samedi 6 février 2021

Avis aux éditeurs

Je peux enfin l'annoncer : j'ai fini mon livre sur le porno, qui m'aura occupé pendant des années, dont je suis satisfait, mais qui est aura été le plus compliqué à terminer. Son titre provisoire, "I Love Porn", est une déclaration positive et politique, une anthologie sexuelle qui raconte l'essor de ce média et qui rassemble les références des nombreux articles écrits au fil des ans sur le sujet, pour des médias ou pour mon site perso. C'est l'équivalent du livre sur la musique que je n'ai jamais écrit, mais sur la sexualité. 

Pourquoi un tel retard ? Il faut remonter à 2017 qui fut une année difficile. La sortie de "120BPM" m'a occupé pendant six mois, j'ai traversé le pays pour présenter le film et j'ai finalement pris la place d'un community manager bénévole face aux centaines de messages que je recevais et à qui il fallait répondre. A force de voyager, je me suis appauvri. Je n'avais plus le temps d'écrire. Je n'avais aucune expérience du monde du cinéma, un média autrement plus puissant que tout ce que je connaissais. Découvrir le faste de Cannes et retrouver chez moi mon statut de RSA ne m'a pas vraiment amusé.

 

Je n'entrerai pas ici sur le clash avec la boîte de production du film, mais j'ai fini par en avoir marre de me faire avoir. Ce n'est pas la première fois qu'un aspect de ma vie sert de base pour une création littéraire, théâtrale ou cinématographique. Et à chaque fois, j'en sors plus usé et démuni qu'avant. Finalement, c'est de l'exploitation. Quelques mois après Cannes, mon compte en banque était à découvert et il aura fallu plus d'un mois pour recevoir le versement des 1500€ qui m'étaient dus. D'un côté un ego qui grossissait trop vite, de l'autre la conviction grandissante que mon engagement sert à faire de l'argent - pour les autres. Ce qui a provoqué le tweet sur l'affaire Weinstein et les conséquences que l'on sait. J'ai retiré mes comptes Twitter et Facebook, je me suis excusé, j'ai reçu des insultes qui font encore mal aujourd'hui. Ma seule solution était de me faire oublier pendant deux ans et d'abdiquer. Pas le meilleur moment pour sortir un livre. 

 

C'est un passage presque obligé dans le journalisme à l'époque de Twitter.  Il y a des hauts et des bas, et il faut accepter ces catastrophes avec la même dignité que les bons moments. Je croyais que "120BPM" allait m'aider, mais j'ai tout détruit en prenant la grosse tête. J'ai aussi mieux compris pourquoi je me suis toujours méfié du milieu du cinéma, un monde où les affaires d'abus et d'inceste sont si courantes. C'est un monde fermé, obscur, magouilleur, qui me dégoûte en fait.

 

Et puis, pendant ces voyages à travers la France pour présenter le film, quelque chose est arrivé. Après des années de problèmes dentaires (un truc de séropo), j'ai commencé à perdre mes dents. Toutes les incisives ont commencé à bouger, puis se déchausser. J'avais peur de manger. Ma hantise était de me retrouver devant un public et de voir une dent tomber. Ce qui m'est d'ailleurs arrivé à Bruxelles, heureusement devant des gays peu nombreux et compréhensifs. Pendant cet été si émotif, j'étais aussi en plein déménagement pour m'installer dans cette petite maison que me prête mon amie Chantal. Tristesse de quitter mon ancien jardin, surexposition médiatique, dégringolade financière, les conditions idéales pour un soixantième anniversaire.

