mercredi 28 janvier 2015

Un beau weekend


Tout a commencé quand au bout de 14 heures il a compris qu'il pouvait farfouiller dans mon placard de CDs pour choisir les disques qu'il voulait écouter. C'est un moment qui s'est réalisé plusieurs fois dans ma maison à la campagne. Dans Cheikh je racontais les soirées pendant lesquelles Rob et Victor se décontractaient après une journée du dur travail dans la maison de Ray en alternant leur choix de chansons. On avait déjà mangé, ils avaient pris leurs douches, on était sur le divan à papoter ou à regarder le feu dans la cheminée avec un film à la télé sans le son.

Rob allait chercher un disque, puis Victor allait en chercher un et d'une manière très décontractée, l'un et l'autre lançaient un classique ou une chanson secondaire d'un album oublié. C'était du ping pong sans DJ. C'était soit de la soul anglaise comme The Revival de Martine Girault ou un vieux Dionne Warwick ou un disque plus cheesy mais très bon de Take That. À chaque fois, je ronronnais de plaisir : "You guys are the best selectaaaas" parce que je n'avais rien à faire et je pouvais redécouvrir un aspect de ma collection (que je n'écoute plus) à travers le regard de deux soul boys blancs londoniens, ce qui est déjà une catégorie musicale en soi. C'était un an après Let Me Love You de Mario et ce disque était souvent choisi par Rob ou Victor. Nous étions tous renversés par la pureté de la construction du morceau. Il n'y avait que Ray qui bougonnait en disant "So what's the deal with this kid?" et on lui expliquait en riant parce qu'il n'avait pas pigé.


Donc là il a commencé à sortir les CD de Nelly et des trucs beaucoup plus pointus, je crois qu'il voulait me tester. Et tout d'un coup, il est devenu gaga en réalisant qu'il y avait plein de CDs de R.Kelly et de Keith Sweat et en discutant je voyais que de kid connaissait le concept du Quiet Storm par cœur tout en regrettant que ce genre musical soit désormais dépassé. D'habitude c'est moi qui explique mon amour pour le Quiet Storm, d'où ça vient, les émissions de soirée sur WBLS et Kiss FM et les cassettes de NYC que j'ai faites au fil des ans. À un moment j'entends un cri de joie quand je le vois tomber sur l'album signé de Kevin Little parce que j'avais presque été le seul à le chroniquer à cette époque et que la maison de disques m'avait envoyé un des derniers albums signés. Il met Turn Me On et c'est là qu'il me dit "Mais Didier, je n'ai jamais rencontré de blanc qui a des disques comme ça!" et je lui réponds "Bah c'était mon métier de journaliste quand même et puis n'oublie pas que je me suis spécialisé dans la musique noire depuis l'âge de 22 ans". Il me fait marcher en me demandant si j'aime les Cure mais en fait non.


La veille il est arrivé à midi et à 14h30 on avait déjà baisé, super bien, sur le divan du salon. Le kid est attiré par moi, même dans mes aspects les plus complexes. La maigreur de mes jambes toujours lipodystrophiées ne le dérange pas, il adore juste le daddy barbu aux yeux bleus que je suis, avec mes tatouages et ma pipe. C'est un énorme ajustement quand on rencontre quelqu'un pour la première fois qui n'est pas effrayé par ce qui repousse les autres et pour qui, au contraire, c'est l'ensemble de mon corps qui l'excite. Je ne suis plus habitué à ce niveau d'intérêt, mes anciens boyfriends n'ayant pas vraiment montré une grande curiosité de ce côté. Ça m'excite et ça me bloque en même temps. Je sais que ce genre de scrupule finit par s'évaporer avec la répétition du sexe mais on n’en est pas encore là. C'est d'ailleurs mon problème : la répétition a disparu.


