Je traîne
depuis plus d'un an une idée de scénario que je n'ai pas eu le courage
d'évoquer, sûrement parce que le cinéma n'est pas mon domaine et parce que
cette dernière année a été difficile. Et puis le succès à venir de "120BPM"
m'a chamboulé et je me dis qu'il n'y a pas de raison de ne pas envoyer une
autre bouteille à la mer. Alors voilà, mon idée est qu'il est temps qu'un film
à grand public fasse avancer le sujet de la vieillesse LGBT, celle de notre fin
de vie, pour les personnes séropositives ou non. Il s'agit d'imaginer toutes
les variantes de structures qui pourraient nous offrir un toit afin de passer
les dernières années de nos vies.
Historiquement,
même si je n'ai jamais aimé les films type "Gazon Maudit" ou
"Pédale Douce", ces gros succès populaires ont servi de jalon
culturel et leurs histoires une entériné un progrès politique, c'est souvent
ainsi que l'évolution des mœurs s'impose auprès du plus grand nombre. Cela fait
longtemps que je pense que notre pays n'anticipe pas l'arrivée des LGBT à la
retraite et je suis convaincu que cela peut être aussi une source de créations
d'emplois et de services. On me demande souvent pourquoi il y aurait une
spécificité gay dans les structures d'accueil. Ces dernières ne sont pas
adaptées à la vie qu'ont mené les baby boomers de notre communauté, leur combat
pour la liberté, leur passé de constructeurs. L'universalisme français écarte
toutes les initiatives étrangères où les maisons de retraite LGBT-friendly se
multiplient et parfois existent depuis des années tout en montrant une
expérimentation pilote pleine de connaissances, exactement comme le sida a
inventé et disséminé des procédures sur la fin de vie et l'accompagnement du
malade. Pour plus d'arguments, il suffit de lire tout ce que publie Francis
Carrier sur la page Facebook de l'association GreyPride.
L'idée de
ce film, c'est de faire un blockbuster et de renverser la méfiance que nous
inspire ces films avec des acteurs français connus qui nous énervent car ils
tournent autour des sujets LGBT sans avoir le courage de se lancer. Avec ce
film, enfin, ils feraient leur coming-out et il se ferait simplement pendant
les interviews de promotion, du genre "Ben oui quoi! Ca se voyait
pas?". Et croyez-moi, ces acteurs et actrices sont nombreux dans le cinéma
français où la majorité se cache encore dans une prétendue bisexualité. C'est
la base de la légitimité du projet. Pour ces stars du cinéma français, ce film
serait une sortie honorable à des années de silence ou de mensonge et la
récompense serait un succès salué non seulement par la critique mais aussi par
l'underground militant. Le but est de faire une comédie digne de "La cage
aux folles", mais version 2017, c'est-à-dire avec toute la connaissance
apportée par les personnes trans par exemple. L'histoire raconterait la vie
d'une petite maison de campagne ou de banlieue ou une poignée d'hommes et de
femmes vivraient ensemble. Pour régler tout de suite la question financière,
disons que cette maison appartiendrait à un membre de cette commune, quelqu'un
qui aurait les moyens d'inviter ses ami(e)s et d'adapter sa maison aux besoins
thérapeutiques. Cette personne (homme ou femme) pourrait être médecin et aurait
choisi d'investir l'argent économisé pendant toute une vie dans une structure
innovante, mais simple. Ce n'est pas une maison de riches, c'est juste un geste
de grande générosité, comme un ami millionnaire des années 90 qui m'avait dit
:"Didier, ne t'inquiète pas pour tes vieux jours, je m'en occuperai".
Et même si cela ne s'est pas fait, j'ai toujours trouvé cette promesse
incroyablement attentionnée. Ça existe des gens comme ça et peut-être que ce
film leur donnerait des idées.
Rappelons
que c'est du cinéma, une comédie en plus et qu'elle est nourrie par des
personnages complément cliché dans leur genre, même si les dialogues feraient
toute la différence entre un film de beaufs à la française et un succès
potentiellement international. Dans cette maison, chacun serait spécialisé dans
une tâche qui contribuerait au bonheur commun. Un peu comme les communautés
dans lesquelles nous avons vécu à la fin des années 70. Il y aurait un
jardinier qui s'occuperait du potager et du verger, les conserves et la cuisine
étant partagées par tout le monde. Il y aurait une folle qui ferait rire tout
le monde tout en faisant le ménage et animant la maison. Il y aurait une
lesbienne (par exemple la doctoresse) qui aurait l'autorité pour tenir cette
bande de freaks mais qui connaîtrait aussi tous leurs secrets (un peu comme
Madame Madrigal dans "Les chroniques de San Francisco"). Il y aurait
une personne trans qui se moquerait des méconnaissances du groupe sur le sujet
tout en étant, en fait, la gardienne de la mémoire culturelle de la maison. Il
y avait un vieux bear qui réparerait tout ce que les autres cassent tout le
temps, un geek qui serait au courant des branchements Internet et qui
conduirait le van qui conduirait tout le monde quand ils iraient faire des courses
ou des promenades. Comme chaque film nécessite un drame, un de ces personnages
perdrait la vie, mais pas forcement de vieillesse ou de maladie, ça pourrait
être un truc complètement idiot ou même risible comme une chute dans
l'escalier, ce qui entraînerait une séquence d'enterrement assez drôle et
émouvante et qui permettrait de faire entrer dans cette commune une nouvelle
personne à la fin du film, comme un renouveau, par exemple une lesbienne
bisexuelle.
