mercredi 27 octobre 2010
Les 3 principes
C’est à partir de maintenant que l’on commence à remarquer les feuillages persistants panachés que l’on n’a pas regardés le reste de l’année parce que c’est comme ça, pendant l’été, il y a tellement de fleurs et de plantes beaucoup plus belles. A la rigueur, au soleil, on se demande même pourquoi on a choisi des feuillages panachés, comme si ces fusains et ces houx paraissent ternes et ennuyeux. On ne les apprécie plus, on se demande pourquoi on les a plantés.
Mon ex Jean-Luc me disait que tous les jardiniers savent que ces feuillages éclairent le jardin. Moi j’avais mes préjugés d’idiote et j’avais décidé que les panachés avaient un côté préfabriqué qui m’énervait dans le jardin. J’en avais tellement marre des éléagnus que j’élargissais cet énervement à tous les feuillages persistants panachés. J’ai compris dès l’année suivante que j’avais tort.
C’est Jean-Luc qui m’a imposé la majeure partie des persistants panachés de mon jardin et je vois chaque année à quel point il a eu raison de me forcer la main. J’ai un bout de haie de houx panachés dans laquelle on trouve un ou deux pieds de la version aux feuilles ourlées et piquantes, un truc fascinant qui demande que l’on s’approche pour voir ces feuilles toutes différentes, avec des dizaines de variantes sur un même pied. J’ai des fusains panachés qui sont les seuls arbustes qui poussent bien à la base d’une grande haie mitoyenne de charmes, avec des racines qui pompent toute l’eau en été. J’ai des fusains miniatures qui sont vendus trois fois rien dans les catalogues comme Briant et que l’on ne voit pas du tout le reste de l’année et qui deviennent un point focal en hiver. Et bien sûr un érable "Flamingo" que Jean-Luc m’a offert qui est au fond d’une mini-clairière dans ce qui reste du petit bosquet entourant la maison avant les travaux, il y a 9 ans. Chaque année, certains papillons blancs (surtout des piérides du chou) se cachent tout l’été sur ses feuilles, en plein mimétisme. Dès qu’on s’approche de l’arbre, 10 papillons se mettent à voler.
Ces buis panachés, ces pittosporums, ces fougères persistantes, ces heuchères, ces euphorbes sont aussi des plantes qui sont faites pour briller la nuit. Il y a de plus en plus de jardiniers qui arrangent leurs espaces pour être beaux le soir, quand il rentrent du travail. Ils peuvent alors apprécier le jardin ou la terrasse dont certaines fleurs s’épanouissent la nuit, avec des parfums particuliers qui attirent les insectes nocturnes, ou de grands pétales de fleurs qui accrochent la moindre lueur nocturne. Quand le clair de lune est important, et pour moi il n’est jamais aussi puissant qu’en hiver, quand l’air est froid, alors ces plantes persistantes panachées prennent toute leur importance. Pareil pour les topiaires, c’est en hiver que leur graphisme ressort.
Un article du Wall Street Journal parlait de cette nouvelle tendance du jardinage : choisir les feuilles, les fleurs ou les herbes qui sont belles le jour, bien sûr, mais qui le sont aussi la nuit. Il y a un livre sur ça, "The evening garden : Flowers and Fragrance from Dusk till Dawn". Une des recettes principales consiste à choisir des fleurs blanches (évident) qui seront visibles la nuit, même sans éclairage, alors que les fleurs foncées ne se verront pas. Il n’est pas question de planter un jardin tout blanc, ça c’est déjà fait et c’est joli mais bon, l’idée ici est plutôt de placer ces plantes à des endroits stratégiques comme à côté de la porte d’entrée de la maison, à l’entrée du jardin, à côté de la voiture, au fond d’une allée, à côté d‘un endroit casse gueule, bref tous les coins qui servent de repère car il faut s’imaginer dans le noir en arrivant chez soi. Ou en se promenant la nuit dans le jardin sans lampe. Cela permet d’évaluer de loin où on est, de faire attention là où on marche (comme un panneau signalétique) ou alors tout simplement d’attirer le regard pour donner envie de s’approcher. Un gros hortensia Annabelle, je vous assure, ça se voit la nuit de très loin.
