mercredi 3 mars 2010

Gay, ma non troppo


Ce n’est pas vraiment une affirmation gay qui recule, mais c’est presque du sur place. Chaque nouvelle sortie de film gay est systématiquement accompagnée d’une campagne de promotion qui nous assure, justement, que ce n’est pas un film gay. Que ce soit Hollywood ou en France, la gêne du film gay cache une homophobie qu’il serait temps de dénoncer.

Tout le monde parle d’homophobie et pourtant le correcteur d’orthographe de Word, sur mon ordi, me signale toujours que ce mot n’existe pas. Il y a une association LGBT qui peut régler ce problème une bonne fois pour toutes ? C’est le genre de chose qui me fait bouder dans mon coin, exactement comme lorsque je vois des articles sur des films gays qui ne sont surtout pas gays. Lors de la sortie de « I Love You Phillip Morris », Ewan McGregor était interviewé sur Canal où il disait, en substance, que le film était sur un gay et un autre gay, donc ça servait à rien de tourner autour du pot : oui, c’était un film gay. Deux jours plus tard, une brève sur un média gay me rappelait à l’ordre : « Surtout, non, ce n’est pas un film gay ! ». Ensuite sort « A Single Man » de Tom Ford, qui est un film par un designer de mode gay sur un personnage central gay et, wait, nous n’allez pas me croire, c’est tout sauf un film gay. Précédemment, il y avait eu le dernier Chéreau, « Persécution » qui semblait être, selon la bande-annonce, une resucée de « L’Homme blessé » qui n’était pas un film gay en 1983. Et je peux vous faire tout un historique jusqu’à « Milk ».
Je me demande avec qui il faut coucher pour faire un film gay de nos jours. Je comprends très bien qu’une boîte de distribution renonce à définir un film avec l’adjectif gay de peur de réduire son succès en salle. Mais le mythe du film non-gay est surtout promotionné par des journalistes gays dans des médias gays. Il me semble pourtant que le public sait reconnaître tout de suite si un film est gay ou pas. Il suffit de compter le nombre de personnages gays. S’il est supérieur ou égal à 2, c’est un film gay.
Donc, Règle N°1 : un total de 2 personnages homosexuels rend un fim gay, de facto. Cela commence à être fatigant, cette rengaine à chaque fois que sort un film gay. L’industrie cinématographique nous sort le même bullshit qui veut nous faire croire qu’un film gay est réducteur. Ce n’est un pas un genre respectable. Il faut que l’histoire d’amour soit « universelle ». Il y a pourtant une longue liste de films gays qui sont des grands films et cela ne choque personne de dire que « Brokeback Mountain » est un film gay car c’en est un. Résumons le timing. « Brokeback » était annoncé pendant son tournage comme un film gay. À sa sortie, ce n’est plus un film gay. Deux ans après, avec le DVD rentabilisé, c’est un film gay à nouveau. En fait, le seul moment où le film subit un black-out homosexuel, c’est lors de sa promotion.

C’est aussi le rôle du cinéma de nous éduquer et quand il se comporte d’une manière aussi stupide, on a envie de le lui envoyer en pleine gueule. Expliquons ce cheminement : des agents artistiques gays vendent à des attachées de presse gays qui vendent à des médias gays l’idée selon laquelle le réalisateur du film gay n’aurait surtout pas fait un film gay. On peut couper le fil de cette chaîne corporatiste à un moment ? Il n’y en a pas un qui aurait le courage de se retourner vers son interlocuteur précédent pour lui dire : « Attends, c’est un film gay ! Si on ne dit pas que ce film est gay, on va le dire quand ? On devrait être fiers ! ».
Sur Canal, les interviews de Laurent Weil tombent presque toujours dans le même panneau : à chaque fois qu’un film gay-non-gay est en promo, on dirait que l’interview se dirige irrésistiblement vers ce moment éculé et catastrophique quand il demande à l’acteur hétéro qui a joué le gay : « Et comment ça a été pour vous d’embrasser un gay ? » À ce moment, votre tête tombe sur le sol, roule jusque sous la télé, là où se cachent les moutons de poussière. Dans le genre. Duh. La honte.

