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mercredi 5 mars 2025

Mémoires : sortie aujourd'hui!


envoyé par Jimmy Somerville



Tout d'abord je ne suis pas mort. C'est drôle le nombre de personnes sur FB qui me demandent ça. Je suppose que si ce livre était posthume, vous le sauriez, non? J'ai voulu un titre minimal, à la Comme des Garçons, parce que ça se passe entre l'année de ma naissance et l'année du rendu du livre.

Ensuite, je vois que certaines personnes s'étonnent de ne pas être dans l'index du livre. C'est bien simple : ce livre fait 500 pages, j'en ai écrit le double. La première version incorporait même des interviews de mes frères, ma mère. Il a fallu couper ce qui dépassait à la tronçonneuse, des portraits d'ami(e)s, mais aussi des parties plus personnelles comme mes looks divers. Si le livre a un peu de succès, je les rajouterai sur mon blog, autrement, tant pis, c'est ce qui arrive. Et puis des extraits se terminaient mal pour certaines personnes, j'ai préféré finir ces Mémoires sur une note positive. Enfin, certains amis ne sont plus des amis comme Thomas et Rodolphe, qui n'ont pas accepté ce que je disais sur eux, donc là c'est réglé.

Comme je le dis dans la préface, on peut commencer ces Mémoires où l'on veut. Il y a cinq parties : de la naissance à 19 ans, les amours et les amis, le travail et le militantisme, la musique et enfin la nature. Je sais que vous serez nombreux à commencer par la musique, j'y consacre presque 100 pages, après tout c'est mon métier de base. A la fin du livre se trouve la playlist de ces Mémoires avec un cryptogramme, vous pouvez écouter 15 heures de musique sur Spotify, bonus cadeau. Le livre offre aussi 8 pages de photos à l'intérieur du texte, je n'ai pas pu tout mettre, mais c'est un autre bonus.

Forcément, quand on saucissonne sa vie en cinq parties, il y a des répétitions. La pire est "il n'est pas mon genre" utilisée pas moins de 4 ou 5 fois, oubliant de noter que j'en suis conscient! On pourrait en faire un t-shirt ironique et conceptuel. Il y a aussi une dizaine de coquilles dont une majeure et je m'en excuse, et cela aurait été tellement pire sans l'aide d'Emilie Pointereau chez Stock, la meilleure éditrice de ma carrière, qui a du supporter mes innombrables fautes de syntaxe, parfois même des contresens, corrigées par Sophie Harinck et Olivier de Solminihac qui ont fait un travail admirable, surtout dans la partie musique avec tous ces titres de chansons qu'il a fallu vérifier une par une. C'est la première fois que je donne crédit à ces corrections! Vraiment Emilie, merci, j'écris ce texte pour vous.

Pour un dernier livre, car c'est mon dernier, j'ai bénéficié des conseils de Guy Birenbaum qui m'a dirigé vers Stock (l'idée de Spotify c'est aussi lui, ainsi que le petit cahier de photos). Il m'a dit : "Il faut faire un beau livre". Je n'ai pas été censuré sur la Palestine, sur rien d'ailleurs.

Et enfin, merci à mon frère Lala qui m'a accompagné tout au long du livre, son aide a été précieuse pour les souvenirs et certains passages sont les siens, avec les nombreuses blagues qu'il faisait pendant notre enfance. Il a aussi corrigé un nombre incalculable de répétitions, il est la présence évidente de ces Mémoires. Je n'y serai pas arrivé sans lui.

En allégeant ce livre, il a gagné en simplicité, en reflétant ma voix. Mon écriture est plus fluide. Les deux cent premières pages se lisent d'un coup, c'est ce qu'on appelle un page turner. Je suis satisfait de ces Mémoires, malgré les coquilles, je vais enfin pouvoir m'occuper de mon jardin et de mon site perso, il va falloir refaire les archives de Magazine qui ont un glitch, et celles de Gaie Presse qu'il faut scanner, mais ce sera un plaisir de retraité.

Bonne lecture.

jeudi 14 juillet 2022

Requeer à La Réunion


 



Je ne m’attendais pas à faire ce long voyage, même s’il était prévu depuis longtemps. L’association Requeer de La Réunion m’avait invité en 2020 et 2021, ce qui avait été annulé à cause du Covid. Cette fois-ci, le voyage était confirmé, pour le 15 juin et pour une durée de 10 jours. C’est la première fois que j’allais vers l’Est, vers l’océan Indien.

 

Requeer est un collectif LGBTQIA qui s’est créé il y a 2 ans, émanation d’un engagement artistique dans le militantisme, et notamment dans l’organisation du mois des fiertés avec deux marches, l’une dans la capitale de La Réunion, Saint-Denis, et une autre, nouvelle, dans le sud de l’île, à Saint-Pierre. A Requeer, la seule personne que je connaissais, c’est Antoine Merveilleux du Vignaux, musicien pour le groupe mythique de mon frère dans les années 70 et début 80, Lala et les Emotions. Mais je n’avais pas vu Antoine depuis 30 ans et plus, quand il s’est installé à la Réunion, et fondé une famille.

 

Toujours angoissé avant les longs voyages, je suis arrivé 5 heures en avance à Orly pour mon vol. J’arrive toujours à l’avance, j’aime regarder pendant des heures les gens qui partent et qui arrivent.  Déjà, je voyais les insulaires, blancs, noirs et métis, très beaux chacun dans leur genre. Dans l’avion, j’ai eu la surprise d’avoir trois sièges pour moi tout seul à l’avant de la classe économique, je croyais que ça n’existait plus, j’ai donc très bien dormi après avoir regardé deux films. Il faut dire que le vol pour La Réunion est long (13 heures), mais comme on part le soir et qu’on arrive le lendemain matin, c’est plutôt calme et agréable.

 

A mon arrivée, Samuel Perche m’attendait à l’aéroport, avec qui j’avais discuté via mail de l’organisation du voyage. Première révélation. Je me suis tout de suite bien entendu avec ce joli homme de 42 ans, artiste, et l’un des leaders du mouvement queer ici et président de Requeer. Samuel est parti de France pour s’installer à la Réunion il y a 15 ans. Dans la voiture, on parle de la situation de l’île, ses embouteillages, le fait que la population va bientôt atteindre un million de personnes, ce qui pose des questions d’urbanisme, le lobby du ciment et de la construction, la situation des LGBT dans l’océan indien, l’influence de l’immigration, la beauté des paysages, tout.

 

Il m’amène chez Antoine Merveilleux que je retrouve dans sa case du quartier de La Possession où je rencontre sa femme qui prépare le déjeuner à l’extérieur, son petit-fils réunionnais / maghrébin (un joli mélange quoi), sa fille. Et son jardin, les poules, les 3 tortues. C’est dimanche matin et il y a du reggae qui passe en fond sonore, c’est une retrouvaille émouvante. Je ne reconnais pas Antoine après les 40 ans passés, il est un peu déçu, mais je reconnais tout de suite sa gentillesse sans bullshit, sa prévenance, il est le deuxième organisateur de ce voyage, lui et Samuel ont déjà tout un programme pour moi. C’est aussi la fête des pères ce jour-là, une fête très respectée dans toute l’île où les liens familiaux sont très forts.

 

Après une heure à prendre contact, Samuel m’amène à Saint-Paul, ville du littoral un peu plus au sud, pour que je prenne la voiture de location qui a été réservée pour moi pendant mon séjour. En face du garage, il y a une case dans le quartier central de la ville, non loin du marché. Elle est en bon état, avec de très beaux arbres dans le jardin. Comme je l’admire en silence, Samuel me dit : « Tu vois, moi je voudrais la prendre telle qu’elle et la mettre dans un musée ». Et d’ajouter qu’elle sera sûrement détruite pour mettre un immeuble ou un commerce à la place. 

 

Bien sûr, je suis stressé à l’idée de conduire à La Réunion. Il faut savoir qu’en métropole, j’ai un pick-up Dacia acheté neuf 8000 euros après mon licenciement de Têtu en 2008. Quatorze ans après, il n’a toujours pas dépassé les 100.000 kilomètres, preuve que je ne l’utilise pas souvent. Il est aussi totalement dépourvu d’électronique, j’ai fait exprès, pas d’autoradio et de fenêtres électriques, c’est pourquoi je suis toujours perdu avec ces voitures de location avec trop de boutons, trop de fonctions.

 

Je suis Samuel qui me guide vers le premier hôte de mon séjour, Julien Aure, qui a une maison à Saline-les-Bains, qui sert parfois de Airbnb. Julien est natif de l’île, un bel homme, prof et artiste, c’est un homme cultivé et doux avec une belle voix et j’arrive en pleine correction des épreuves d’examen donc je me fais tout petit. Sa maison est idéale, près de la plage, avec une petite piscine et un joli jardin. Je déballe mes affaires et je vais tout de suite à la plage où il n’y a pas beaucoup de monde, après tout c’est la saison froide, il fait pourtant 25°. La plage est magnifique avec un lagon protégé des grosses vagues sur les récifs que l’on voit à quelques centaines de mètres. Je suis trop heureux d’être face à l’océan, je n’avais pas vu la mer depuis… mon dernier séjour à Bayonne, il y a quatre ans.

