Il y a deux jours, j’ai écrit sur FB qu’il y avait tellement de soleil que les mésanges avaient entamé leur chant de printemps… en octobre. Ce n’est pas le signe d’un dérèglement, les mésanges sont des oiseaux d’hiver, elles sont juste éblouies par tant de lumière, elles sont contentes, donc leur chant n’est pas vraiment associé à la drague, bien que. Aujourd’hui, mon frère Lala, qui vit en Suisse, dit sur FB qu’il « fait tellement beau… qu’il fait beau ». L’automne que nous vivons est splendide. Le mois de septembre a été lumineux et sec, octobre finit avec une impression de limpidité encore plus forte. Ce matin, en me réveillant, la vallée était noyée sous un brouillard très dense, immaculé, presque radioactif, et ma maison, au-dessus de ces nuages, semblait être dans l’air, comme lorsqu’on est dans l’avion au-dessus de tout. Chaque jour, le réveil est marqué par cette luminosité et durant la journée, le soleil tape en plein sud dans la maison, avec des rayons déjà obliques mais qui pénètrent très loin dans les pièces. Encore une journée presque éblouissante, dans le sens physiologique du terme. On a presque envie de sortir avec des lunettes de soleil.
J’ai beaucoup à faire dans le jardin, mais je passe beaucoup de temps devant mon ordi à écrire. Un ami va venir ce week-end et on va faire sûrement de la taille de bois ou vider le compost pour préparer la place pour les feuilles mortes. On fera même peut-être un feu de broussailles si le vent ne pousse pas la fumée directement chez les voisins. Il faut que je réduise les rosiers grimpants avant les premières tempêtes et il y a tant de vivaces à changer de place. J’ai encore trop de poires. La récolte de noix a été bonne, sans plus. Il faut faire réparer le motoculteur dont la roue avant droite est crevée, bordel de merde.
À chacun de mes passages à Paris, je suis toujours plus épaté de voir tous ces mecs barbus. Wait ! Je sais ! Je radote ! Mais j’ai une histoire inédite à raconter ! Sur le mur de mon bureau traîne une photocopie depuis déjà… six ans. Hervé Gauchet avait pris une photo de Libé qui montrait quelques pêcheurs bretons. Je crois qu’ils étaient en grève ou un truc comme ça. Juste en passant, je dois dire que je n’ai aucune affinité avec ce métier, je trouve que ce sont des cons. Mais Hervé avait découpé la photo d’un des pêcheurs, un timbre poste de 2cm de côté, et l’avait agrandi en A4. Quand il m’avait apporté cette image, pendant un de ses week-ends à la maison, j’étais en plein drooling gaga (dans le vrai sens de gaga). Hervé souriait car il savait que cette photocopie aurait cet effet sur moi – car il ressentait la même chose lui-même. Avec une trame plus grosse, plus épaisse, la photo devait un dessin au trait.
Tout, dans cette image, est classique. Une de ces illustrations qui vous rappelle que Renaud Camus avait raison quand il a développé cette théorie, il y a plus de vingt ans, sur ces hommes très beaux que l’on voit dans les pages de faits-divers des journaux, surtout en province. Il s’agit de voleurs, de criminels ou de sportifs, de mecs qui se trouvent être photographiés quand ils n’en ont pas envie ou quand ça les fait un peu chier. Seuls les gays sont capables de reconnaître dans cette photo souvent mal prise la beauté d’un homme qui apparaît au détour d’une page d’un journal en général morne.
En 2003, quand Hervé m’a apporté cette photo, nous nous sommes posé des questions sur cet homme. Hervé était déjà malade, mais nous avons eu de bonnes discussions sur lui. D’abord, pour un pêcheur, il avait un caractère très latin, ou très basque. La pose, c’est de la Renaissance à donf, on dirait un détail de tableau du Titien et je vais arrêter ici de faire la folle. C’est une pose totalement religieuse, on ne sait pas ce qu’il regarde, mais il regarde d’une manière calme, très concentrée. Le fait qu’il porte un ciré blanc exagère le cadre de son visage. Hervé et moi on se demandait même quel type de parfum ce mec pouvait avoir, sachant qu’il ne devait pas en avoir du tout, bien sûr, puisqu’il était sur son lieu de travail. Mais il y avait une idée de proximité que nous ne parvenions pas à définir. C’est ce qui fait que cette image, six ans après, est toujours là, devant moi, tous les jours.
Ensuite, on était en 2003 et notre désir de barbe appartenait encore au rêve. On se demandait quand on verrait des hommes comme ça dans les rues. Après tout, ce qui nous a attirés l’un vers l’autre, il y a plus de vingt ans, c’était notre amour pour les clones naturels. Hervé et moi avions la même passion pour les barbus et les moustachus qui, déjà en 1983, commençaient à disparaître. Et on a passé ensuite deux décennies à attendre patiemment qu’ils reviennent et que la mode soit à nouveau pour le poil. Bien sûr, il y avait déjà les Bears en 2003, mais ce n’était pas exactement ce qui nous attirait. On était dans l’idée du mec pédé (ou hétéro) qui porterait une barbe cool. Et maintenant, six ans après, c’est partout. Allelujah.
OK, chez les gays, on a encore beaucoup de barbes super clean et dessinées et tout. Mon ami Fred, quand il va encore dans les bars du Marais, dit qu’il ne reconnaît plus rien. « Bah, ils se ressemblent tous ! » dit-il avec l’accent de Toulouse. Je sais, mais je suis tellement pour la pilosité faciale que les trois quarts du temps, j’ai un gros sourire. J’ai vraiment attendu vingt ans pour voir ça, et je n’ai pas arrêté d’écrire là-dessus, donc on se dit que ça a eu un tout petit impact.
D’ailleurs il y a un truc drôle dans le docu DVD sur Keith Haring, (ou alors c’est dans un autre docu vu à la télé). Au début des années 80, on le voit se plaindre qu’il y a encore trop de pédés barbus et moustachus et il dit qu’il faudrait les raser tous, il voulait que ça cesse, il en avait marre de voir des barbes. Bon, ça faisait partie de sa génération, qui se rebellait contre l’uniformité des gays des années 70. Mais moi, j’ai toujours aimé les clones. J’aurais aimé en être un, et je vois ça chez plein de gays que je connais, comme Frank Boulanger. C’est un look fondamental, on en est à la quatrième vague successive. Donc, voir partout dans le métro ou dans les rues ces mecs, hétéros ou gays, avec des barbes, c’est une des rares bénédictions de notre époque, et ça devrait durer encore quelques années.
Ce qui est beau chez ces hommes qui laissent pousser leurs barbes avec relativement peu d’entretien, c’est la signification de leur statement, qu’il soit sexuel, religieux, mystique ou simplement esthétique. Ces hommes ont décidé que cela leur allait bien, malgré les avis négatifs autour d’eux. Il y a toujours quelqu’un pour trouver ça laid. Sur FB, il y a des mecs dont la barbe est l’essence même de leur succès, comme Joe Mitchell (OK, le mec fait aussi de la gym, il a des pecs parfaits, etc.). Mais il y a un truc avec ces mecs. Ils ont beau être très narcissiques, il y a toujours des albums de photos qui montrent leur attachement à la nature, au trekking, à la promenade. Et c’est ce qui me ramène à cette image d’Hervé Gauchet. Ce pêcheur est forcément un homme d’eau, mais on l’imagine aussi, comme dans les tableaux de la Renaissance, entouré d’un paysage quasi religieux, qui annonce une prédiction.