jeudi 3 décembre 2009

Le feu


À chaque fois que je poste quelque chose sur le jardin, sur Facebook, on dirait que je touche un nerf sensible. Il suffit de dire « Je commence le feu dans la cheminée » ou « J’en ai marre de l’ordi, je vais ramasser les feuilles » et cela provoque des messages persos, du genre : « Tu as de la chance » ou « Si je pouvais fais ça dans mon appartement à Paris… ». Mon ex Jean-Luc était obsédé par le feu dans la cheminée. Il était capable d’incendier l’immeuble pour avoir le plaisir d’entendre le feu crépiter et de jouer avec le tisonnier. Pour lui, cela faisait partie d’un standing, comme le fait de siroter son verre de vin avec les reflets du feu dedans.

Pour moi, le feu est plus proche de mon enfance. Quand mon père a vendu sa ferme, il y a deux ou 3 ans, j’ai ramené les chenets qui étaient dans la cheminée de notre maison depuis… très longtemps. Ils ont une forme très simple, de gros trucs heavy duty qui supportent de grosses bûches. Ils ont fait partie de notre vie pendant toute notre jeunesse. Il fallait vraiment que je ramène ces chenets chez moi afin qu’ils chauffent une autre maison, comme un héritage. Et dès qu’ils sont arrivés dans la cheminée, ils ont pris leur place comme si c’était la leur, solides, prêts à servir.

Les gens ont une vision magnifiée du feu. On sent bien, sur FB, que le feu dans la cheminée est devenu une notion très exotique. C’est comme si vous postiez une image du Nicaragua. La majeure partie des gens vit désormais dans des maisons sans cheminée. Je sais très bien que c’est impossible pour des raisons écologiques, mais j’ai toujours pensé que les architectes devraient mettre des cheminées partout parce que ça rend tout le monde heureux. D’une manière quasi instantanée. Vous lancez le feu et vous vous sentez mieux, tout de suite. Même quand vous avez un spleen ou un tracas. Ce n’est pas seulement la chaleur qui se diffuse, c’est cette idée très banale du foyer, que plus vraiment personne connaît de nos jours.

Il faut dire que je suis étonné de voir que très peu de gens savent lancer un feu de nos jours, lol. Je ne vais pas à nouveau parler de ça, je crois que j’ai déjà écrit une chronique sur cette perte de connaissance, et puis je ne vais pas faire mon Renaud Camus du pauvre. Mais il est évident que FB est un phénomène qui s’adresse beaucoup aux urbains. Et le feu n’a rien d’exotique.

Il y a même des gens qui sont un peu jaloux. Quand on fait un feu, il faut le surveiller, il faut l’entretenir, il faut considérer qu’une partie du temps doit être consacrée à ce feu. Ce n’est pas un truc qu’on allume et qu’on oublie pour passer 3 heures ensuite devant son ordi. Par exemple, avant de se coucher, la dernière attention domestique est accordée au feu. En hiver, c’est une chose qui se répète, tous les soirs, et les gens ne savent pas que ça finit par être lassant aussi. C’est pour ça que lorsque le printemps arrive, on est content d’arrêter de récolter les cendres, les sortir, ne pas laisser le seau rempli de cendres se remplir d’eau de pluie parce que c’est une vision glauque, surtout devant la porte d’entrée. Toute cette petite intendance qu’il faut avoir en tête pour que les fagots soient secs, que le bois soit à portée de la main. C’est le genre de détail qui finit par vous dépasser. Comme tous ces pulls que l’on porte avec un trou fait par une étincelle. Ou cette odeur de feu que vous apportez avec vous quand vous allez à Paris et que les gens disent : « Tu sens la cheminée ! ». Comme si c’était un truc très far out ! Comme les amis qui ne sont pas venus depuis longtemps chez moi et qui s’émerveillent en passant le seuil de la maison : « Woaou, ça sent le feu de cheminée ici ! ».

Il faut se dire que c’est pas grave, on a un trou dans le pull, so what. Bien sûr, c’est un peu étrange quand on regarde tous ces reportages à la télé sur tous ces gens qui passent leur temps à aller dans les magazines pour changer de fringues parce qu’il y a toujours des réassorts quotidiens chez H&M et donc, il y a toujours un truc neuf à porter. Imperceptiblement, avec chaque nouveau trou dans le pull, vous devenez une personne différente de ce qui est communément présenté comme « normal ». Comme tous ces gays qui posent sur FB avec des t-shirts super jolis avec du design et de la couleur et pas un seul ne semble fripé ou chiffonné. Vous êtes un campagnard, ce qui veut dire que vous ne pouvez plus prétendre à être à l’avant-garde et vous le revendiquez, puisque, look ! ça se voit aux trous que vous portez. Toutes les semaines, vous zappez sur D&Co sur M6 et vous réalisez que presque tout ce qui est montré est juste dernier cri. Vous aviez l’habitude de vous moquer gentiment de cette émission et là, le moindre carrelage est joli, teinté dans la masse, le moindre mur de salle de bains est un alliage super moderne que vous pouvez rayer comme vous voulez puisque ça s’efface d’un coup de chiffon. Et tout est comme ça, sortant juste des derniers salons de déco.

Alors, je mets une bûche dans la cheminée, je me sers un verre de jus de pamplemousse hard discount de Carrefour et soudain la peinture de ma cuisine apparaît telle qu’elle est : vieille de 5 ans. Horreur ! M6 a réussi à me foutre la honte, il est temps que je donne un coup de jeune à ma maison. Je réalise que je n’ai pas touché de pinceau depuis 4 mois. Que mon jardin, vu sous un certain angle, est délaissé. Que la fouine qui s’est installée dans mon grenier se sent si bien chez moi qu’elle a décidé de laisser une petite crotte (très jolie mind you) sur chaque fenêtre du 1er étage pour signifier : « Ici c’est chez moi, pas chez lui ». Que l’énorme rosier Mermaid n’est toujours pas taillé.

Il y a un an ou deux, quand je suis allé à Londres, j’ai été épaté de voir que tous les appartements des gens que je connaissais avaient bénéficié d’un extrême make over. Je ne sais pas si c’était le plombier polonais ou quoi, mais chaque appartement avait été refait à neuf. La cuisine, la salle de bains, les toilettes, l’escalier. C’était surprenant, surtout quand on a connu les salles de bains londoniennes des années 80 et 90, toujours froides, jamais isolées en hiver. Ce que je veux dire, c’est que nous sommes entourés de sollicitations qui aboutissent à des complexes qui nous amènent à dépenser, même si, au fond, la peinture de la cuisine est toujours propre. Même pour ramasser les cendres de la cheminée, il y a un seau particulier dans un salon international de déco.

Et je ne vais pas raconter ici l’histoire du tisonnier à 16.000 F (c'est une vieille histoire) de Bettina Graziani car c’est un private joke familial.

2 commentaires:

stef de lyon a dit…

Sinon "Feu de cheminée" chez Dyptique, ça fait l'affaire et personne n'y voit que du...feu !

Anonyme a dit…

Pour une soirée au coin du feu réussie, rapprocher le canapé, prévoir des couvertures moelleuses, un tapis épais, un vin vieux. Le plus difficile étant de convaincre un jeune homme frileux d’affronter une route enneigée au fin fond de la campagne pour vous rejoindre. S’il accepte les reflets du feu sur la peau c’est très joli.