vendredi 23 avril 2010

didierlestrade.fr


Il y a des articles très amusants d’Alice Rawsthorn dans le New York Times qui se moquent de certains sites Internet arty qui sont si complexes qu’on ne sait pas où aller et, de fait, on s’en va. On se barre. C’est vraiment l’effet inverse de ce qui est recherché. C'est ce qu'elle décrit dans "Web sites, awful and not". Il y a des folles qui ont passé des journées de réunion pour trouver le look et l’esprit d’un site pour une corporate – et les gens se barrent. En général, je suis toujours d’accord avec ce que dit cette journaliste. J’ai même cherché une page FB à son nom, pour devenir fan. C’est tellement rare d’être d’accord à 100% avec ce que dit quelqu’un, surtout dans un sujet qui n’est pas vraiment le mien, le design.

Alice citait le site d’YSL comme l’exemple de référence. Trop compliqué. Dans cet article de 2008, Alice expliquait pourquoi de nombreux sites Internet n’arrivaient pas à satisfaire à la fois l’œil et le cerveau. Elle dénonçait en particulier la typo Georgia, si jolie sur un Mac et très laide sur un PC (c’est l’erreur de ce blog, mais, d’un autre côté, je suis une fille Apple sans scrupules). Elle se moquait de Flash, si populaire dans les années 90 et si ringard aujourd’hui, surtout quand on parle de simplicité (chez Minorités, le débat sur Flash a duré à peu près 4 minutes : Laurent était farouchement contre). Elle ridiculisait les sites dans lesquels il y a trop de choses. Dans les médias gays, c’est caractériel : ça rend les gens encore plus confus. Il faudra d’ailleurs se poser bientôt la question : est-ce que les médias LGBT participent de cette « confusion » culturelle LGBT non pas dans son contenu, mais dans la présentation de ce contenu ?

À un moment récent de notre passé, nous avons basculé dans une surabondance de conceptuel, comme on le voit dans les Tumblr actuels où certains mecs ne s’intéressent qu’à une partie du corps ("Fuck Yeah Beards" est un blog génial). Pour mon site, je voulais faire un truc volontairement simple, avec du bold dans les lettres. J’aurais adoré utiliser des typos plus zarbis, plus années 30, qui me ressemblent, avec des noms super jolis, puisque j’en suis, comme pas mal de monde, à cultiver des plantes non seulement parce qu’elles sont jolies, mais en plus parce qu’elles ont un nom génial.
Mais j’ai forcément essayé de me retenir, encore une fois, en utilisant la typo de Minorités pour rassembler tout ce que je fais sous la même bannière. Il y a de la mémoire sur ce site perso, par forcément nostalgique, qui nous transporte vers des périodes heureuses, même au cours des années sida. Je veux rassembler tout ça aussi dans Minorités, car tout est forcément lié. Je veux montrer que lorsque nous étions très inquiets sur nos vies ou celles de ceux qui nous entouraient, beaucoup de photos montrent des amis souriants. Aujourd’hui, tout le monde se déteste parce qu’on a survécu, mais à l’époque, c’est étrange, tout le monde souriait.

Je n’ai pas beaucoup posté de trucs sur ce blog pendant le mois d'avril car je travaillais sur ce site qui sera ouvert un peu plus tard, ce jour même. Et puis il y a l’expo de Magazine, le livre des chroniques de Libé, il y a le jardin aussi, et ma famille et mon mari et les amis qui viennent le week-end donc j’étais occupé. Je suis content de ce site, on verra comment ça fonctionnera. Ce dernier ne prétend pas être parfait, je le voulais rudimentaire, dans le genre sucré, avec du miel orange foncé dessus. Tout est gros, même la case de recherche. Les photos du site ne sont qu’une partie des nombreux négatifs qui restent à scanner et commenter. Je ne cherche même pas à faire des scans parfaits, ce qui m’intéresse, c’est la photo, le souvenir, ce que ça veut dire.

Certaines photos illustrent des pages spécifiques publiées dans « Kinsey 6 » ou « Act Up, une histoire », comme les Gay Pride, les bals du 13 juillet sur les quais de Tournelle à Paris. Le but de ce site est de partager ses images, des souvenirs musicaux ou politiques qui ont marqué ces trente dernières années.
Pour certains d’entre nous, déjà seniors, même si on est effrayés par l’étendue de ce mot, il est temps de ranger ces souvenirs pour que les plus jeunes, s’ils le veulent, on ne les oblige pas, aient un aperçu de ce qui les a précédé. Il existe une fascination pour ces décennies parce que ce sont elles, en effet, qui ont vu l’essor des minorités à laquelle j’appartiens.

