Il y a cinq ans, j’adressais un ultimatum à la Marie de Paris qui a eu un certain succès. Un compte-à-rebours était lancé. Entre temps, sous l’impulsion d’Act Up, un Collectif s’est formé et a présenté, au fil des années, tous les rapports demandés, et a mené avec constance des réunions difficiles. Un an plus tard, le dossier était toujours au point mort. Face à l’urgence du projet, la Mairie de Paris a choisi la pire option : traîner des pieds, jouer sur l’usure et surtout la zizanie entre associations (une technique que je connais bien, c’était celle des laboratoires pharmaceutiques face à l’activisme thérapeutique sida dans les années 90). Aujourd’hui, la situation est toujours bloquée à la veille des Marche de fiertés à travers le pays. Lassées, les lesbiennes ont quitté le navire, seule l’Académie Gay et Lesbienne est parvenue à trouver, enfin, la promesse de disposer d’un toit pour sa collection d’archives commencée il y a 3 décennies et plus.
Vous savez, en trente ans de militantisme, je n’ai jamais pu approcher Anne Hidalgo, sûrement à cause de sa détestation vis-à-vis d’Act Up. Après 2017 et le succès de « 120 BPM » qui abordait la perte de mémoire de l’histoire du sida en France, j’ai été invité à discuter avec Hélène Bidart à la Mairie, un rendez-vous poli et constructif, vite tombé à l’eau quand les relations entre elle et Act Up se sont détériorées parce qu’elle ne comprend pas le vocabulaire militant du groupe, rien de nouveau dans l’impatience d’Act Up sur certains sujets. Pendant vingt ans, j’ai fait la promotion du rêve de voir dans cette ville un lieu ouvert, spacieux, inclusif, et joli, dans une ville qui, plus qu’une autre en France, a été le centre de la vie communautaire LGBT et, malheureusement, le centre de l’épidémie du sida. Je suis fidèle et constant, malgré tous les avis contraires qui considèrent que ce projet est désormais tellement en retard par rapport aux centres qui existent à l’étranger et qu’il n’existera jamais.
Bref, il serait maudit.
Lors de mon dernier déménagement, il y a quelques années à peine, pour une maison plus petite, j’ai dù jeter des cartons de mes archives personnelles sur le sida. Je n’en suis pas fier, je ne l’ai dit à personne, mais l’impossibilité de donner ces documents au Centre d’archives qui n’existait pas m’y a obligé. Je me vois encore en train de jeter des piles de compte rendus et d’abstracts sida dans les bennes de recyclage de papier. Voilà ce qui se passe quand il n’y a pas de maison pour protéger ce que vous avez mis des années à préserver.
Il y a un mois, au Conseil de Paris, Aurélien Véron a présenté le projet du centre. Il faut voir cet échange pour comprendre l’absurdité de la conversation. D’un côté un élu de droite qui a complètement compris l’enjeu de cette mémoire commune, et qui sait le défendre d’une manière sincère ; de l’autre un Jean-Luc Romero qui répond avec des arguments qui ont été tout de suite démentis par le Collectif. Bref, le bullshit habituel. Le vote du voeu au Conseil s’est avéré un échec, Romero votant contre, et je crois qu’Alice Coffin a voté contre aussi. Un comble.
Voilà, il est temps de prendre ses responsabilités et constater que tout ce processus est voué à l’échec. Pour travailler ensemble, il faut un minimum de confiance et je n’en ai plus aucune envers la Mairie de Paris. Mes archives, les oeuvres d’art photographiques des années 80 de la collection Magazine, elles n’iront pas à Paris, une ville que j’ai quittée depuis longtemps, mais qui a été la ville où j’ai tout construit, de Magazine à Act Up, en passant par Têtu et le TRT-5 qui fête ses 30 ans cette année. On me dit « Mais c’était couru d’avance Didier », à quoi je réponds qu’il fallait bien poursuivre le processus de négociation jusqu’à son terme, et il est désormais arrivé.