 

Quelques semaines plus tard, je perdais toutes mes dents de devant. À cause des effets secondaires des traitements VIH, les os de mes mâchoires étaient trop fragiles, impossible d'y mettre des implants. Je suis devenu un "sans dents". J'ai commencé une nouvelle vie, avec deux appareils dentaires. Et ça m'a foutu en l'air, il m'a fallu deux ans pour commencer à m'y habituer. Entre parenthèses, je trouve incroyable qu'on ne parle pas de ce problème dans notre communauté où c'est un tabou total. J'ai dû assimiler ces changements en silence. D'ailleurs cela n'a pas arrangé ma vie sexuelle puisque ça va faire deux ans que je n'ai pas eu de rencontre (c'est vrai que le Covid n'aide pas non plus). Bref, l'image de soi en a pris un coup, et cela ne m'a pas vraiment encouragé à écrire. 

 

Début 2018, un ami m'a offert un petit job alimentaire d'écriture. C'était la première fois qu'on me disait : "J'ai un boulot en trop, est-ce que ça t’intéresse ?". J'étais fauché, j'ai accepté avec plaisir. Écrire tous les jours une petite brève de news est un boulot facile, mais ça demande une certaine concentration. Ça m'a déstabilisé dans mon écriture, mais je n'ai pourtant pas arrêté de prendre des notes sur ce livre. Et je me disais que si ces notes affluaient toujours, c'est que le livre n'était pas terminé dans ma tête. Quand on arrête de prendre des notes, c'est que le sujet est plein, qu'il est temps de conclure.

 

Je suis devenu plus humble. La leçon a été retenue. Je me suis aussi consacré davantage à ma mère, qui vit à 35kms et qui a eu des problèmes de santé. Je me suis forcé à être plus patient, plus attentif, et cela aussi bouffe beaucoup d'énergie. Heureusement des amis et des inconnus m'ont aidé financièrement, je ne sais pas comment j'aurais fait autrement. Je suis en train d'écrire un projet pour les remercier.

 

Maintenant il faut trouver une maison d'édition.

So spread the Word. 

Comme ce livre est truffé de références journalistiques, de scènes porno et de livres, une version à la fois papier et digitale semble obligatoire. Et puisque plusieurs chapitres décrivent la production internationale, ce livre aura peut-être un intérêt à l'étranger. Je l'ai écrit dans ce sens. C'est aussi un ouvrage avec des entrées multiples, on peut le commencer n'importe où. Qui sait, ce sera peut-être mon dernier livre et je suis heureux de voir qu'il apporte un message positif et moderne sur la sexualité LGBT, ce qui change de mes livres précédents, beaucoup plus axés sur les échecs politiques de la communauté. Si ce livre sort, je réfléchirai ensuite à un petit essai de 100 pages sur la musique, résumé d'une carrière journalistique, le livre que mes amis me reprochent de ne pas avoir écrit. Et si personne n'est intéressé, je commencerai mes mémoires, car il est temps. 

 

Un extrait exclusif, dans le chapitre sur la musique :

Musique et porno

Aujourd'hui le porno est essentiellement en son direct, chez les gays ou les hétéros. C'est un des legs majeurs du cinéma amateur qui n'a ni les moyens, ni l'envie, de recouvrir les dialogues ou les gémissements d'une muzak que personne n'écoute. Le son direct paraît si évident de nos jours que les jeunes "écoutent" le porno avec le casque comme ils écoutent leur musique. Il semblerait en effet criminel d'ôter la parole des Brésiliens quand ils baisent ou des japonaises quand elles miaulent. Récemment, de nombreux articles ont commencé à analyser l’apport de la musique dans le porno, surtout hétéro, que certains appellent « porn groove ». Pourtant, pendant de longues années, jusque dans les années 90, la musique était le moyen de masquer l'origine géographique ou nationale des acteurs. L'envie commerciale de produire un X international où les acteurs provenant de pays différents sont noyés dans une langue unique, a volontairement caché les particularités linguistiques. Les onomatopées du sexe se sont uniformisées. 

