. Je jardin en a déjà marre, il veut passer à autre chose. Normalement, on devrait être déjà à retourner la terre et planter les vivaces ou les diviser et là le sol est totalement sec pour le début octobre. En termes de jardinage, c’est un peu dingue, surtout pour la région. C’est si aride qu’il ne faut surtout pas choquer les plantes en les transplantant ou même en les taillant trop court. Même pour les boutures, c’est dangereux. C’est un moment où le jardin sait que la pluie ne va pas venir avant au moins une semaine, peut-être même dix jours encore. Les plantes ont compris ça, elles se mettent en repos forcé, au bord de l’épuisement. Elles en ont vraiment marre. Mon père m’avait dit en septembre que le temps tournerait à l’équinoxe, comme il le fait toujours (le temps, pas mon père), mais pas cette année. J’ai passé cette saison à tester les plantes au maximum. Oui je sais, on va se moquer de ça aussi. Mais cela fait plus de deux ans désormais que je n’achète que des plantes et des arbres qui supportent les pires sécheresses, donc cet été a été une bonne occasion de vérifier si ce qu’on disait était vrai. Et c’est vrai. Ces Poa labillardieri et ces Fetusca mairei sont merveilleuses, comme les Carex morrowi "Ice Dance". Du coup, je vais en mettre plus et donner à Ray ce qui ne réussit pas si bien. Avec les graminées, je n’ai plus à arroser anyway. Tous les matins, en ce moment, la brume est encore là quand je me réveille, il fait même gris et froid, et les graminées accrochent chaque moment de brume, on dirait qu’elle tirent les vapeurs à elles avec leurs tiges. Et puis après, ça se découvre d’un coup, en dix secondes. Et il commence à faire de plus en plus chaud. Le linge sèche en une heure. Et toutes les variétés de miscanthus fleurissent les unes après les autres. Malgré la sécheresse, les graminées sont si belles qu’elles sont en train d’offrir au jardin son plus beau semestre. L’automne et l’hiver.

mercredi 23 septembre 2009

La mauvaise typo des socialistes


Il y a moins de deux ans, les médias se sont livrés à un bel exercice : comparer les sites de campagne des deux candidats à la Maison-Blanche. Tout le monde s’y est mis avec plus ou moins d’expertise et de clairvoyance, mais l’idée était là : le message politique dépend de la police de caractère. J’ai alors commencé à découper les articles de mon quotidien préféré. Le 5 février 2008, un premier papier de Noam Cohen prenait déjà parti : « Just look at their sites : Clinton is a PC and Obama is a Mac ». On ne peut être plus clair. Obama avait la machine moderne, celle qui transforme, celle que l’on choisit par conviction. Clinton avait le PC du peuple, la machine qui plante souvent, celle qu’on achète parce qu’on n’a pas réfléchi.

Le 7 avril 2008, un article d’Alice Rawsthorn décrivait pourquoi Obama était en train de gagner la guerre de l’image et du marketing : « Brand Obama : Leader in the image war ». Les couleurs choisies, ainsi que les symboles, les logos et les lettrines symbolisaient le rejet des conventions. Le site d’Obama se montrait clairement plus audacieux.

Le 26 mai suivant, Roger Cohen abordait l’angle financier : comment le design des sites de Clinton et d’Obama influençait la générosité des donateurs pour alimenter la campagne la plus onéreuse de tous les temps. Je reviendrai tout de suite après sur ces articles qui ont décrit, tout en la célébrant, la montée en puissance de l’esthétique Internet dans le cadre d’une campagne présidentielle. Aux Etats-Unis, on sent une réelle curiosité pour le support idéologique. Le message est forcément influencé par l’intelligence de la présentation. C’est l’idée du beau soutenu par la publicité. La conviction politique nourrie par l’image. On dépense pour convaincre.

En France, depuis une dizaine de jours, tout le monde a commenté le site de Ségolène Royal, les couacs de son lancement, la déception générale, les moqueries sur Internet, l’incohérence de l’ensemble. Des parodies sont apparues qui ont entraîné d’autres commentaires, isolant de plus en plus le camp Désirs d’Avenir. Certains sont proposé leur aide pour sauver la situation. Pendant ce temps, Villepin a lancé son propre site, dans l’indifférence générale, juste avant le début du procès Clearstream (yawn). Et puis, souverain en son royaume, n’oublions pas que Bertrand Delanoë avait essuyé les plâtres avec son propre site perso, le pire de tous, no doubt.

Au New York Times, Alice Rawsthorn a une marotte. Elle s’amuse à dénoncer les marques qui font du mauvais design, les sites web qui sont nuls. Elle peut faire un article entier sur cette interrogation : pourquoi les machines à Espresso sont atteintes par une nouvelle maladie, la « designeritis » (10 août 2009). Elle milite pour un Internet qui rend les choses faciles à la fois pour l’œil et pour le cerveau (28 septembre 2008). Elle prédit que le futur éradiquera les objets tout en les créant (31 janvier 2007). Elle se pose souvent la question : pourquoi tant de créativité quand seulement 10% de la population a les moyens d’en bénéficier ? (26 mai 2008). Elle est inquiète face aux conséquences écologiques de ce que nous consommons (2 février 2009) . Elle explique pourquoi le classique est moderne (le 28 avril 2008). Elle se pose la question définitive : qu’est-ce que le bon design ? (9 juin 2008).