Trois heures plus tard, alors qu'il fait encore jour, le feu brule dans la cheminée, tout est cosy et il dit "Maintenant ça serait bien de me fister". Il sort le matos et j'attends de faire ce qu'il me dit de faire. Je m'y prends bien et assez vite mon bras glisse au fond de lui et je ressens pour la première fois cette chaleur qui irradie mon poignet, mon bras. On s'arrête un peu pour respirer. Ensuite trois autres tentatives mais je sens que je perds mon assurance et donc je m'y prends mal. Il me dit que lui, la première fois, n'avait pas fait aussi bien anyway. Je suis content de l'avoir fait, encore une fois il me sort "Je suis étonné que tu n'aies jamais fait ça à ton âge, enfin tous les mecs que je connais l'ont déjà fait". Je lui réponds que ça se faisait moins à mon époque, qu'il n'y avait pas tous les gels et jouets d'aujourd'hui et puis, surtout, je n'ai jamais rencontré de mec à qui j'avais envie de le faire. Ça me dégoûtait en fait.


La soirée avance et il dit "ça serait bien qu'on écoute de la musique qu'on aime tous les deux". C'est limite shaddy mais je ne le prends pas comme ça. Je comprends que ce kid a besoin d'un daddy mais aussi d'un bro. Parfois il parle de disques ou de la carrière de Madonna comme s'il était Christian Bale dans American Psycho dans un registre moins psycho killer quand même lol. Il raconte ça nonchalamment, en ouvrant des boitiers de CD pour vérifier les titres. This kid...


Parfois il vient s'assoir à coté de moi sur le divan et il se prend la tête dans les mains et murmure "C'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui comprend vraiment ce que j'aime dans la musique, à part ma famille". Il s'allonge dans mes bras, je le tiens en silence pour essayer d'ARRRETER de parler bordel pendant que je regarde la tempête qui frappe sur les portes et les fenêtres du salon, it's warm inside, on a toujours pas faim et on est en train de décider que non, en fait, on n'a pas besoin de foie gras et d'escargots et que la vodka suffira.


Il est 4 heures du matin. Chez lui, il est habitué à écouter la musique dans son casque ou à petit volume pour ne pas déranger les voisins et il s'inquiète régulièrement de la puissance de mon ampli qui, enfin, pousse ses enceintes dans une efficacité non retenue. Je le fais crier quand je balance So Sick de Ne-Yo, il connait les paroles par cœur qu'il chante doucement, presque pour lui, comme faisait Victor dans Cheikh. Chaque disque nous rapproche, comme si on était sur un dancefloor. Ensuite, il me dit qu'on devrait aller dans ma chambre et se mettre dans le lit pour écouter les disques de son iPod sur les enceintes de l'ordi. Il fait une play-list rapide pendant que je me mets au lit, lights dim down, et il me fait découvrir des artistes que je ne connais pas, c'est bien de bout en bout.
Et tout d'un coup, BAM, il envoie les 14 minutes du Shining Star de Get Far, le Pornocult Vocal Ouverture Mix (forcément pas sur Youtube) et ça fait dix fois dans la soirée qu'on a parlé de cheesyness dans la musique au point où il a sorti toute sa théorie sur le I Believe de Cher qui, quoi qu'on dise, est presque le premier morceau avec de l'autotune. Bien sûr, j'étais tombé sur le CD single, je lui ai mis, ça l'a rendu barge. Mais le disque de ce weekend, c'est quand je lui fais découvrir Paper Doll de PM Dawn, il demande à l'écouter deux fois à la suite et ensuite tous les remixes du CD single. Je savais que le côté flower power de ce disque allait lui entrer dans tous les pores de sa peau.


Il est 6 heures et la lueur du matin commence à apparaître à travers le fond de la campagne et à un moment il dit "ça serait bien de me mettre le butt-plug là" et il commence même à se préparer, je trouve ça sexy mais la musique est plus forte et un autre morceau de sa playlist le dirige dans mes bras, le morceau suivant est Phill Collins et on se moque gentiment des gens qui n'aiment pas Phil Collins, les cons. Lentement je sens ses yeux qui se ferment et que je prenais pour une écoute attentive se prolonge vers un sommeil léger. Je suis toujours high mais j'ai pris mes pilules pour dormir et je sais que ça arrivera plus tard. Je me lève doucement pour baisser le son de l'ordi pour qu'il s'endorme plus paisiblement. Moi, je reste les yeux rivés sur les captures d'écran de l'ordi où défilent mes acteurs pornos préférés pendant que s'écoule sa sélection de disques préférés.