 

Le soir, Julien a organisé une petite fête chez lui avec toute une bande d’artistes réunionnais. Le but est de présenter un documentaire qui sortira à la rentrée, ayant pour sujet la représentation d’une dizaine d’artistes de La Réunion, dont on connaît le travail, mais pas assez les visages. Julien présente le projet, on sent l’expérience pédagogique, un beau documentaire avec une typo élégante et une belle musique originale. Un peu perdu parmi ces artistes, je suis tout de suite abordé par la deuxième révélation du séjour, Sanjeeyann Paléatchy, qui vient tout de suite vers moi pour me proposer un verre. Je découvre son travail, incroyable assemblage de végétaux (graminées de l’île, fleurs séchées, etc.) qu’il présente sous forme d’installations et de totems. Comme je suis fasciné par la botanique, l’échange est facile. Il y a une dimension éminemment shamanique dans son travail, je lui parle de « Gay Spirit » de Mark Thompson, Sanjee me dit que j’arrive au bon moment pour voir les inflorescences argentées de la canne à sucre.

 

Fatigué par les enfants des artistes qui s’amusent jusqu’à minuit, je me retire dans ma chambre, privilège des personnes âgées. J’entends le garçon le plus volubile dire à ses amis : « Je vais te mettre dans les toilettes des pédés ! ». Je suis à deux doigts d’intervenir, mais hey, c’est pas chez moi et je viens d’arriver. La nuit, première grosse averse et orage. 

 

Vendredi 17 juin

Le lendemain, il fait gris. Pas grave, j’ai bien pris le soleil la veille, je peux faire un jour off. Je regarde ce qui se passe sur les apps de drague et je m’en doutais : c’est compliqué. Sur Grindr et Tinder, beaucoup de profils « discrets » sans photo. Sur Scruff, des gays bears qui, on verra plus tard, ne sont pas très militants. Sur Hornet, pourtant spécifique pour les non-blancs, c’est pas meilleur non plus. A La Réunion, il y a toujours la crainte d’être reconnu à partir de sa voiture sur les lieux de drague (comme dans le sud-Ouest de mon adolescence) mais, quand même, je fais toujours le calcul : sur une population de 900.000 personnes, il y a 5 à 10% de personnes LGBT, donc ça fait du monde. Pendant la semaine, quelques contacts sympas et puis ensuite mon appli Grinder meurt, c’est l’influence des Tropiques.

 

Je ne suis pas venu pour baiser. Je dis toujours que lorsque je vais à l’étranger, je perds 10 points sur mon assurance et mon estime de soi. Je suis là pour être une éponge et absorber silencieusement ce que je regarde et les hommes hétéros sont sublimes, mais on peut les observer, il n’y a pas cette tension qui existe aux Antilles – d’ailleurs à chaque fois que j’ose une comparaison, tout le monde me dit que La Réunion est différente, ce que je sens tout de suite. A mon arrivée, j’ai demandé s’il y avait un problème d’eau sur l’île, parce que je sais que c’est le cas aux Antilles, malgré l’omniprésence de sources, mais ici tout le monde a accès à l’eau, même dans les collines et montagnes.

Le système de santé est aussi excellent, je le vois dès ce vendredi en allant à la pharmacie du coin pour m’acheter de l’Hextril car mes dents me font mal. Juste à côté, un bâtiment avec 10 (DIX) dentistes. Je crois que je n’ai jamais vu ça en France. On me dit qu’il n’y a pas de désert médical, que toute l’île est bien couverte et il suffit de se promener pour le vérifier. Le lendemain, j’arriverai à prendre un RDV pour ma 4ème dose de vaccin Covid alors que dans l’Orne et la Sarthe, il fallait que je fasse 40 kms AR, alors que le litre d’essence est à 2 euros, merci Macron.

Le premier soir, à la nuit tombée, Julien m’accompagne acheter mon premier cari de riz et poisson. En mangeant, il me raconte qu’au lycée, l’année précédente, ils ont fait l’expérience du quart d’heure de lecture en début de journée, pour calmer les élèves et les inciter à lire. Certains profs ont râlé parce que « ça faisait perdre du temps ». La deuxième année, le programme s’est arrêté alors qu’il marchait déjà. Dommage.

 

Samedi 18 juin

Je suis invité à découvrir le centre LGBT de l’océan Indien, à Saint-Denis, où l‘équipe a organisé un barbecue. Samuel est adorable, c’est lui qui cuit la viande et les légumes, j’ai apporté plusieurs livres signés pour la bibliothèque du centre. Très bonnes discussions avec tout le monde, en particulier les filles de La Cimade qui s’occupent de la RDR sur l’île. Le chemsex est là, mais surtout réservé aux zoreilles (les blancs) qui ramènent les produits d’Europe. La livraison via Darknet est mineure. Tout le monde est d’accord pour dire que l’île mérite un bar ou un club LGBT, il faudrait vraiment un squat car il y a beaucoup de bâtiments vides. Je reviens à Salines pour le coucher de soleil, dans les couleurs orange.

 

Dimanche 19 juin

Je retourne à la plage, mais le vent s’est levé et je comprends pourquoi les Réunionnais disent qu’il fait froid. L’eau est bonne, mais je grelotte en sortant de l’océan et le vent soulève le sable, comme souvent sur les plages du Sud-Ouest. Mon iPhone plante souvent, ce vieux modèle est en train de mourir, et finalement je prendrai peu de photos pendant ce voyage car l’écran tactile ne répond presque plus. Journée de farniente et de sieste.

 

Lundi 20 juin

Antoine Merveilleux m’invite à Lerka, la structure de Recherche et de création en Arts Actuels, fondée en 2002. C’est aussi un endroit de résidence pour artistes. Antoine insiste pour me dire qu’il n’est que « chargé de mission » et me dit que c’est une association avec des fondations associatives solides et des membres bénévoles engagés. Pour venir, je fais du covoiturage avec Sonia Charbonneau, qui habite juste à côté de la maison de Julien, et qui est une artiste de Lerka. La pauvre. C’est la première fois que je conduis en ville, vers les collines de Saint-Denis. Et je ne suis pas du tout à l’aise avec ces routes de collines où il faut négocier les virages serrés en première ou en seconde. Arrivé sur place, Antoine me présente toute l’équipe et on déjeune tous ensemble et ensuite Antoine demande à Sonia de me montrer son travail, dont une partie sera présentée à Tours l’année prochaine. Elle fait surtout de la vidéo et sa réponse au poème de Baudelaire, « A une dame créole » est un long traveling tragi-comique où on la voit déambuler sur une plage de galets avec des chaussures à talon rose fluo. Elle nous montre ensuite une pièce où elle est filmée au ras du sol en train de faire un trekking en courant vers une zone qui a été brulée quelques mois auparavant. On n’entend que son souffle, le sol et la végétation qui l’entoure, des pierres volcaniques recouvertes de lickens et de mousses, une végétation basse qui souffre du vent et du soleil, des graminées encore. Sur le retour, on a une discussion sur la sexualité d’aujourd’hui et l’éducation sexuelle des enfants. Elle est malgache et m’explique certaines coutumes. 

En général, Madagascar arrive systématiquement dans les discussions. Dans l’art, dans l’histoire de La Réunion, dans la cuisine et l’artisanat, Madagascar est partout, on dirait que c’est l’île mère, même si La Réunion est un melting pot indien, musulman, africain, catholique, asiatique. On me montre sur la route de très beaux temples indous, mais aussi asiatiques. J’ai beau ne pas connaître l’île, je ne ressens pas le racisme comme en France, surtout après un an d’overdose zémourienne.

 

Avant de partir de Lerka, une belle femme passe pour dire bonjour à Antoine. C’est Audrey Corridon (qu’il faut suivre sur FB!), une responsable politique militante qui a fait beaucoup d’outreach pour que les gens aillent voter aux Législatives, qui ont été gagnées par Nupes un peu partout sur l’île. Tout le monde se réjouit d’une alternance politique qui mettra peut-être fin au clientélisme de la classe politique locale. Je vois ici à quel point le mouvement LGBT ici est source d’espoir et d’intersectionnalité car la marche de Saint-Denis a été un symbole fort, avec 1500 personnes et son discours sur le passé colonial la rapproche d'autres mouvements.

Avant d’aller à Lerka, Sonia et moi sommes passés voir le conteneur jaune de Frac-Réunion qui présente l'expo KWOR à Saint-Denis, près du Petit marché, qui sert d’expo itinérante et qui apporte le sujet LGBT et militant dans plusieurs villes de l’île. Tout est fait pour ne pas privilégier la grande ville et aller plus loin vers les campagnes. Je découvre le travail de plusieurs artistes dont on me parle depuis mon arrivée : Brandon Gercara, Abel Techer

 

Et je commence à comprendre la particularité unique de La Réunion. Ici le mouvement LGBT est mené, littéralement, par des artistes queer. Ce n’est vraiment pas le cas à Paris, si vous voyez ce que je veux dire. Cette nouvelle génération est passée par les beaux-arts, il y a eu un lien éducatif très fort entre les jeunes issus des quartiers populaires ou des campagnes et la génération précédente, qui a quitté la France pour s’installer sur une île qui a cherché à atteindre l’excellence dans de nombreux domaines. Dans la santé, j’y reviendrai plus tard, dans la qualité des routes, même si tous les petits trains qui sillonnaient l’île ont disparu, et aussi dans le discours anticolonial qui est omniprésent. Cette fusion entre l’art et le militantisme me rappelle la création d’ACT UP à New York avec le collectif Gran Fury. Vous imaginez si le mouvement LGBT hexagonal était mené par des jeunes de 25 ans qui font de l’art ? On aurait déjà le centre d’Archives LGBT à Paris depuis des années.