Je suis le seul à découper ces articles ? Ou plutôt : n’y a-t-il personne qui les découpe pour Delanoë et Ségolène Royal ? L'article de Suzy Menkes pour le NYT sur la peur des ordinateurs chez les leaders de la mode? On se demande comment ces cadors de la communication (c’est ainsi qu’on nous les présente à chaque fois) font pour se planter ainsi. Car, chez eux, il ne s’agit pas d’un simple bug (qui peut arriver à tout le monde), ou une légère faute de goût, ou un « peut mieux faire » dans le visuel ou l’arborescence. Non, ce sont de véritables catastrophes. Il s’agit de réelles insultes visuelles. Ces sites illustrent une déconnection complète de ce qui se passe sur Internet. Si c’est ça qu’ils nous proposent pour le pays lors des prochaines élections présidentielles, alors partons tout de suite vivre en Moldavie, au moins là France Telecom vient d’installer le HD pour les téléphones portables. Parce que c'est ça le problème : comment ces gens peuvent être crédibles quand ils sont si nuls?

Quand j’ai eu le malheur de mentionner la laideur du site de Delanoë sur Facebook, j’ai eu des amis qui m’ont sorti le traditionnel argument : « Les sites des opposants UMP sont plus classe, mais si un jour Delanoë perd la mairie, on regrettera la laideur de son site ». Ou alors « Son site est laid, ses costumes sont laids, son physique est laid, mais c’est quand même pas très important et ça n’apporte rien au débat ». Mon propre frère a fini en pirouette, comme toujours : « Mais qui aurait envie d’aller sur le site perso de Delanoë ? ». Sister, I love you! Sans oublier la remarque la plus idiote de toutes : « Oui c’est moche, mais bizarrement assez intuitif et… convivial ». Ah, les clichés de l’intuitif et du convivial ! On comprendra que cette tolérance à la laideur est surtout motivée par le risque parano de voir Delanoë perdre sa mairie – comme si c’était possible. Ce masochisme de la laideur provient, faut-il le rappeler, de gays très sensibles au design et à la culture en général, avec des appartements dans lesquels on trouve des meubles originaux, des objets signés, etc. Pour eux, le côté rance du site de Delanoë ne vaut pas un conflit. Je crois même déceler l’idée derrière tout ça : comme il faut faire laid pour réussir une pub de charcuterie à la télé, ce n’est pas très différent quand on lance le site d’un homme politique homosexuel qui doit surtout s’écarter du cliché selon lequel les homosexuels ont du goût. Qui va aller sur le site perso de Delanoë ? Ben, les mêmes personnes qui mettent Delanoë en première place du sondage de popularité OpinionWay, pardi. Un site personnel, c’est un outil de campagne, c’est pas fait pour énumérer les recettes culinaires du maire de Paris. C’est une machine de propagande (enfin, dans l’idéal), c’est une vitrine, et un lieu de débat. Sa fonction même est de répondre à un cahier des charges qui permettra de propulser (ou non) un candidat potentiel à la fonction suprême, celle de Président de la République.

Alors, si tout le monde a donné son avis sur le site de Ségolène, sa vidéo postée en retard, son amateurisme presque revendiqué, ce serait bien de mettre tout ça en perspective. D’abord, comme je disais au début, ces hommes et ces femmes politiques français ont tout de même l’immense chance d’avoir vu se développer, avec le succès que l’on sait, la campagne des élections présidentielles US. Il y avait matière à inspiration. Et dès le début, j’aimerais écarter la réponse toute faite des pintades du poulailler PS : « Mais on n’est pas en Amérique, on n’a pas le même budget pour faire ça, nous ». Réponse : le site de Ségo ne vaut même pas les 47.000 euros qu’il a coûté. À Minorités, on s’en est sortis pour beaucoup moins cher et c’est beaucoup plus joli et efficace. Le PS a, je le répète, une envie fondamentale de convaincre à travers la laideur. Or, Internet, dans l’idée, c’est beau. Si vous avez la chance de pouvoir vous libérer de la pub et des cochonneries qui polluent la vision, comme c’est le cas chez Delanoë ou Désirs d’Avenir, vous devez aller directement vers l’essentiel : le positionnement politique à travers les mots, les couleurs, les lettres, l’espace entre les lettres, toutes ces petites choses qui attestent si vous avez compris ou pas. Grâce à ces choix de maquette, vous embrassez la modernité ou pas.

Si le site de la campagne d’Hillary Clinton a été jugé durement (« Her campaign has been so 20th Centhury »), alors celui de Ségolène date de 1981 et celui de Delanoë date d’avant le trou des Halles de Paris, quand les bouchers vivaient entourés de rats. Il y a un côté vieille épicerie dans ce camaïeux de couleurs qui rappelle inconsciemment le caddy de la ménagère avant que Cif Ammoniacal ne soit inventé. Ça sent le vieux. « Tout est global de nos jours, sauf la politique » dit David Sing Grewal dans son livre « Network Power ». You bet. Delanoë et Ségolène Royal ne parviennent toujours pas à transposer de manière novatrice tout le travail mené à la base, cette démocratie participative qui leur procure tant d’heures supplémentaires et qu’ils n’arrivent pas à mettre en valeur. Les personnes qui ont travaillé sur leurs sites ont visiblement reçu des recommandations : ne pas chercher ailleurs pour trouver l’inspiration. Ou pire : « Ne JAMAIS regarder la concurrence ! » . Un slogan impossible à suivre de nos jours, à moins de montrer à quel point on n’a rien compris à Internet. Tout est concurrence. Si Obama a choisi la police de caractère Gotham pour ancrer sa campagne, on se demande si Delanoë et Ségo ont un avis pour trancher le vieux débat : avec serif ou sans ?

