dimanche 7 octobre 2018

My rules


Beaucoup de monde chez moi cet été et cet automne, Brahim et Thierry Smits que je n'avais pas vu depuis les années 80, Jean-Christophe Breysse, Arthur Gillet, Lewis et Laurent Chambon de Minorités.org, Marc Endeweld son boyfriend Sébastien, Rémy, Kader et Fred, qui m'ont tous aidé à rentrer du bois ou bouger de grosses tôles métalliques dans le jardin. Après toutes ces années à accueillir des gens à la campagne, j'ai développé une hospitalité qui est personnelle, un mélange de l'influence de mes frères et de mes racines pied-noir.

La règle première quand on vient chez moi, c'est que je n'ai pas besoin de cadeau. J'ai une aversion pour le chichi gay et à moins de m'offrir une petite barrette de shit (seul cadeau précieux difficile à trouver dans le coin), je considère que le vrai cadeau, c'est la présence de ces amis. Donc pas de dépenses inutiles, pas besoin de rajouter de la consommation quand on vient dans la maison d'un homme qui croit à la décroissance. Je sais que certains aspects de ma maison sont sous-standard, je n'ai pas de cuisine super équipée ou de salle de bains minimale et conceptuelle, mais presque tout fonctionne et cela me suffit.

La seconde règle est : vous ne faites rien, je m'occupe de tout. Si vous voulez vraiment cuisiner, OK, amusez-vous, mais autrement je fais tout, la cuisine, la vaisselle, les courses. Un week-end est trop court pour imposer la vaisselle à quiconque, je déteste ce genre d'activité en groupe, et ce depuis que cet amour de Mustapha m'a réveillé un jour parce qu'il faisait la vaisselle de bon matin et que j'entendais tout de mon lit. Donc depuis, interdiction de faire du bruit le matin. Je cuisine des choses simples, je ne me vois pas du tout comme un cuisinier, mais je fais des plats équilibrés et appétissants qui ne demandent pas des heures de préparation. Depuis tout petit, je trouve que le temps passé à table est hautement surévalué et j'ai très peu de patience envers les dîners qui s'éternisent, peut-être une des raisons de mon désintérêt pour les restaurants. C'est comme les gens qui mettent des heures à se séparer devant la porte de la maison, ça me rend dingue. Enough already! Chez moi, les repas sont rapides, à moins de manger dehors avec un barbecue où là, il n'y a pas de limite à la décontraction et au farniente. Je suis un spécialiste des grillades, en été mon cadeau de bienvenue est souvent un plat de sardines grillées, quelque chose que les parisiens ont rarement l'occasion de manger (à cause de l'odeur). Bien sûr, je ne suis pas végétarien, mais je m'adapte quand les amis le sont, dans ce cas la cuisine est à eux car ils ont leurs habitudes et leurs besoins. 

La troisième règle de la maison est : vous vous servez. Encore une fois, mon dégoût  du chichi encourage les invités à se servir avant de demander. Le réfrigérateur est là, les biscuits et les fruits aussi, vous faites comme chez vous. J'adore les gens qui se font un thé sans avoir à demander. Je trouve ça masculin. 

La dernière grande règle est : vous dormez autant que vous voulez. Je pars du principe que lorsque qu'on vient à la campagne, c'est pour échapper à la vie citadine et même pour un week-end, j'attends que mes amis se reposent. Ils peuvent faire la grasse matinée jusqu'à midi, jusqu'à 14h ou plus. Plus ils dorment et plus je suis content. J'ai alors l'impression de servir à quelque chose lol. C'est sûrement les souvenirs d'Hervé Gauchet et d'autres amis malades qui sont restés chez moi pour se refaire une santé, je vois ma maison comme une cure de repos. Et je ne suis pas du tout du genre à m'offusquer par exemple s'il y en a un qui manque au déjeuner. Je crois que le calme de cette maison et de la précédente est le premier cadeau pour mes invités. S'ils rentrent reposés à la ville, alors j'ai servi à quelque chose. J'aime quand les invités vont bouquiner dans un coin du jardin ou devant la cheminée ou dans leur chambre. S'ils ont du travail à terminer, je comprends. Je suis moins content quand ils passent leur temps sur leur portable ou leur ordi, parce qu'ils devraient faire une pause, mais hey, c'est 2018 et je ne vais pas non plus les embêter avec ça.

Bien sûr, comme je suis désormais vieux, j'adore qu'on me demande si j'ai besoin d'aide dans le jardin (mais je ne suis pas vexé si on ne me le demande pas hé ho!). Il y a des amis qui ne savent rien ou qui ont peur de tout dès qu'ils sortent de la maison et j'essaye de ne pas le relever. D'autres ont vraiment envie de se défouler et ils sont précieux pour couper des branches, faire des fagots de bois ou débroussailler. Mon jardin est ainsi le résultat de collaborations amicales. Untel à aidé à bouger tel rocher, un autre m'a aidé à porter les meubles de jardin en haut du terrain, un autre a fauché les fougères Aigle dans le bois. Je crois que je vais finir par leur demander de tailler leurs noms dans les troncs des gros chênes. Je trouve romantique de retrouver la trace de leur passage des mois ou des années après. Comme je vis seul, leur présence se manifeste à chaque fois que je traverse le terrain (ce qui est souvent!) et cela réduit le sentiment de solitude qui est vécu par presque toutes les personnes âgées. 