 

Mardi 22 juin

Samuel a organisé un RDV avec Emmanuelle Thore, cheffe du service du CeGIDD Ouest de Saint-Paul, en direction de la PreP mais aussi des consultation de gynécologie, et d’interruption de grossesse. Là aussi, rencontre instantanée avec une médecin qui connaît Act Up et on fait le tour des problèmes de santé de l’île. Je pose des questions sur l’éducation sexuelle dans les lycées, la prévalence des IST mais Emmanuelle a aussi une question pour moi. Il y a certaines réticences dans le corps médical du coin pour cibler les populations de jeunes Réunionnais non blancs. Je réponds : « Oui bien sûr, vous devez cibler, c’est pas du tout stigmatisant. De toute façon, si vous ne le faites pas, vous serez critiqué anyway. Regardez aux USA où les LGBT noirs ou latinos ont été en retard dans l’accès aux soins, pour les ARV et la PreP. Vous savez faire le dépistage rapide, il ne faut pas avoir de scrupules, il faut apporter le message ». La discussion se poursuit dans les couloirs, puis à l’entrée, puis sur les marches à l’extérieur. On pourrait parler longtemps.

 

A ce stade, je comprends que Requeer a organisé ces rendez-vous, non pas pour que je parle d’Act Up, qui est assez peu connu sur l’île. D’abord parce que La Réunion n’a pas trop souffert du sida, contrairement aux Antilles et la Guyane (vous voyez, je compare encore mfgrrr) et donc le drama de la maladie n’a pas été massif. Ce qui est important ici n’est pas de parler d’Act Up, même si beaucoup ont vu « 120 BPM », mais de rencontrer les personnes dynamiques de l’île pour faire avancer les connections de Requeer. L’île est à un moment pivotal, où la nouvelle génération bouscule tout, avec la créolité au centre. Dans les marches que j’ai vues sur FB, Brandon Gercara s’exprime autant en français qu’en créole. Les slogans sont créolisés. Et ça donne une puissance assez proche des premières manifs d’Act Up où tout un nouveau vocabulaire était révélé.

 

Mercredi 23 juin

Antoine Merveilleux me propose d’abréger mon séjour chez Julien pour rejoindre le sud de l’île, à Langevin, où son amie Christiane a aussi une maison qui sert de AirbnB. Avant cela, je dois me débrouiller tout seul et aller me faire vacciner au Port. Tout se passe bien, je suis fier d’avoir fait cette dose de rappel à l’autre bout du monde alors que c’était si difficile dans ma campagne.

Ensuite je prends l’autoroute qui tourne autour de l’ile, cap au sud. Je vois les paysages changer avec ces ravines aux noms amusants, ces versants au-dessus de l’océan avec des herbes sèches (ce sont celles que je veux voir de près !) et des buissons, une sorte de garrigue tropicale atomisée par le soleil, et toujours cette bande de littoral et toutes ces plages qui me donnent envie d’y aller pour me baigner. Et puis je vois enfin les champs de canne à sucre avec ces inflorescences métalliques, qui accrochent toute la lumière. J’arrive juste avant la nuit et je me perds sur la route de la Passerelle en direction du Grand galet. Les collines sont vertigineuses, recouverte de végétation tropicale, et ces pestes grimpantes impressionnantes. La rivière Langevin est si belle que j’ai envie de m’y arrêter à chaque virage. C’est là où je retrouve l’ambiance des nombreux dessins de Tom de Pékin qui est souvent venu ici, et les récits d’autres personnes.


Arrivé chez Christiane Fauvre, je découvre une femme de 70 ans avec qui je m’entends tout de suite, nouvelle révélation du voyage. Comment résumer Christiane ? C’est une féministe, écolo pour de vrai, artiste, en couple avec un autre artiste, Ollivier Freynet, absent à ce moment car en métropole. Elle a été prof aux Beaux-arts, s’est engagée avec passion dans plein de domaines pour finir par être déçue du milieu artistique, ses magouilles, son injustice, ses cochonneries sexuelles aussi. Comme Antoine Merveilleux, elle connaît tous les artistes de l’île et au-delà. Très influencée par l’Inde, elle est comme mon amie Chantal Rivet car l’Inde est la source de passions culinaires, de gestes et d’attitude, d’attirance pour les hommes androgynes et fins de La Réunion et c’est aussi ce qui la rend proche de beaucoup de sujets sur l’identité de genre. Elle a trois chats, tous venus de la forêt environnante, deux chiens, quatre poules, deux paons, trois tortues et une ruche d’abeilles. Toute sa cuisine vient du jardin, je découvre les chouchous qui vont devenir mon légume préféré de ces vacances et elle dit souvent que La Réunion a tout pour être autosuffisante au niveau alimentaire, si les champs de canne à sucre étaient remplacés par le riz ou autre culture.

Sachant que j’ai besoin de calme le matin au petit déjeuner, Christiane va s’occuper de moi pendant les derniers jours, me faisant découvrir les plats locaux tout en lançant des discussions interminables que j’adore. Elle est aussi bavarde que moi et me raconte tout sur l’art comme sur l’île, regrettant chaque jour que je ne sois pas allé à la forêt primaire qui n’est pas loin, les cascades, etc. A chaque fois, je lui réponds que je suis ici pour travailler et que je suis sédentaire même pendant les voyages. J’ai pourtant une voiture, je pourrais aller n’importe où. Mais les routes sont délicates et je ne suis pas du genre à courir pour aller voir ceci ou cela. Passer quelques jours dans ce vallon avec ces sommets tout autour, c’est une manière de vivre l’île comme une autre. Je regarde les oiseaux, elle me sort un livre sur les oiseaux de l’île. Je lui pose des questions sur les arbres qui nous entourent, elle me sort un livre sur les mangues de La Réunion, où on trouve 50 variétés différentes dont certaines très rares qui mériteraient d’être cultivées. 

Je fais la sieste pendant la deuxième journée (et dernière) de pluie en lisant un livre trouvé dans la bibliothèque sur les grands voyageurs (Marco Polo, mais surtout Ibn Battûra en Asie Centrale et le récit de Las Casas sur l’extermination des peuples des Caraïbes par les Espagnols dans « Très brève relation de la destruction des Indes » : « d’autres attachaient de la paille sèche au corps des Indiens, y mettaient le feu et les brûlaient de la sorte ») tout en passant deux heures de calme tous les soirs avant de me coucher avec un joint de zamal, tellement bon qu’on tire trois taffes - et on oublie le joint. C’est une herbe vraiment magique et thérapeutique, qui donne tout de suite des idées et des résolutions, qui stimule l’esprit et le corps.

 

Vendredi 24 juin

Le beau temps est revenu à Langevin et je vais me promener en montant à pied la Route de la Passerelle vers le Grand Galet. Je ne vais pas jusqu’au bout, préférant m’arrêter dans un petit chemin désaffecté où se trouvent deux chapelles ouvertes, dont une en bois peinte dans un rouge parfait. La rivière est bouillonnante avec des rochers noirs, on l’imagine à la saison des pluies avec un débit énorme, et la végétation sur les rochers abrite de toutes petites plantes, fougères, graminées, très japonisant. Chaque mètre carré est fait comme un mini jardin. Je reste deux heures à regarder autour de moi et descends lentement sur le bord de la route où je suis comme toujours attiré en priorité par les plantes et les arbres qui y poussent. Le bord de la route, avec ses cases abandonnées, est souvent plus romantique que la nature sauvage.

 

Dans l’après-midi, je vais voir l’expo de Samuel Perche « No Man Men » à Grand Bois, dans un beau local abandonné qui a été aménagé pour une expo. C’est un entrepôt qui servait à l’usine de canne à sucre (grande cheminée carrée juste en face) et je rencontre aussi le directeur de la galerie. Le travail de Samuel est dérangeant au début, ce sont de grandes toiles où le bleu domine sur des scènes de baise entre hommes. Il y a un côté Berghain dans ce travail que je vois comme un complément érotique de la création de l’île. Je pense que son intention est d’abord de briser un tabou sexuel avec des bites, des pénétrations, des plans à trois.

 

Le soir, c’est le jour de mon intervention à la Médiathèque du Sud Sauvage, à Saint-Joseph, une belle architecture faite de bois et de pierres volcaniques. Au moment où j’arrive, c’est l’appel à la prière d’une petite mosquée voisine. Je suis ému, me disant que c’est une chose impossible en France, mais ici toutes les croyances sont acceptées.

Le staff de la médiathèque est adorable et je me présente avant la projection de « We Were Here » de David Weismann, film que j’ai choisi comme illustration de la discussion à venir. Il y a peu de monde, vraiment les gays, encore une fois, sont incapables de se bouger pour un film qui n’a jamais été montré sur l’île. Pendant la projection, je sens des moments de tremblement dans la salle, Samuel qui est à côté de moi est très ému. Le débat qui suit est intéressant et ça se finit par un pot organisé par la médiathèque. Ah, s’il y avait eu plus de monde ! Je laisse plusieurs livres signés pour la bibliothèque.

 

Samedi 25 juin

C’est le grand jour de la marche des fiertés, pour la première fois à Saint-Pierre, dans le sud  (quelques photos sur mon IG). Le trajet commence près de la plage et doit se promener en ville. Requeer se demande si ce sera un succès, mais très vite le cortège se forme et la surprise, c’est la jeunesse de la foule. On dirait que la moyenne d’âge ne dépasse pas 20 ou 22 ans, très grande majorité de lycéens et lycéennes, toutes heureuses, en bande. Je rencontre pour la première fois Brandon Gercara, lui aussi fatigué par ces mois d’activités, comme Samuel. Je passe aussi du temps à discuter avec un couple de gays vraiment bien, rencontrés à la Médiathèque la veille. Je dis à plusieurs filles qu’elles se rappelleront toujours cette marche. Le cortège passe par les rues du centre, faisant une boucle pour revenir au point de départ où tous les représentants associatifs font un discours commun. Si on veut comparer, c’est un mélange entre la Pride des banlieues et la Pride radicale. Je demande pourquoi les gays de Scruff ne sont pas là. 1500 personnes, bravo pour une première édition !