Je suis un nouveau d’Internet. Je me suis battu pendant longtemps contre l’idée d’écrire un blog et je ne fais pas partie des gens qui lisent beaucoup de blogs. Il y a toujours une partie de moi qui considère que l’ordi est un outil de travail et qu’il doit me laisser le temps de sortir dans le jardin quand je veux. Je trouve effrayant, par exemple, les gens qui regardent la télé avec leur ordi. Et ceux qui se branlent devant, c’est encore pire lol. Bref, Internet ne doit pas me détourner du plaisir que j’ai à travailler dehors car je me sens responsable de ce qui m’entoure et l’ordinateur ne doit pas être un obstacle. C’est pourquoi, parfois, je ne réponds pas aux mails, ou je réponds avec du retard. Je préfère réfléchir à ce que je vais dire et je déteste cette obligation de répondre dans l’immédiateté. Je sais que c’est ça, la modernité, le fait de répondre tout de suite, mais je suis contre.

Pourtant, j’ai eu énormément de plaisir à m’engager, avec du retard, sur Internet. Je n’ai pas ressenti un tel plaisir créatif depuis, quoi, l’écriture de mon dernier bouquin. C’est grâce à Facebook et à Internet, après tout, que j’arrive à travailler, à publier un livre et organiser une expo sans avoir de téléphone portable. C’est ça le fond conceptuel de l’affaire : « Voyons si c’est possible de travailler avec des gens sans téléphone portable ». Et ça l’est.

Au fur et à mesure des années, il y a des machines que je n’utilise plus. Le répondeur, par exemple. Pas la peine de me laisser un message, je ne vais pas l’écouter. Vous avez quelque chose à me dire, il y a les mails. Les SMS ? No way. Pourquoi un tel décalage avec le monde moderne ? Je ne sais pas, c’est comme si à 52 ans, j’avais eu assez de conversations téléphoniques. Alors que les mails, j’aime toujours ça. Je trouve que le Facebook du début, en 2007, avait une ambiance vraiment chaleureuse. Cette impression subsiste toujours, FB reste un média sympa, mais à l’époque c’était encore un petit club. On pouvait encore ranger ses amis par ordre de beauté de leurs photos de profil.

Internet me donne envie d’écrire. Je trouve que ce que les gens disent est stimulant. J’aime comment ils s’expriment. Pourtant, je suis contre le chat, je n’ai pas de profil de drague sur les sites de cul et je ne suis pas un dingue de Twitter, sans doute parce que je n’ai pas encore d’iPhone, malgré mes promesses non tenues de l’été dernier. Twitter est génial pour les infos, mais il faut y être tout le temps dessus, et ce n’est pas, encore une fois, ma manière de vivre.
See, je suis convaincu, comme beaucoup de monde, surtout en France d’ailleurs, que l’iPhone introduit des automatismes qui sont à la base de ce qui sera développé plus tard et donc autant s’y mettre tout de suite sinon le retard sera un handicap insurmontable. Mais j’ai envie de pousser l’expérience de la vie sans téléphone jusqu’à la publication de ce livre et la sortie de cette expo, pour voir.
J’aime mon site perso parce que je m’y sens bien. On fait toujours la même chose dans sa vie. On décide à 20 ans qu’on aime les lettres bold et extrabold et on aime ça toute sa vie, sans y réfléchir, en multipliant les variantes. Magazine, Act Up, Têtu, KABP, des typos bold partout. Et le noir sur ce site, autant répondre tout de suite parce que tout le monde me pose la question : c’est parce que je ne veux pas laisser une aussi belle couleur à ceux qui voudraient en faire un symbole de la noirceur.

Je me mets en travers entre cette association entre le noir et le malheur. Après tout, le contenu de ce site, c’est du bonheur. Avec l’âge, on regarde tout ce qui a été douloureux dans le passé avec un regard plus gentil, plus positif. Les garçons sourient sur les photos. Peut-être que le jour de la photo, j’étais triste ou pas bien. Le garçon aussi. Mais le sourire de la photo est ce qui reste, bien longtemps après et on oublie ce qui nous rendait malheureux quand on était jeune.