 

Je suis pourtant arrivé dans le porno avec une oreille attentive.  Mon film séminal, "Muscle Beach" de Colt, avait une muzak légère presque jazzy qui m'a tout d'abord estomaqué. Avec ce film, je me suis tout de suite intéressé au support musical du porno, sachant que c'était le seul endroit où la musique qu'écoutaient les gays était associée à leur nudité, à part les backrooms des clubs. Et forcément, j'ai vite reconnu que la BO des films Fox Studio du début des années 80 était composée par le producteur de disco Patrick Cowley. En 2013, un petit label de San Francisco, Dark Entries, a surpris tout le monde en ressortant une compilation des meilleurs morceaux de films produits par Cowley. La presse musicale et générale s'en est emparée, c'est comme si on redécouvrait un joyau musical enfoui dans le temps. Plus récemment, le label du Bergain A-Ton a annoncé la sortie de la BO d’un film porno inconnu.

 

La musique est une des signatures d'un studio, comme sa typo ou son logo. Elle marque l'ensemble des titres dans une continuité de production avec souvent un thème mélodique qui finit par être associé à un certain genre de sexe. Par exemple dans "Darkroom" de Mustang, le riff de guitare est inséré dans l'éditing au moment où le réalisateur considère que l'action est parvenue à un nouveau palier d'excitation, pour rajouter un crescendo d'excitation. La base de la musique est un groove espacé où les synthés servent de fond sonore alors que les guitares, autre signature du studio, donne une impression de rock indépendant. 

Les films porno 70 étaient intéressants car autant la musique pouvait être une disco faite au kilomètre, autant on pouvait entendre de temps en temps un disque de rare groove, assez inconnu pour être volé sans payer les droits. Parfois un tube disco déboulait sans prévenir. Il faut se rappeler qu'à l'époque ce furent les sonorités rock et jazzy qui permettaient de mettre des instrumentaux sur les images. Falcon a fait ça pendant des années avec des morceaux qui avaient un aspect rugueux qui allait très bien avec le grain épais des pellicules. Ce mélange jazz/rock est aussi ce que l'on entend sur la BO de "Cruising", le célèbre film de William Friedkin où Al Pacino est un policier enquêtant dans le milieu SM de New York. 


Souvent, c'était le même loop qui était utilisé sur plusieurs films, ce qui signait la marque du studio, particulièrement chez les anciens films de Falcon. Mais parfois un thème musical était spécialement créé pour un film important comme "These Bases Are Loaded" qui est en soi un des meilleurs films témoin de son époque. Et puis il y a ce film où Jeff Striker montait sur scène pour jouer avec un (mauvais) groupe de rock. Plus tard, la musique des films de Kristen Bjorn rejoint une muzak d’adagios de guitare, comme pour rajouter de l’exotisme culturel. La mauvaise disco des années 80 est particulièrement présente dans les films brésiliens (« Brazilian Students – Paulo Guina Shower Scene »). Dans une autre scène avec Paul Guinoa, « Fishing Pole », on entend des oiseaux chanter dans les jardins et il y a même un marchand ambulant qui passe dans la rue d’à côté. Dans « Sex in the City » (Man Avenue), avec Berne Banks & Girth Brooks, la soft disco est très proche de celle  de Metro Area. Dans « Muscle stud Bobby Blake fucks White boy », on entend une musique improbable de ballades Country & Western. Dans « When Jamaica meets Puerto Rico » (RawFuckClub, 2019), on entend pour la première fois de la musique africaine écoutée par des Afro-américains. D’ailleurs, l’acteur Rhyhem Shabazz choisit lui-même la musique d’une scène de JustForFans (une variante de OnlyFans) avec du Quiet Storm et, pour la première fois en quarante ans de porno, « I Want You » de Marvin Gaye. De temps en temps, on entend le galop d’un cavalier dans le péplum « Sacred Band of Thebes » (Men, 2019), juste pour nous rappeler que le champ de bataille n’est pas loin. Dans « Pizza Cazonne (Cazzo, 2009), on a l’exemple typique de deep house idéale pour porno, pendant que Matt Hughes baise une pâte à pizza.