En hiver, quand il fait froid, ces feuillages sont ce qui est le plus beau dans le jardin, avec les écorces et les graminées. Un autre article qui m’a appris beaucoup de choses que je tentais de faire, au pif, depuis deux ans. La news principale de The Garden (septembre 2010) nous rappelle que les deux derniers hivers ont été si rudes que les Anglais évaluent tout ce qui a grillé dans les parcs et les jardins privés. Désormais, je ne renouvelle plus les plantes qui n’ont pas résisté à ces deux hivers. Quand j’ai vu les lavandes et les romarins geler, ainsi qu’un pittosporum ramené du Cap Ferret en… 1995, je me suis dit qu’il n’y avait rien à faire car ces hivers montrent les limites des plantes méditerranéennes que l’ont met trop souvent dans les jardins d’aujourd’hui. Les agapanthes qui meurent, certains thyms rampants, à la rigueur cela ne sert à rien de les protéger du gel quand le sol est constamment à -10° pendant plus de 15 jours. Bien que, à 1 kilomètre de chez moi, les agaves de mon ami Ray ont grillé, mais sont reparties en flèche de la base, même sans protection.
Nous sommes trop tentés par des plantes qui ne sont pas du coin du tout et forcément, un hiver dur arrive un jour et brule un sujet qui a grandi, que l’on aime, auquel on s'est attaché. Il y a des gens qui emmitouflent leurs plantes, je n’ai pas de problème avec ça, mais je préfère avoir des plantes qui survivent au froid. Certains aiment ça, c’est connu, les pommiers ont besoin de ce froid comme certains rosiers. Je trouve qu’un jardin doit être mis à la rude parce que c’est un moyen de tester sa résistance (un mot, comme « hardy » en anglais, qui a plein de sens différents). Je m’imagine toujours avec une jambe (ou deux) cassée : que se passerait-il dans le jardin ? Les plantes seraient-elles capables de vivre sans soin ?
Ce que j’essaye de faire chez moi, surtout depuis que j’ai eu ce petit problème cardiaque il y a 2 ans, c’est de laisser le jardin pendant un an ou deux pour voir ce qui survit et qui apprécie même le manque de soins. Il y a des plantes qui n’ont pas du tout envie qu’on les dérange comme les miscanthus et parmi eux je sélectionne ceux qui sont les plus résistants à tout, comme à la sécheresse. J’arrose beaucoup moins qu’il y a 6 ou 7 ans, d’abord parce que mon jardin s’est installé, mais surtout parce que j’ai complètement mis de côté l’idée d’arroser tous les soirs en été. Je ne choisis que des plantes qui répondent à l’idée du « xeriscaping », cette autre manière de faire du jardinage pour limiter l’usage de l’eau. J’ai trouvé ce terme pourtant pas nouveau dans un papier du Wall Street Journal (encore). Fini donc le rêve d’avoir un bosquet de gunneras comme j’avais vu chez les Lalanne il y a 30 ans. Même mes osmondes royales, je vais les sortir de terre et les mettre dans des pots pour qu’elles aient leur propre réserve d’eau. Les hortensias ? Il n’y a qu’un endroit chez moi pour en mettre. Même les paniculatas, il faut les surveiller tellement c’est sec ici. L’article du WST raconte que certaines municipalités encouragent le gens à devenir « xériques (du mot latin qui dit sec) et donnent de l’argent aux jardiniers qui remplacent leurs pelouses. A Austin, au Texas, la ville donne 20 à 30$ par 100 mètres carrés convertis. La ville de Peoria dans l’Arizona a lancé un programme en 2009, offrant jusqu’à 715$ pour se débarrasser des pelouses afin d'y mettre des plantes plus adaptées à la sécheresse ou même des variétés de gazon qui résistent mieux à la chaleur
Aux Etats-Unis, les gens sont tellement obsédés par leurs pelouses que cela engloutit des milliers de dollars dans le budget d’une maison, rien que pour l’eau et les produits qu’ils mettent pour que ça soit bien vert. Selon un point de vue de Kevin McCoud publié dans The Garden, les Anglais déversent 7300 tonnes de pesticides, fongicides et herbicides dans les jardins. 45% des anglais qui possèdent un bout de terre utilisent des produits pour leurs pelouses. J’ai lu récemment combien les Américains et les Anglais dépensent pour leurs pelouses et je ne retrouve pas cet article, ça m’énerve, il y a plein de magazines par terre dans ma chambre - il doit être sous mon nez. Bref, je ne sais pas combien les Français dépensent non plus, moi je laisse ma pelouse griller. Je n‘arrose jamais jamais jamais ma pelouse. Moins je tonds et plus je suis content. Mais le conformisme urbain fait que tout le monde copie le voisin et la pelouse est le signe par excellence du succès social. Il faut que ça soit vert, bien tondu, enrichi, scarifié, désherbé, ressemé aux endroits abîmés, des tâches affreuses et totalement boring à faire dans un jardin.