On regarde ce qu’on a écrit ou ce qu’on a fait, il y a 30 ans comme une kitscherie. Il y a des photos de boyfriends quand je les rencontrais, au moment où j’étais très amoureux d’eux. En fait, so far, la vie a été dure pour moi, mais elle a été heureuse. Je n’ai pas perdu une jambe ou deux, je n’ai pas de maladie super slash super slash super grave. Je ne suis pas mort, pour dire les choses vite. Ce site porte le noir car il est associé à des moments rayonnants. C’est donc à partir de ce noir, sur Internet, que je présente le début de ces archives et j’espère rejoindre ceux qui ont déjà commencé ce travail.

« Write for Impact » disait l’ancien boss du Boston Globe à ses journalistes. Le bold a toujours plus d’impact, c’est presque sous-entendu dans son nom. Être bold, c’est être frontal, ne pas avoir peur de dire ce que l’on pense, c’est être courageux. C’est pas loin de « blunt ». Pour moi, ce site, qui n’est pas complètement terminé, répond à mon idéal de simplicité, mais sans exagérer, après tout je ne suis pas un puriste.
Pour revenir à Alice Rawsthorn, il y a des articles où elle met le doigt sur ce que j’ai toujours pensé. Dans « Mistakes in Typography Grate the Purists », elle décrit une des raisons qui m’a fait quitter Paris. La laideur des enseignes, de toutes ces typos qui s’affrontent sur les deux côtés d’axes maudits comme le boulevard Magenta (great name, awful place). Cette ville est remplie de « gaffes typographiques ». C’est comme quand vous regardez « Mad Men » avec son esthétique sixties parfaite. Ben, la typo du générique de la série a été créée en 1992, c’est-à-dire 40 ans plus tard la narration de l'intrigue. Fail !

On ne demande pas à Paris une uniformisation des typos, comme cela se fait à Amsterdam (bien que je trouve ça génial), juste un self-control visuel. Vous imaginez Delanoë en train de dire à ses commerçants : « Alors voilà, on a défini une dizaine de typos pour vos enseignes et ça serait bien que vous choisissiez parmi elles celles qui vous convient ». Il n’est même pas foutu de mettre des guirlandes de Noël qui veulent dire quelque chose, alors créer une charte graphique pour la ville, faut pas rêver. .

C’est pourtant ce qu’il faudrait faire, j’en suis convaincu.

mercredi 7 avril 2010

Muscari avalanche


Mon ami Ray me ramène toujours des derniers exemplaires de The Garden, la revue de la Royal Horticulture Society, pratiquement le meilleur magazine de jardinage en Europe. C’est très intéressant de voir comment les Anglais abordent le journalisme du jardin. À l’opposé de la France qui favorise des magazines pratiques, qui vous expliquent dans le détail comment il faut jardiner (planter, couper, tailler, traiter), les Britanniques sont beaucoup plus dans une analyse assez intellectuelle de la vie au jardin. Dans Gardens Illustrated, ce sont les images qui sont mises en avant (forcément), tandis que The Garden, c’est surtout du texte, à part la cover qui est toujours très belle. Bloom, pour moi, c’est un objet trop hybride, trop fashion, j’ai jamais accroché. On dirait que c’est un magazine écrit par des gens qui ne vivent pas dehors.