À la base, ce que ces sites veulent dire, c’est l’inconfort de l’idée socialiste face à une esthétique moderne. Ségo et Delanoë choisissent leurs lettres comme leurs vêtements : mal. Ils n’ont pas de goût et ils ne laissent personne régler ce désastre visuel à leur place. Ensuite, ces sites disent quelque chose de très clair sur le message, sur le texte. Il n’y a pas de programme, il n’y a pas de bilan, il n’y a même pas une envie de faire diversion sur le visuel. Du coup, il n’y a rien. La laideur intolérable de la mise en page, des typos, des illustrations, de l’éclairage, du contraste ou de la mise en valeur prouve que ces « communicants » n’ont aucun respect pour le mot. Ils ne savent pas écrire, ils n’ont pas d’élocution, ils ne parlent pas de langues étrangères et on voit la peur sur leurs visages quand ils s’approchent d’un micro. Ils articulent les mots qui sont à l’opposé de leur pensée. Le site de Delanoë est laid parce que les textes, en eux-mêmes, sont laids.

L’envie, c’est de gagner au finish par lassitude, en donnant le moins possible. Ils n’ont rien compris à Internet car ils sont complètement dans la rétention anale. Ils croient qu’on peut rester en haut des sondages et qu’on peut gagner les élections en disant le moins de choses possible, en se montrant le moins possible, en se cachant derrière l’écran crasseux de leurs sites. Ces sites entérinent leur évaporation. Plus c’est laid et moins on a envie de les voir. Moins on a envie de les voir et plus ils sont absents. Et plus ils sont tranquilles. Ils peuvent passer ainsi des semaines sans donner de nouvelles. Et le peuple de gauche est satisfait de cette distance qu’il trouve assez chic, alors qu’elle est juste le symbole de leur paresse qui est visible pour tous, dès la première page de leurs sites.

La laideur est donc la protection ultime de ces leaders politiques pendant qu’ils sont invisibles face aux grands enjeux qui les concernent. Quand on demandera ce que fait Delanoë pour (ou contre) le Grand Paris, il aura beau jeu de répondre : « Talk to my website » comme si c’était une nouvelle version de « Parle à ma main ! ». Pour eux, le site web, c’est un gag, comme les pin’s des années 90 : un truc qui pollue l’esthétique de la vie quotidienne, une sorte d’inflation du rien. Ou pire, c’est une menace. On parle de « démocratie du design » ou de « co-design », mais ça les inquiète.

Après la victoire d’Obama, les médias se sont posé la question : l’Europe pourrait-elle avoir son Obama ? Réponse : avec de tels sites, c’est facile : no way José. Ces sites ne montrent absolument pas en quoi Delanoë ou Ségo sont différents. Plus on est femme et plus on reprend l’image de Mitterrand. Plus on est gay et plus on se montre beauf. Cette manière de ne rien revendiquer à travers le graphisme, c’est la meilleure manière de montrer son incapacité à imposer le changement. Dans la société actuelle, où le design et le graphisme n’ont jamais été aussi présents, parfois même jusqu’à la nausée, ces sites sont totalement décalés. Hello ! Vous avez des gosses de 12 ans qui passent à la télé parce qu’ils sont dans un groupe de rock. Vous avez un rapper comme Soulja Boy qui devient millionnaire en 6 mois grâce à MySpace. Vous avez un musulman qui devient maire d’une ville comme Rotterdam, for fucks sake. Vous avez EuroNews avec un habillage parfait. À Londres, le gouvernement est en train d’apprendre aux fonctionnaires à utiliser Twitter. Barack Obama a 2.225.926 followers (and counting) sur Twitter. Et Delanoë ? Il n’est même pas sur Twitter.

mardi 22 septembre 2009

Sounds of Blackness


Le sujet racial a toujours été au centre de mon écriture et de mon amour pour la musique. Dès l’âge de 12 ans, à travers des disques blancs, comme ceux de Led Zeppelin ou des Who, ce qui m’attirait en fait était la musique noire, le blues, tout ça. Pendant des années, j’ai aimé la musique parce que je cherchais la race noire qui était invisible dans mon coin de France à l’époque. Même quand j’ai découvert Kraftwerk, j’aimais cette musique allemande blanche parce qu’elle était le miroir d’une musique noire qui était si rare dans les années 70.

Bien sûr, ensuite, Bob Marley a changé tout ça. Mais mes choix musicaux ont toujours été influencés par la musique noire qui était une allégorie ethnique parce qu’il y a 40 ans, la musique était vraiment le seul media qui permettait une expression totalement libre pour les Noirs. Je veux dire, à l’époque, personne ne lisait du James Baldwin. J’ai raconté 1000 fois que lorsque j’ai rencontré la disco, j’ai jeté toute ma collection de disques punks, même si je savais déjà, parce que c’était écrit dans la presse, et parce que je le sentais aussi, que le punk et la disco étaient liés. Mais mes amis de l’époque peuvent témoigner que j’ai assumé ce choix comme une épiphanie, par cohérence raciale. J’ai décidé d’écouter uniquement de la musique noire. J’ai pris alors la mesure de l’engagement qui était nécessaire pour se mettre au niveau de la musique noire. De fait, je pensais ne jamais parvenir à rattraper mon handicap et le retard pris par la société envers les Noirs. Il fallait que le reste de mon existence soit entièrement consacré à l’apprentissage de cette musique qui était juste en train de devenir respectée. Et là je ne parle pas du jazz, du blues ou même du rock noir. Je parle de funk, de dub, de disco, de house et de hip hop. À 20 ans, j’ai compris que le reste de ma vie serait consacré à l’observation de cette musique pour en connaître les racines. Je savais déjà que les décennies à venir ne m’apporteraient probablement pas la récompense suprême : la proximité des Noirs en tant qu’amis ou lovers.

