C'est
vrai quoi. Indétectable depuis plus de treize ans, sans mec depuis presque deux
ans, safe depuis 27 ans, il n'y a pas de virus qui franchisse la porte de ma
maison. Même pas une grippe, pas de nouvelles IST à la mode, je suis le bout
silencieux d'une longue chaîne de contaminations qui n'arrive pas jusqu'à chez
moi. Tout le monde baise et je n'en vois même pas la queue de la comète. Du
fond de ma campagne, c'est comme si les vagues de gonorrhées et de syphilis se
désintégraient sous mes pieds, je suis le rédempteur du party'n'play. Ce n'est
pas que je ressens un besoin urgent de condylomes (j'ai donné il y a longtemps,
merci), de gale (non sans façon les mecs), de morpions (je ne me rappelle même
pas la dernière fois) et encore moins d'hépatite C (alors ça, c'est sans moi,
j'insiste) mais une petite chaude pisse, ça serait drôle! Je me vois aller au
centre de dépistage du coin de ma campagne avec un grand sourire et dire
fièrement : "Selon ma connaissance du sujet, qui est assez vaste, je crois
réunir tous les symptômes d'une gonorrhée, dépistez-moi!". Une
impression de participer activement à un mouvement majoritaire, pour une fois.
Je ne suis pas en train de me désintéresser des nouvelles contaminations
VIH et de la prévention chez les gays. Comme si ça pouvait m'arriver... Autour de moi, ça arrive régulièrement
et c'est loin d'être amusant. Cela ne veut pas dire que je vais devenir un
méchant barebacker non plus, je crois sincèrement que je fais partie de ces
pédés qui ont été si traumatisés par le port de la capote que ma sexualité est
altérée pour toujours. Si dans 5 ans on nous prouve scientifiquement qu'on peut
baiser sans capote, j'aurai tout de même cumulé trois décennies de sexe sous
contrôle, par choix et par principe donc je ne pourrai jamais rattraper le
temps perdu. On en a bavé comme vous n'avez aucune idée en détruisant
progressivement tout ce qui était le plus naturel dans le sexe. On s'est
sacrifiés pour montrer l'exemple. Les petits malins ont commencé il y a plus de
dix ans à oublier la capote mais pour nous, c'était moralement impossible parce
que c'était notre devoir en tant que militants.
Je n'ai pas écrit sur ce blog depuis plusieurs mois car je voulais
garder pour moi le plus longtemps possible le secret que je n'ai partagé
qu'avec une poignée d'amis proches. Il y a un an, ce kid est venu chez moi et
m'a enculé sans capote. C'était discuté depuis longtemps, dans tous les sens,
vous me connaissez quoi, je ne vais pas faire un truc pareil sans avoir vérifié et fait la liste des pros & cons avec mon partenaire. Et je ne suis pas du
genre à me laisser aller "dans le feu de l'action" ou je ne sais
quelle excuse hormonale, chimique ou alcoolique.
Ça s'est passé exactement dans le flow des choses, sans scrupule, sans
regret, sans panique ni délire sexuel particulier (Creampie imminent! Amen!
Alléluia!). Je suis juste redevenu le kid que j'étais avant de devenir séropo
en 1986 avec cette bite qui entrait comme lorsque j'étais jeune et que je ne
paniquais pas à l'idée d'enculer non plus. Juste naturel, facile, like old
times.
À part que ce n'était pas old times non plus. Entre temps, comme je disais,
j'ai passé la moitié de ma vie en tant que poster boy de la prévention. Le
garçon en face de moi était lui aussi séropo, indétectable, sans IST ni
hépatite C. Ce kid était le rêve idéal pour moi, un rêve aussi vieux que la
séropositivité, et il insistait qu'il ne voulait pas me transmettre quoi que ce
soit. C'est à ce moment où je me suis mis à rire en disant "écoute, j'en
suis à ce point de virginité qu'une chaude pisse me rappellerait enfin ce que
ça veut dire, être gay". Bring it on! Deux décennies dans la crainte des
fluides corporels et j'ai choisi ce kid, lui et pas un autre, pour vivre ce
secret ensemble. De toute manière, ce qu'on a fait reste de l'ordre du super
basique de 2014.
C'était ce jeune mec attiré par les hommes plus âgés qui est venu vers
moi en disant "On va pas laisser Didier Lestrade si misérable" et
comme il est naturellement doué dans le sexe, il m'a apporté cette attitude
"OK daddy, je vais m'occuper de toi!". Car je suis un daddy
désormais, pas de doute, je commence à peine à vivre ce que j'espérais en
écrivant Cheikh.... 7 ans après.