Aujourd’hui, il faut aller ailleurs et j’adresse ici un message aux villes du pays qui voudraient prendre le relais. Pourquoi pas Montreuil, ou Saint-Denis, d’où partira, le 4 juin, la marche des quartiers populaires ? Pourquoi pas Marseille, où le MUCEM poursuit une programmation pointue et courageuse, après l’expo sur le militantisme sida en France et l’expo actuelle sur Ald el-Kader. Je pourrais dès aujourd’hui offrir mon « Estate » au MUCEM, les yeux fermés, je sais que mon trésor serait bien traité. Alors que le projet parisien, on le sait désormais, risque d’être un endroit fermé au public, presque sans fenêtre, on parle même d’un mur qui séparerait l’espace choisi par la Mairie, rue Molière. Tout un symbole. Un mur. Comme s’il n’y en avait pas assez qui se construisent à travers l’Europe et ailleurs.
La Mairie de Paris est parvenue à me dégoûter de ce projet. Et Anne Hidalgo porte l’entière responsabilité de ce dégoût. Elle est la cause de l’effondrement de ce rêve, sa politique est de nous pousser à bout pour pointer le doigt vers notre impatience et notre dénonciation du temps qui passe – et qui détruit l’espoir. Je dois dire aussi que ce projet souffre du désintérêt des homosexuels au pouvoir dans le gouvernement Macron. Que font les Gabriel Attal et Franck Riester, et les autres ? Rien. Absolument rien. Un simple coup de fil de leur part pourrait débloquer le statu quo. Pareil pour l’ancienne Ministre de la Culture. J’ai adressé une lettre à Roselyne Bachelot il y a un an et demi. Pas de réponse. Et que fait Eve Plenel au niveau VIH ? Silence radio sur le sujet. Il faut voir que l'ensemble des associations parisiennes LGBT dépendent en grande partie de l'aval de Romero pour leurs aides, il y a ici un vrai problème d'asservissement politique. Alors on me dit que peut-être Rachida Dati pourrait trouver l’endroit magique dans un arrondissement qui ne serait pas le sien. Je ne la connais pas, mais elle est supposée être aimée par beaucoup de LGBT. Même si c’est une manoeuvre politique, je rappelle souvent qu’à travers l’Europe, certains droits LGBT, et pas les moindres, ont été accordé par des coalitions du centre. Le PS nous a trahi, il est temps d’en mesurer les conséquences.
Enfin, parce que je suis une des rares personnes dans la communauté LGBT à défendre systématiquement la cause palestinenne (on devrait plutôt m’encourager), je suis à nouveau la cible des mêmes trolls qui me reprochent ma critique de la position anti-BDS de la Mairie de Paris. Je n’ai rien à me reprocher, on est encore dans un pays où la critique d’Israël n’est pas de l’antisémitisme, il faut arrêter avec ce fonctionnement qui cherche à museler celles et ceux qui dénoncent la politique d’apartheid en Israël. On m’a demandé quel était le rapport entre le soutien inconditionnel de Hidalgo envers Israël et l’échec du Centre d’archives. Il est évident. D’un côté notre mémoire est jetée dans les poubelles, de l’autre la mémoire des Palestinien(e)s est détruite par l’occupation colonialiste et les meurtres dans les territoires occupés, qui sont quotidiens actuellement qui ont culminé avec l’assassinat de Shireen Abu Akleh. Le rapport entre ces deux sujets ? Le rapport est qu’on ne peut travailler avec une municipalité avec laquelle on ne peut s’accorder sur ces sujets primordiaux.
Le centre d’archives LGBT / sida de Paris sera une coquille vide parce que la Mairie de Paris nous déteste, tout simplement et refuse d’accepter ce que nous sommes. Et ce sujet n’est pas le seul, on le voit avec le travail du sexe, les TDS et d’autres revendications. Mon propos ici n’est pas d’argumenter point par point, je fais entièrement confiance au Collectif qui connaît le sujet par coeur et je le suivrai, quoi qu'il arrive. Mon propos est affectif, parce que notre mémoire est vitale, riche et belle, et je la vois piétinée par la Mairie de Paris depuis trop longtemps. Mettre des plaques commémoratives dans les rues de Paris, c’est bien, mais largement insuffisant. Nous voulions notre maison, Hidalgo ne la veut pas.