Alors, les Américains transforment leurs pelouses en potager ou en aire libre, avec des arbustes et des vivaces, des plantes qui enrichissent la flore et la faune, mais c'est une toute petite minorité car les voisins sont en colère ! L’article du WST raconte qu'ils protestent car cela fait tâche dans l’uniformité sociale de leur quartier (il faudrait qu’ils parlent de ça dans Desperate Housewifes, ça serait drôle) et il y a beaucoup de municipalités qui interdisent carrément à leur habitants de concevoir des jardins qui donnent l’impression d’être abandonnés. Ils ne le sont pas, bien sûr, ils sont juste touffus et libres, avec des plantes qui s’abritent les unes les autres et donc résistent mieux au soleil, au vent et à la sécheresse.
Donc pour moi, les trois principes du jardinage sont : résistance à la sécheresse, beauté la nuit et surtout en hiver. Ce qui m’intéresse le plus, c’est quand je m’imagine dans mon jardin. Pas en été mais en hiver, en plein froid pendant une nuit calme de clair de lune, avec un bonnet et une couverture polaire et, allez, tiens, une cigarette, juste une. Même sans givre, sans neige, tel quel, le jardin doit être le plus beau pour les mois les plus tristes de l’hiver. Après tout, c’est facile d’avoir un joli jardin au printemps et en été, même en automne. Mais en hiver ? Pour moi, c’est la saison la plus importante. Par exemple, je suis fou amoureux des anemanthèles lessoniana, elles ont été magnifiques pendant deux ans, j’étais sur le point d’en mettre partout car en plus ça se ressème beaucoup ces choses, et deux hivers rudes sont passés par là. Pratiquement toutes sont mortes, normal, elles viennent de Nouvelle-Zélande je crois. Depuis, je n’ose plus en planter. C’est comme une sorte de passion coupée en plein vol. Bong. Par terre. Il faut être fidèle à ses principes.
vendredi 22 octobre 2010
Yann Arthus Bertrand m'écrit
Vous savez, c’est comme le spam qui fait rigoler nerveusement tout le monde. Après la femme africaine qui vous assure que c’est tout à fait Kasher de virer 18.000 euros sur le compte en banque de quelqu’un que vous n’avez jamais vu, et après le spam au ton faussement intime du fourgueur de Viagra (Bonjour, J'ai commencé a prendre des bonnes décisions il y a quelques mois et même si j'avais des doutes, je suis content du résultat car je peux le dire : Ca MARCHE. Ca m'aide a chaque fois a être prêt quand il le faut et jamais plus je ne rate une occasion et vu que je sors comme un fou, c'est extra. C'est 100% discret. Bonne semaine. Alain). Voici un spam écolo de Yann Arthus Bertrand que j’ai reçu il y a plus de 10 jours pour m’inviter à rejoindre une manif écolo sur le Parvis de l’Hôtel de Ville à Paris. Ce mec est toujours en train d’essayer de nous vendre quelque chose.
D’abord, je ne lui ai rien demandé à celui-là. Quand on est au stade d’avoir sa propre marionnette aux Guignols de l’info, aux côtés de Nicolas Hulot, cela veut dire qu’on est parvenu à provoquer un niveau d’énervement national qui mérite d’être un objet de dérision. A chaque fois, on voit Yann Arthus Bertrand échanger des clichés à vendre au plus haut prix avec son copain d’Ushuaia et on voit bien que l’argent est au centre de la moquerie. C’est devenu un leitmotiv des Guignols, ce qui veut dire qu’on en a marre de le voir, qu’il devrait se casser ou faire les choses différemment. Une partie du public français exprime sa colère à travers les Guignols. Si on n’avait pas cet exutoire, on deviendrait tous fous.