Antoine Merveilleux et moi prenons ensuite un café sur la plage. Avec tout ce qui s’est passé en quelques jours, je me sens désormais obligé d’écrire quelque chose sur ce voyage. En bon RP de La Réunion, il me répond avec un sourire : « Mais bien sûr ! ». Comme s’il avait accompli sa mission. Un SDF de Paris qui passe reconnaît mon t-shirt « Silence = Mort » et me félicite pour l’action sur l’Obélisque de la Concorde (1994). Nous allons ensuite passer la nuit chez Christiane à Langevin car Antoine et Christiane ne se sont pas vus depuis… plus de dix ans alors qu’ils vivent sur la même île. Soirée parfaite à se raconter des histoires sur l’art, sur le sexe aussi et même le fist-fucking.

 

Dimanche 26 juin

C’est mon dernier jour avant de prendre l’avion. Je dois rendre la voiture de location à Saint-Paul et Brandon vient me chercher pour me déposer ensuite à l’hôtel Dina Morgabine de Saint-Denis où je passerai ma dernière nuit. C’est la première fois qu’on se parle de la semaine et il s’excuse de s’être fait attendre car il avait beaucoup de travail. Je lui réponds que c’est à moi de venir vers lui - et non l’inverse. Je lui dis qu’à 25 ans, il va devenir énorme. Il me répond que ses positions sur le sujet décolonial ne plaisent pas à tout le monde, mais je réponds que c’est sa base, en tant qu’artiste et activiste, c’est sa crédibilité et ça ne le quittera jamais. On parle de Requeer, de Voguing, de shamanisme, d’art. Je lui raconte une anecdote assez drôle qui vient de Jonathan Katz : pendant les guerres dans le Far-Ouest, les jésuites qui torturaient les Amérindiens étaient subjugués car ces derniers se moquaient d’eux en disant : « C’est pas comme ça qu’on torture, attendez on va vous montrer ».

Brandon est vraiment unique et touche à tout. Encore un militant multi-talentueux. A suivre absolument sur FB ou IG. Il fait des vidéos avec son ami Yannick Piera qui sont hilarantes, mais je lui dis qu’il faudrait des sous-titres en français pour mieux comprendre. On se quitte en se promettant de se voir à Paris où il sera à la rentrée.

Arrivé à l’hôtel, il fait nuit, je me promène dans le quartier pour trouver quelque chose à manger, la ville est endormie. Puis je vais me baigner dans la piscine du roof top de l’hôtel où il n’y a personne. Je fume mon dernier zamal en regardant les lumières de la ville sur les collines et je commence à avoir le cafard de partir.

 

Lundi 27 juin

Je me lève pour aller au Petit marché que j’avais visité avec Sonia Charbonneau. La vendeuse d’origine indienne me reconnaît. « C’est vous avec un tatouage sur la jambe ? » et elle me conseille sur tout ce qui m’attire. Je prends un petit pilon (elle me dit d’en prendre un autre qui vient de Madagascar, les autres venant de Chine), un chapeau de paille, un bracelet de pierre noires et deux eaux de toilette (lotion Pompeia et eau de Cologne des Princes, tous deux de L.T.Piver) dont Sonia dira plus tard « ça sent le tonton », ce qui me fait plaisir car je cherche toujours des parfums démodés.

A midi, je retrouve Antoine Merveilleux et Samuel au restaurant de l’hôtel. Samuel a été agressé la nuit de la marche de Saint-Pierre, par le videur du club. Son visage est amoché et la règle à Requeer, c’est d’aller tout de suite à la gendarmerie, même pour une insulte dans la rue, Brandon est catégorique sur ce point. Un média vient l’interviewer. Antoine et moi, en vrais daddys, on s’inquiète de l’état de fatigue de Samuel. Il est inébranlable et souriant. Pour lui, La Réunion devrait être développée et appréciée pour sa tolérance et son développement des sujets LGBT, ce qui en ferait une île encore plus unique dans l’océan Indien. A tous les deux, je répète que je n’ai jamais été traité comme ça pendant toutes mes années d’activisme, à part avec Bizi à Bayonne lors de leur création. Les Basques et les Réunionnais ! Un billet d’avion, une voiture de location, deux endroits parfaits pour le séjour, 500 euros de per diem (waou !) et un super hôtel pour finir. Antoine me dit que je suis un artiste car je suis écrivain et que je dois être traité comme tel. Je réponds que je ne suis qu’un militant.

 

Tout au long de nos rencontres, pendant ces dix jours, on a beaucoup parlé avec Samuel. De sa vie amoureuse et sexuelle, du militantisme et des questions de genre, c’est un homme blanc qui a complètement assimilé les aspects les plus radicaux du militantisme. Il m’a raconté beaucoup de choses sur les forces politiques et associatives de l’île, son passé sexuel à Paris (il était venu à KABP ou Otra Otra) et finalement on a une passion commune et non complexée pour les hommes noirs et métissés, parce que c’est souvent une passion réciproque et que ça s’est toujours bien passé. Au fur et à mesure que les jours passaient, je me demandais si nous étions compatibles sexuellement ou si tout simplement on aurait dû passer une nuit ensemble, par pure amitié.

 

Ensuite, il m’amène à l’aéroport. La fin de l’après-midi approche, le ciel est superbe et le cafard se renforce à l’idée de partir. Mes derniers mots à Samuel sont « amis pour la vie ! » et je lui caresse le torse et passe les heures suivantes, avant l’enregistrement, à admirer le coucher de soleil qui s’assombrit dans la nuit tropicale.

 

 

 

 

vendredi 21 juillet 2017

Comment faire un blockbuster LGBT


Je traîne depuis plus d'un an une idée de scénario que je n'ai pas eu le courage d'évoquer, sûrement parce que le cinéma n'est pas mon domaine et parce que cette dernière année a été difficile. Et puis le succès à venir de "120BPM" m'a chamboulé et je me dis qu'il n'y a pas de raison de ne pas envoyer une autre bouteille à la mer. Alors voilà, mon idée est qu'il est temps qu'un film à grand public fasse avancer le sujet de la vieillesse LGBT, celle de notre fin de vie, pour les personnes séropositives ou non. Il s'agit d'imaginer toutes les variantes de structures qui pourraient nous offrir un toit afin de passer les dernières années de nos vies.

Historiquement, même si je n'ai jamais aimé les films type "Gazon Maudit" ou "Pédale Douce", ces gros succès populaires ont servi de jalon culturel et leurs histoires une entériné un progrès politique, c'est souvent ainsi que l'évolution des mœurs s'impose auprès du plus grand nombre. Cela fait longtemps que je pense que notre pays n'anticipe pas l'arrivée des LGBT à la retraite et je suis convaincu que cela peut être aussi une source de créations d'emplois et de services. On me demande souvent pourquoi il y aurait une spécificité gay dans les structures d'accueil. Ces dernières ne sont pas adaptées à la vie qu'ont mené les baby boomers de notre communauté, leur combat pour la liberté, leur passé de constructeurs. L'universalisme français écarte toutes les initiatives étrangères où les maisons de retraite LGBT-friendly se multiplient et parfois existent depuis des années tout en montrant une expérimentation pilote pleine de connaissances, exactement comme le sida a inventé et disséminé des procédures sur la fin de vie et l'accompagnement du malade. Pour plus d'arguments, il suffit de lire tout ce que publie Francis Carrier sur la page Facebook de l'association GreyPride.

L'idée de ce film, c'est de faire un blockbuster et de renverser la méfiance que nous inspire ces films avec des acteurs français connus qui nous énervent car ils tournent autour des sujets LGBT sans avoir le courage de se lancer. Avec ce film, enfin, ils feraient leur coming-out et il se ferait simplement pendant les interviews de promotion, du genre "Ben oui quoi! Ca se voyait pas?". Et croyez-moi, ces acteurs et actrices sont nombreux dans le cinéma français où la majorité se cache encore dans une prétendue bisexualité. C'est la base de la légitimité du projet. Pour ces stars du cinéma français, ce film serait une sortie honorable à des années de silence ou de mensonge et la récompense serait un succès salué non seulement par la critique mais aussi par l'underground militant. Le but est de faire une comédie digne de "La cage aux folles", mais version 2017, c'est-à-dire avec toute la connaissance apportée par les personnes trans par exemple. L'histoire raconterait la vie d'une petite maison de campagne ou de banlieue ou une poignée d'hommes et de femmes vivraient ensemble. Pour régler tout de suite la question financière, disons que cette maison appartiendrait à un membre de cette commune, quelqu'un qui aurait les moyens d'inviter ses ami(e)s et d'adapter sa maison aux besoins thérapeutiques. Cette personne (homme ou femme) pourrait être médecin et aurait choisi d'investir l'argent économisé pendant toute une vie dans une structure innovante, mais simple. Ce n'est pas une maison de riches, c'est juste un geste de grande générosité, comme un ami millionnaire des années 90 qui m'avait dit :"Didier, ne t'inquiète pas pour tes vieux jours, je m'en occuperai". Et même si cela ne s'est pas fait, j'ai toujours trouvé cette promesse incroyablement attentionnée. Ça existe des gens comme ça et peut-être que ce film leur donnerait des idées.

