jeudi 14 juin 2012

Tu sais que tu es gay quand...



Il y a trois mois, je suis allé voir Somerville à Londres et il m'a offert un tirage d'un portrait de lui, datant de 1985, où on le voit portant son bombers MA-1 de toujours avec le blason Keith Haring sur la poche de la manche gauche. On s'est tout de suite mis à plaisanter sur le fait qu'on s'était débarrassés de ce blouson (le mien était bleu lui aussi, avec un blason ACT UP New York à la place) après y avoir beaucoup réfléchi. Pour nous, c'était impossible de le cacher dans le fond d'un placard. Il fallait absolument le jeter. Même pas le donner à quelqu'un. Le jeter à la poubelle.

Quand j'ai écris ce texte pour Têtu sur le même sujet, en novembre 1999, je prévoyais le revival du bombers autour de 2005. Nous sommes en 2012 et ce revival n'est toujours pas là, ce qui prouve que cet item possède une histoire trop lourde chez les gays et que nous n'avons encore pas fait le tour du processus. Pourtant, Jimmy et moi sommes passés par tous les stades de la bathmologie et les diverses étapes de réflexion se résumaient, à la fin des années 90, à ça :
- Je ne veux plus le voir, ce blouson
- D'un autre côté, ça fait 15 ans que je le porte
- Mais justement, c'est complètement out
- Mais ça va revenir, c'est obligé
- Oui mais même dans ce cas, tu ne peux pas faire comme Montana, porter ça à 54 ans, même au millième degré
- Montana peut le faire, pas toi
- Donc je le jette ou je le cache à la cave?
- Non tu le jettes pour être vraiment certain que tu ne le porteras plus jamais, même plus tard, même si tu adores ce blouson.

Et c'est comme ça que je me suis regardé mettre ce blouson dans un sac de poubelle, puis dans un autre sac de manière à ce qu'un voisin de ne le trouve pas dans le container de l'immeuble. Que ça arrive chez Emmaüs, pas de problème, mais je ne veux même pas m'en charger moi-même. Quelqu'un porte mon bombers quelque part et je m'en fiche, je ne veux pas le savoir, c'est tout.
Comme je disais dans le papier de Têtu, ce blouson d'aviation américain avec sa doublure intérieure orange était LE symbole gay des années 80 et 90. Il y avait tellement d'hommes qui le portaient que c'était un signe de reconnaissance et c'est en partie grâce à lui que l'on a inventé le terme de clone chez les homosexuels, que beaucoup de gens ne comprennent toujours pas d'ailleurs (on me demande toujours "C'est quoi un clone gay?" et il faut que je sorte l'Encyclopædia Britannica. Il y avait trois modèles : le vert kaki (très classe avec un treillis), le bleu foncé à reflets canard (chic en toute occasion) et le noir (plus anar, plus SM). Bien sûr, je n'ai jamais porté de bombers noir, pouah, et puis je me disais, ça va, deux couleurs ça suffit hein.
Ce qui était merveilleux avec ce blouson, c'est qu'on pouvait avoir passé le pire (ou le meilleur) week-end, recouvert de bière et d'autres liquides, puant la transpiration et la cigarette ou les différentes fragrances de poppers, il suffisait de le jeter dans la machine à laver pour qu'il réapparaisse comme neuf. En nettoyant son bombers, on remettait les pendules à l'heure, tout était oublié, comme après confesse (j'y vais pas mais vous avez compris), prêt à faire d'autres bêtises. Même quand on avait une sale gueule, ce blouson vous rendait sexy. On sortait dans la rue et c'était comme si vous disiez "Je suis prêt, TUVAWARE".

Pourquoi j'en parle aujourd'hui. Parce que j'ai été épaté de voir que Jimmy avait fonctionné de la même manière. Ce n'était pas un blouson que l'on pouvait offrir, même si on savait que cela aurait été un geste généreux. Il fallait vraiment effectuer le geste symbolique de s'en séparer parce qu'il avait accompagné nos plus belles années de drague et de danse et qu'à partir d'un certain âge, il fallait tourner la page, même si cela voulait dire que l'on n'aurait plus jamais un look aussi pratique. Cet ami-blouson était l'accessoire N°1 du basique gay, quand on n'avait pas beaucoup d'argent : un jean, un bombers, des Doc Martens et voilà, pas besoin d'acheter autre chose. C'était l'anticonsumériste gay minimal à son sommet. Et on l'avait tellement aimé, on était si reconnaissant, ce blouson avait été si fidèle en vous accompagnant partout, en France et à l'étranger, vous protégeant du froid et de la pluie, parfois même de la violence et des coups, qu'il était chargé de trop de souvenirs. C'était pas possible autrement, à moins de risquer un anévrisme en le découvrant par hasard, quelques années plus tard, dans le fond mystérieux de ce placard où on ne va jamais.

Je sais qu'il existe toujours des gays qui portent ça et à la limite je le respecte même si je trouve le procédé borderline zarbi. On est en 2012 les mecs. Autant porter un loden, c'est tout aussi effrayant socialement et culturellement. Au secours quoi. Et je sais que ce blouson bourgeonne chez les stylistes de mode qui ne cessent de tourner autour, essayant de trouver le truc qui le réhabilitera dans l'exemple éblouissant d'un post modernisme qui ne respecte plus rien. Car ces stylistes savent bien qu'ils ont un classique en face d'eux, que l'on peut décliner avec plein d'autres tissus, de coutures, d'idées. Le jour où une célébrité comme Michael Fassbender, suivi pour son flair vestimentaire, se promènera d'une manière répétée avec un bombers new style, qui parvienne à être fidèle à l'original tout en étant complètement réinventé et que cette image se trouve sur une pub de parfum, on aura atteint un revival massif de rue avec des milliers d'hipsters et de kids hétéros qui s'y mettront.

