Il s’est passé quelque chose cette semaine sur le sida. On a pris connaissance des derniers chiffres de l’InVS sur les nouveaux cas d'infections à gonocoques (chaude pisse) qui ont augmenté de 52% en un an seulement, de 2008 à 2009. Non seulement ces chiffres sont impressionnants et récents, mais ils donnent une idée presque en temps réel de ce qui se passe en 2010. On peut déjà supposer que la banalisation du Treatment as Prevention va contribuer à l'augmentation des IST que l'on constate depuis dix ans. Le TasP, qui propose de réduire la transmission du VIH par des campagnes intensives et ciblées de dépistage et la mise sous traitement des séropositifs pour faire baisser leur charge virale et les rendre moins contaminants, fait que les gays mettent moins souvent la capote et ils ont moins peur du sperme lors des fellations. La « couverture » espérée du TasP entrainera forcément une augmentation des IST puisque le TasP concerne la prévention du VIH (théoriquement) mais pas les IST.
Comme d’habitude, sur les webzines gays, ces chiffres qui pourtant concernent aussi les gays sont annoncés sans faire de commentaire, et certains sites n’en parlent pas du tout. Et Dieu sait que lorsque l’on apprend qu’un acteur hétéro est en couverture d’un magazine gay à l’autre bout du monde, l’info circule.
Donc on ne parle pas beaucoup des IST chez les gays et on ne parle pas beaucoup non plus beaucoup de la récente affaire de juridicialisation de la transmission du VIH alors que tout le monde en a parlé, il y a une dépêche AFP, Doug Ireland a relayé l'article d'Edwn J Bernard dans le Guardian, etc. Déjà, il me semble que certaines rédactions ont envie de faire une impasse d’info sur ces cas de contamination volontaire (ou pas). C’est un sujet sur lequel on s’est écharpé et il y a peut-être l’idée selon laquelle si on n’en parle pas, le phénomène prendra moins d’importance. Le problème, c’est qu’il y a deux forces importantes en jeu.
Primo, certains de ces procès ont un retentissement international, comme l’affaire des 3 séropos hollandais qui avaient drogué et infecté 12 partenaires de partouze en leur inoculant du sang contaminé (un des accusés était infirmier, pratique). L’autre exemple est le cas récent de Nadja Benaissa, une chanteuse allemande qui s’est exprimée la semaine dernière lors du procès pour s’excuser. Elle avait contaminé un de ses ses partenaires en ne lui disant pas qu’elle était séropositive, chose qu’elle considère aujourd’hui comme stupide. Donc c’est une affaire qui prend une nouvelle tournure. L’accusée n’est pas, comme c’est souvent le cas, une personne lambda, des classes modestes. C’est une artiste célèbre.
Donc, la force médiatique de ce procès est émotive et éthique. Secundo, il ne faut pas sous-estimer la force des avis exprimés par les internautes qui lisent (ou pas) les news liées à ces procès. On l’a vu avec d’autres affaires dans d’autres médias et pas les pires comme Libération, quand les gays s’expriment sur ces procès, ce n’est pas toujours l’argumentaire pré-enregistré, que l’on retrouve dans l'article du Guardian. Non, ils ne croient pas que ces affaires font le jeu de l’augmentation des cas de sida sous l’idée communément acquise (par qui ? où ça ? des études ?) que les gens ne se dépistent pas par peur de ces procès. D’abord, ces procès sont rares: plusieurs centaines de cas dans le monde, sur des millions de personnes infectées. Ensuite, le dépistage a de gros retards dans notre pays, surtout chez les gays, largement du fait des lenteurs d’adaptation des associations de lutte contre le sida et du gouvernement sur le dépistage rapide. Ce n’est donc pas ces procès qui effraient les gays au point de refuser de se faire dépister. Ils ne se sont pas dépister car, pour l’instant, ni les associations ni le gouvernement ont décidé de lancer une grande opération d’incitation au dépistage rapide pour vraiment accompagner le concept du TasP. Mettre tous les séropos sous traitement sans aller chercher les 40% de gays qui sont séropos sans le savoir, c’est bancal, ça ne marchera pas. C’est comme si vous éteigniez un feu qui continue de brûler sans entrave un kilomètre plus loin. Les 40% qui ne se savent pas séropos vont continuer à faire circuler le virus alors que les pratiques de prévention vont se relâcher encore plus qu’aujourd’hui (c’est un euphémisme).
Quand les gays s’expriment sur ce sujet, on est loin du discours rabâché lors des conférences internationales. Et il vaut mieux que le modérateur du site soit là pour mettre de l’ordre. Une bonne partie des lecteurs est ulcérée parce qu’ils le prennent personnellement. A force de nourrir ces sites Internet gay de faits divers, ils ne comprennent pas que l’on passe sous silence des histoires parfois choquantes. Ils voient bien que le risque du VIH et des IST se rapproche d’eux, même quand ils sont safe. Rappelez-vous, 52% d’augmentation de chaude pisses en 1 an, cela fait beaucoup de personnes qui se sont emmerdées à traiter une bléno, des condylomes ou une syphilis. Et je ne parle pas de l’explosion des hépatites C chez les gays.
Donc les homosexuels ont un rapport passionnel et moral face à ces procès. Parce que le sexe n’est pas que du cul, il y a tout ce qui l’entoure, le comportement des partenaires, la politesse, la correction, la morale, appelez ça comme vous voulez, mais quand on baise, on n’a pas envie de rencontrer quelqu’un qui va nous faire du mal tout en le sachant. Voilà les mots qu’il faut dire sur ces histoires. Qu’il y ait des procès ou pas (et c’est ma position catégorique depuis toujours), ce n’est pas à moi d’en décider, mais je refuse publiquement que ce soit un sujet tabou dans le sens où les gens se font des procès pour trois fois rien aujourd’hui et je comprends mal que les leaders associatifs s’adressent à l’ensemble du système judiciaire pour demander de ne pas instruire ces affaires parce qu’il faut étouffer dans l’œuf l’idée même de faire un procès si on a été affecté d’une manière particulièrement abjecte. Si on avait l’affaire des 3 gays hollandais séropos, on réagirait comment ? On dirait qu’il ne faut pas faire de procès ?