Rappelons que c'est du cinéma, une comédie en plus et qu'elle est nourrie par des personnages complément cliché dans leur genre, même si les dialogues feraient toute la différence entre un film de beaufs à la française et un succès potentiellement international. Dans cette maison, chacun serait spécialisé dans une tâche qui contribuerait au bonheur commun. Un peu comme les communautés dans lesquelles nous avons vécu à la fin des années 70. Il y aurait un jardinier qui s'occuperait du potager et du verger, les conserves et la cuisine étant partagées par tout le monde. Il y aurait une folle qui ferait rire tout le monde tout en faisant le ménage et animant la maison. Il y aurait une lesbienne (par exemple la doctoresse) qui aurait l'autorité pour tenir cette bande de freaks mais qui connaîtrait aussi tous leurs secrets (un peu comme Madame Madrigal dans "Les chroniques de San Francisco"). Il y aurait une personne trans qui se moquerait des méconnaissances du groupe sur le sujet tout en étant, en fait, la gardienne de la mémoire culturelle de la maison. Il y avait un vieux bear qui réparerait tout ce que les autres cassent tout le temps, un geek qui serait au courant des branchements Internet et qui conduirait le van qui conduirait tout le monde quand ils iraient faire des courses ou des promenades. Comme chaque film nécessite un drame, un de ces personnages perdrait la vie, mais pas forcement de vieillesse ou de maladie, ça pourrait être un truc complètement idiot ou même risible comme une chute dans l'escalier, ce qui entraînerait une séquence d'enterrement assez drôle et émouvante et qui permettrait de faire entrer dans cette commune une nouvelle personne à la fin du film, comme un renouveau, par exemple une lesbienne bisexuelle.

L'idée est vraiment de faire une comédie pour dédramatiser la vieillesse, la montrer dans des conditions optimales (ça existe même si certains diront que c'est une version enjolivée de la réalité). Le comique proviendrait des situations incontrôlables de cette cohabitation et puis chaque personnage aurait ses propres limites, soit un problème de santé physique ou psychique, un bagage de la vie antérieure lourd à porter. Ces gens n'arrêteraient pas de se faire la gueule et de se réconcilier, chaque nouvelle récolte de cerises provenant du jardin étant une source de satisfaction ou de diarrhées collectives. On verrait les personnages évoquer leur passé et leurs radotages, avec des confidences qui émaillent le temps. Certains auraient aussi des relations amoureuses, provenant des applications de drague ou du hasard, ce qui fait que cette maison ne serait pas un milieu clos, elle serait visitée par d'autres personnages secondaires tout aussi loufoques ou tout simplement gentils  comme dans "Torch Song Trilogy". Il y aurait même des gosses qui viendraient d'une école voisine pour visiter les vieux, ce qui entraînerait des situations tendres ou cocasses. La personne trans aurait forcement une relation pour qu'on ne puisse pas dire qu'elle est rejetée par la société. La lesbienne docteur aurait aussi une amie de longue date comme dans "Les invisibles". Les sujets politiques actuels comme la PMA et le mariage pour tous seraient abordés devant la télé afin de nourrir les moqueries en direction des cathos tradis et de Sens Commun. Le sujet de la mémoire serait aussi abordé comme les archives LGBT et tout le film traiterait, sans forcement le dire, de la transmission de la culture gay. Certains soirs, des films classiques seraient regardés ensemble dans le salon, comme "Women" de George Cukor. Les saisons passeraient, symbole du temps qui s'accélère et du plaisir de vivre encore.

Il y a quelques années, Jimmy Somerville m'a fait rire quand il imaginait sa propre vieillesse. Il me disait qu'il ferait la tournée des maisons de vieillesse LGBT et qu'il finirait pas chanter "Tell Me Why" avec une voix complètement enrayée, sur un petit plot dans la salle commune, avec juste un méchant projecteur et une mini boule disco à miroirs. Il pourrait même y avoir un escalier automatique menant au premier étage qui serait détourné pour un spectacle de travelos. Ce film serait exactement comme ça, montrant des situations risibles où les personnages s'en sortiraient par un sens inné de l'autodérision, une répartie chaotique et quand même, beaucoup d'humilité face à la vieillesse. On parlerait beaucoup de cul, ça pourrait même être très vulgaire. Chaque chambre serait décorée par son habitant et il y aurait certaines fautes de goût impardonnables. Certains matins, tout le monde serait mal luné et toutes les portes de la maison claqueraient. Il faudrait sentir que les acteurs sa lâchent et prennent plaisir à décrire leur propre vieillesse dans une parodie du cinéma français. En été, il y aurait une piscine gonflable dans le jardin et le bear y barboterait avec tous les jouets gonflables sortis du garage. Lors de la nuit des étoiles, tout le monde se disputerait car certains y voient beaucoup moins que les autres. Noël serait une occasion de montrer des cadeaux très pathétiques. Il y aurait des évocations de soins particuliers car la doctoresse aurait installé une infirmerie avec tous les soins d'urgence et les instruments d'exercice physique comme des vélos d'appartement. D'autres auraient une santé de fer comme le jardinier qui est pourtant séropositif depuis trente ans. Il faudrait sentir que ce groupe de personnes se connaît depuis longtemps, ils ont une histoire commune, même si c'est un attelage humain incohérent, mixte. Cette folie amicale serait accentuée par le jeu de grands comédiens que l'on aime détester comme Michel Blanc, Pierre Palmade ou Muriel Robin. En plus des personnages principaux, il faudrait ajouter 4 ou 5 mégastars du cinéma français qui y feraient des apparitions, du genre Christian Clavier ou Etienne Daho et voilà! un film qui ferait aimer un sujet que personne n'ose toucher. Enfin, il est évident et indiscutable que la mixité ethnique est aussi respectée. Il y a forcement au moins un acteur ou une actrice parmi les 5 principaux qui est racisé, et les questions du racisme à l'intérieur de la communauté LGBT seraient abordées avec vengeance.

En général, ce type de cinéma français ne m'intéresse absolument pas. Pire, il me dégoûte. Mais à force de tourner cette idée dans ma tête, la chose me paraît crédible même si les situations du film paraissent au premier abord prévisibles. Et le film de Robin Campillo, s'il s'adresse en particulier aux jeunes, possède un effet miroir évident puisqu'il s'adresse aussi aux vieux qui étaient les jeunes d'Act Up. S'il y a quelque chose que je respecte au plus haut point dans "120BPM", c'est le choix des acteurs, souvent des homosexuels amateurs. Même si j'en viens aujourd'hui à penser que les gays sont très bien joués par des hétéros, dans ce film il y aurait un statement politique : les gays y sont joués par des gays, les lesbiennes aussi. On y retrouve un aspect du fonctionnement de Spike Lee. Dans cette idée de blockbuster pour troisième âge LGBT, il y a aussi cette cohérence avec des acteurs et actrices dont l'homosexualité ne fait plus de doute et qui renforce une autre idée qui m'est chère, celle du coming-out, de la liberté que cela procure. Ces gays retraités n'ont plus rien à cacher, la vieillesse les rend encore plus transparents. Considérés comme écartés de la société, ils deviennent des héros de l'affirmation et du soulagement identitaire. Ils ont travaillé toute leur vie, professionnellement et psychologiquement pour arriver à ce droit fondamental : vivre la vieillesse sans se cacher, activement, sous la protection d'un toit commun.
Vous pensez que ça pourrait marcher?

Moi oui.

vendredi 18 janvier 2013

Mon père


Dans ma famille, mon père était celui qui savait raconter les histoires. Et lui-même disait qu'il n'était rien à côté son oncle qui savait captiver un dîner de vingt personnes avec ses souvenirs de chasse à la perdrix sur les plateaux du Sersou. Il paraît qu'il faisait rire car ses histoires étaient si décousues et pleines de détours que tout le monde le suppliait d'arriver à la chute mais en fait, il savait exactement où il allait, c'était juste pour s'amuser et s'assurer que chaque membre de la famille le suivait, même celui ou celle qui se trouvait en bout de table. Ou alors il achevait l'histoire d'un trait, surprenant l'assemblée, comme s'il avait envie de revenir au contenu de son assiette.

Désormais mon père est mort et il ne reste plus personne dans la famille qui raconte les histoires comme lui, bien qu'un mes frères se soit récemment révélé mais je ne peux pas en parler ici car on me demande de la discrétion. J'ai réalisé très tard que mon père était un bon conteur car, quand j'étais enfant ou ado, tout ce qui sortait de sa bouche était déjà si rabâché que je ne voyais souvent pas la différence quand il s'aventurait vers un vrai souvenir. Dans ma famille, on parle beaucoup. Il a fallu que je quitte la maison, à 19 ans, pour réaliser quelques années plus tard, lors d'un méchoui en l'honneur du mariage de mon frère Philippe, que Papa était vraiment bon dans l'art de parler.

Il a donc suffi que je m'enfuie de la ferme familiale pour comprendre ce qui avait été toujours là : un homme dézingué par la vie et l'amour, avec des histoires innombrables sur l'Algérie, que personne n'écoutait parce que c'était comme ça dans les années 70 : le fight, sans arrêt.
Mon père n'était assurément pas un homme parfait, c'est d'ailleurs pourquoi les femmes et ses enfants n'ont cessé de le fuir. Il était coléreux, violent, emmerdeur, souvent radin et comme beaucoup de pied-noirs, il était simplement con dans les années 60. Après, à 70 ans, c'est devenu un homme enfin apaisé, quand il a rencontré son dernier amour, Jacqueline. J'ai passé la moitié de ma vie à ne pas l'aimer, on s'engueulait pour rien tout le temps mais il ne m'a pas traumatisé non plus même quand j'avais 7 ans et qu'il a sorti la ceinture dans son bureau parce que mes notes de classe étaient mauvaises. C'était l'époque, on savait, même à cet âge, que ces coups de ceinture allaient devenir une chose du passé. C'est juste qu'on aurait voulu que ça soit oublié plus vite. Et puis, il ne l'a fait que 5 ou 6 fois maxi. En revanche, pour défoncer une porte quand on avait le malheur de s'enfermer dans sa chambre pour avoir la paix, il savait faire.

