vendredi 15 novembre 2019

Le voile est un geste punk



La manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre dernier a éyé un succès. Plus de 13.000 personnes dans les rues de Paris, dans une ambiance joyeuse malgré la gravité de la situation, pas d’incident, c’est une première historique depuis longtemps. Et malg
La manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre dernier a été un succès. Plus de 13.000 personnes dans les rues de Paris, dans une ambiance joyeuse malgré la gravité de la situation, pas d’incident, et beaucoup de personnes LGBT dans le cortège. C’est une première historique depuis longtemps. Et malgré une campagne médiatique haineuse avant, pendant et après la manif qui aboutit, aujourd’hui, à des menaces de mort envers les organisateurs. 
J’avais écrit ce texte pour Slate, avant le 10 novembre, en geste de soutien. Mais cette publication a été retardée, elle n’est pas sortie à temps, donc j’ai décidé de la poster sur mon blog.
Here it is.

Le voile est un geste punk

Comme je parle du voile avec tous les gens que je connais, pour voir où ils en sont, parce que je considère que c’est un marqueur politique fondamental, le fils de ma meilleure amie m'a sorti cette phrase définitive il y a trois ans, lors de la première affaire du burkini. "Mais le port du voile, c'est un geste punk!" Ce cri du cœur est devenu un leitmotiv personnel, et offre un nouvel angle d'analyse sociale sur un des sujets qui déchire le pays.

Tout d'abord, je comprendrai très bien que des personnes croyantes se mettent en colère face à une idée saugrenue venant d'une personne athée. Pour avoir été un gay punk dans les années 70, je sais que la foi religieuse n'est pas vraiment comparable au mouvement punk. Le slogan de l'époque, "No future", n'a rien à voir avec la profondeur des préceptes du Coran ou de toute autre religion. Mais le mouvement punk était surtout une réponse à une société bloquée où l'acceptation de la jeunesse, des minorités et des individualités était encore plus réduite qu'aujourd'hui. Les punks étaient détestés par la société, les médias, le Français moyen.

Le look des punks était plus important que la musique dont il était issu, c'était un moyen de reconnaissance afin de faire pression sur la société, pour qu'elle change enfin. Il fallait choquer, au risque d'être battu dans la rue à la fois par les rockers et les fachos, exactement comme les cheveux longs et les coupes afro ont été un signe de rébellion dans les années 60. Et si le punk a été un mouvement assez bref, entre 1975 et 1980, il a définitivement influencé la culture des années 80 dans un renouveau de l'engagement politique, surtout dans la musique.

Apartheid institutionnel

Depuis des années en France, les femmes musulmanes sont écartées de toute visibilité. On leur a interdit l'accès à la fonction publique, ce qui a motivé, d'ailleurs, un repli qui a encouragé des formes de télétravail ou d'entreprenariat associatif, notamment en banlieue. Cette discrimination, quasi unique en Europe, est le fait d'un État universaliste qui cherche à détruire le dynamisme communautaire et tout concept minoritaire. Les femmes sont les premières à souffrir de cette politique d'exclusion, mais leurs maris, leurs enfants, leurs familles en souffrent tout autant. La violence non contrôlée des médias est une source de colère nourrie tous les jours, sans cesse, depuis plus de deux décennies. Les débats sur le port du voile en France sont une honte internationale.

Et pourtant cette communauté musulmane encaisse les coups sans provoquer des manifestations monstres justifiées. Les immigrés et les descendants d'immigrés représentaient en 2018 14 millions de personnes, soit 20,9% de la population française, mais vous ne les voyez pas dans les rues pour protester. Les cathos, on les voit. Les musulmans cultivent la réserve. Ou la crainte.

Il faut dire que depuis les émeutes de 2005, les banlieues n'attendent plus rien de l'État. Le divorce est officiel. Discrimination à l'embauche, niveau record de chômage, profilage et violences policières, invisibilité dans les médias, liberté de culte bafouée (il faudrait comprendre une bonne fois pour toutes que les prières de rue existent parce que les maires refusent d'accorder le droit d'édifier des mosquées), refus du droit de vote pour les immigrés et absence de données statistiques sur les populations racisées, la vie des musulman(e)s est marquée par un apartheid institutionnel.

Encore une fois, il suffit de traverser la Manche ou les Pyrénées pour voir que la France est la pire en termes d'intégration. Un seul exemple parmi des milliers : le documentaire de Doug Saunders, programmé sur Arte en 2017, qui comparaissait les politiques d'accueil des migrants d'Istanbul, Londres, Berlin, Amsterdam et... Évry. La France était le seul pays incapable d'établir des quartier-tremplin qui permettent une immigration bénéfique pour l'ensemble de la population.