Tout le monde a déjà écrit sur cette manière si particulière qu’a Yann Arthus Bertrand pour pénétrer (d’en haut) dans notre vie sans qu’on lui ait demandé quoi que ce soit. Quand je vais au Luxembourg, j’espère autre chose que ces immenses photos débiles sur les grilles, comme si la beauté de ce parc ne suffisait plus, quelle honte. Sa surexposition à la télé en a fait une personne que tout le monde connaît, un visage tout de suite identifiable. Derrière cet « engagement » écolo, il y a une carrière et du fric. A la rigueur, s’il s’amuse à faire de l’argent sur l’écologie, c’est pas nouveau, mais avons-nous besoin d'être à ce point témoins de la magouille ?
Ce qui m’énerve encore une fois, c’est ce besoin d’avoir toujours plus d’argent quand on est riche. Je n’ai rien contre les Arthus Bertrand, j’ai été ami avec son frère Pascal Arthus Bertrand qui a toujours été étonnamment gentil et poli avec moi pendant toutes ces années au Palace, et puis on a rencontré le même homme dans les années 90. Pour moi, le nom de la famille était associé à ce magasin anachronique dans les années 70 à Saint Germain des Près, quand j’habitais pratiquement à 40 mètres, cette boutique très vieille, tout en bois, où personne n’entrait jamais, avec des vieilles médailles dans la vitrine. Une marque à la dérive. C’était joli, poétique, même si on connaissait la signification profonde de ce joaillier des armées et des rois.
Depuis la marque est ressuscitée et le clan Arthus Bertrand est plus prestigieux que jamais. Mais est-il possible de dire stop, quand on reçoit un mail de Yann Arthus Bertrand qui tente de vendre une manif à la maison, chez soi ? C’est quoi ce besoin de profit et de célébrité quand on est déjà riche et trop exposé ? De l’avidité pure et simple ? On s’en fout d’un nouveau rassemblement à la noix devant la mairie de Delanoë, ce parvis est déjà le mouroir culturel et politique de la ville. Toutes les mauvaises initiatives citoyennes viennent s’étaler directement sous les yeux du maire comme s’il était en train de s’exciter derrière les rideaux. Mais je trouve hallucinant qu’un grand bourgeois se permette de se comporter comme une femme africaine qui vous demande de l’argent ou un vendeur de Viagra à la limite de la mafia. Ca me rappelle, dans le jardinage, ce Prince Jardinier qui vend des sécateurs bordés de cuir à plus de 100 euros pièce.
Ces princes et ces grand bourgeois nous vendent des choses chères dont on n’a pas besoin. Et leur marketing est si agressif qu’ils donnent leurs noms à des sous traitants qui nous envoient des mails et demandent notre attention, notre temps, donc notre argent. C’est absolument dingue, dans la période dans laquelle nous vivons, avec tout ce monde dans la rue. Ce mail, aussi anodin soit-il, c’est comme l’affaire Banier, ces gens qui ont tout et qui vous font chier parce qu’ils en veulent toujours plus. Et cette greed, (je trouve que le mot français cupidité n'est pas assez fort) n’est même pas celle des adultes plus jeunes, ceux qui ont moins de 40 ans, qui engrangent pour leur vieux jours. Non, ça vient toujours de personnes de 60 ans qui devraient être déjà à la retraite. Je trouve énervant qu’une partie du pays se demande comment va se passer sa retraite et voir ces vieux riches nous imposer encore leur présence. Ce pays a besoin de nouveaux visages et surtout pas les superbourges avec des noms de nobles, thank you. Ce pays est en crise, il y a plein de personnes comme moi qui sont en train de réaliser qu’elles ne trouveront peut-être plus de travail, ever, et il faut que ce soit la classe A des super riches qui nous nargue avec ses problèmes de fric ? On en a tellement marre des super riches, avec leurs procès, leurs scandales, leurs ventes aux enchères dégoûtantes, leurs magouilles pour gagner toujours plus.