Je serais marqué pour toujours par ma génération, celle de la fin des années 50. Je regarderais devant moi, avec envie mais aussi tristesse, les jeunes générations apprécier le melting pot que je n’ai jamais connu. Je me suis puni en assumant pleinement le fardeau de la ségrégation dans laquelle je suis né, dans laquelle j’ai grandi. Je suis le produit de cette ségrégation. Ma punition, en tant que fils de Pied-Noir, serait cette ironie totale : né en Afrique, je ne pourrais jamais apprécier la race noire autant que je l’espérais, comme symbole de mes propres racines, de la terre qui a porté mes premiers pas. Cette musique noire que je cherchais si profondément dans les disques que j‘écoutais à dix ans, c’était celle qui avait voyagé de l’Afrique vers les Antilles et vers l’Amérique pour revenir en Europe. Cette punition coloniale, je la payerais en mon nom propre, au nom de mes ancêtres aussi, car jamais je ne pourrais prétendre m’en éloigner, jamais je n’obtiendrais le pardon. Je peux même aller très loin. Jamais je n’oserais m’agenouiller devant cette musique noire comme si elle avait le pouvoir de me pardonner car, dans ce cas, il faudrait s’agenouiller chaque jour, à chaque moment, devant chaque symbole de cette musique noire. Ce qui serait difficile, on l’imagine, à vivre d’une manière pratique.

Avant qu’on me le reproche, je ne pense pourtant pas que cet amour musical soit uniquement le résultat d’une simple culpabilité. Il fallait du courage pour s’extirper d’un héritage blanc en 1970 pour décréter que désormais, « seule la musique noire m’intéressait ». Il en fallait aussi pour décider de devenir un des rares journalistes blancs à creuser dans une culture musicale qui n’était pas très respectée. Il fallait espérer aussi qu’une séparation s’estomperait un jour : d’un côté les artistes Noirs, de l’autre un journalisme blanc. Les Noirs inventent, les Blancs commentent. Si on a un problème avec cette division, si on la ressent comme quelque chose d’injuste, il faut forcément la faire évoluer. D’un côté l’art, et de l’autre son réceptacle. D’un côté la musique, de l’autre le sexe. Je fais partie de ces Blancs qui sont des faux Noirs. Selon mes critères de suprématie, les Noirs sont toujours supérieurs. Cela n’empêche pas de critiquer aussi, mais dans tous les médias modernes qui sont pour moi les plus importants, comme la musique, le sport, le sexe, la Beauté avec un grand B, les Noirs sont supérieurs. Et je pourrais écrire des livres sur ce sujet pour échapper à la controverse. Mais je m’en fous, je le revendique même en quelques phrases. Et c’est pourquoi j’ai toujours été extra careful quand j’avais des amis Noirs ou quand je couchais avec eux. Je me serais foutu des baffes plutôt que conforter un cliché de comportement scandaleux, ou même gênant. Je devais faire attention à eux, sans être lourdingue. S’empêcher de faire du tourisme sexuel, par exemple.

Je me suis mis dans la position du public, toujours en attente, toujours aux aguets. Je n’ai jamais ressenti de « fatigue raciale » car je n’ai jamais cessé de me poser des questions – et de rêver aussi - sur l’expression noire dans la musique. Je me doutais pourtant que je n’obtiendrais peut-être jamais de bonnes réponses à mes interrogations. Au stade où, il y a dix ans, j’ai commencé à poser des questions étranges à des célébrités comme Janet Jackson qui me regardaient d’une manière étrange quand je les questionnais sur le « mystère noir ». Pour moi c’était limpide, le sujet central de livres comme « How Race Is Lived In America (2001), un projet de l’ensemble de l’équipe du New York Times qui se penche sur la difficulté de parler de race entre ethnies différentes. Et quand j’ai enfin compris que les artistes Noirs eux-mêmes n’avaient pas envie d’aborder ce sujet si complexe dans le cadre d’interviews de promotion, ça m’a fendu le cœur. Après plusieurs tentatives, j’ai compris que ces artistes n’avaient pas envie de mettre de côté l’impératif commercial d’une interview pour aborder un sujet de conversation pourtant très symbolique de la relation art / media. C’est le moment pivotal de ma « carrière » : la musique s’est formatée d’une telle manière qu’il est devenu presque impossible d’aborder le fondement politique qui sous tend la musique noire. La musique est alors devenue une autre barrière commerciale qui nous séparait, une fois de plus, dans ce mouvement de rapprochement inter racial. Par exemple, quand j’ai été viré de Libération, en 1997, mon principal sentiment de réconfort, c’était d’espérer qu’un ou une journaliste Noir prendrait ma place pour, enfin, parler à la première personne de cette musique. Ce n’est pas ce qui s’est passé, mais je pense avoir jeté les bases, comme toujours.