Ce kid est impressionnant mais je sais qu'il y en a des dizaines comme lui, ma malédiction est de les effrayer alors qu'ils sont partout. Il est 7 heures, le jour se lève, je n'ai pas passé de weekend comme ça depuis... oh trop longtemps, je le regarde endormi dans mes bras et je cale ma respiration sur la sienne, je respire le parfum de sa sueur, j'attends ce moment où le sommeil viendra après une heure de parfaite synchronisation avec ses souffles, son sommeil profond. C'est un triste moment quand je me lève pour éteindre l'ordi et laisser place au silence. Je le retrouve dans le lit, heureux, contre moi, mes mains sous son T-shirt, mon corps contre le sien en spooning de la mort.


Je sais que c'est une histoire d'amour impossible, encore une, parce qu'il est amoureux d'un autre et c'est OK, ça fait partie du deal depuis le début. Entre les moments de respiration, je rêve de ceci ou cela, je fais le point sur les conneries que j'aurais pu dire pendant le weekend ou le fait de trop parler, je visualise cette collection de disques sur le sol du salon que je ne partage avec personne parce que, précisément, je n'ai personne avec qui la partager, c'est mort quand vous n'avez personne avec qui écouter tous ces moments uniques de la musique des 40 dernières années. Tout est délaissé parce que l'amour me fuit comme la peste qui dévore le choléra (oui, je sais que c'est pas ça l'expression).

mardi 27 janvier 2015

9ème livre


Parfois, on n'a pas envie de parler. Les gens ont envie d'oublier. Vous regardez d'un œil extérieur ce qui se passe sur FB et vous comptez machinalement le nombre de commentaires sur les pages des autres. Sur Twitter, beaucoup plus intéressant si on s'intéresse encore à la politique ou aux news, le moteur principal est la colère, mais une colère souvent vouée à l'échec, une impuissance devant les injustices de notre époque.

Ma petite théorie sur notre époque, c'est que la crise est là non seulement pour nous fragiliser mais surtout pour nous faire abdiquer. Avec la pauvreté qui grandit, c'est la purge intellectuelle et politique. Chaque mot devient un risque, il est fortement déconseillé de se faire remarquer - ce qui est très paradoxal à une époque moderne où, précisément, l'auto proclamation est la nourriture du selfie et de la célébrité. Aujourd'hui, pas une tête ne doit dépasser ou elle tombe, ce qui a un impact profond dans la culture, surtout dans un moment d'uniformité nationale.

La crise fonctionne comme une épuration, ceux qui sont bien placés survivent. Les autres n'ont plus envie d'être témoins des choses affreuses qui se produisent, on n'a plus envie de rire ou même de se moquer. L'avenir ne ressemble à rien de bon, il nous rappelle des décennies perdues à espérer quelque chose qui n'arrivera plus. Comme, en premier, moins de racisme. La récession est républicaine mais on la défend, on aime sa police. Objectivement, tout est plus grave. Ce qui se dit à la télé, dans les médias est si pervers que n'importe qui peut le voir désormais. C'est limpide.

Plusieurs mois sans rien dire en attendant que mon neuvième livre sorte parce que je tenais à ce que cela soit fait pour passer à autre chose. Et si ce premier livre édité chez BoD a pris beaucoup de retard, ce n'est pas grave. Des fois, ça ne sert à rien de précipiter les choses, surtout quand on se doute bien que le livre restera mineur. J'ai passé l'année 2014 à me consacrer à une relation amoureuse, en y donnant énormément de temps, d'espoir et d'attention. J'ai moins écrit parce que j'ai beaucoup aimé. J'espérais sortir enfin de la solitude. Mais ça n'a pas marché.

