Mon jardin est
adulte désormais et chaque année je fais le compte des oiseaux qui y reviennent.
Les arbustes sont grands, les haies épaisses, les arbres ont pris du volume et
cela fait plusieurs mois que je pense à écrire sur ces oiseaux qui me rendent
heureux toute l'année.
Quand on était
jeunes, à la ferme, mon père nous avait fabriqué une volière. Il y avait de
canaris, bien sûr, des chardonnerets
que mon frère Thierry allait chercher dans les arbres. Il savait trouver les
nids pour en prendre un œuf qu'il déposait dans une couvée de canaris qui
élevaient l'oisillon comme leurs petits. Plus tard, il y a eu des perruches,
assez idiotes et agressives et leur arrivée a coïncidé avec notre adolescence,
quand l'intérêt pour cette volière a commencé à s'évaporer. Notre père se
mettait en colère quand nous avions oublié de nettoyer le sol, changé l'eau du
bain des oiseaux. Pour lui, c'était une tache ménagère que nous devions
assumer, comme tondre la pelouse, aider à la récolte des prunes et arroser le
jardin. Mais pendant toutes ces années, la cour de la ferme était saturée du
chant des oiseaux de la volière qui répondaient aux autres oiseaux de
l'extérieur, libres eux.
Quand je suis arrivé
dans cette maison de Normandie, la femme du maire m'a dit :" Si tu as des sittelles torchepot,
il faut absolument les garder, cette espèce commence à se faire rare". Je
ne connaissais même pas le nom de ces drôles de bêtes. Et en effet, un couple
était déjà là, faisant son nid dans les trous du mur de la maison, façade sud.
C'est un oiseau amusant à tous les points de vue, le seul capable de descendre
le long des arbres, la tête en bas. En été, il aime bloquer les graines de pin
entre les écorces de l'arbre pour en faire des réserves. À la fin de l'hiver,
presque avant les mésanges, c'est le premier oiseau à marquer son territoire,
dès le matin, très tôt. Leur plumage n'est pas très marquant mais sa petite corpulence
est attrayante. La sittelle n'aime pas qu'on la regarde mais elle est très
grégaire.
Cette année, je ne
sais pas pourquoi, j'ai eu plusieurs espèces de mésanges. Des la fin de
l'hiver, c'est connu, c'est l'oiseau le plus impétueux. Chez moi, elles
frappent carrément aux fenêtres. L'année de la disparition de Sylvain
Rouzières, une mésange
charbonnière est devenue possédée, elle tapait tout le temps sur les
fenêtres de la maison, oubliant de se nourrir, me suivant de piece en pièce. Je
ne suis pas croyant mais c'est la première fois où j'ai envisagé la possibilité
que l'âme de quelqu'un puisse se manifester à travers la persistance d'un
oiseau. J'ai raconté à la mère de Sylvain que je pensais que c'était lui qui
venait taper sur mes fenêtres. Pour me dire quoi, je ne sais pas. En tout cas, à
force d'être réveillé tous les matins et harcelé toute la journée, j'ai fini
par trouver ça moins poétique et j'ai été obligé d'installer un filet sur
toutes les fenêtres pour décourager cet oiseau bipolaire.
D'une manière
générale, tout le monde aime les mésanges, c'est pour ça qu'on trouve ces
boules de graisse et de graines partout dans les supermarchés. Elles sont
belles, colorées, courageuses, leur chant est agréable et fin. Et cette année,
j'ai remarqué deux couples de mésanges
à longues queues, très joueuses aussi, qui aiment bien se regarder dans le
miroir des fenêtres pour venir y picorer les tout petits insectes.
Bien sûr, j'ai un
rouge gorge, rien d'exceptionnel, tous les jardins en ont un. A part son joli
chant, notre relation est la plus proche en plein hiver. Quand je travaille
dans le potager ou que je désherbe un coin, il vient toujours à côté de moi, me
regardant droit dans les yeux, attendant d'attraper un petit insecte à côté de
ma main. Je peux lui parler, il n'y a pas de bruit, c'est entre lui et moi.
J'ai aussi un ou
deux couples de troglodytes,
toujours au nord du jardin ou dans les coins les moins visités, comme s'ils
avaient besoin d'avoir un coin à eux. Là aussi, c'est un oiseau classique qui
me rappelle ma jeunesse, c'est surement l'oiseau qui construit les plus jolis
nids, souvent au sec à l'intérieur de la cabane, à l'intérieur d'une botte
oubliée clouée sur un mur ou un chapeau, comme une grosse boule de mousse et de
duvet. C'est le seul oiseau, avec le merle, qui se faufile dans les branches
basses des arbustes, au niveau du sol. On le confond souvent avec une souris,
il est méga cute.
Les merles. Ce sont
peut être les oiseaux irréprochables d'un jardin. Si j'avais des hirondelles,
je les mettrais en pôle position mais je crois que cette maison n'en a jamais
eu, donc impossible de les faire venir, dommage. Les merles eux sont partout, nombreux,
excités, ils possèdent le jardin. À la saison des cerises et des fruits rouges,
ils sont tellement ivres de sucre qu'il y en a toujours un ou deux (souvent des
femelles, je ne sais pourquoi) qui se fracassent contre les portes fenêtres de
la maison, croyant rejoindre un coin sombre du jardin. Mais bon, tout le monde
connaît les merles, il y en a partout en ville, dans les parcs et jardins, rien
de sensationnel.
