mercredi 28 octobre 2009

Les clones



Il y a deux jours, j’ai écrit sur FB qu’il y avait tellement de soleil que les mésanges avaient entamé leur chant de printemps… en octobre. Ce n’est pas le signe d’un dérèglement, les mésanges sont des oiseaux d’hiver, elles sont juste éblouies par tant de lumière, elles sont contentes, donc leur chant n’est pas vraiment associé à la drague, bien que. Aujourd’hui, mon frère Lala, qui vit en Suisse, dit sur FB qu’il « fait tellement beau… qu’il fait beau ». L’automne que nous vivons est splendide. Le mois de septembre a été lumineux et sec, octobre finit avec une impression de limpidité encore plus forte. Ce matin, en me réveillant, la vallée était noyée sous un brouillard très dense, immaculé, presque radioactif, et ma maison, au-dessus de ces nuages, semblait être dans l’air, comme lorsqu’on est dans l’avion au-dessus de tout. Chaque jour, le réveil est marqué par cette luminosité et durant la journée, le soleil tape en plein sud dans la maison, avec des rayons déjà obliques mais qui pénètrent très loin dans les pièces. Encore une journée presque éblouissante, dans le sens physiologique du terme. On a presque envie de sortir avec des lunettes de soleil.

J’ai beaucoup à faire dans le jardin, mais je passe beaucoup de temps devant mon ordi à écrire. Un ami va venir ce week-end et on va faire sûrement de la taille de bois ou vider le compost pour préparer la place pour les feuilles mortes. On fera même peut-être un feu de broussailles si le vent ne pousse pas la fumée directement chez les voisins. Il faut que je réduise les rosiers grimpants avant les premières tempêtes et il y a tant de vivaces à changer de place. J’ai encore trop de poires. La récolte de noix a été bonne, sans plus. Il faut faire réparer le motoculteur dont la roue avant droite est crevée, bordel de merde.

À chacun de mes passages à Paris, je suis toujours plus épaté de voir tous ces mecs barbus. Wait ! Je sais ! Je radote ! Mais j’ai une histoire inédite à raconter ! Sur le mur de mon bureau traîne une photocopie depuis déjà… six ans. Hervé Gauchet avait pris une photo de Libé qui montrait quelques pêcheurs bretons. Je crois qu’ils étaient en grève ou un truc comme ça. Juste en passant, je dois dire que je n’ai aucune affinité avec ce métier, je trouve que ce sont des cons. Mais Hervé avait découpé la photo d’un des pêcheurs, un timbre poste de 2cm de côté, et l’avait agrandi en A4. Quand il m’avait apporté cette image, pendant un de ses week-ends à la maison, j’étais en plein drooling gaga (dans le vrai sens de gaga). Hervé souriait car il savait que cette photocopie aurait cet effet sur moi – car il ressentait la même chose lui-même. Avec une trame plus grosse, plus épaisse, la photo devait un dessin au trait.

Tout, dans cette image, est classique. Une de ces illustrations qui vous rappelle que Renaud Camus avait raison quand il a développé cette théorie, il y a plus de vingt ans, sur ces hommes très beaux que l’on voit dans les pages de faits-divers des journaux, surtout en province. Il s’agit de voleurs, de criminels ou de sportifs, de mecs qui se trouvent être photographiés quand ils n’en ont pas envie ou quand ça les fait un peu chier. Seuls les gays sont capables de reconnaître dans cette photo souvent mal prise la beauté d’un homme qui apparaît au détour d’une page d’un journal en général morne.

En 2003, quand Hervé m’a apporté cette photo, nous nous sommes posé des questions sur cet homme. Hervé était déjà malade, mais nous avons eu de bonnes discussions sur lui. D’abord, pour un pêcheur, il avait un caractère très latin, ou très basque. La pose, c’est de la Renaissance à donf, on dirait un détail de tableau du Titien et je vais arrêter ici de faire la folle. C’est une pose totalement religieuse, on ne sait pas ce qu’il regarde, mais il regarde d’une manière calme, très concentrée. Le fait qu’il porte un ciré blanc exagère le cadre de son visage. Hervé et moi on se demandait même quel type de parfum ce mec pouvait avoir, sachant qu’il ne devait pas en avoir du tout, bien sûr, puisqu’il était sur son lieu de travail. Mais il y avait une idée de proximité que nous ne parvenions pas à définir. C’est ce qui fait que cette image, six ans après, est toujours là, devant moi, tous les jours.