Un refus communautaire (presque) généralisé

En portant le voile ou le burkini, les musulmanes adoptent bien sûr avant tout un signe religieux qui valorise la pudeur, dans un monde qui en manque de moins en moins. Mais elles sont à l'avant garde d'un comportement qui est un signe de contestation et de colère intériorisée. C'est leur manière de répondre à la haine de l'État républicain qui refuse en bloc l'idée identitaire pour les minorités tout en privilégiant le soi-disant modèle laïc. Ces femmes sont un exemple de désobéissance civile, rappelant les mouvements des droits civiques par la visibilité et le nombre, exactement comme la communauté LGBT est passée par une visibilité des individus dans la rue, qu'ils soient gays, lesbiennes, bi, trans.

La société française voudrait nous voir sans signes distinctifs et le retard de la mémoire des archives LGBT est exactement le même qui touche au passé colonial de ce pays. On voit très bien que cette amnésie forcée est un enjeu de pouvoir. Seule la communauté juive a obtenu un droit au souvenir, la récente inauguration du Centre européen du Judaïsme par le Président de la République en atteste. Et cette préférence pour une minorité choisie alimente une frustration de la part des autres minorités qui, elles aussi, ont beaucoup souffert dans le passé.

En tant qu'athée, ancien laïcard forcené pendant mon adolescence, je comprends aussi la gêne des LGBT sur ce sujet. A la base, la religion, c'est le cauchemar des sexualités. Et puis il y a cet argument pervers, que j'ai entendu tant de fois chez beaucoup de gays : "Je m'intéresserai au sort des femmes voilées quand les pays arabes ne seront plus homophobes", ce qui revient à faire du Caroline Fourest. Mais en vieillissant, depuis trente ans, je vois bien que ce qui me choque le plus, c'est d'empêcher le droit universel de croire selon ses convictions. D'athée intransigeant, je suis devenu un athée tolérant car je suis né en Algérie, je fais partie de la dernière génération des Pieds-Noirs, et j'ai une dette personnelle envers toute l'Afrique.

Donc la vue de signes religieux ne me gêne pas, au contraire, je la trouve belle désormais. C'est un symbole indigène, et n'oublions pas que les colons français ont tout fait pour interdire le voile pendant les pires années de la guerre d'indépendance. J'ai du respect pour le combat de ces femmes et je voudrais leur témoigner mon soutien. D'une manière plus large, je pense que l'homosexualité devrait être naturellement du côté des femmes voilées. 

"Live discreetly"

La série "Years and Years" illustre très bien les pressions exercées par les forces laïcardes ou catholiques de droite et de gauche qui voudraient faire en sorte que toutes les minorités "vivent discrètement", comme pour enrayer la visibilité des femmes qui accèdent au droit à la PMA, des jeunes trans qui font leur coming-out, des femmes voilées, des musulmans barbus, des gays trop extravagants. C'est un courant européen populiste qui touche les pays de l'est de l'Europe comme la France et qui fustige les Queer studies, la montée en puissance du discours décolonial, le nouveau radicalisme écolo, etc.

Après des semaines de bourrage de crâne médiatique contre le port du voile, il est temps de répondre et de se coordonner. Ce rassemblement des minorités se voit dans la liste des signataires pour la manifestation du 10 novembre contre l'islamophobie ou l'appel des organisateurs de l'action contre CNews :"On va plus rester devant la télé sans rien faire [...] On va se battre. Tous ensemble, unis, qu'on soit musulman, juif, athée, homosexuel, on doit être unis parce que la France c'est nous". Mais il ne suffit pas de manifester, il faut personnaliser le combat. A un moment où la convergence des luttes est possible, il faut s’engager pour réduire ce bruit médiatique qui fait tant de mal à beaucoup de monde. Ce n'est pas CNews qu'il faut faire plier, c'est Zemmour lui-même. Il faut le confronter partout où il va, comme faisait Act Up contre ses ennemis, quand on réveillait les ministres ou les PDG de labos pharmaceutiques à 5 heures du matin, à leur domicile. Ça aussi, c'est de la désobéissance civile.

Le voile, symbole des minorités

En tant que gay, je sais que l'identité est désormais le principal moteur du mouvement LGBT. La frontière politique apportée par les personnes transgenres nous appelle à évoluer sur notre acceptation de celles et de ceux qui restent en marge de la société. Le port du voile est ainsi une affirmation identitaire qui force à la réflexion. "Vous ne voulez pas de nous? Ok, je vais porter le voile". C'est un acte de protection et de visibilité, exactement comme la Gay Pride l'a été pour nous.