Il faut bien admettre que chez les gays, nous sommes encore une minorité à être devenus fans de « The Wire », comme si c’était le prolongement naturel d’un mouvement musical ou même d’un combat pour l’égalité des droits. Qui a vraiment remarqué le « Bartender » de T-Pain joué dans l’épisode 9 de la saison 5 ? Qui a reconnu le look de Lil’ Wayne dans l’adolescence de Namond Price (joué par Julito McCullum) ? Même « Oz », avec tous ses mecs Blacks à poil n’est pas parvenu à créer une fascination aussi sincère. À travers « The Wire », c’est la découverte de toute une manière de se comporter, de parler, de marcher, de mâchouiller un cure-dent au bord des lèvres. C’est devenu le manifeste et la référence. Il suffit de regarder « The Wire » pour comprendre. Si on a des problèmes avec les Noirs, il suffit de regarder la série. C’est quand même pas difficile comme exercice.

Ce qui m’excite dans Minorités, c’est bien l’espoir de fusionner ces envies et ces frustrations dans le cadre d’un groupe de réflexion sur les minorités. Je rêve d’un jour où un kid écrira et racontera ce qu’il ressent lorsqu’il va aux Tea Dance de BBB où le public est composé à 90% de jeunes Blacks et Beurs, avec leurs codes, leur sexualité, leur langage. Car j’ai l’impression que l’ensemble des gays Blancs ne s’intéresse pas à ce club, toujours rempli, alors que le clubbing parisien est clairement en crise à Paris.

Je rêve d’un ami hétéro qui me proposerait un texte sur sa passion du surf, son esthétisme et son angle politique aussi. Je regarde les magazines de surf et de skate avec la même admiration que lorsque je regarde « The Wire ». C’est une culture underground qui lutte pour rester authentique. C’est du sport, du loisir, mais aussi un engagement, de l’écologie, du style, de la violence et du respect, bref une culture minoritaire. Combien de gays sont intéressés par ça ? Pourquoi ai-je porté des pantalons Stüssy depuis 1987 ? Des sneakers Simple depuis 1990 ? Pourquoi ai-je offert une montre Nixon à mon mari de l’époque, alors que personne ne connaissait encore cette marque, découverte à la boutique Supreme de New York ? Etait-ce du voyeurisme ou une envie de s’associer à un mouvement que je ne pourrais jamais comprendre vraiment, tout simplement parce que je ne faisais pas du skate car j’étais trop occupé à militer contre le sida ?

La musique noire, le skate, le surf, ce sont des mondes qui sont devenus plus tolérants envers les gays. Il y a vingt ans, ce n’était pas le cas. Il y a donc eu une évolution vers une forme de tolérance et de compréhension mutuelle. Aujourd’hui, vous pouvez avoir 50 ou 60 ans et vous habiller en surfer ou en skater et vous n’avez pas l’air con.

Quant à la musique arabe, c’était encore pire. Mon espoir secret, c’était de tomber amoureux d’un Arabe qui m’expliquerait toute l’histoire de cette musique, comme je l’ai fait pour d’autres avec la house et la soul. Mais je n’ai jamais rencontré cet Arabe. Aujourd’hui, à 51 ans, je me dis que je ne le rencontrerai peut-être jamais. À un certain âge, on commence à anticiper les choses que l’on ne fera pas dans sa vie. Il faut avoir le courage de l’admettre et de le voir venir. Nous avons préparé cette mixité, nous l’avons encouragée, nous avons même radoté dessus et on continue de radoter dessus. Mais notre génération ne la connaîtra pas vraiment, car elle appartient aux jeunes, c’est leur privilège. Leur cadeau.

More to come.

vendredi 11 septembre 2009

Les gays et Obama


J’ai mis du temps à lire "Hope and History ", le dossier du numéro de septembre de The Advocate consacré à Obama. En termes de réactivité Internet, ça donne : FAIL. Pire : tous les amis ont déjà lu l’article, sauf moiself. J’avais râlé intérieurement en voyant la couverture du numéro avec un grand « NOPE? » à la place de « HOPE ». J’hésitais à lire l’article parce que je me disais : « Voilà, les gays sont égoïstes, ils sont les premiers à lâcher Obama ». Et ça m’énervait.

En résumé : le journaliste Michael Joseph Gross revient sur l’immense espoir apporté par l’élection d’Obama. Le switch un peu difficile des gays qui, avant les primaires, avaient choisi Hillary comme meilleure prétendante à la Maison-Blanche. Les nombreuses occasions prises par Obama dans ses discours pour saluer et encourager les attentes LGBT. La lune de miel des 100 premiers jours.

Et puis l’attente.

Les 100 jours d’Obama sont finis depuis longtemps et la communauté s’impatiente. Pire, la liste des choses à faire n’avance pas. Le mariage gay est bloqué, les associations LGBT qui lobbient Washington semblent plus excitées à l’idée de se faire inviter aux soirées de la Maison-Blanche plutôt que… faire pression. Et surtout Obama aurait dû régler depuis longtemps déjà une de ses promesses pré électorales en révoquant la politique « Don’t Ask, Don’t Tell » à l’armée. Un seul décret de sa part aurait pu effacer des années d’exclusion de gays et de lesbiennes. Il n’avait pas vraiment besoin de passer par le Parlement pour ça. Et puis, il y a eu toutes les autres fâcheries : la présence de Rick Warren lors des cérémonies d’inauguration, etc, etc .