L'idée est
vraiment de faire une comédie pour dédramatiser la vieillesse, la montrer dans
des conditions optimales (ça existe même si certains diront que c'est une
version enjolivée de la réalité). Le comique proviendrait des situations
incontrôlables de cette cohabitation et puis chaque personnage aurait ses propres
limites, soit un problème de santé physique ou psychique, un bagage de la vie
antérieure lourd à porter. Ces gens n'arrêteraient pas de se faire la gueule et
de se réconcilier, chaque nouvelle récolte de cerises provenant du jardin étant
une source de satisfaction ou de diarrhées collectives. On verrait les
personnages évoquer leur passé et leurs radotages, avec des confidences qui émaillent
le temps. Certains auraient aussi des relations amoureuses, provenant des
applications de drague ou du hasard, ce qui fait que cette maison ne serait pas
un milieu clos, elle serait visitée par d'autres personnages secondaires tout
aussi loufoques ou tout simplement gentils comme dans "Torch Song Trilogy". Il y aurait même
des gosses qui viendraient d'une école voisine pour visiter les vieux, ce qui
entraînerait des situations tendres ou cocasses. La personne trans aurait
forcement une relation pour qu'on ne puisse pas dire qu'elle est rejetée par la
société. La lesbienne docteur aurait aussi une amie de longue date comme dans
"Les invisibles". Les sujets politiques actuels comme la PMA et le
mariage pour tous seraient abordés devant la télé afin de nourrir les moqueries
en direction des cathos tradis et de Sens Commun. Le sujet de la mémoire serait
aussi abordé comme les archives LGBT et tout le film traiterait, sans forcement
le dire, de la transmission de la culture gay. Certains soirs, des films
classiques seraient regardés ensemble dans le salon, comme "Women" de
George Cukor. Les saisons passeraient, symbole du temps qui s'accélère et du
plaisir de vivre encore.
Il y a
quelques années, Jimmy Somerville m'a fait rire quand il imaginait sa propre
vieillesse. Il me disait qu'il ferait la tournée des maisons de vieillesse LGBT
et qu'il finirait pas chanter "Tell Me Why" avec une voix
complètement enrayée, sur un petit plot dans la salle commune, avec juste un méchant
projecteur et une mini boule disco à miroirs. Il pourrait même y avoir un
escalier automatique menant au premier étage qui serait détourné pour un spectacle
de travelos. Ce film serait exactement comme ça, montrant des situations
risibles où les personnages s'en sortiraient par un sens inné de l'autodérision,
une répartie chaotique et quand même, beaucoup d'humilité face à la vieillesse.
On parlerait beaucoup de cul, ça pourrait même être très vulgaire. Chaque
chambre serait décorée par son habitant et il y aurait certaines fautes de goût
impardonnables. Certains matins, tout le monde serait mal luné et toutes les
portes de la maison claqueraient. Il faudrait sentir que les acteurs sa lâchent
et prennent plaisir à décrire leur propre vieillesse dans une parodie du cinéma
français. En été, il y aurait une piscine gonflable dans le jardin et le bear y
barboterait avec tous les jouets gonflables sortis du garage. Lors de la nuit
des étoiles, tout le monde se disputerait car certains y voient beaucoup moins
que les autres. Noël serait une occasion de montrer des cadeaux très
pathétiques. Il y aurait des évocations de soins particuliers car la doctoresse
aurait installé une infirmerie avec tous les soins d'urgence et les instruments
d'exercice physique comme des vélos d'appartement. D'autres auraient une santé
de fer comme le jardinier qui est pourtant séropositif depuis trente ans. Il
faudrait sentir que ce groupe de personnes se connaît depuis longtemps, ils ont
une histoire commune, même si c'est un attelage humain incohérent, mixte. Cette
folie amicale serait accentuée par le jeu de grands comédiens que l'on aime
détester comme Michel Blanc, Pierre Palmade ou Muriel Robin. En plus des
personnages principaux, il faudrait ajouter 4 ou 5 mégastars du cinéma français
qui y feraient des apparitions, du genre Christian Clavier ou Etienne Daho et
voilà! un film qui ferait aimer un sujet que personne n'ose toucher. Enfin, il
est évident et indiscutable que la mixité ethnique est aussi respectée. Il y a
forcement au moins un acteur ou une actrice parmi les 5 principaux qui est
racisé, et les questions du racisme à l'intérieur de la communauté LGBT seraient
abordées avec vengeance.
En
général, ce type de cinéma français ne m'intéresse absolument pas. Pire, il me
dégoûte. Mais à force de tourner cette idée dans ma tête, la chose me paraît
crédible même si les situations du film paraissent au premier abord
prévisibles. Et le film de Robin Campillo, s'il s'adresse en particulier aux
jeunes, possède un effet miroir évident puisqu'il s'adresse aussi aux vieux qui
étaient les jeunes d'Act Up. S'il y a quelque chose que je respecte au plus
haut point dans "120BPM", c'est le choix des acteurs, souvent des
homosexuels amateurs. Même si j'en viens aujourd'hui à penser que les gays sont
très bien joués par des hétéros, dans ce film il y aurait un statement
politique : les gays y sont joués par des gays, les lesbiennes aussi. On y
retrouve un aspect du fonctionnement de Spike Lee. Dans cette idée de
blockbuster pour troisième âge LGBT, il y a aussi cette cohérence avec des
acteurs et actrices dont l'homosexualité ne fait plus de doute et qui renforce
une autre idée qui m'est chère, celle du coming-out, de la liberté que cela
procure. Ces gays retraités n'ont plus rien à cacher, la vieillesse les rend
encore plus transparents. Considérés comme écartés de la société, ils deviennent
des héros de l'affirmation et du soulagement identitaire. Ils ont travaillé
toute leur vie, professionnellement et psychologiquement pour arriver à ce
droit fondamental : vivre la vieillesse sans se cacher, activement, sous la
protection d'un toit commun.
Vous
pensez que ça pourrait marcher?
Moi oui.