Deux mois
après les attentats qui ont fait basculer le pays dans l'état d'urgence, le
constat est là : j'ai survécu grâce à Netflix, Twitter et un relapse dans le
Nutella.
Disclaimer
: je suis tout à fait conscient que ce n'est pas délicat de commencer un texte
par "J'ai survécu au 13 novembre 2015 grâce à une pâte de chocolat remplie
d'huile de palme". Et je n'ai
pas été payé non plus par Netflix et Twitter pour faire une promotion
corporate. 130 personnes ont perdu la vie lors de ces attentats, des centaines
ont été blessées, des milliers traumatisées. Tandis que moi, j'étais protégé à
la campagne, rien ne pouvait m'arriver. Mais j'étais comme tout le monde, en
colère, déprimé, impuissant, désespéré. Je savais que ces attentats allaient
plonger la France dans un climat de haine et de racisme qui a été largement
utilisé depuis lors des élections régionales et ensuite par les déclarations de
Valls. Bref, l'apartheid social pour de bon.
Au bout de
deux jours, impossible de regarder la télé et les news, ça me dégoûtait trop,
et pourtant je suis un couch potatoe total, je passe mon temps à zapper. Mais
là, c'était physiquement intenable. Alors, j'ai décidé de m'attaquer à un grand
projet, comme regarder tout Downton Abbey
que je n'ai jamais vu. Quatre saisons d'un bloc, pourtant j'ai fini par sentir
que même les intrigues de cuisine me faisaient du mal. Impossible non plus de
rattraper des séries comme Ray Donovan
ou Luther, le moindre cassage de
gueule policier était inapproprié. La France était en train de lancer son vaste
programme de perquisitions musclées, tout le monde était sous écoute, la parano
était grande. Je ressentais le besoin de films dépourvus de violence, de
dessins animés, de documentaires animaliers. Je me suis donc dirigé vers les
docus sur la nature, la jungle, les océans, l'espace. Mais j'étais si flippé
que même les bagarres animales me mettaient mal à l'aise. Il suffisait que des
bisons se tapent sur la gueule ou que des lions déchirent une gazelle et je
devais détourner le regard de ce sang qui me rappelait la tuerie du Bataclan.
Netflix
m'a aidé en me donnant la possibilité de regarder des programmes absolument pas
nécessaires comme Under The Dome. Je ne fais pas de pub, je dis juste que
j'avais besoin de cette plateforme qui n'avait rien à voir avec la télé et
Facebook avec ces portraits en bleu-blanc-rouge, ces bougies à la con, ces
montagnes de fleurs du lobby Interflora. Netflix m'a permis de rattraper mon
retard sur des séries super idiotes, pour me vider la tête, et je dis merci.
Ensuite, ce fut une avalanche de stand-up, encore plus de films comiques débiles. Je me retranchais.
Twitter
fut le seul réseau social consulté pendant cette période. Il faut bien
l'admettre, c'est le seul endroit où l'on peut encore critiquer le PS et le gouvernement sans être exterminé
dans la grotte d'Ouvéa (remember 1988?). Bon, on dirait qu'on est juste une
vingtaine à avoir le courage de dire quoi que ce soit mais on se sent moins
seul. Twitter a donc été un bon antidépresseur dans ces moments de panique
nationale.
Au bout
d'une semaine de ce lavage de cerveau, je commençais juste à faire surface. Dehors,
la campagne normande était toujours aussi calme, comme elle l'est toujours à
mi-novembre. Mais je sentais confusément un manque. Un goût bizarre dans la
bouche. Un désintérêt culinaire qui faisait écho au dégoût des médias. Que me
manquait-il?
Du Nutella.
Ça m'est venu comme un drogué qui n'avait pas eu son fix depuis une décennie.
Car j'en achète jamais en plus, j'aime tellement ça que je n'en ai jamais chez
moi. C'est trop bon mais écologiquement pas sérieux, il faut se retenir. L'huile de palme, c'est haram. Mais je me suis rendu à
l'évidence. Si ce n'était pas un moment Nutella, alors quoi, fallait-il
attendre la guerre civile? Nutella m'est apparu comme la drogue du moment, une
crème à la noisette qui fait perdre tous les mécanismes de défense diététique.
Il me fallait du Nutella ou je deviendrais fou.
J'ai
survécu à ces deux derniers mois mais j'ai perdu une partie de mon cerveau. Je n'étais plus le même. La déprime. Novembre, décembre, impossible d'écrire. Ce fut la plus longue période de ma
vie sans publier quoi que ce soit, je ne me suis jamais senti aussi handicapé. Face à Valls, j'ai encore dégringolé l'échelle sociale, je fais
partie de cette petite minorité qui n'approuve pas l'état d'urgence, tout ce
délire constitutionnel, la perversité de la gauche, les mensonges. 85% des Français qui
trouvent ça normal. Et apparemment, on est à peine 31% à se sentir mal, à
vouloir tout quitter. Le dégoût définitif envers le gouvernement, la diversion,
l'arnaque. Le désintérêt pour ceux qui veulent (ou qui peuvent) vivre
comme d'habitude, leurs petites soirées entre copains, leurs anniversaires,
leurs nuit de clubbing où l'on met une perruque parce qu'on a 30 ans et c'est
super drôle tu vois. En Espagne, on voit une génération de militants arriver au
pouvoir et en France, la génération des trentenaires qui ne fout rien en terme
politique, surtout chez les gays. Pas le moindre début de sursaut social. Pour
un pays qui manifeste pour tout et pour rien, l'excuse de l'état d'urgence est
trop belle. J'ai bientôt 58 ans, c'est-à-dire 60 ans. Normalement, je devrais suivre les jeunes qui protestent. Mais je suis un vieux sans leader et c'est ce qui me rend le plus triste.
Netflix,
Twitter et Nutella.
Le
programme du pays pour les années qui viennent.