En tant que militant gay, je crois que c’est un des trucs les plus tristes de ma vie. En 2010, voir qu’on en est encore à poser des questions connes de ce genre, comme dans les médias gays qui demandent aux stars hétéros qui font leur promo (ils ont toujours quelque chose à vendre) quelles sont leurs impressions sur le monde LGBT. Les conseillers en communication (gays) s’arrachent les cheveux pour trouver des variantes au désormais célèbre : « Mon public gay et le meilleur et j’ai failli faire une fellation à un ami en terminale C ».
Ce processus d’affirmation de l’identité à rebours est une idée qui semble satisfaire le plus grand nombre. Les gays se sentent valorisés quand ils sont aimés à ce point par des célébrités qui n’ont rien à leur dire à part des banalités. Les célébrités sont heureuses de disposer de couvertures médiatiques si captives. Les médias sont heureux de perpétuer les clichés qu’ils avaient eux-mêmes abandonné un certain temps, « parce que c’est trop con ». Tout le monde est content puisqu’il n’y a pas de conflit.

Où est alors le problème ? Intuitivement, je sais que la majorité des gays ont les yeux qui montent au ciel quand ils voient ressortir cette histoire du film gay qui n’est surtout pas un film gay. Ils en ont marre que l’on leur répète ces bêtises. Changez de disque. Parlez du film, ou de l’histoire ou de n’importe quoi for all I care, mais arrêtez de poser des questions stupides qui perpétuent un besoin d’approbation débile avec dessus un vernis de politiquement correct. On en a marre d’entendre les gens dire que c’est un film gay comme si c’était la pire chose qui puisse arriver à un film. Car c’est bien connu, si un film gay est considéré comme tel, c’est qu’il a échoué en tant que grand film.

Il y a trois mois, le blog de Philippe Colomb sur Yagg mettait le doigt sur un sujet très intéressant. Selon lui, certains combats LGBT ont du mal à avancer, comme le mariage ou l’adoption, parce que, finalement, à travers le monde, les associations LGBT sont peu nombreuses, ne disposent pas de moyens conséquents et donc ne peuvent pas se permettre de constituer un lobby très important.
Il y a du vrai car si on regarde le nombre de gays à Washington, il n’y en a pas autant que ça. En tout cas, ils sont au même niveau que les lobbyistes écolos qui sont beaucoup moins nombreux que les lobbyistes pro-pétrole, pro-armement, pro-agriculture, etc.
Mais je ne partage pas ce constat d’humilité envers l’ampleur du tissu international LGBT. D’abord parce que ces associations rassemblent des milliers de personnes. Derrière elles toutes celles qui sont engagées dans le sida et il y en a beaucoup, avec beaucoup d’influence. Enfin, nous nous trouvons dans un sujet éminemment culturel et politique. Et là, ce sont des milliers de gays qui ont du pouvoir et qui ne l’utilisent pas. Faisons le calcul. Un ministère de la culture rempli de gays. Des assistants parlementaires gays très nombreux (ils n’ont pas de famille, ils peuvent travailler non stop). Des médias où les gays sont très nombreux. Des milliers de gays dans l’administration. Encore plus de gays dans les magasins qui vous conseillent pour ceci et pour cela, qui vous disent littéralement ce qu’il faut acheter. Des milliers de gays qui sont les premiers à savoir ce qui est groovy et ce qui est intéressant à Doha, Singapour, Tokyo et Brooklyn. Des milliers de décorateurs, de stylistes, de designers, de créateurs de tendance, d’écrivains qui reviennent de Reims ou de cinéastes qui adorent François Sagat ou qui dirigent des théâtres dans le 6ème arrondissent.
Cela fait beaucoup de monde. Et si toutes ces folles ne s’arrangent pas pour qu’on ait le mariage gay, que l’on s’arrange, au moins, à minima, pour qu’on arrête de nous dire que « A Single Man » n’est pas un film gay. Basta avec ces conneries.