Dans le numéro de mars 2010 de The Garden, par exemple, Helen Yemm revient dans sa chronique sur le délire actuel des raised beds du potager. Ces banquettes surélevées sont le truc à la mode depuis plusieurs années, pour plusieurs raisons. C’est joli, facile à entretenir et à désherber, les légumes sont mis en valeur, il y a de belles bordures en bois qui retiennent la terre, tout est plus facile d’accès, les plantes poussent souvent mieux car elles disposent de plus de profondeur de terre. Bref, c’est plus joli. Dans les deux premiers tiers de son article, Helen Yemm adopte un ton moqueur sur les bobos qui développent « un culte du raised bed ». Pour elle, il s’agit surtout d’un piège de marketing qui vous fait acheter plus de choses pour votre potager : le bois, la terre, les cloches en verre, les lumières et les petites étiquettes sur les légumes, tout le tralala. Et puis c’est toute cette idée de faire un potager de pouffiase, y’a pas d’autre mot, avec une dimension plus petite, avec la nouvelle mode des petits fruits (tout en version minuscule). Le raised bed, c’est finalement l’autel des Incas, là où on met en valeur ce que l’on va sacrifier, ce qui va être mangé. Les laitues sont bien rangées, elles sont si jolies qu’on dirait qu’elles sont retouchées. On a presque envie de ne pas les manger tellement elles sont belles (un truc qui m’arrive chaque année avec les artichauts : une fleur si fascinante que je n’arrive pas à les couper avant pour les manger, tsss tsss). Le raised bed a une telle influence sur le jardinage que les variétés de légumes sont adaptées : des tomates en grappe (forcément), et beaucoup de travail pour une récolte symbolique.
Dans The Garden, il y a des discussions d’experts sur ceci et cela qui sont du plus haut niveau de journalisme. On est toujours les premiers informés si un nouveau parasite est en train d’envahir l’Angleterre avec leur manie ridicule d’importer des fougères géantes en arbre qui sont le meilleur moyen pour accueillir en Europe des bestioles qui viennent de Tasmanie.
Ce qui est génial aussi avec cette revue, mais on trouve ça dans toute la presse de jardin anglaise, c’est le nombre d’encarts publicitaires à la fin. Pas du tout le genre « Dame Irma » qui pullule les dernières pages des magazines gays (did you notice that too ? On dirait que des milliards de pédés sont en train de solliciter sans cesse des voyantes), mais des pubs qui montrent à quel point les Anglais ont réellement plusieurs années d’avance sur nous. Ce n’est pas un délire consumériste que je souligne ici, plutôt les idées derrière les objets. Il y a eu la mode des pubs avec des lutins en fonte (eeek !), des pubs avec des présentoirs pour bains d’oiseaux (don’t !) et là en ce moment, ce sont ces énormes tonneaux à compost qui permettent de tout recycler en un temps record de 3 semaines. Et je ne parle pas des garages en bois hyper spaciaux pour voitures qui sont tellement cosy qu’on pourrait y passer toutes ses vacances.
La semaine dernière, j’ai passé mes plusieurs jours au jardin et j’ai chopé mon premier coup de soleil. Là il y a tellement de travail qu’on a l’impression de courir dans tous les sens. J’ai coupé les graminées, il faut que je les passe les tiges sèches au broyeur (mais en fait j’ai tardé et elles ont pris la pluie donc je les ai mises directement au compost), j’ai taillé les rosiers et les fruitiers, il faut que je les traite et je crois même que je vais badigeonner cette année les troncs avec du blanc, je suis en train de bouger des buis dans un autre coin du jardin pour qu’ils aient d’avantage d’eau et d’air, mais je n’ai pas tondu la pelouse avant mercredi dernier, quand il faisait très beau et donc le jardin sort juste du côté sale de la fin d’hiver.
En deux jours, les jonquilles se sont ouvertes, chez moi comme dans les bois. Dans ma région, il y en a vraiment beaucoup. Je suis en retard dans le jardin car il a fait tellement froid que je n’ai pas eu le courage de sortir. Je dois commencer à me faire vieux, ou alors c’est plutôt mes problèmes cardiaques d’il y a deux ans. En tout cas, je n’ose plus sortir quand il fait froid comme je le faisais, il y a encore avant mes problèmes de cœur. Précédemment, je pouvais passer l’hiver dehors sans trop de problème, et puis il y avait le plaisir de fumer une cigarette dans le froid, c’était agréable.
Le printemps est arrivé en l’espace de quelques jours et il y a beaucoup de vivaces à diviser. Je n’avais pas encore vidé mon compost, ce que je fais d’habitude en janvier ou en février et on vient de le faire ce week-end avec Jean-Yves. La haie qui donne sur le pré des vaches a été nettoyée aussi. Avec la tempête et la neige, certains prunelliers et aubépines penchaient d’une manière qui n’était pas rassurante. On a coupé le bois avec Jean-Christophe et Arlindo et on a fait un feu qui a duré toute la journée du lundi de Pâques
Il faudrait que je fasse venir l'élagueur rouquin super sexy pour réduire les jeunes chênes qui commencent à cacher la vue sur la vallée. Il faut aussi que j’apporte à la déchèterie toutes les cochonneries qui s’amoncèlent dans la cabane en bois et tous ces pots en plastique, je ne peux plus les voir ! Je me suis endormi hier soir en pensant à la maison que vient d’acheter mon amie Chantal à 30 kilomètres de chez moi. Son terrain de 2 hectares est à flanc de colline avec des rochers et des gravas partout. C’est carrément un jardin de caillasse, il suffit de se pencher pour faire un mur on the spot. Un jardin de cailloux, quelle chance elle a, c’est magnifique.