Ensuite, on était en 2003 et notre désir de barbe appartenait encore au rêve. On se demandait quand on verrait des hommes comme ça dans les rues. Après tout, ce qui nous a attirés l’un vers l’autre, il y a plus de vingt ans, c’était notre amour pour les clones naturels. Hervé et moi avions la même passion pour les barbus et les moustachus qui, déjà en 1983, commençaient à disparaître. Et on a passé ensuite deux décennies à attendre patiemment qu’ils reviennent et que la mode soit à nouveau pour le poil. Bien sûr, il y avait déjà les Bears en 2003, mais ce n’était pas exactement ce qui nous attirait. On était dans l’idée du mec pédé (ou hétéro) qui porterait une barbe cool. Et maintenant, six ans après, c’est partout. Allelujah.

OK, chez les gays, on a encore beaucoup de barbes super clean et dessinées et tout. Mon ami Fred, quand il va encore dans les bars du Marais, dit qu’il ne reconnaît plus rien. « Bah, ils se ressemblent tous ! » dit-il avec l’accent de Toulouse. Je sais, mais je suis tellement pour la pilosité faciale que les trois quarts du temps, j’ai un gros sourire. J’ai vraiment attendu vingt ans pour voir ça, et je n’ai pas arrêté d’écrire là-dessus, donc on se dit que ça a eu un tout petit impact.

D’ailleurs il y a un truc drôle dans le docu DVD sur Keith Haring, (ou alors c’est dans un autre docu vu à la télé). Au début des années 80, on le voit se plaindre qu’il y a encore trop de pédés barbus et moustachus et il dit qu’il faudrait les raser tous, il voulait que ça cesse, il en avait marre de voir des barbes. Bon, ça faisait partie de sa génération, qui se rebellait contre l’uniformité des gays des années 70. Mais moi, j’ai toujours aimé les clones. J’aurais aimé en être un, et je vois ça chez plein de gays que je connais, comme Frank Boulanger. C’est un look fondamental, on en est à la quatrième vague successive. Donc, voir partout dans le métro ou dans les rues ces mecs, hétéros ou gays, avec des barbes, c’est une des rares bénédictions de notre époque, et ça devrait durer encore quelques années.

Ce qui est beau chez ces hommes qui laissent pousser leurs barbes avec relativement peu d’entretien, c’est la signification de leur statement, qu’il soit sexuel, religieux, mystique ou simplement esthétique. Ces hommes ont décidé que cela leur allait bien, malgré les avis négatifs autour d’eux. Il y a toujours quelqu’un pour trouver ça laid. Sur FB, il y a des mecs dont la barbe est l’essence même de leur succès, comme Joe Mitchell (OK, le mec fait aussi de la gym, il a des pecs parfaits, etc.). Mais il y a un truc avec ces mecs. Ils ont beau être très narcissiques, il y a toujours des albums de photos qui montrent leur attachement à la nature, au trekking, à la promenade. Et c’est ce qui me ramène à cette image d’Hervé Gauchet. Ce pêcheur est forcément un homme d’eau, mais on l’imagine aussi, comme dans les tableaux de la Renaissance, entouré d’un paysage quasi religieux, qui annonce une prédiction.