Mais ce n'est pas encore fait, loin de là. Je peux me tromper mais je pense qu'il faudra attendre encore un an ou deux, ou plus. Je suppose que Rihanna ne s'est pas encore penchée sur le sujet, ni Madonna (et pourtant...) ni Lady Gaga. Et puis, c'est quand même un blouson essentiellement masculin. Mais quand ça arrivera, selon la formule consacrée, remember where you read it first.


lundi 4 juin 2012

Les 73 pots de fleurs de Montparnasse


Sur le quai entre Montparnasse et la gare de Vaugirard (ou Montparnasse 2), la gare a disposé 73 grands pots de fleurs. Je les ai compté il y a déjà plus d'un an et c'est une véritable catastrophe de design végétal. Je n'ai pas envie de râler sur tout mais nous avons ici un échec patent de décoration publique. Des milliers de personnes prennent tous les jours le tapis roulant entre les deux gares et les pots sont là, juste pour agrémenter ce parcours rébarbatif. Mais c'est plutôt l'effet opposé qui est atteint : on a presque envie de se jeter sous un TGV tellement c'est désespérant.

Qui a eu l'idée de cette hérésie végétale? Car c'en est une pour toute personne qui s'intéresse aux plantes et au jardinage, et ça fait beaucoup de monde mine de rien. Je ne vais pas proposer à Ovni ou Vice un tel papier car c'est léger, j'admets, mais c'est une bonne blague qu'il faut montrer du doigt. Laissez-moi vous compter les raisons de cette entreprise ratée à tous points de vue :

1) Les pots sont trop grands!
N'importe qui sait que le choix du conteneur est essentiel. Ici, ce sont de très grands pots en plastique rouge d'1m50 au moins de hauteur avec un diamètre de 60 cm environ. La règle N°1 du jardinage : ne pas planter des plantes de petite taille dans des pots trop grands, à moins que ça soit des trucs à végétation exubérante comme des bambous. Dans un environnement trop grand, la plante se développe mal, elle se noie, elle se sent un peu perdue. Bref, dans ce cas précis, des petits lauriers tin de 30cm de hauteur seront forcément malheureux dans un container aussi grand. Surtout, c'est pas joli du tout.

2) Pas de soleil ni de pluie!
C'est quoi cette torture qui consiste à planter un végétal à l'ombre, sans soleil direct? A la rigueur, ça va pour des fougères mais il s'agit ici de lauriers tins, des végétaux qui ont besoin de pleine lumière du début de la journée au coucher de soleil, qui aiment le vent, même le froid. Alors, les placer sous un plafond, sous le quai, c'est très pervers quoi. C'est ce côté méchant pour les plantes qui m'énerve. Ces plantes n'ont jamais d'eau de pluie, vous imaginez  leur torture.

3) Ensuite : des plantes en pastoc!
En fait, elles sont presque toutes mortes, ces plantes. Les rares qui ont survécu depuis un an sont en train de vivre leurs derniers jours. Coundown to déchetterie! Elles poussent un peu mais on voit bien qu'ils vont y passer. Certaines mottes de terre sont carrément visibles et les racines des plantes sont à l'air, un péché mortel dans le jardinage. Certains pieds sont morts depuis si longtemps qu'ils ont séché sur place, WTF. Les seules arbustes qui sont en bonne santé (5 au total) sont en bout de ligne, à la gare Vaugirard car là, ils reçoivent de l'eau de pluie et de la lumière. En partant de Montparnasse, à partir du 35ème pot, ces derniers ont déjà été "décorés" avec des plantes en plastic et un méchant lit de boules d'argile qui fait généreusement office de cendriers. Vous pouvez y trouver un vieux sandwich pourri si vous êtres vraiment affamé.

4) C'est la crise!
Vous pouvez rire mais ces grands pots ne sont pas laids, ils sont rouge foncé et très grands et même quand c'est acheté en gros, c'est pas donné, autrement il y en aurait partout. Et ça coûte cher, ce délire! Donc c'est finalement nous, les consommateurs de la SNCF, pour qui ce display à été conçu afin de nous divertir, qui payons ces pots et leur installation et le bureau de style qui a trouvé cette idée géniale. Encore une fois, au lieu de demander à des bobos de "concevoir" une telle ligne de pots de jardins, il aurait été plus "cost effective" de solliciter les conseils d'un jardinier lambda.



5) Appelez Pierre & Gilles!

Donc ces pauvres plantes n'ont pas eu la vie facile et pour nous jardiniers, ça nous crève le cœur de voir un végétal si mal traité, sans respect des moindresrègles de base pour qu'il survivre. Et tant qu'à mettre des fausses plantes en plastic style tropical raté, on aurait pu demander à Pierre et Gilles de nous faire une création florale 100% kitsch! Ce serait une merveille pour les enfants avec une idée différente pour chaque pot, 73 of them, comme 73 arbres de Noël, et je vous assure que ce serait devenu une attraction internationale. Un plan média du tonnerre! Car Pierre & Gilles, les fleurs en plastic et tout ce qu'on peut faire de décalé et éblouissant avec, ils savent faire. Ils font ça depuis toujours. C'est naturel chez eux.