Comme je l'explique dans l'introduction de mon premier iBook, ceci est mon dernier livre sur le sida. J'ai presque tout dit à part quelques idées et expériences récentes dont je parlerai plus tard ici. J'ai passé presque vingt années à écrire ces 120 chroniques qui sont le fil invisible de mes livres. Si je les publie aujourd'hui à compte d'auteur, c'est parce que je m'en débarrasse. Ce sont mes mots mais ils sont tellement anciens que je les lis avec beaucoup de distance. Je les mets à disposition pour montrer les principes qui ont été ceux de beaucoup de personnes pendant les années tristes du sida. Mais deux décennies plus tard, nous avons changé, la sexualité et les traitements ont changé, le monde n'est plus du tout le même. Ca, en revanche, c'est bien.

Ce qui m'a intéressé dans ce projet, c'est de le faire comme si le livre était secondaire car c'est sa version Kindle que je mets en avant. Comme toujours chez moi, dans mes boîtes de disques ou mon site, c'est du home made. Le look nunuche du livre est assumé, j'aime les fleurs de mon jardin et Fred Javelaud a toujours su les capter au meilleur moment. L'impression de BoD s'avère décevante mais ce livre, posé sur la table, est un joli petit objet. Mais j'insiste, c'est la version iBook qu'il faut acheter parce qu'elle est supérieure. C'est fait exprès.

Tout d'abord, j'ai choisi de baisser son prix à son maximum, à 4,99€, c'est le prix d'un magazine donc on peut le voir comme un achat impulsif à moindre coût. Ensuite la version Kindle offre forcement plus d'éclat et la profondeur des photographies est préservée. Enfin, cette version compte des liens hypertexte qui dirigent vers des archives d'articles, des morceaux de musique que j'écoutais au moment où j'écrivais ces chroniques, année par année. Les textes des chroniques sont laissés brut, sans commentaires ni mise en contexte. J'aurais pu truffer ces textes de commentaires, je ne l'ai pas fait, je préfère toujours l'option simple à l'option érudite. Je vous encourage donc fortement à acheter la version à 4,99€ plutôt que la version à 19€ que je trouve de moins bonne qualité. Et puis, qui a vingt euros pour un livre de nos jours, je me demande...

Quand je dis que c'est mon dernier livre sur le sida, j'en suis convaincu. Et puis je suis entouré d'amis qui me conseillent depuis pas mal de temps déjà d'en sortir. Le sujet a disparu de la sphère culturelle, je dois être un des derniers à publier des news VIH sur Twitter alors que même les associations oublient de le faire. C'est mon dernier livre parce qu'on est passé à une autre époque. Pour ceux qui ont envie de comprendre (ou de se souvenir) de tous les sentiments que nous avons ressenti pendant ces deux décennies de survie communautaire, c'est un document source qui reflète l'expérience que la majorité de personnes séropositives ont traversée, à un moment de leurs vies. 

Ces sentiments ont valeur d'archive dans le sens où ces chroniques décrivent toutes les étapes séquentielles depuis les premières bithérapies peu efficaces contre le sida jusqu'au supermarché qu'est devenu le marché VIH d'aujourd'hui. L'itinéraire de ce livre est donc transparent : un long tunnel qui débouche sur une renaissance abîmée, déçue, solitaire.

Ces Chroniques du Journal du Sida sont mon premier livre sans éditeur, sans maquettiste, sans promo. Il est parfaitement adapté à la lecture sur iPad. Vous pouvez en changer la typo, lire les chroniques dans le désordre, commencer par la musique par exemple. Vous pouvez en tirer des extraits, les publier sur FB ou ailleurs. Si vous avez une carte de presse ou si vous êtes journaliste, vous pouvez en commander un exemplaire chez BoD. Si vous êtes contre Amazon, vous pourrez le commander chez d'autres libraires ici ou encore ici.