lundi 19 octobre 2009

MJ : the biggest lie



Il y a vraiment un truc qui m’a turlupiné depuis la mort de MJ. Je sais, le sujet n’est plus chaud du tout, il est au contraire presque glacial malgré le fait qu’on nous sorte des morceaux posthumes vraiment ratés et un film encore plus tartignole et ne parlons pas de la tournée à venir avec les cons de frères. Je m’étonne que l’on puisse encore acheter quoi que ce soit avec dessus le nom de Michael Jackson. Je trouvais déjà complètement débile de monter une série de 50 concerts à Londres puisqu’il était évident que MJ ne pourrait jamais tenir la distance, surtout devant le public pop le plus éduqué au monde. J’ai trouvé pathétique le délire qui a entouré sa mort, du début à la fin. Les gens qui chialent, les amis au bord de la dépression sur FB avec des commentaires qui ne veulent rien dire comme « Oui mais c’est émouvant quand même », les cons qui courent acheter les albums qu’ils ont raté pendant les vingt dernières années, la famille de MJ qui est vraiment le clan le plus risible de la musique dite moderne, la laideur du « show » au Staples Centre (vraiment, il y a quelqu’un à la régie qui sait ce que « éclairage » veut dire ?), et puis les enterrements successifs. C’est du comique de A à Z et épargnez- moi le truc new-yorkais à la Body & Soul, dans le genre « Tu peux pas dire ça sur MJ, le mec a révolutionné la place des Noirs dans l’Amérique et le monde ». Sure. Pass me the mayo. Même Obama a déclaré que la vie de MJ était « triste ». Il faut remonter au Crétacé Supérieur pour trouver un dinosaure aussi malheureux. Il n’y a rien dans cette affaire qui procure de la vraie émotion, celle qui fait chavirer les plus cyniques d’entre nous, celle qui fait ravaler les moqueries avant même qu’elles soient formulées. Tout a été laid dans cet enterrement et on se demande où est ce foutu médecin qui a administré ces doses de cheval de Propofol, sûrement peinard à Acapulco, menaçant d’écrire le livre dans lequel on finira par avoir la liste complète des prescriptions de c’te folle de MJ. Il doit déjà avoir un cabinet à Los Angeles avec la plaque sur la porte « I KILLED MJ ». Tout a été cheap et laissez-moi être spécifique sur ce point : tout.

Bref, je me suis senti exactement comme pendant l’été 1977 (je sais, this is showing my age) quand je suis arrivé à Paris, juste au moment où Elvis clamsait. Quel soulagement, me suis-je dit en me promenant sur une des avenues du 16ème arrondissement après avoir volé plusieurs pots de crème aux amandes dans un magasin La Vie Claire de la place Victor Hugo : « Maintenant on va pouvoir enfin vivre tranquille ». C’est ce que je me dis à chaque fois qu’un grand bonnet de l’entertainment crève. Romy Schneider ? She used to play on Hitler’s lap, for Polanski’s sake ! No wonder she was depressed all the time ! Edith Piaf ? She was so black n white ! James Brown ? Il était tellement hétéro !

Non, le truc qui m’a le plus énervé, encore une fois, c’est le mensonge. J’ai déjà écrit un post qui disait, en substance : y’a personne qui va dire que c’était une folle lubrique ? Est-ce qu’on va aborder le sujet de la sexualité de MJ ? Oui, le fait que l’on n’ait pas insisté sur ce point est tout à fait normal, c’est un décès que l’on peut qualifier de…mondial, c'est un maxi-grief quoi! Mais c’est précisément là l’idée. Vous avez souvent des folles qui sont admirées par pratiquement 6,3 milliards d’habitants sur la planète ? Bon, imaginons, à la louche, qu’un milliard de Terriens ne savent pas qui est MJ, ou qui n’en ont rien à péter. Ça vous donne quand même 5 .3 milliards qui sont apeshit devant l’annonce de sa mort et qui s’engouffrent dans le cliché du Roi de la Pop alors que le mec n’a rien fait depuis 10 ans. C’était quand la dernière fois que vous avez eu une folle qui a ce degré de pénétration domestique ? Elton John au moment de la mort de Lady Di ? Même pas. Après tout, c’était pas lui la star N°1 même si c’est difficile de cacher Elton John dans le background d'une basilique. Non, MJ a réussi à mettre dans la poche 5.3 milliards d’habitants qui, pendant quelques jours, ont oublié la crise, la famine, la maladie, la soif, la guerre et le chargeur du portable qui est introuvable.