On le voit à travers des vidéos de défiance humoristique où des femmes voilées se filment en mettant un, deux, trois foulards l'un sur l'autre pour appuyer le message. Ou des déclarations d'hommes non croyants, sur Twitter, qui disent être prêts à porter le voile en signe de soutien. Pour la société, ce soutien est "communautariste". Non, il est humain, généreux, solidaire. On empêche cette communauté d’en être une alors qu’à la télé, on peut entendre dire « la communauté LGBT ». Une communauté, c’est un quartier, une ville, une vie associative et politique, quelque chose qui a de la valeur. Après tout, la communauté, c'est cet espace vers lequel on se tourne quand l'État ne fait pas son travail.

Enfin, à mes risques et périls, je pose la question que je vois nulle part sur les réseaux sociaux. Maintenant, il est clair que les messages de haine à l'encontre des musulmans proviennent particulièrement de personnalités juives comme Zemmour, Goldnadel, Finkielkraut, etc. Et ne me dites pas que vous ne l'avez pas remarqué. Une pétition contre Zemmour a récolté plus de 300.000 personnes, soit le tiers de celle sur la privatisation d’ADP. N'est-il pas temps de demander à la communauté juive de se désolidariser de ces personnalités qui ont un discours si toxique dans la société française? 




vendredi 5 avril 2019

Des nouvelles


Je suis bien conscient que je n'ai jamais aussi peu écrit sur ce blog depuis des années. Comme tout le monde ou presque, je suis affecté par l'actualité et la perte de temps liée aux réseaux sociaux. Tous les jours, je vois des messages sur Twitter qui ne provoquent aucune réaction et le mouvement des gilets jaunes, que je soutiens, suscite un mépris politique qui me déprime. On dirait qu'il n'y a plus qu'une vingtaine de personnes qui expriment des sentiments sincères. Le défaitisme prend des proportions internationales.  Heureusement que les choses se passent bien en Algérie, pour l'instant.

Tous les trois mois, je dois désormais m'adapter à un nouveau signe de la vieillesse, une fatigue face à l'effort que je ne connaissais pas avant, le besoin de faire la sieste en fin d'après-midi sans trop culpabiliser, le besoin aussi de me vider la tête tous les soirs sur Netflix, une boulimie de documentaires à la télé sur les pays lointains, les voyages que je ne ferai jamais car j'ai accepté désormais que ces pays, comme la Nouvelle Zélande ou le Brésil sont hors de portée, financièrement, physiquement, sentimentalement.
L'année dernière a été un tournant, j'ai mis six mois pour m'adapter à mes derniers soins dentaires. J'ai accepté progressivement que la solitude serait désormais permanente, et puis, à 60 ans, il faut bien se résoudre au fait qu'il faut arrêter de chercher quelqu'un. Cette solitude est celle des personnes âgées en général et elle ne me dérange plus, c'est comme si je m'étais libéré de cette obligation. Le travail sur cet âge, c'est précisément de s'adapter. Les discussions hebdomadaires avec ma mère abordent souvent ce sujet : c'est pas si mal d'être enfin tranquille. Depuis l'été dernier, j'ai rencontré deux hommes noirs qui se sont bien occupés de moi, mais rien de sérieux. Je suis beaucoup plus apaisé sur ce sujet, sûrement parce que je me dis que si quelqu'un était intéressé je le saurais, donc cela veut dire que cela ne sert à rien d'attendre. Ma dernière sortie en club a été une autre leçon : je me suis dit qu'il fallait vraiment arrêter (la tête des kids quand ils voient un pappy est gérable à minuit, beaucoup moins à 3 heures du matin lol). Ma sédentarité s'est accentuée, j'ai énormément ralenti mes voyages et les interventions à l'extérieur et, à vrai dire, j'ai du mal avec la ville désormais, je n'y trouve aucun intérêt et je quitte toujours ma maison avec regret. 

Mon jardin et la nature ont pris presque toute la place. Je sens toujours grandir en moi cette passion, tous les soirs avant de m'endormir je suis dans une rêverie de ce qui reste à faire ou de ce que j'ai fait dans la journée. Le terrain est si grand ici que la moitié du jardin est toujours à défricher, les ronces occupent encore un bon hectare. Quand ça va mal, ou au contraire quand je suis en forme, je prends mon sécateur et je m'attaque à une montagne de ronces. Je n'ai plus la force physique de manier une débroussailleuse, pourtant beaucoup plus efficace, alors je coupe les ronces tige par tige pour ne pas être écorché de tous les côtés. Ces bêtes sont incroyablement insidieuses, elles ont une manière de se défendre bien à elles. Je fais des gros tas de branches en avançant dans le massif et quand j'arrive au sixième ou septième tas, je considère que j'ai bien passé mon après-midi. Je récupère des surfaces qui deviendront une prairie fleurie. L'air et la lumière nourrissent la perspective. L'accès à la forêt est plus ouvert, le bûcheron a fini de couper les arbres morts, il est enfin temps de replanter le sous-bois qui a été détruit lors du grand feuEt puis, il y a le potager et l'accès direct à la maison qui sont en voie d'être terminés, ce sera fini ce printemps. Retourner la terre sur 15 mètres a été épuisant, ainsi que le décaissement de l'allée centrale, mais j'y suis allé méthodiquement, patiemment, même si pour l'instant cela ressemble toujours à un chantier pas vraiment esthétique. 