Par exemple, je vais bientôt ouvrir un compte Instagram uniquement pour partager ce que je fais dans ce jardin, avec no selfie, uniquement sur les plantes et les détails de ce que je fais (il y aura un autre texte sur ce blog pour l'annoncer officiellement). Je sais déjà que je fais dédier certains arbres achetés grâce à la générosité des amis. Il y aura un cerisier Chantal, un rosier Solange Fille de Pau, un prunier Clarisse Bui, un pommier d'ornement Philippe Coulavin, etc., avec une étiquette et tout. Et quand j'aurai fini mon potager et que les fruitiers donneront, je serai heureux de préparer un cageot de fruits et de légumes à emporter quand les amis se préparent à rentrer à Paris, comme cela se faisait à la ferme quand j'étais jeune. Et puis je suis toujours content d'offrir quelques plantes dont je n'ai pas besoin.

Ma manière d'accueillir les gens est le résultat de l'éducation familiale et de la liberté d'être gay. Ma mère m'a toujours dit que la literie était importante et qu'il fallait des draps simples mais fraîchement lavés. Mon père m'a appris à faire le ménage tout seul et mettre un bouquet de fleurs dans la chambre des invités. Mon frère Lala, le meilleur hôte de la famille, m'a appris la décontraction, exactement comme mes frères Thierry et Philippe qui sont totalement dénués de bullshit. J'adore les amis qui apportent des films ou des documentaires à regarder ensemble le soir. J'adore que les gens me tiennent au courant de leur vie sentimentale ou qu'ils me racontent leurs voyages. J'aime aussi savoir où ils en sont politiquement. Mais la base de mon plaisir d'hôte, c'est de me mettre en retrait pour que les invités aient des moments à eux, surtout quand ils sont en couple. S'ils ont envie de s'amuser dans leur chambre, je vais dans le jardin ou je vais faire les courses. J'adore les amener à la plage du lac qui se trouve à trois kilomètres pour l'après midi. J'adore leur faire découvrir des classiques de cinéma ou de stand-up.  

Alors, bien sûr, ces règles un peu rigides provoquent des gags. Quand Myriam et Peggy sont venues il y a quelques années, je faisais attention à ce que la lunette des toilettes soit toujours baissée. Or Peggy est tellement géniale, en tant que lesbienne pas coincée, elle remontait la lunette en sortant, assumant que c'était, après tout, une maison de garçons. Après deux jours de ce manège, il a fallu mettre les pendules à l'heure : 
- "Mais, je le faisais pour vous!"
- "Mais non Peggy, il y a des filles dans la maison, c'est la moindre des choses!"
- "Ah bon, d'accord, comme tu veux!"

Quand Brahim est venu au mois de juillet, je l'ai surpris en train de nettoyer l'évier de la cuisine où des traces de peinture restaient après avoir peint le sol. Comme je plaisantais qu'il n'avait pas à faire ça, il a prétendu nettoyer les légumes. Les Arabes font toujours des trucs adorables comme ça, comme prendre l'initiative de réparer une prise électrique ou de mettre de l'ordre sur une table de jardin où traîne un paquet d'outils. Mustapha, c'était pire, il profitait de ma sortie dans le jardin pour passer l'aspirateur, ce que faisait Lewis aussi. Il y a donc une catégorie supérieure d'amis qui font des choses interdites parce qu'ils ont une autorité ou une générosité qui font dire : "Bon écoute, on se connaît depuis longtemps donc tes règles, c'est pour les autres ok?". It's sweet.

La seule chose que je demande, c'est une heure seul avant d'aller me coucher. J'ai besoin de ce moment à moi, soit pour regarder du porno ou un truc sur Netflix, soit pour ranger la cuisine pour le petit déjeuner, soit pour sortir sur la terrasse après la prise de mes médicaments. C'est le seul moment qui me permet de faire le point, revenir sur les moments agréables (ou parfois embarrassants!) de la journée, préparer le lendemain, réfléchir à mon travail, prendre des notes. Après une journée à m'occuper des autres, j'ai absolument besoin de cette solitude pour me nettoyer la tête, surtout quand le feu de la cheminée brûle encore ou qu'un clair de lune éclaire la terrasse. Pendant longtemps, j'ai cru qu'il y aurait forcément un homme que ce type de refuge loin de la ville attirerait, j'ai même écrit un livre sur ça mais les années passent et il faut bien admettre que les gays de ce pays se séparent de plus en plus de la nature. C'est l'air du temps, à un moment où l'écologie est de plus en plus pressante. Twitter, Facebook et Instagram replacent désormais les arbres.