D’où mon point. Quand vous avez 5.3 milliards de personnes qui sont là à bramer parce que MJ est mort, ça veut dire que l’ensemble de la planète préfère ravaler le dégoût que leur inspire le visage de MJ qui, je vous l’assure, n’est pas quelque chose que vous avez envie de mettre dans n’importe quel cadre sur le mur. Même si on met de côté le conditionnement médiatique de cette affaire, ça veut dire que 5.3 milliards de personnes, avec des cultures très différentes, ont décidé d’occulter qu’ils étaient en train de chialer la disparition de la plus grande folle de tous les temps. Ce qui veut dire beaucoup de choses sur nos capacités d’absorption de la follitude en général. Ça dit beaucoup de choses sur la sublimation de l’homophobie. Ça veut dire que plus gros le mensonge est, plus il est accepté avec une ferveur sans précédent. MJ était un child molester et la condamnation était unanime lors de ses procès. Et il suffit qu’il disparaisse pour qu’un cordon de sécurité se forme tout de suite dans sa communauté pour faire taire la moindre rumeur qui puisse entacher sa sexualité.

J’ai déjà vécu ça plein de fois dans mon travail de journaliste. Quand je me suis mis à rencontrer les DJs et producteurs qui avaient connu Larry Levan, j’étais très étonné de voir que le silence était général sur les conditions de sa mort. Je n’étais vraiment pas en train de chercher la petite bête pour révéler des détails sordides sur son addiction, sa mort, et tout ça, j’étais bien trop fan du Paradise Garage. Ce qui m’intéressait, c’était de rassembler les personnages qui l’avaient aimé, pour qui sa musique avait été déterminante. Et après avoir rencontré plusieurs fois certains DJ’s comme Frankie Knuckles, j’ai fini par comprendre que la version officielle était partagée par tout le monde : surtout ne rien révéler pour protéger la mémoire d’un héros de la dance music américaine.

Mais le cas de MJ n’a rien à voir avec ce qui s’est passé avec les autres. Ici, ce sont les gens qui l’admiraient qui ont fait office de cordon sanitaire, bien mieux que la famille, l’entourage proche ou les médias. Les 5.3 milliards de personnes avaient vraiment envie de soutenir et d’encourager ce mensonge. Ils n’avaient pas envie qu’on leur casse le plaisir de leurs émotions, ils ne cherchaient surtout pas à se rappeler cet étrange haut-le-coeur qu’ils ressentaient à chaque fois qu’ils voyaient MJ de son vivant. Pour moi, l’homosexualité de MJ ne fait pas de doute et ces centaines de millions de fans ont voulu absolument écarter cet aspect de leurs pensées au moment où ils étaient si occupés à célébrer son souvenir. D’un point de vue militant gay, c’est quand même un des rares moments de la culture moderne de masse : un homosexuel, ayant entériné depuis longtemps l’amalgame si redouté (homosexualité et pédophilie, eeeeeeeek!), se trouve amnistié par l’ensemble de la planète dans une oblitération complète de ce qui a fait de lui un freak.

Certains ont vu ça comme une manifestation exemplaire de la tolérance, non seulement vis-à-vis de MJ, mais aussi vis-à-vis de toutes les polémiques qui l’entouraient. Au lieu d’utiliser un Stabilo pour souligner tout ce qui était effrayant chez lui, le public, sur les cinq continents, a décidé de courir vers l’effaceur. De mémoire de vieille folle, je ne crois pas avoir vu ça de ma vie. C’est du « damage control » intériorisé, parce que des millions de personnes, sans en discuter, on décidé, en masse, de faire l’impasse sur ces questions. Et je ne pense pas que ce soit une bonne chose, finalement. Parce que tous ces fans n’ont pas exprimé qu’ils aimaient MJ en dépit de la pédophilie, de la gestion totalement ridicule de sa carrière, de son image, et plus important : de sa musique qui n’a finalement pas cessé de dégringoler. Ils ont décidé de passer outre, et de ce fait, ils ont apposé le sceau de leur étroitesse d’esprit au moment de la disparition de la plus folle des grandes folles, de la pédale la plus incohérente de tous les temps. Les gens ont aimé MJ parce que c’était un freak qui était évidé de toute sa freakitude, dans un mouvement généralisé d’hypnose mondiale. C’était le seul moyen pour eux de saluer sa mort en faisant semblant de rien voir.