Le fait de baiser sans capote la première fois avec lui est arrivé dans
des conditions simples, ce n'était pas du tout de l'ordre de la folie, de la
transgression et encore moins la révolte ou le breeding. Je ne suis pas en
train de dire que ces conditions sont différentes de celles qui mènent beaucoup
de gays à baiser sans capote aujourd'hui. Je sais que c'est comme ça dans
la sexualité de Now et 10 ans après The End, de nombreux paramètres ont
changé. Je dis juste que je suis une impasse virologique, que mon partenaire
l'était aussi à ce moment-là et j'ai le droit, en presque trente années de
sexualité exemplaire au niveau de la prévention, de m'accorder pour un weekend
ce que font les autres tous les jours.
Décembre, janvier, février, mars, on a fait ça quatre fois dans une sorte de parabole affective typique de l'affection moderne. Envol parfait à J0, apex sentimental à M2, puis dégringolade et nadir passionnel à M4. C'est comme ça avec les mecs aujourd'hui, ils se lassent incroyablement vite, huit mois de textos passionnés et de quoi faire un livre de messages FB pour une saison d'hiver qui ne débouche sur rien. Au départ, il n'était pas question de sexe non protégé, juste un kid super beau et smart qui voulait aider à me faire sortir d'une longue période solitaire de rejet. Mon cœur vivotait dans le bac à légumes du réfrigérateur. Avec les radis. Ce que j'ai fait, je ne l'aurais pas fait il y a 15 ans, 10 ans ou même 5 ans. Mais cette histoire fut aussi importante qu'une postface de livre, elle résume toute la souffrance accumulée par nous, les survivants de la prévention classique. Tout ça grâce à un jeune mec séropo qui fait un effort vers un de ces daddies qu'il aime tant. Malgré notre différence d'âge, nous étions à égalité. Lui avec son histoire de contamination et son excellence dans le sexe. Moi avec mon histoire de vieux séropo et mon excellence dans... l'abstinence. C'était le pity fuck qui débloque tout et qui vous sort de l'impasse.
Décembre, janvier, février, mars, on a fait ça quatre fois dans une sorte de parabole affective typique de l'affection moderne. Envol parfait à J0, apex sentimental à M2, puis dégringolade et nadir passionnel à M4. C'est comme ça avec les mecs aujourd'hui, ils se lassent incroyablement vite, huit mois de textos passionnés et de quoi faire un livre de messages FB pour une saison d'hiver qui ne débouche sur rien. Au départ, il n'était pas question de sexe non protégé, juste un kid super beau et smart qui voulait aider à me faire sortir d'une longue période solitaire de rejet. Mon cœur vivotait dans le bac à légumes du réfrigérateur. Avec les radis. Ce que j'ai fait, je ne l'aurais pas fait il y a 15 ans, 10 ans ou même 5 ans. Mais cette histoire fut aussi importante qu'une postface de livre, elle résume toute la souffrance accumulée par nous, les survivants de la prévention classique. Tout ça grâce à un jeune mec séropo qui fait un effort vers un de ces daddies qu'il aime tant. Malgré notre différence d'âge, nous étions à égalité. Lui avec son histoire de contamination et son excellence dans le sexe. Moi avec mon histoire de vieux séropo et mon excellence dans... l'abstinence. C'était le pity fuck qui débloque tout et qui vous sort de l'impasse.
Et au-dessus de nos têtes se forme en clef de voûte une chapelle Sixtine
de visages avec la foule de barebackers qui chantent "Ah ben c'était bien
nécessaire de nous faire chier toutes ces années" mélangée aux visages
affolés des amis "Didier si tu fais ça, c'est inadmissible" et les
haters qui ricanent comme des hyènes. Comme si je pouvais devenir un barebacker
avec tout ce que j'ai dit dans le passé.
Maintenant
que j'ai publié ce dernier livre sur le sida où je raconte
pratiquement vingt années d'efforts et d'obligations militantes, dans lequel je
décris le long processus qui passe de la peur à la fierté pour arriver à la
santé retrouvée. Tant pis si, parmi les 130.00 personnes vivant avec le VIH en
France, à peine quelques-unes se sentiront intéressées par ce témoignage. C'est
parce que ce processus a été irréprochable en termes de prévention que je me
permets d'évoluer. Les données scientifiques sur le TasP, la PreP, n'étaient pas aussi claires il y a
quelques années. Elles n'étaient sûrement pas envisageables au moment de
l'écriture de The End, mon livre de 2004 sur la
prévention des gays. Désormais, elles ne font plus de doute. Je ne veux pas
dire qu'il n'y a pas de risque, c'est le contraire puisque le gros problème désormais,
c'est le silence autour de cette maladie et la fausse idée que c'est réglé.
Mais c'est le monde à l'envers maintenant. Ce sont les kids qui me disent qu'ils ne veulent
surtout pas me refiler quelque chose. Je leur réponds que c'est facile, il
suffit de faire un test de dépistage avant de venir me voir. Si j'ai passé un
quart de siècle sans contaminer quiconque, ils peuvent bien faire ça non?