La troisième force en jeu dans ces procès, c’est le lobby international contre la jurdicialisation de la contamination du VIH. Depuis le célèbre appel du juge Edwin Cameron en Afrique du Sud, que Laurent Chambon et moi avons rencontré en 2007 pour Têtu, il y a cette idée que ces procès ont un impact encore plus grave dans les pays en voie de développement. C’est ce que nous rappelle l'article du Guardian. Et c’est vrai, c’est un fait. Il y a donc une forte pression pour faire étouffer ces procès dans les pays occidentaux (riches) parce que cela affecte les pays en voie de développement. Encore une fois, on nous demande d’ajuster notre éthique occidentale par rapport à ce qui se passe au sud. OK. Mon point de vue, de gay à gay, c’est que l’appel de Cameron est tout à fait justifié. Nous ne vivons pas, en Europe et en Amérique, comme si on était à Soweto. Nous sommes dans des pays obsédés par la protection, tout le monde le sait, et c’est un droit légitime de faire appel à la justice quand on considère que l’on a subi un préjudice qui ne peut être apaisé par l’oubli. Nous sommes dans des cas moraux qui sont très proches du viol. Bref, des sentiments très profonds qui demandent, parfois, une décision de justice par respect de ce que l’on est, pas forcément pour punir la personne accusée. Il faut arrêter de considérer le sida comme une maladie qui a ses propres lois. Surtout quand on vit dans un pays riche, où les tests de dépistage sont partout, les capotes et le gel aussi, ainsi que les traitements d'urgence et les multithérapies que les pays pauvres n’ont pas encore. Sur ce sujet, l’éthique ne peut pas être la même partout car cela fait dix ans que nous avons les multithérapies dans nos pays (pas dans le sud) et nous savons tous que cela change l’essence même de ce qu’est le sida.
Je répète : je n’ai jamais dit qu’il fallait emprisonner les personnes qui contaminent. On ne peut trouver nulle part une expression de ma part qui va en ce sens. Je ne suis pas une folle sécuritaire, je n'ai même pas particulièrement confiance en la justice de mon pays. Et je ne crois pas que ces lois qui ont été instaurées à travers le monde ont un rapport direct avec l’espoir de réduire l’épidémie. Donc tout l’argumentaire actuellement présenté au plus au niveau des conférences internationales et si bien résumé par Edwin Cameron passe à côté de l’élément central : si la grande majorité des procès à travers le monde ne concerne pas des transmissions volontaires, que fait-on lorsqu’elles le sont vraiment, avec volonté de nuire ? On passe à autre chose ? On oublie ?
Ce que je dis depuis toujours, c’est qu’il y a des jugements de justice qui n’entraînent pas forcément l’incarcération. Il peut y avoir des décisions symboliques. On ne peut pas, non plus, s’en tenir au cliché du « On ne peut pas mettre un flic derrière chaque homosexuel ». C’est une réponse profondément idiote, car c’est ne pas comprendre l’évolution de cette épidémie dans les pays riches, nourrie par la remontée des cas de contamination chez les gays qui disposent de tout pour se protéger, ce qui n’a rien à voir avec ce qui se passe dans les pays en voie de développement. Chaque avancée thérapeutique comme le TasP nous éloigne un peu plus du standard de soins des pays pauvres. Le TasP est une stratégie thérapeutique de prévention pour les pays riches et on est loin de l’introduire en Afrique où l’on est même pas en mesure de donner des antirétroviraux à ceux qui sont malades. Nous sortons d’un dogme de 30 ans où la capote était centrale et on entre dans une nouvelle ère où on dit aux gays : « Vous pouvez oublier la capote si vous faites ceci ou cela ». Ce n’est vraiment pas le message de prévention qui est offert en Afrique du Sud, je vous le garantis.
Que ferions-nous si nous étions un des 12 homosexuels endormis endormis sous GHB et médicalement contaminés par trois séropos qui ont déclaré : "plus il y a de séropos chez les gays, mieux c'est"? Que ferions-nous ? Que ferions-nous si nous étions dans un couple de gays de 60 ans, qui se sont jurés de rester safe en dehors du couple pour ne pas avoir à utiliser la capote entre eux et puis un jour, un des deux devient séropo, et infecte son partenaire de 40 ans parce qu'il a peur de lui dire qu'il a rompu le pacte ? Après avoir lutté ensemble pendant 30 ans pour ne pas s’infecter l’autre ? Que ce passe-t-il s’il y a un patrimoine commun ? Que feriez-vous si votre partenaire est séropo et qu’il le sait et il ne vous le dit pas alors que vous avez, à de nombreuses reprises, des rapports contaminants? Laissez-moi vous rappeler que l’idée du TasP, précisément, c’est aussi de dire à son partenaire : « Tu sais, on ne va pas mettre de capote même si je suis séropo car je prends une multithérapie et ma charge virage est indétectable depuis 5 ans donc y’a pas de problème ». A un moment du TasP, il faut dire qu’on est séropo, non ? Ou alors vous voulez qu’on arrête carrément de mentionner le sida dans des négociations sexuelles à un moment où les chaude pisses augmentent de 52% en une année ? Comme si ces gonorrhées n’étaient pas un risque aggravant de choper le VIH ?
Mama mia.