Et tout ceci est à mettre dans une perspective moderne où les questions de genre n’ont jamais été autant discutées. Après tout, comment décrire MJ, surtout au vu de ses enfants ? Comment peut-on faire semblant de ne pas voir l’étrange particularité de cette descendance, à la peau blanche, aux cheveux blonds, avec un vrai père biologique britannique et une mère porteuse dans le secret et tout ce que cela sous-entend en termes d’insémination artificielle ou de financement de la procréation ? On est là au centre d’un noeud de sujets complètement identitaires sur ce que l’on a le droit de faire (ou pas) dans le cadre d’une « famille ». Si un pédé ou une lesbienne se trouvaient à la télé avec des « enfants » aussi déracinés de leurs origines, la fureur serait pratiquement générale. Mais MJ n’est pas gay, pour ses fans, et donc il peut passer à travers des jugements qui seraient sans appel pour les autres. Du genre : « Waitaminit, Paris est un peu blanche, non ? On dirait la voisine!». C’est un peu ce que révélait Nicholas D.Kristopf dans son édito du New York Times du 4 octobre de l’année dernière, « Racism without racists ». Dans la rue, si quelqu’un est à terre, les blancs appelleront à l’aide à 75% si la victime est blanche. Si la victime est noire, ils ne seront plus que 38% à appeler à l’aide.

Will the real MJ please stand up ?

Well, she’s dead now.

samedi 10 octobre 2009

Le chapitre 11


Finalement, la défense de Frédéric Mitterrand sur TF1, à part celle de la dramatisation, fut de dire que toute cette affaire avait pour origine sa souffrance d’homosexuel. Il n’a pas dit que c’était l’homosexualité, mais nous sommes habitués à voir, à travers son éloquence, les mots qui nous intéressent. Plusieurs fois, il l’a répété, prétextant une certaine modestie, dans le genre « Je ne vais pas vous embêter avec mes histoires, mais… ». Alors, si Frédéric Mitterrand, en tant que privilégié social et culturel, utilise lui aussi la souffrance pour expliquer ses écarts de comportement, il est clair désormais que tout le monde a le droit de le faire. Si une folle (et chez moi ce mot n’a rien de caricatural) comme lui a souffert parce qu’en tant qu’homosexuel, il ne s’est jamais aimé, alors imaginez la souffrance d’un apprenti boulanger gay de 18 ans.

C’est un procédé que nous connaissons désormais trop bien. Les hommes politiques et les célébrités s’échangent le registre émotif de leurs interventions, pour attirer l’attention, et faire diversion. Ils utilisent la dignité et la vie privée pour revenir sur le devant de la scène, pour vendre des livres, ou tout simplement pour faire parler d’eux. Leurs éditeurs les encouragent à révéler ce qui est le plus borderline, car tout document doit désormais comporter un chapitre (en général le onzième dans le plan du livre) qui doit aborder le vrai sujet du caca. Un article récent du New York Times expliquait ça, mais il y a plein d’autres articles qui ont décortiqué cette recette, puisqu’elle est désormais internationale. Pendant ce temps, la politique avance, sous couvert de diversions médiatiques.

Donc les artistes du divertissement abordent des sujets graves tels que le viol, l‘inceste, la maltraitance, la maladie, la mort. Et les hommes politiques font la roue sur les plateaux télé, racontent des histoires qui les mènent dans l’intimité de Lady Di, ou à l’arrière-plan de Liza Minnelli. Le problème, comme le révèle Alessandra Stanley dans « Going all-out to stage a comeback » (30 septembre 2009), c’est que le prix à payer est de plus en plus élevé. C’est une inflation dans la révélation. En 2005, on trouve tout à fait remarquable de raconter qu’on est allé en Thaïlande pour s’amuser tout en ramenant une culpabilité flatteuse. En 2009, le voile tombe car, forcément, la Thaïlande n’est pas la destination rêvée quand on veut rencontrer des joueurs de boxe de 40 ans. Si c’est ça qu’on cherche, on va en Turquie et god knows que là-bas les lutteurs moustachus s’enduisent d’huile d’olive, c’est plus crédible.