Je regrette ne pas
avoir de moineaux. Mon ami Ray, qui vit juste à 1km de chez moi, a des moineaux
et des hirondelles. Ces oiseaux si communs commencent à disparaître des
campagnes, on ne sait pas trop pourquoi.
D'oiseaux peu aimés et très courants dans les années 90, ils se font rares et
c'est dommage.
Ma grande fierté de
2015, c'est un couple de corneilles
qui s'est installé dans le grand cèdre. L'après midi, ils se promènent sur le
bas de la pelouse, de gros spécimen. Il y a des gens que leur cri rend tristes
ou mélancoliques, surtout en hiver. Moi, ils me font rire. Il y a une note
effrayante dans ce cri, d'ailleurs le corbeau est l'oiseau le plus célébré du
cinéma moderne, il est systématique dans les séries comme Games of Thrones, etc. Mais en avoir un couple dans les 5000m2 du
jardin, c'est presque l'aboutissement de 13 années passées à la campagne. Ils
virevoltent dans les airs, ce sont les gardiens de l'espace.
À côté d'eux mais un
cran en dessous dans l'échelle naturelle, un couple de pigeons ramiers et cette
année, enfin, un couple de tourterelles.
Je commençais à m'impatienter car il y a des tourterelles partout et si vous
prenez la route dans la campagne, les pigeons ramiers sont visibles sur les
fils électriques le long de la route, partout. Ces tourterelles
sont arrivées plus tard cette année, elles ont du s'imposer dans un coin différent
des pigeons ramiers qui, eux, sont là depuis plusieurs saisons. Ce sont des
oiseaux gentils, qui font claquer leurs ailes en s'envolant, que l'ont peut
observer surtout le soir lorsqu'ils viennent s'abreuver une dernière fois à la
mare. Régulièrement, ils perdent une grosse plume que je récupère dans la
maison sur une lampe en osier trouvée chez Emmaüs.
Quoi d'autre? Ah
oui, à la fin de l'été, c'est le moment du geai des chênes,
qu'on voit rarement le reste de l'année, à part quand il s'enfuit en criant.
Avant l'automne, quand le jardin est très sec, le couple se promène avec
ses petits sur la pelouse mais le meilleur moyen de l'observer est de loin, à
l'intérieur de la maison, quand ils ne savent pas qu'on est là. Joli plumage,
jolie allure, joli bec.
Je bénéficie aussi
du passage des chouettes. Elles nichent plus loin, dans les bois ou les grands
chênes isolés des prés. J'ai même un couple de buses qui niche toujours
dans le même chêne du pré voisin, on entend les petits qui appellent tout
l'été. Les chouettes, c'est vraiment l'hiver qu'elles sont les plus sonores,
c'est une des satisfactions de la saison morte. Quand j'étais jeune, il y avait
une chouette
Chevêche qui nichait chaque année sous le toit, au coin de ma chambre,
orientation sud-ouest. J'ai grandi avec le petit bruit de son nid, c'était un
privilège d'avoir de tels oiseaux si près de sa fenêtre. Pendant l'hiver les
cris des chouettes se répondent à travers la campagne, parfois une d'elles vient hululer dans les branches du grand sapin qui donne sur ma chambre, comme une sirène de bateau.
Au même moment, avec le brouillard de l'hiver, une troupe d'étourneaux s'amuse sur les plus hautes branches des grands sapins des voisins, ça piaille et ça papote pendant des heures avant de rejoindre le bois de bambous de l'autre voisin en contrebas. Et parfois, vers le soir, ils passent au-dessus de ma maison en faisant des mouvements de masse comme dans les films de Terrence Malick. Magique. Mais c'est pas souvent.
De tous ces oiseaux, le rossignol m'a fait la surprise de s'installer chez moi l'année dernière. En fait, le jardin d'à côté, beaucoup plus grand que le mien, est un refuge pour oiseaux, ce qui attire sûrement des espèces qui débordent chez moi. Ce rossignol est revenu cette année et c'est amusant de vérifier que tous les clichés sur cet oiseau sont avérés. C'est un oiseau si terne qu'on ne le voit jamais dans les arbres et il déteste qu'on lève les yeux sur lui, il arrête son chant aussitôt. Mais la force de son chant est si unique, on dirait un merle qui aurait pris du MD, capable de singer le chant des autres mais il est si puissant qu'il parvient à faire taire les merles, surtout le soir.
Je ne peux terminer ce petit tour des oiseaux de mon jardin sans me plaindre, encore une fois, du pinson, le seul oiseau que je n'aurais pas peur de flinguer si je possédais une arme, ce qui n'arrivera heureusement jamais. Mais quel épuisement ce piaf, toujours à chanter 1000 fois par jour la même mélodie criarde, même pas agréable, d'une puissance hallucinante, comme si ce petit truc avait 15 baffles Bose dans le cou. Le tuer ne servirait à rien, il y en a au moins 3 sur mon terrain qui se répondent et c'est une espèce qu'on voit et qu'on entend partout. Assez joli plumage mais qui ne rachète pas du tout son ramage. Heureusement, il se tait au début du mois de juillet, ce qui marque l'arrivée du bel été, enfin calme, chaud, silencieux.
Voilà. Je remarque
de plus en plus que les amis qui viennent chez moi ne connaissent pas ces
oiseaux, pourtant très communs. Même mes anciens boyfriends ne semblaient pas très sensibles à leur présence. Je ne dis rien, mais c'est un peu la honte de
ne pas pouvoir les reconnaître, ça doit être un signe des temps.