Ou alors tout ce fric, c’est pour nourrir leur entourage qui leur suce le sang, c’est ça ?
jeudi 14 octobre 2010
Le syndrome Safire
What a pen can do. J’écrivais quelque chose et ces mots me sont venus à l’esprit car mon nouveau Paper Mate (quel nom génial) glissait si bien sur le papier que je savais que c’était grâce à lui si j’avais du plaisir à écrire. Et comme d’habitude, les mots qui me viennent à l’esprit sont des slogans anglais. Je sais très bien qu’il y a beaucoup de personnes qui sont très irritées lorsqu’on mélange l’anglais et le français et je me les aliène les uns après les autres dès que j’utilise une bêtise américaine, mais c’est comme ça, je fais ça depuis toujours, je m’en excuse même si vous voulez, mais il y a cette franchise dialectique bien connue qui permet de faire des phrases courtes qui vont à l’essentiel du mot. Par exemple, ces phrases avec des mots à une syllabe. « Otra Otra : I like it so much I say it twice ». « Be as man as you can be ». « Porn is Good ».
Dans le New York Times, il y a cette chronique sur le langage qui est, les trois quart du temps, merveilleuse et drôle à la fois. Ils n’arrêtent pas de décortiquer pourquoi on dit ça et pas ça, pourquoi certains nouveaux mots sont des hérésies merveilleuses. Par exemple, j’ai été personnellement étonné de remarquer depuis 4 ans la résurrection du mot « charmant » par les jeunes. Avant, on ne disait pas « charmant » pour désigner quelqu’un qui est sexy, on utilisait plutôt « bandant ». « Charmant » a toujours été un mot désuet, que l’on n’utilisait même pas à mon époque, à par mon frère Lala qui a jeté son dévolu sur « exquis » depuis toujours et avec qui j’ai eu des discussions sans fin (et amusantes) pour argumenter si c’était un adjectif légèrement trop exagéré dans son expression, un peu comme les gens qui font roucouler le vin dans leur bouche, quelle horreur.
Quand mon ami Fred à qui je fais confiance pour tout ce qui est cutting edge a commencé à utiliser « charmant » pour décrire les beaux mecs qu’il regardait, et que j’ai entendu mes neveux le dire dans un autre contexte (genre « Tu es sexy, mais je vais le dire d’une manière moins soutenue car on est des ados et on n’a pas envie de prendre un mot trop daté des années 90), je me suis dit que les jeunes avaient un drôle de goût pour sauver certains mots de l’oubli. Ca serait intéressant de savoir qui a lancé le mot « charmant » dans les années 2000, puisque ces mots proviennent toujours d’une source précise. Je sais pas non plus s’il existe des chroniques linguistiques de ce type en France, écrites je veux dire, mais pour moi une chronique sur le langage me semble logique dans un grand quotidien anglo-saxon.
Parfois, ces chroniques sont tellement recouvertes de mon Stabilo que je les découpe et je les range dans une boite. J’adore les mots en portemanteaux (don’t we all ?). A force de tout lire en anglais, j’ai fini par comprendre que les mots anglais ont plus d’impact pour moi. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas le français, j’adore écrire, surtout à la main. Et j’adore la manière avec laquelle les gens formulent les choses, puisque l’on sait que les jeunes, s’ils n’écrivent plus de lettres, n’ont jamais autant écrit. Je ne parle pas des SMS parce que je ne vais pas pénétrer là-dedans, c’est trop gross. Je parle de la manière d’écrire par email et sur FB et sur Twitter. Il y a plein de livres qui sortent sur ces sujets aux USA, qui expliquent pourquoi et comment, par exemple, on juge nécessaire de n’utiliser que des minuscules. Sur FB, parfois, je fais des blagues en lettres minuscules ou des messages de dude parce que ça a un côté subdued, avec un sous-statement. Dans le genre « hey » ou « beaucoup de chouettes qui hululent autour de la maison cette nuit ». Le fait de mettre un point ou pas souligne encore plus le côté flottant de la phrase, dans de genre « je suis un peu cassé » ou « je m’endors devant mon ordi ».