Je me rappelle. Il y a 15 ans, j’avais été estomaqué par un couple de gays, dont un travaillait dans une association de lutte contre le sida. Ils m’avaient raconté qu’ils faisaient des réserves de capotes ramassées dans les bars gays. Ils en avaient des sacs remplis. Très bien me suis-je dit. Jusqu’à ce qu’ils me décrivent, très fiers, leur machination : ils payaient les jeunes Marocains qu’il draguaient pendant leurs vacances avec des poignées de capotes. Au lieu de leur donner de l’argent, ils les payaient en nature, avec des capotes gratuites. Et ils étaient persuadés qu’ils faisaient office de prévention.

Je me rappelle. Il y a 10 ans, quand certains responsables associatifs sida de haut niveau passaient de longues vacances à Cuba. On ne parlait pas, alors, de tourisme sexuel. Il s’agissait plutôt d’un dernier contact avec la sexualité, avant les trithérapies, avant de mourir. C’est comme se ressourcer quoi. Un dernier cadeau de la nature. C’était beau.

Je me rappelle. Il y a 5 ans, quand tout le monde est parti baiser au Brésil. Les rumeurs étaient nombreuses avec des histoires de baise fabuleuses dans des bordels où « toutes les nuances de peau étaient rassemblées, on pouvait choisir parmi le nuancier complet du métissage brésilien, du noir à la peau très foncée au café au lait le plus clair, le plus blond ». Dans toutes ces histoires, inutile de rappeler que l’usage de la capote est marginal. On va baiser à l’étranger pour faire ce que l’on ne fait pas chez soi. Y compris être safe.

Un jour, j’ai sucé un marocain dans un parc de Marrakech, pendant une conférence sur le sida, et je lui ai donné du fric. Et je n’ai pas aimé, ça ne m’a pas excité. Je me suis aussi payé un black à New York et j’ai vite compris que ce truc n’était pas pour moi. J’ai arrêté depuis longtemps, exactement comme je suis safe depuis toujours, pour que ça ne me tombe pas sur la gueule. J’appartiens pourtant à une génération post-68 qui a des idées différentes sur la prostitution et la pornographie, surtout dans les pays occidentaux. Mais il faut arrêter de raconter des histoires. L’affaire Mitterrand nous concerne, nous aussi, en tant que gays, car nous sommes nombreux à décider des destinations touristiques en fonction des possibilités de sexe commercial qu’elles offrent. Toutes les modes successives ayant bénéficié des faveurs du tourisme gay ont pour base le tourisme sexuel : Miami, Puerto Rico, Cuba, Brésil, Argentine, Asie, Afrique du Sud, Turquie, Liban, Egypte, - sans mentionner le Maghreb et l’Europe de l’Est. Est-ce qu'on peut parler ici de ce qui se passe au Maroc depuis 30 ans??? Que ceci ne soit dit dans aucun média gay n’est pas très à l’honneur de notre capacité à commenter cette affaire. S’insurger contre le traitement médiatique de l’affaire en montant en épingle l’outrage causé par une manifestation supplémentaire d’homophobie à l’égard de Frédéric Mitterrand, c’est un peu juste, non ?