Cette passion pour la nature dévore tout le reste, dépassant le travail d'écriture, le livre sur le porno à terminer, même le rendu de certains articles. Après tout, je suis entré dans une période de préretraite et je ne sens moins dans l'obligation de "produire". Mon métier de journaliste n'a pas bonne réputation, il est détruit jour après jour par les enjeux politiques et après mon tweet de 2017, je savais qu'une année sabbatique ne ferait de mal à personne. Cet hiver, j'ai fini de vendre ma collection de disques, ce qui m'a permis de prendre deux mois à l'écart, ce ne m'était pas arrivé depuis longtemps. Cela fait 17 ans désormais depuis mon départ de Paris et je ne suis plus la même personne, j'ai trouvé ici une indépendance que je ne pourrais pas trouver ailleurs. Je ne me sens plus pressé. Même ce livre sur le porno, qui aurait dû être terminé depuis plus d'un an, il n'y a personne qui peut l'écrire à ma place, je n'ai aucune compétition. Et comme mes autres sujets politiques sont dans l'impasse à cause de la mairie de Paris et du gouvernement actuel (la mémoire LGBT, le centre d'archives, la reconnaissance des militants sida, même la PMA), je dois bien admettre que l'horizon est bouché à court ou moyen terme. 
La colère a toujours été un élément central de mon caractère, elle est de plus en plus alimentée par nos dirigeants qui n'écoutent pas les attentes européennes sur le climat et l'écologie. Pour la première fois de ma vie de militant, j'ai écrit une longue lettre à là ministre de la santé à qui je me suis défini comme "un gilet jaune du sida" et qui m'a répondu, deux mois plus tard, dans le plus grand style "Computer says no". Je m'en doutais, à vrai dire. Ma génération vit dans la précarité et je m'inquiète pour des personnes comme Hélène Azera, toutes celles et ceux qui travaillent sur le souvenir. Les gens nous poussent gentiment vers la sortie.

A la campagne, l'hiver est toujours une épreuve, c'est le deuxième que je passe dans cette maison et ses murs épais me protègent du froid et du manque de lumière. J'ai presque fini de repeindre tous les murs dans un éventail de couleurs nouvelles pour moi, plus flashy, des teintes qui jurent presque entre elles. Presque tous les soirs, le feu dans la cheminée est une présence qui alimente la solitude, le fait de rentrer le bois, s'occuper et entretenir les flammes, choisir une belle bûche, regarder les braises avant d'aller se coucher, c'est comme si je m'adressais mentalement au foyer, me demandant s'il y aura assez de bois avant le mois d'avril. La répétition incroyable des jours que l'on remarque avant d'aller dans la chambre, vérifier que la porte d'entrée est bien fermée, se laver les dents, préparer une bouillotte pour le lit, éteindre les lumières toujours dans le même ordre, quand on devient âgé cette répétition devient presque philosophique. 

Il y a quelques jours, il a enfin plu après des semaines de soleil et j'ai semé à la volée des milliers de graines sur le sol nettoyé de la prairie à venir, plusieurs variétés de pavots et de coquelicots, d'immortelles, de bleuets à fleurs doubles, surtout des fleurs qui nourrissent les abeilles comme du trèfle rouge. J'ai aussi ouvert depuis une semaine ou deux un compte Instagram sur ce jardin, une décision illogique vu ma fatigue des réseaux sociaux mais, cette fois, je ne me laisserai pas envahir par les commentaires et les demandes de discussion. Cet Instagram est purement informatif, je ne cherche pas les likes ou quoi que ce soit, c'est comme un journal de ce bout de terrain qui m'entoure, les petits objets que je dispose ça et là, les plantes qui se ressèment dans des endroits étonnants, les photos prises par les amis de passage - et surtout pas un seul selfie. Ce jardin m'offre la satisfaction que la société me refuse, c'est le seul endroit où je sens aller les choses dans le bon sens, même si le gel ou la sécheresse peuvent tout détruire. Ce sont ces quelques hectares qui me rappellent le chemin parcouru dans cette vie, ils font remonter mes souvenirs d'enfant à la ferme. 
Je commence à penser à écrire "mes mémoires".
Je suis né à la campagne en Algérie et je mourrai à la campagne en France.