Le 5 août dernier, Ben Zimmer se demandait comment on disait « on va à la plage » en anglais. En espagnol, on le sait grâce à la chanson, mais en anglais, c’est selon la proximité avec la mer, bien sûr. Dans le New Jersey on dit « down to the shore » parce que l’océan est juste là, et à Baltimore on dit « down the shore", parce que, heu, l’océan et juste là aussi. Le 1er octobre, Ben Zimmer a incorporé l’étrange mot « trifecta » dans une chronique amusante sur les gens célèbres qui disent « nous ». Comme la reine d’Angleterre qui dit « We are not amused » ou comme Thoreau qui avait déclaré (mais ce n’est pas prouvé) : « Le Nous est utilisé par les rois, les éditeurs, les femmes enceintes et les gens qui ont des asticots dans la bouche » (morts, quoi). Donc, nous, l’éditeur de Minorités, avons le droit de parler à la première personne du pluriel. Quelle horreur. « Trifecta », pour revenir au New York Times, veut dire un pari comme un tiercé où il faut prévoir les trois premières places d’une course, dans l’ordre. C’est un terme anglais qui peut être utilisé avec amusement dans une chronique de cuisine, mais encore plus dans la proctologie : « Je lui ai enlevé une trifecta d’hémorroïdes ».
Guido Minisky, avait inventé il y a quelques années, dans ses flyers de clubs, le mot génial « friendlyment », pour finir ses annonces. C’est « gentiment », ou « affectueusement », en franglais. C’est une marque linguistique géniale. Si Facebook déçoit de plus en plus sur les sujets politique, le réseau social reste toujours le creuset de l’humour de Now. Il y a des mecs comme (eeeeek! je ne me rappelle plus qui, il va falloir que je checke mes 4000 amis!) qui se font une spécialité de dire des trucs drôles tout le temps comme « Ma mère dit que ses cuisses deviennent si grosses quelles ressemblent à celles de Beyoncé ». C’est de l’humour deadpan, comme ça, un jet d’écriture sans écriture, du genre je suis drôle même quand je ne fais pas d'effort.
Le 19 mars, Ben Zimmer faisait une démonstration très délicate des utilisations politiques derrière les mots les plus simples du langage : le oui et le non. Le 12 octobre 2009, dans sa première chronique, Zimmer rendait hommage à son prédécesseur, William Safire, bien sûr, disparu un mois plus tôt, qui avait débuté cette chronique le 18 février 1978 avec ces mots extrêmement simples dans un style presque robotique à la Kubrick : « How do you do. This is a new column about language ». Car bien sûr, le grand manitou de ce genre d’obsession linguistique, c’est Safire lui-même. Il y avait bien des connaisseurs qui intervenaient régulièrement dans ses chronique comme Jan Freeman qui, le 31 janvier 2007, se posait cette question fondamentale : « Comment met-on au pluriel la voiture Prius ? » tout en produisant une suite de blagues sur les raisons qui conduisent à marmonner « Mm-humm » quand on a la flemme de répondre à une question. As in, dans l’avion : « Vous voulez un verre d’eau, Monsieur ? » - « Mm-hmm », du genre, j’ai même pas envie de m’emmerder à répondre « Non merci ». Quelle horreur.
Le leader (certains l'appelaient le "dictateur") était bien William Safire (dèjà, quel joli nom !) qui s’est fait une spécialité de décortiquer l’accélération du shortspeak (le 25 mai 2008) de ces dix dernières années, exagéré par le portable et l’ordinateur. Tout en dirigeant le lecteur vers des essais essentiels comme « Linguistic ruin ! LOL ! Instant Messaging and Teen Language » de Sali Tagliamonte et Derek Denis ou des livres comme « Always on : Language in an online World » de Naomi S.Baron.
Le 16 mars 2008, pendant la course aux élections, il décrit comment les prétendants à la Maison Blanche s’adressent à leur public et note que John McCain, le 14 janvier de la même année, avait battu un record en disant 31 fois « Mes amis » pendant un speech. C’est un peu comme compter les 256 voitures qui sont pulvérisées dans « GI Joe », le film.
Le 1er juillet 2009, il s’amuse à décrire ce qui peut être qualifié comme un « moment Aha ! », quand vous avez la preuve d’une conviction bien ancrée, comme, je sais pas moi, quand Delanoë fait un deal avec Chirac pour que certaines poursuites légales disparaissent contre quelques millions.
Le 5 octobre 2008, il fait tout un laïus sur le mot « toxique », qui est devenu si populaire avec la crise financière, quand tout est devenu toxique, des placements en bourse au karma de Madoff. Mon petit avis là-dessus, c’est que Britney Spears avait anticipé (pour une fois) cette mode du tout toxique avec son album de.. 2004.