C’est à partir de ce constat que Gross développe l’angle de son article. On croyait que ça allait être une litanie de critiques à l’encontre de l’administration Obama (qui en passant, n’est toujours pas complètement installée dans ses bureaux). Mais il se tourne vers la communauté. Pour Gross, Obama n’a pas tenu ses promesses, pour l’instant, parce que les LGBT ne sont pas assez agressifs. Il faut comprendre Obama, dit-il, non comme un allié, mais comme n’importe quel président qu’il faut bousculer. Obama peut faire avancer les droits LGBT. Mais la vraie question est : les LGBT peuvent-ils créer un mouvement qui, réellement, peut faire pression ? Obama a besoin d’une base très engagée pour faire basculer une nation américaine qui ne considère pas forcément le mariage gay comme une urgence face aux autres problèmes de la société. En ouvrant la porte aux idées LGBT, Obama teste les organisations qui les soutiennent. En termes politiques, il les défie même. Cette révolution sociétale, il faut que les gays l’obtiennent en faisant du bruit, en se mobilisant, en étant très agressifs face à la majorité du pays qui hésite encore sur la question du mariage.

Ce qui s’est passé avec la Proposition 8 en Californie est très révélateur. Si l’opération s’est soldée par un échec, les organisations LGBT en ont déjà tiré les conclusions avec même des autocritiques sur la stratégie suivie. Mais la campagne, en elle-même, a montré qu’une nouvelle génération de militants avait été trouvée. C’est une formidable avancée. Mais il faut aller plus loin. L’article de The Advocate prend alors un accent d’appel aux armes. C’est relativement rare dans les pages de la presse gay américaine. Avec un hommage insistant pour le vieux des vieux, Larry Kramer, qui n’en démord pas depuis dix ans : « Nous ne sommes pas ici pour faire des amis. Nous sommes ici pour obtenir nos droits ».

Michael Joseph Gross affirme : « Le mouvement national pour les droits des gays est enlisé entre l’activisme et la politique politicienne, entre la colère et l’ambition ». Traduisez : ceux qui nous défendent sont surtout intéressés par les nouvelles opportunités de l’administration Obama. Ils veulent assurer leurs carrières avant tout. Travailler de l’intérieur, soi-disant. Cette génération a oublié ce qui a contribué aux grandes victoires du mouvement gay et sida des vingt dernières années. Ces personnes qui menaient le combat appartenaient à une génération qui se considérait « gay first and foremost ». Gay d’abord – et gay surtout. C’est cette notion séparatiste qui leur a permis de se positionner face au pouvoir d’une manière intransigeante, dans un coming out permanent, avec des demandes très précises, très pragmatiques, très concrètes.

Or cette attitude gay n’est plus vraiment celle que partage la nouvelle génération LGBT. En termes d’identité, oui. En termes d’engagement, non. Leur idée, c’est d’utiliser le combat contre l’homophobie comme une caisse de résonance des demandes LGBT face au pouvoir. Ils disent : « Regardez, c’est intolérable, ça doit changer ». Mais ce n’est pas ce levier qui va unir les différentes générations de gays et de lesbiennes, c’est insuffisant. Celles qui ont obtenu des avancées dans les décennies précédentes et qui trouvent que les jeunes sont « paresseux et trop sûrs de leur droit ». Et ce n’est pas non plus le combat contre l’homophobie qui va changer le regard des jeunes pour les vieux, souvent jugés « irascibles et nostalgiques ». Quelque chose doit unir ces deux générations ; autrement la division restera et fragilisera le combat. Si nous sommes divisés, nous ne pourrons pas obtenir ce que nous demandons.

L’article se termine par une exhortation. Pour que le mouvement LGBT avance, il doit créer, à nouveau, sans complexe d’infériorité, une énergie organique, celle qui a permis à Act Up de devenir la machine qui a eu tant de succès. Il faut créer à nouveau cette énergie, avec d’autres moyens, mais elle doit aussi donner la possibilité de travailler d’une manière physique pour que les personnes LGBT se retrouvent côte à côte. Créer cette énergie, ce momentum, est le seul moyen de faire en sorte que le combat pour les droits des gays ne soit pas englouti par les urgences de l’Amérique : la crise économique, la guerre, l’écologie, la couverture médicale universelle, le conflit au Proche-Orient. Selon The Advocate, si les gays n’obtiennent pas ces nouveaux droits maintenant, il existe de réels dangers pour qu’ils ne puissent l’obtenir à mi-mandat. Et avant les élections présidentielles ? Obama aura raison de dire qu’il lui sera impossible de se faire élire sur une idée si segmentante.

Maintenant, mon avis. Cet article de The Advocate est fantastique. Je veux dire, j’adorerais voir un truc comme ça écrit dans un média gay français. Une direction si claire, si extravagante, si juste ? Il faut avoir le courage de se découvrir ainsi, de se déshabiller, pour s’engager et appeler à une mobilisation générale du mouvement LGBT malgré ses divisions – et elles sont réelles en Amérique comme en France. Par exemple, Frank Rich, le célèbre chroniqueur du New York Times, a mis le doigt plusieurs fois sur les hésitations d’Obama concernant les questions LGBT. Et c’est un sujet très révélateur. Obama et la communauté noire ont un petit blocage vis-à-vis des gays, c’est indéniable. Cela ne sert à rien de le cacher. La communauté LGBT, de son côté, préférait Hillary Clinton comme présidente. Il y a les restes d’un racisme mutuel. Mais Obama, et la communauté noire chrétienne des Etats-Unis savent aussi que tôt ou tard, ils devront accorder aux gays les droits qu’ils exigent. La demande politique est trop similaire à celle qui a motivé le mouvement pour les droits civiques.