Derrière cette affaire, il y a encore notre rapport au capitalisme, à la consommation, au traitement des autres ethnies. Et le tourisme sexuel, il faut vraiment insister sur ce point, ne concerne pas uniquement les mineurs. Je suis persuadé que Frédéric Mitterrand n’est pas pédophile, mais je me doute qu’il est comme beaucoup d’homosexuels de sa génération, et de ma génération : émerveillé par la beauté des hommes jeunes. Quand on fait du tourisme sexuel, on est forcément plus riche que le tapin du coin, qu’il soit à Sao Paulo, à Puerto Rico, ou en banlieue parisienne. On participe à la colère imposée par un système basé sur une suprématie sociale. Et ça, si on n’est pas capable d’en parler dans les médias gays, dans les associations gays, alors que cela a provoqué (et encore aujourd’hui) des débats et les commentaires interminables dans les médias généralistes et sur Internet, alors cela veut dire que la réflexion s’arrête aux portes de la communauté gay. Est-ce que ces débats doivent seulement apparaître dans les échanges des internautes gays qui parlent grâce à l’anonymat ? Ou ces questions doivent-elles être reprises par des journalistes gays, des leaders associatifs gays qui doivent relayer ces questions auprès du reste de la société ?

Il y a 20 ans, lorsque j’ai créé Act Up, je me suis trouvé à faire de nombreuses émissions télé pour présenter l’association. J’étais sincèrement reconnaissant lorsque je montais sur le plateau d’une émission comme celle de Frédéric Mitterrand. Mais, c’est étrange, je me rappelle très bien aussi le regard froid, distancié, de ces homosexuels célèbres qui m’invitaient à parler. Bien sûr, ils aidaient la cause militante en ouvrant la télé à la lutte contre le sida, en invitant Act Up. Mais je voyais bien dans leur regard, avant et après l’émission, un certain dédain mondain alors que moi, naïvement, je les regardais comme un benjamin homosexuel regarde un aîné homosexuel : avec respect. J’ai vite appris que leur distance journalistique n’était que du mépris. Act Up n’a reçu aucun encouragement de leur part. C’est longtemps après, quand il est devenu évident qu’Act Up ne disparaîtrait pas, qu’ils ont commencé à formuler, avec prudence, leur soutien. D’autres ont mis main basse sur l’activisme. Mais ces homosexuels sont restés majoritairement dans le placard, offrant le strict minimum à la cause gay.

Alors, aujourd’hui, on les défend. Des groupes se forment sur FB pour laver leur honneur. Les homosexuels ont peu de mémoire, ils protègent tous ceux qui ont vécu au chaud, loin du militantisme, dans la culture, dans l’art, dans l’argent. Ces défenseurs des artistes appellent à eux le soutien de tous ceux qui se considèrent comme des artistes – et ils sont nombreux. Car l’artiste souffre, c’est connu. Il sublime, c’est connu. Il n’a pas de compte à rendre, c’est connu. Et la Thaïlande est méga célèbre pour ses boxeurs gays consentants de 40 ans. Comme dit Daniel Schneidermann, c’est « s’engluer dans le mensonge ».

La crise économique actuelle ne fragilise pas le monopole des riches. Elle le consolide. L’affaire Mitterrand, c’est une victoire des privilèges, de l’aristocratie, du népotisme, d’un grand ministère de la culture avec ses homosexuels dans le placard. Comme disait un ami sur FB, cette affaire, c’est finalement ce qu’on a essayé de changer pendant ces trente années de combat militant. Nous les connaissons tous, ces homosexuels aisés et populaires, qui vivent leur vie sexuelle grâce à la prostitution. Ils sont agents de stars, ils sont dans la mode et la chanson, et ils sont dans l’art. Et quand ils parviennent à des postes de pouvoir, nous voyons en eux notre propre ascension dans le pouvoir. Forcément, le ministère de la culture et de l’information possède une place déterminante dans les rouages de la politique. Et la communauté gay soutient un ministre, non pas parce qu’elle est convaincue que le tourisme sexuel dont il est question n’a pas eu lieu. Mais surtout parce que réfléchir sur cette affaire est suicidaire pour ceux qui oseront lever la voix. Il existe, quand même, un incroyable paradoxe entre le voyeurisme et l’obsession actuelle de la communauté gay pour tout ce qui touche aux faits-divers. Et l’étrange flottement qui a entouré cette affaire, la peur de se dévoiler, d’analyser, de partager son propre vécu sur le tourisme sexuel. La communauté a raté une occasion de s’emparer d’un sujet homosexuel qui, c’est très rare, a été le sujet N°1 de cette semaine en France.

Aujourd'hui, elle a déjà tourné la page.