J'ai déjà raconté quelque part qu'un jour il m'avait téléphoné après avoir signé un Pacs avec Jacqueline et il était si content qu'il m'avait remercié. Je lui avais répondu que je n'y étais vraiment pour rien car je n'ai rien accompli de vraiment notable sur ce sujet (bon un peu, à travers le sida), mais il m'avait épaté en me répondant du tac au tac "Oui mais tu comprends, c'est grâce à vous les homosexuels". C'est là où j'avais fait un "Yessssss!" mental en me disant que ça paye de faire son coming-out à 15 ans et que forcément, 40 ans plus tard, un père qui a trois fils gays sur quatre, après toutes ces engueulades, en venait à remercier la communauté at large pour une avancée dont il pouvait bénéficier, lui aussi.

Il y a quelques mois, quand je me suis cassé la jambe, mon père a été de ceux qui ont le mieux compris ce qui m'arrivait. En 1995, quand j'ai eu ma grande déprime amoureuse, il a été aussi, avec Bruno Bayon de Libé, celui qui m'a le plus aidé. Des fois, il suffit d'une seule phrase qui a plus d'effet que les autres. Et cela fait plus de quinze ans que je suis en paix avec mon père et chaque fois que l'on se téléphonait, tous les 4 mois à peu près, je tenais à lui répéter que je l'avais pardonné depuis longtemps pour nos engueulades, pour son égoïsme, pour tout en fait. Et lui s'excusait toujours de ne pas lire mes livres, que je lui envoyais, car il avait peur d'y trouver des mauvais souvenirs. Et je le rassurais, je lui disais qu'il n'y avait plus de problème entre nous.

Quand je me suis cassé la jambe, immobile dans mon lit, incapable de m'occuper du jardin, j'ai commencé à développer un désir étrange, qui ne m'avait jamais effleuré auparavant. Je le savais en bonne santé à 83 ans, mais j'avais besoin de lui demander sa bénédiction. Je ne suis pas croyant. Mais je voulais qu'il me dise que c'était OK parce qu'il aurait été touché par cette demande, d'ailleurs je ne sais pas s'il l'aurait fait, ce n’est vraiment pas quelque chose qu'on fait dans notre famille. Il y a un an, lors de nos discussions au téléphone sur l'Algérie et les arabes en général, je lui avais posé la question de la mort : "Papa, tu as tué quelqu’un pendant la guerre d'Algérie?". Et il m'avait répondu non, même si à Blida et Médéa, on était dans un des centres des actions les plus dures de part et d'autre. Mon idée de bénédiction, c'était surtout pour moi une occasion de passer une après-midi à lui poser les questions que je voulais lui poser sur la guerre d'indépendance. En 40 ans, mon père était passé d'un homme 100% pied-noir réac à un homme qui admettait que les siens s'étaient gourés sur tout, depuis 1830. L'erreur originale remontait à longtemps.

Donc, mon père, c'était le seul dans la famille avec qui on pouvait parler librement des erreurs de l'Algérie, d'avant et d'aujourd'hui. Avant, il y avait eu ma grand-mère, qui nous a élevés après le divorce de mes parents en 1962 mais Papa pouvait parler des arabes sans cesse. Quand j'étais enfant et ado, ça m'énervait. En vieillissant, c'est devenu une curiosité. Le 11 septembre 2001, la première personne que j'ai appelée, avant même que la deuxième tour ne tombe, ce fut mon père. Lui aussi regardait la télé.

Je ne cherche pas ici à recadrer la responsabilité des pieds-noirs dans la guerre d'Algérie. Tout le monde sait que je pense que la France aurait du s'excuser, selon moi, depuis Mitterrand. Pour moi, c'est le strict minimum. Et je mourrai sûrement avant que ce soit fait. Tous les autres pays colonisateurs se sont excusés et la France ne l'a toujours pas fait alors que la guerre d'Algérie a servi de modèle, pour le meilleur et le pire, à toutes les guerres d'indépendance, de l'Irlande à l'Afghanistan et aujourd'hui, la Syrie.

Mais on est nés en Algérie et ensuite on a grandi entourés de Marocains. À la ferme, l'instrument le plus utilisé, c'était la houe. Il y en avait partout. Les marocains l'utilisaient dans la terre limoneuse de la vallée du Lot, où nous avions grandi et ils faisaient des trous de plantation en ramenant la terre à eux, comme pour faire un puits. Moi j'ai toujours utilisé une bèche parce que c'est plus propre, on n’en met pas partout. Mais ma jeunesse a été marquée par ça, comme le dictionnaire français - arabe qui se promenait partout dans la maison car, à un moment, mon père a décidé de perfectionner son vocabulaire arabe.

Je ne suis pas allé voir mon père pour lui poser ces questions sur l'Algérie à cause de la jambe cassée. D'un côté, j'avais peur de lui faire sortir des souvenirs qu'il avait tenté d'ensevelir avec une telle énergie. Et de l'autre, je savais qu'il vieillissait et j'en ai marre de voir que ma génération de pieds-noirs a été complètement écrasée par le respect du à nos parents et nos oncles et nos tantes sur cette affaire. Je suis né dans le Sersou, le sujet de l'Algérie m'appartient tout autant que ceux qui y ont vécu et qui ont enfermé la France dans un non-dit qui fait qu'en 2013 Hollande est, sur le sujet, aussi lâche que ses prédécesseurs - et on voit bien ce que ça donne aujourd'hui au Mali. Ma génération n'est pas intervenue sur cette guerre, par respect pour la souffrance des deux côtés, mais surtout parce qu'on nous a demandé de nous taire. Forcément, on ne pouvait pas savoir car j'étais né en 1958. L'Algérie, nous l'avions connue en tant qu'enfants. On ne pouvait pas "comprendre".

La tristesse de ma génération, c'est d'avoir été des baby boomers nés pendant la guerre. Et une des pires guerres qui fut. Notre génération a forcément été celle du renouvellement, du refus du passé, mais nous étions enfermés dans un passé de morts, d'atrocités et de torture, d'apartheid. Je suis né dans un pays colonisé qui, à l'époque, servait d'exemple à la Rhodésie, c'est aussi simple que cela. Et même si ma famille ne fut pas la pire, notamment grâce à ma grand mère, rien n'excuse ce qui a été fait en notre nom pour maintenir un pouvoir colonial. Nous étions des agriculteurs. Les agriculteurs sont toujours à l'avant poste de la colonie. C'est dans notre histoire familiale depuis la fin du XIXème siècle. Tous ces crimes commis au nom de la terre, des champs, de la vigne, de l'avoine, du seigle, des fèves, des routes, des écoles, des hôpitaux. Tout cela était accompli d'abord et surtout pour les pieds-noirs.

La mort de mon père ne m'apportera donc pas les réponses à mes questions, si la discussion correspondait aux chiffres et aux dates, sur ce que j'ai lu dans A SavageWar of Peace d'Alistair Horne, ce que j'ai vu dans La Bataille d'Alger ou ce que je lis régulièrement sur Twitter. J'ai été un bon militant gay, un bon militant sida, j'aurais pu être un bon militant pied-noir pour m'affronter à ceux qui nous ont empêché, pendant 50 ans, de demander la vérité et les excuses sur les actions de la France. Les pieds-noirs, c'est quoi aujourd'hui? Quelques milliers de vieilles personnes, avec des enfants souvent plus réacs que leurs propres parents, défendant avec violence (les seuls mails de menace de mort reçues depuis des années, ce sont les enfants de pieds-noirs qui me les ont envoyés, c'est très symbolique) la préservation d'un mythe colonial "bienfaiteur" comme si on pouvait encore assurer, en 2013, qu'on a le droit de s'arroger les richesses d'un pays uniquement parce que l'on a construit des routes et des ports.

Après tout, l'Algérie de l'époque, c'était sans les Algériens. Comme l'Irlande sans les catholiques. L'Afrique du Sud sans les noirs. L'Afghanistan sans les jolis barbus. Israël sans la Palestine.
Voilà où je suis né.

mardi 11 décembre 2012

Mes excuses à Joseph Macé-Scaron


Mon sixième livre, "Pourquoi les gays sont passés à droite" (Le Seuil) est sorti en début d'année. Dans cet essai, je consacre plusieurs pages à Joseph Macé-Scaron, en réponse, avec beaucoup de retard, à son livre de 2001 "La tentation communautaire" (Plon) qui s'inquiétait des dangers possibles d'un communautarisme en France. Mon propos était de lui dire, précisément, que dans les domaines qui sont les miens (la musique, la culture en général, et plus particulièrement le militantisme gay et sida), cet apport communautaire n'avait eu que des aspects positifs.

Je considère que le combat des gays et des lesbiennes contre le sida est le plus grand cadeau de cette minorité à la société, et à l'humanité en fait. Les gays ont été à l'initiative de toutes les recherches sur cette maladie.

En fin de démonstration, je finis par dire que si Joseph Macé-Scaron est aujourd'hui  "vivant et apparemment en bonne santé, c'est parce que des millions de gays ont offert leurs corps à la médecine pour obtenir les multithérapies qui existent aujourd'hui". Mon point n'était pas de mettre en doute la bonne santé de Joseph Macé-Scaron. Je n'ai jamais voulu ici atteindre à sa vie privée. En plus de 20 ans de militantisme, je n'ai jamais joué cette carte car, dans ce milieu militant auquel j'appartiens, le respect du secret médical est la règle cardinale. On peut être très agressif sur de nombreux aspects politiques, mais ce secret est toujours respecté.