Mon avis est que si le mouvement gay ne parvient pas à s’organiser pour créer un vrai rapport de force national, avec des comités, des manifs, des collectes de fonds, de la colère, une nouvelle image, un nouveau ton, etc, ce sera un échec. Car, dans ce cas, l’article de The Advocate aura été le triste symbole que les gays ont été les premiers à retirer leur soutien à Obama. Politiquement, cela peut être très néfaste. La crise économique, elle aussi, elle surtout, a son agenda. Le mariage gay est-il la priorité de l’Amérique aujourd’hui ? Les gays eux-mêmes sont-ils parvenus à montrer qu’ils pouvaient renverser l’épidémie de sida qui les affecte tant ? S’ils n’arrivent pas à réduire l’augmentation des cas de sida chez les gays, comment les mouvements LGBT peuvent-ils se montrer sous un angle exemplaire ? Les gays seraient-ils égoïstes ? En poussant leurs droits face aux catastrophes économiques qui les concernent, certes aussi, mais qui touchent beaucoup plus de monde, parviendront-ils à créer des alliances avec d’autres groupes aux USA beaucoup plus marginalisés ? Comment répondre à ceux qui leur demanderont pourquoi ils ne sont pas plus « patients » ? Et comment expliquer une des incohérences que montre cette enquête de The Advocate : Chris Hugues, le co-fondateur gay de Facebook, celui qui a conçu la campagne d’Obama sur Internet (avec le succès que l’on sait) n’a été contacté par aucune des organisations LGBT pour utiliser ses connaissances afin de transformer l’image des LGBT grâce au media le plus important d’aujourd’hui... Le premier travail du mouvement LGBT, c’est d’utiliser intelligemment ses leaders les plus modernes. Ce n’est pas encore le cas.

samedi 5 septembre 2009

Pauvres connes.


Pour ceux qui se demandent pourquoi je mentionne sans cesse l’International Herald Tribune, je me suis désabonné de Libération, il y a plus d’un an. J’en avais marre de payer pour un journal qui ne m’apprenait rien avant de l’ouvrir, tellement je pouvais reconnaître entre les lignes la magouille qui se trouvait derrière chaque article. Alors je me suis abonné à l’IHT et j’ai profité de cette année de licenciement à Têtu pour faire un truc où je suis assez bon : faire des dossiers. Je stabilosse, je découpe, je range par thème. J’aurais du être documentaliste dans ma vie puisque j’ai fait ça avant pour la disco, la house, le sida, la prévention. Et je possède toujours ces classeurs mind you.

Et je ne veux pas entendre des folles me dire : « Mais le Guardian c’est tellement mieux ! » ou, pire : « Tu utilises encore le support papier ? ». Oui, mon idée, c’est précisément de voir l’actualité à travers un média pas encore trop con qui n’arrête pas de me surprendre, jour après jour. Pour moi. Pas pour Twitter, pas pour FB. Pour moi.

Pour la troisième fois, à la suite , donc, l’IHT publie un papier dans lequel un des hommes interrogés est présenté dans l’article (aucun rapport avec l’homosexualité) vivant avec un autre homme, son partenaire. C’est casual : ça fait partie de l’écriture. On entre dans un système du matter of fact. On voit ça dans des articles assez banals, comme celui où on voit deux mecs faire l’échange de leur maison pour passer des vacances à l’étranger. Ou un article assez drôle d’ailleurs où on découvre que les Américains sont capables, malgré la crise, ou justement à cause, de payer 300$ (le prix d’une très bonne chambre à New York) pour passer une nuit dans une ferme avec les poules et tout le binz, à condition de nettoyer la merde de l’écurie.

Mon idée, c’est toujours la même. Dans la presse étrangère, on montre des couples pédés comme ça, sans entrer nécessairement dans la vie intime, sexuelle, de l’affirmation. Il se trouve que les gens qu’on interviewe sont gays, on le dit, on passe à autre chose. En France, c’est différent. Passent les universités d’été du PS, où tout le monde est content. On fait même un atelier sur « la gestation pour autrui », comme si ça allait apporter une révolution au PS. Comme s’il n’y avait pas des sujets plus urgents. Mais bon. Apparaîssent alors à la télé quelques folles du PS, notoirement gays, qui n’ont pas encore fait leur coming out. Je suppose qu’ils le feront, comme le reste de ce qui doit être fait au PS, pour les primaires en 2011. Ou 2012. Ou même 2013. Ces folles, que nous connaissons tous, qui travaillent pour le PS sur des sujets aussi divers que la décoration de l’immeuble de Solferino (j’invente), le droit homo parental (j’invente), la taxe carbone (j’invente), le projet du petit Paris (j’invente), la recette des pâtes de mon frère Lala (j’invente), l’Education nationale (j’invente), la vie après Fabius (j’invente), n’ont toujours pas fait leur coming-out. Alors que le ministre flamand de l’Enseignement et de l’Egalité des Chances fait son come out et en profite pour s’exclamer : « Et je ne peux pas donner mon sang parce que je suis homosexuel ! ». Deux pour le prix d’un.