Une de mes chroniques préférées : le 6 janvier 2009, Safire nous apprend que la ponctuation vocale « Y’know » a culminé chez les jeunes dans les années 80 (c’est vrai, tous mes amis anglais disaient ça non-stop), puis ça a été remplacé par « I mean » (j’ai commis 4 meurtres à cause de ça), puis c’est devenu « Like » (que j’utilise toujours) pour devenir juste « uh ». Comme : « Y’know, j’ai pensé à un truc que tu m’as dit l’autre jour, I mean, c’est pas que j’ai envie d’en parler forcément, like comme si ça t’intéressait, uh ». Bref, chez les jeunes, les mots deviennent de plus en plus courts, bientôt on va avoir un mot qui va dire juste : « d ».
Le 21 novembre 2009, Safire s’emmêle les pinceaux (so to speak) en hésitant entre plein de mots qui pourraient symboliser l’année écoulée. Comme c’est la crise, il finit par admettre son attrait pour « frugalista », une « personne qui vit d’une manière frugale mais reste à la mode et en bonne santé en gardant ses vêtement ou en les échangeant, en achetant des objets d’occasion et en faisant pousser ses propres produits ». C’est le nom de guerre (en français dans le texte) du « guerrier de la récession ». Hey, c’est moi ça ! Safire dit que « frugalista » est plus juste que « recessionista » qui est trop évident.
Enfin, le 19 décembre 2008, Safire se demandait pour quoi le mot « dear » était en train de disparaître des emails et des SMS, alors que ce fut le premier mot de toutes les correspondances amicales ou amoureuses pendant si longtemps. En plus, « dear », « mon cher », « ma chère » est tellement camp ! Et il s’amuse à parler de « séminal », un mot bien connu qui veut dire « créatif ». Ah oui, il se demande aussi si nous sommes en train de développer une génération de « pancake people », des personnes qui ont des connaissances très étendues dans leur domaine, mais manquant de profondeur ? Plein de sujets de réflexion !
J’ai un ami dont la spécialité est d’enfiler des expressions toutes faites, ce qui a le pouvoir de me faire rouler sur le sol. Un autre considère que le mot le plus laid de la langue française, c’est « régal » ou « se régaler ». Comme il est du Sud-Ouest, où on dit ça tout le temps sur la nourriture (enfin, la boulimie plutôt), dès qu’il entend quelqu’un dire « On va se régaler » ou « On s’est bien régalés ! », ce toulousain se tord de convulsions. Chez les gays, on est en plein dans le mot « discriminatoire » comme à la télé, on utilise encore le mot « opus » en croyant que ça fait branché (sur France 24 notamment) alors qu’il FAUT VRAIMENT ARRETER tout de suite de l’utiliser, on s’en moquait déjà en 2002. Quelle horreur.
Cette notion du langage a toujours des connotations sociales. J’ai vu que dès que j’utilise le mot « ronces », il y a des gens autour de moi qui se mettent à crier. Un exemple : si vous dites que vous allez arracher des ronces ou mettre de l’anti-débroussailleur parce que c’est vraiment le seul moyen de tuer le liseron, ils sont capables de faire tout un cinéma de parisien bobo sur le fait que les ronces abritent une diversité d’insectes remarquable et nourrissent les oiseaux et que le liseron fait de très jolies fleurs. Mais on le sait ça ! on est pas débiles ! Nous avons juste décidé (remarquez la 1ère personne du pluriel here) qu’on aurait un jardin sans ronces car nous prenons du Kardegic parce que nous sommes un homosexuel qui a des problèmes cardiaques liées aux traitements VIH et que les ronces ça fait saigner les jambes et que oui, le liseron fait de jolies fleurs, mais il y a au moins 30.000 fleurs qui seraient plus jolies à cet endroit précis, gracias de nada. C’est quoi ces idiotes de Paris qui nous disent que les orties sont géniales ! On le sait ! Mais il y en a partout, c’est pas comme si on attaquait un végétal rare ! Ce sont des plantes coriaces, il y en a plein, c’est comme les barebackers, il y en a assez partout pour qu’on se mette à les défendre ! Quelle horreur!!!
Inscription à :
Articles (Atom)