Alors, si ces propos dans ce livre ont pu faire du mal à Joseph Macé-Scaron, je m'en excuse publiquement.  Si Joseph Macé-Scaron a pu croire que je voulais le déstabiliser sur cet aspect de notre confrontation politique, qu'il sache que je m'en excuse aussi car je ne voulais pas le blesser.

Je pense humblement que notre époque est assez marquée de drames et de catastrophes pour alimenter un tel quiproquo. Mon but était d'apporter des arguments politiques et culturels au livre de Joseph Macé-Scaron. Jamais j'ai envisagé de porter un coup bas de la sorte à un opposant politique que je n'ai d'ailleurs jamais rencontré et avec qui je n'ai pratiquement jamais entretenu de correspondance. Tout ceci est une triste histoire et si ces mots d'excuses peuvent éclaircir en quoi que ce soit l'incompréhension qui nous oppose, je serai heureux de les voir publiés selon les modalités choisies par Joseph Macé-Scaron lui-même. 

jeudi 5 avril 2012

Baiser le système



C'est un très long texte, désolé pour vous. Il y a un mois, quand j'ai découvert que le livre co-écrit avec Gilles Pialoux, Sida 2.0, ne se vendait pas, j'ai pété un câble sur FB. J'ai insulté tout le monde. Et personne n'a pigé pourquoi je me mettais en colère. Donc c'est un texte très long qui explique pourquoi j'ai été absent de ce blog. J'écrivais ça.


Préambule
Un ami bien intentionné m'a envoyé un livre qui vient de sortir aux USA, Eminent Outlaws - The Gay Writers Who Changed America de Christopher Bram. Bon, déjà, le concept du "héros" ou de "hors-la-loi" homosexuel, en France, ça a du mal à passer, c'est une idée très étirée, stretchée au maximum de l'entendement pour le républicanisme grand teint qui s'affiche chaque jour davantage en période électorale. Mais ce livre ne se résume pas à faire le portrait d'une vingtaine de leaders gays, c'est un livre à thème. Au lieu de raconter leur histoire les uns après les autres, c'est l'histoire gay qui est racontée à travers ces leaders et leur influence. Il n'y a donc pas un chapitre sur, par exemple, Armistead Maupin, mais ce dernier apparaît tout au long du livre, comme les autres, ce qui permet de le reconnaître derrière tel ou tel évènement, puis un autre, puis un autre.

À la page 306, on apprend par exemple que ce que Maupin a décrit à travers ses Chroniques de San Francisco, c'est l'idée du "paradis plausible", ce qui est une idée assez belle, qui a contribué au succès phénoménal de cette série. À la page 223, un personnage de The Normal Heart dit quelque chose qui m'a toujours fasciné, l'idée selon laquelle le fait "d'être défini par sa queue nous tue". Pendant des sessions de prévention lors de conférences sur le sida, j'entendais les gays parler et parler encore et encore de leur fixette sur le sperme, comment ça résumait l'essence de l'homosexualité, comme si le fait de sucer une bite était le All & All de ce que nous sommes. Parce qu'il s'agissait de gays plus âgés et plus reconnus que moi, je ne protestais pas, j'étais pourtant en profond désaccord, cette vision restrictive de l'homosexualité m'énervait mais je ne disais rien parce que c'est la culture américaine, même si je sais que cette idée est partagée à travers le monde, tout autour de nous. Le fait de sucer un homme, de recevoir son sperme, d'en faire ce que l'on veut, c'est effectivement l'idée gay, mais c'est tellement en deçà de ce que veut dire "gay" pour les hommes de ma génération.

J'ai toujours été effaré de réaliser que les Américains que j'adore le plus en tant qu'homosexuels sont des hommes d'un certain âge, mes aînés, qui ont beaucoup souffert et qui ont fait leur coming-out très tard. Larry Kramer, Tony Kushner, Edmund White, Alan Ball, Armistead Maupin, tous ont accepté leur homosexualité au milieu de la trentaine, quand moi j'ai fait mon coming-out dès 14 ans. Donc ces héros n'avaient pas encore fait leur coming-out quand moi je l'avais fait depuis 5 ou 10 ans déjà. Un échec qui rappelle ce que l'on entend aujourd'hui sur FB toutes les 5 minutes au sujet du directeur de Sciences-Po. Le fait est, tous ces grands homosexuels étaient très malheureux dans les années 80, quand ma génération a vécu ses belles années. Tous ont épuisé un nombre considérable de psys et d'analystes, comme Edmund White et Larry Kramer, alors qu'ils étaient déjà considérés comme les lumières de la culture gay moderne. Considérez le style d'écriture, le raffinement total de A Boy's Own Story : il y avait une incohérence entre le luxe de cette écriture et la misère intime de l'auteur, alors que ces hommes se montraient déjà comme des leaders, créant des mouvements culturels et associatifs.
En lisant ce livre, on comprend mieux que ces coming-out tardifs et douloureux ont par la suite constitué la base de l'intransigeance de ces héros. En effet, Larry Kramer, par exemple, a insisté tout au long de ces vingt dernières années sur le fait qu'être au placard était "le péché de tous les péchés", la plus grande erreur et à ce titre le motif de sa colère la plus déchainée. C'est une honte que l'on s'inflige à soi-même et à la société, un refus de grandir et de s'assumer, le point central de la misère humaine chez les homosexuels.

Découpler le sida des gays

Plus récemment, j'ai fini par me dire que le sida était rejeté par les gays et, par entraînement, du reste de la population. Les hétéros regardent leurs amis gays et se disent "Si les gays s'en foutent du sida, alors le sida doit être vraiment out". Didier Dubois-Laumé, le fondateur de Café Lunette Rouges, un centre d'accueil pour les personnes séropositives écarté du Centre LGBT de Paris, va désormais plus loin. Sur Yagg, il estime que les personnes LGBT, dans leur ensemble, ne veulent plus entendre parler du sida, point barre. Comme par hasard, nous sommes des gays d'un certain âge, des survivants, à nous mettre en colère de cette éviction du sida hors de la communauté gay. Selon Didier, les associations LGBT acceptent des budgets fléchés sida uniquement pour faire croire qu'ils font des choses contre la maladie. Mais en fait, ils s'en foutent. Et quand on me contredit lors du débat à Sciences-Po (tiens-tiens!) du 8 mars dernier, mes opposant(e)s manifestent clairement leur désintérêt même pour le concept de survivant. À la base, ils (elles) disent "Bon ça va, tu ne vas pas nous emmerder une fois de plus avec l'idée que tu n'es pas mort du sida!"
- "Ah, vous vouliez vraiment que je crève alors!"
- "Ben oui, tuer le père!".

Et il n'y a pas un seul mec de 30 ans pour se lever et dire "Vous devriez avoir honte de dire un truc pareil". Cette animosité envers le concept même du sida et de son impact sur nos vies exprime qu'il faudrait effacer le souvenir même de ceux qui se sont battus. C'est ahurissant. Et sans précédent. Dustan l'a fait il y a 10 ans, en se moquant du legs de l'activisme sida, mais pas du tout dans le même sens car Dustant ETAIT le sida aussi.

Et j'arrive à mon point.


Je me doutais bien que mon livre Pourquoi les gays sont passés à droite (Seuil) serait attaqué. Après tout, avec un titre pareil, en plein dans l'amalgame, sans point d'interrogation, c'est normal. Déjà il y a plein de personnes qui sont convaincues qu'on n'a plus le droit de dire "les gays" ou les "Arabes" ou "les Noirs" et qui vous font des exposés de trois heures pour vous expliquer pourquoi ça ne se fait tout simplement plus à notre époque, voyons. C'est comme le représentant de l'inter-LGBT à l'émission de Taddéi qui perd des minutes précieuses d'antenne à la télé à chipoter sur la définition du mot "gay". Ca me déstabilise mais bon, c'est ce que je décris par "l'âge bébète" de la Gay Pride. On devrait être beaucoup plus offensif que ça. Mon titre initial, Placards dorés, a été refusé par les commerciaux du Seuil qui n'avaient aucune idée, apparemment, de ce que pouvait bien être un placard doré. OK, il faut toujours suivre l'avis des commerciaux de l'édition, eux seuls connaissent le niveau intellectuel des lecteurs. On parle couramment de "parachutes dorés" et de "golden showers", mais ces placards tapissés à la feuille d'or, c'est vrai, personne n'en a entendu parler.

Mais je m'égare déjà. Ca doit être l'effet Descoings. Car je ne m'attendais pas à un tel silence envers le livre co-écrit avec Gilles Pialoux, Sida 2.0, Regards croisés sur 30 ans d'épidémie (Fleuve Noir). Après tout, seuls 3 livres ont été publiés cette année sur les 30 ans de l'épidémie. Il y a eu celui de Jacques Leibowitch (Pour en finir avec le sida) celui de Françoise Barré-Sinoussi (Pour un monde sans sida) - et le notre. Des trois, aucun n'a été annoncé dans la presse gay, ni les nombreuses newsletters sida. Yagg a fait un p’tit papier. Têtu a écrit un papier ridicule. Avouez qu'il y a de quoi être surpris.

Je veux bien admettre que ma personnalité puisse déranger. Mais Leibowitch et Barré-Sinoussi, elle-même Prix Nobel? C'est quand même étonnant que les gays, premiers touchés par cette maladie, mettent autant de temps à chroniquer ou même annoncer (c'est si difficile de demander des textes de fond?) un livre de 450 pages qui raconte trente années de souffrances et de réussites? Pour l'écrire, je me suis associé à un médecin, chercheur et chef de service de maladies infectieuses que je respecte, Gilles Pialoux. C'est un homme qui ne traine pas de casseroles derrière lui et dans le sida, c'est plutôt rare. Ce livre, c'est 450 pages de références, de souvenirs et d'analyses et il n'y a pas beaucoup de livres qui cherchent à parler d'une manière simple d'un phénomène compliqué. On l'a écrit avec plaisir, avec des éditeurs qui s'intéressaient vraiment au sujet et qui ont mis le paquet pour la promo.