Sur Twitter on voit des mecs comme Michelangelo Signorile, l’inventeur de l’outing, continuer à menacer les folles qui se cachent. 20 ans après, le mec est toujours fidèle à ses principes. En Angleterre, ils ont tellement outé les pédés de l’église, de l’Etat, de la finance et du marché floral qu’ils peuvent même se permettre de faire une pink list des 50 personnalités pédés anglaises les plus influentes. En France, vous avez encore des grosses connes dans les médias gays qui pensent qu’on ne peut pas être de droite et pédé. (Note : JE SUIS de gauche). Du coup, quand cette pauvre Karoutchi fait son coming out, tout le monde lui tombe dessus de faire ça pour faire avancer sa carrière politique. Alors que personne ne dirait ça sur Delanoë – et dieu sait que… ANNONCE DEFINITIVE pour toutes celles qui n’ont rien pigé à l’activisme gay : que vous soyez de droite ou de gauche ou rien du tout d’ailleurs, conne ou pas, vous AVEZ LE DROIT de faire votre coming out ! Si vous tapez sur une folle de droite qui fait son coming out, vous croyez que les autres folles de droite vont l’imiter ? Nooooo.

Un ami m’a envoyé cette question posée à une de ces folles pendant un débat : « Pourquoi tu dis pas que tu es gay ? » Réponse : « Parce que j’attends que tu me prouves que je devrais le faire ». Ou un truc comme ça. Mais, ce n’est pas aux autres de justifier ton coming out ! C’est quoi cette déclaration toute faite pour te sortir de la merde dans laquelle tu t’es mise toi-même ? C’est une sound bite ? C’est ta seule réponse ? Tu vas attendre quoi ? Que la gauche revienne au pouvoir ? Là tu te sentiras assez protégé pour dire que tu suces des bites ? Tu as déjà vu un épisode de « Little Britain » ? DO YOU LIKE COCK ? Ou alors tu veux protéger ton petit capital politique affectif en cachant la vérité alors que la gauche doit, soi-disant, promotionner les « diversités » ?

Question : comment croire que le PS avance quand ses jeunes pousses mentent sciemment sur leur sexualité ? Vous croyez que c’est le genre de truc qui ne nous fait pas vomir ? Qu'on a attendu 40 ans après Stonewall pour que les folles fassent semblant de ne pas voir notre impatience ?

Car tout ça, c’est à mettre en perspective ce qui se passe dans les médias gays. Depuis un certain temps, un étrange retour de situation illustre notre regard face aux stars hétéros. Souvent les gays interrogent ces stars hétérosexuelles en les dirigeant vers le moment où l’interview accouche des conneries de ce genre. Au pif : « J’ai eu moi-même des envies homosexuelles pendant le premier semestre de mon année de seconde ». Woa. Ou alors : « Bien sûr, le soutien de mon public gay est essentiel pour ma carrière ». Fuck. Ou bien : « Je crois qu’il y a une affinité gay qui a joué un grand rôle dans ma construction culturelle ». Non, tu crois ???? Il faut retourner bien en arrière, dans les années 80 du Gai Pied, pour trouver un tel désir désespéré d’être accepté par des grandes stars. Ces dernières, finalement, répondent toujours la même chose. C’est écrit en page 3 du plan média : surtout dire aux pédés qu’ils sont géniaux. Il y a des variantes, bien sûr : « À 19 ans, avec ma bande de copains hétéros, on était si proches qu’on passait des soirées à se branler devant les pornos de Canal » ou « J’envie les homosexuels dans leur quête du plaisir ». Attendez, j’en ai une autre : « J’aime beaucoup François Sagat. C’est mon maître à penser ».

À l’époque, au Gai Pied, ça me hérissait déjà. Pablo Rouy était le spécialiste de ces interviews de chanson française où le but du jeu, c’était de faire dire au mec d’Indochine qu’il avait failli avoir une relation sexuelle avec un roadie. Je respecte Pablo et je me demande bien, comme beaucoup de personnes autour de moi, où il peut être en ce moment. Ce sont les années de célébration des années 80, il devrait en profiter, lui aussi. Mais on se chamaillait souvent sur le sujet. Je trouve ça débile de demander aux hétéros toujours les mêmes conneries. Ils doivent en avoir tellement marre eux-mêmes.

Mais tout ça c’est pareil. D’un côté des pédés qui se cachent et qui vont sortir du placard au dernier moment, le plus tard possible, comme les Pet Shop Boys, quand on aura passé des années à attendre une once de courage de leur part. De l’autre des médias qui rabaissent leurs exigences au stade de quémander des phrases d’acceptation dont on a rien à foutre. Et tout ça va de pair. Les médias qui ne cherchent pas à faire avancer le schmilblick en regardant ailleurs car il y a une vraie pression qui devrait être exercée. Et les pédés cachés qui se frottent les mains : par ici la bonne soupe de la magouille ! Et pendant ce temps, on nous rebat les oreilles sur l’homophobie avec la moindre folle qui a eu un problème quand elle est allé s’acheter une eau de toilette chez Sephora. Vous ne voyez pas le lien ? Au lieu de chialer sur la moindre manifestation d’homophobie, vous ne pensez pas qu’il faudrait faire pression pour que ces pédés qui sont au pouvoir puissent s’exprimer eux-mêmes sur ces sujets, comme si ça ne les concernait pas ? Au lieu d’aller supplier de l’acceptation chez les hétéros, vous ne pensez pas qu’on devait d’abord l’obtenir de ces traîtres homosexuels qui ne lèvent pas le petit doigt sur les sujets vraiment importants de l’homosexualité moderne ? Ou pire, qui croient aider dans l’ombre ? Qui est-ce qui dîne avec ces mecs ? Il n’y a personne qui les conseille ? Il n’a personne qui leur fout la pression ?

Bandes de connes.