Libé en parle, c'est normal, mais Le Monde, rien. Il faut dire, en 25 ans de militantisme, Le Monde n'a jamais parlé de moi, ça devient extrêmement drôle, j'ai comme un minuteur interne qui s'amuse de cet énorme immeuble qui fait semblant de ne rien voir. Les autres médias entérinent l'idée selon laquelle le sida n'est plus vendeur, à un moment où les IST concernent de plus en plus les ados qui chopent des chlamydia par milliers et l'éducation sexuelle à l'école, toujours au point mort. Les médias gays disent que mon regard est partiel, comme si le sida était un sujet consensuel. Les associations disent que je règle des comptes, comme si elles étaient au-dessus de la critique (après les scandales sur la gestion de Aides, du Fonds Mondial et plus récemment du Sidaction, moi je sais pas, je devrais rien dire, je suis au chômage hein). La presse médicale se méfie d'une histoire de la pandémie jugée trop personnelle alors que la maladie est toujours l'affaire d'un médecin et d'un malade, quoi qu'on en dise. Les télés trouvent le sujet trop marginal, faut dire que c'est plus intéressant de parler de la rénovation exemplaire de Sciences-Po. Visiblement, il ne reste plus qu'à se diriger vers la presse spécialisée pour l'automobile, les montres, le jardinage et les People, on aurait plus de chance. On dirait que les survivants de l'épidémie, au bout de 30 ans, malgré 30 millions de personnes touchées, n'ont plus envie d'entendre parler de la maladie des temps modernes.


Le monde LGBT est traversé de frustrations, tant au niveau de ses droits dans la République, tant au niveau des idées qui ne sont pas développées, tant au niveau de la difficulté de se rencontrer aujourd’hui, de faire l'amour, de tomber amoureux. Chaque jour, on nous assomme avec des news sur Madonna, Lady Gaga et Mylène Farmer. Chaque jour, on se plaint et on couine parce que l'homophobie est làààààààààà. On s'imagine que François Hollande et le PS vont régler tout ça alors que François Hollande et le PS se sont désintéressées des questions LGBT depuis 10 ans. Les Verts sont à la ramasse, l'UMP s'enlise grave tout seul, Mélenchon gueule mais sait-il ce qu'est une antiprotéase et la presse gay est à côté de la plaque dans une attitude non conflictuelle, sans mordant, sans edge.


L'autocritique est donc mal reçue car elle fragilise, parait-il, l'agenda LGBT. Mais cet agenda est déjà ralenti par le fait que la plupart des représentants associatifs est encartée dans des partis politiques qui utilisent la communauté dans leur stratégie politique. Nous sommes sensés proposer des idées à la société, mais ces idées ne se limitent pas au mariage gay, à l'homoparentalité et la lutte contre l'homophobie, même si nous sommes presque tous à penser que c'est le minimum syndical. Il y a d'autres idées et on les voit apparaître à travers Facebook et Internet et cela ne percute pas les associations qui sont sensées nous représenter. Et puis, si tout dépendait des élections présidentielles, pourquoi la gauche n'a pas commencé à mener ces campagnes de lutte contre l'homophobie à l'école par exemple, dans les nombreux centres sociaux et éducatifs de la Mairie de Paris? Pourquoi n'y a-t-il pas une campagne contre le bullying à l'école sur le thème des LGBT? Pourquoi la Mairie de Paris et sa région, socialiste aussi, ne systématisent-elles pas le dépistage rapide du VIH dans tous les CDAG et structures de soins, afin de débusquer le VIH dans la région la plus affectée de France? Pourquoi la fusion du centre LGBT et les archives gays et lesbiennes est entourée d'un tel parfum de prise de pouvoir? Avec les élections, pas un seul bilan n'est fait à l'intérieur de la communauté. On demande à tous les présidentiables de répondre à nos exigences, mais que faisons-nous, nous mêmes, pour faire avancer la société? Une génération d'apparatchiks LGBT sent les postes à pourvoir dans l'administration PS et le silence est de mise pour accéder aux meilleures places.

Découpler le sida

Et quand je me mets en colère sur Facebook parce que je découvre que ce livre sur le sida ne se vend pas, deux mois après sa sortie, les gens ne comprennent pas. Je sais que tout le monde est fauché, et mon idée n'est pas du tout de faire payer une personne qui est déjà en difficulté pour payer son loyer. Mais il faudrait être de mauvaise foi pour croire que j'insulte des amis FB fauchés. Je m'adresse aux autres. Ceux qui vont au cinéma. Ceux qui vont en boite. Ceux qui partent à l'étranger. Ceux qui vont au restau. Ceux qui s'achètent des fringues pour se faire photographier dans la rue. Ceux qui achètent encore de la musique. Bref, tous ceux qui ne sont pas à 20 euros près - et il sont encore nombreux.

Car ceux-là, ça fait longtemps qu'on ne les sollicite plus sur le sida. Ils ne donnent pas de sous au Sidaction, ils ne manifestent plus depuis longtemps, ils ne sont pas particulièrement attentifs à ce qui se dit sur le sida ou les IST ou les hépatites et ils ne font rien sur le sida dans les pays pauvres. Mieux, ils sont parvenus à "découpler" le sida de leur vie même quand ils sont séropositifs eux-mêmes. Ils n'en parlent plus, comme s'il n'y avait plus rien à dire. Le silence sur cette maladie n'a jamais été aussi réel depuis 25 ans et il est encouragé par chacun d'entre nous, comme si la réflexion sur ce virus qui nous concerne tant ne valait plus d'être menée.

Alors, quand je sors un livre qui tente, précisément de dire qu'il y a des choses nouvelles sur la maladie, qui fait un historique pas lourdingue sur ce qui s'est passé en 30 ans d'histoire, quand je propose à tous ceux qui ne savent plus ce qu'est le sida de se remettre à niveau, il n'y a plus personne. Et là je retrouve mon accent Larry Kramer. Cet octane élevé de la voix et j'ai des amis qui me disent "Oh! calme-toi!".
Car ce livre, c'est pas comme les précédents. Je m'en fous s'ils ne se sont pas vendus, je n'ai jamais pensé que je serais un jour un écrivain à succès. C'est juste que celui-ci porte sur un sujet qui me dépasse, qui nous dépasse tous. Et si vous êtes si peu sollicités sur le sida et que vous n'êtes pas capables de dépenser 20 euros pour un livre qui raconte votre histoire, ce que vous avez vécu et ce que vous vivez encore en tant que personne séropositive ou séronégative, alors qui êtes-vous? Pour une fois, j'écris d'une manière objective et ce livre se vend encore moins bien que les autres? Et vous voulez que j'accepte ça dans le silence et avec un sourire? Mais vous ne me connaissez pas encore? À mon âge?

Alors je fais un ultimatum, non pas parce que j'aime en faire mais parce que VOUS M'OBLIGEZ à en faire un. Vous me décevez. Je ne m'attendais pas à un blockbuster, mais vous participez à son échec et la prochaine fois que vous direz sur FB que vous êtes super heureux d'avoir acheté une place à 250 euros pour Madonna, Lady Gaga ou, God forbid, Mylène Farmer, vous m'entendrez loud & clear de ma campagne vous traiter de conne totale, de connes désespérées avec vos histoires de psys et de déprime et de bipolarité, vos histoires de pitites connasses avec vos anus stretchés par des godes qui coûtent une fortune, et vos petites drogues à la con et la petite déco de votre appartement à la con.

Il y a une grande histoire ici, celle d'une maladie qui continue à narguer vos cauchemars les plus secrets, qui a marqué de son empreinte la moindre de vos dragues sur Internet et votre boulimie de consommation sexuelle et vous refusez de l'embrasser, cette histoire. Vous refusez de la revendiquer, cette histoire, et c'est la pire gifle que vous pouviez m'adresser et non, je ne l'accepterai pas en souriant. Et surtout ne me dites pas que c'est en vous engueulant que ça va vous donner l'envie d'acheter le livre. Vous n'allez PAS l'acheter de toute manière. Vous avez déjà décidé de passer à côté. Un livre, c'est comme un film. Ne pas le voir dans le mois de sa sortie, c'est le faire disparaitre. L'éditeur le retire, il passe à autre chose. Et maintenant, allez voter pour François Hollande, bande de connes.


Dans le 5ème épisode de la première saison de Nurse Jackie, la directrice de l'hôpital, la formidable Gloria, après s'être tazzée elle-même (don't ask me why), avoue sur un lit de réanimation : " Ça fait trente ans que je baise le système, il n'y a pas une seule arnaque que je ne connaisse pas". Dans quelques mois, pour la première fois avec la victoire de Hollande, qui ne fait pas de doute à mon esprit, une grande partie de cette crème de la crème gay va être aspirée dans les limbes de l'Etat. La très grande majorité d'entre-eux, je les connais, n'ont absolument aucun amour particulier pour la fonction publique. Ce sont des anciens libertaires. Mais ils se vendent déjà, déterminés à trouver une place, n'importe laquelle, dans les couloirs du pouvoir. Finalement, nous les gays, vivons notre mai 68 maintenant. C'est maintenant qu'ils vont vraiment apprendre à baiser le pouvoir, alors qu'ils viennent souvent du radicalisme. Comme disent déjà Omar et Fred : "En 2012, c'est chacun pour soi".