mercredi 18 juillet 2012

As One



L'autre jour je suis tombé par hasard (as you do) sur "Fantasy" d'Earth Wind & Fire et en chantonnant machinalement les paroles, j'ai réalisé à quel point cette idée du "As One" a disparu du vocabulaire de la musique moderne. Vous n'entendez plus un tube décrire cette unicité dans un monde où les teenagers, qui décident des orientations de la pop, n'ont plus du tout cette idée dans la tête.

And we will live together
Until the twelfth of never
Our voices will ring forever as one


Comme le décrit si bien Sherry Turkle dans un de ces nombreux articles qui tentent de déchiffrer comment la conversation moderne passe par de nombreux médias comme le SMS et FB, la nouvelle idée moderne c'est d'être "seuls ensemble". La vie contemporaine est remplie de "technologies qui nous offrent l'illusion de la compagnie des autres sans les demandes d'une vraie relation". Les jeunes surtout, communiquent tellement entre eux qu'ils ne supportent plus la solitude. "Quand les gens sont seuls, même pour quelques instants, ils ne tiennent pas en place et se jettent sur n'importe quel appareil. Ici la connexion fonctionne comme un symptôme, pas comme une guérison et notre besoin constant et involontaire de nous connecter à d'autres détermine une nouvelle manière de vivre".


Donc, As One existe toujours, c'est ce besoin d'être seuls ensemble alors que le As One de ma génération était l'espoir de dépasser le racisme sous toutes ses formes. Depuis les années 70, la pop nous incitait à nous rassembler. Les festivals de Woodstock et de l'ile de Wight, c'était ça. Ensuite la disco et danser ensemble, ce qui était totalement nouveau, c'était ça aussi. Ensuite la house et le message messianique de Chicago, la terre promise, c'était ça aussi. Ensuite la techno en a fait un tel symbole, à travers MayDay, la Love Parade et les teknivals, que Dirk Degiorgio reprend le terme pour faire de la deep techno chez Warp. Ce qui est intéressant, c'est que l'idée rebondit en 99 en Asie avec le duo Coréen du même nom...


Nous avons traversé la musique des années 60, 70, 80, 90 avec cette idée à construire et l'idée était si présente dans les paroles des chansons que c'était presque devenu un cliché. On avait presque les yeux au ciel, par une tendre ironie, quand on entendait un disque dans un club qui nous incitait à rassembler nos mains, élever nos esprits, coller nos corps. Earth Wind & Fire parlait de ça dans "Fantasy", un titre qui montre que tout ceci était un rêve et il ne tenait qu'à nous qu'il devienne réalité.


Dans le sexe chez les hétéros, être un c'est dépasser par l'orgasme la différence entre homme et femme. Chez les gays et les lesbiennes, c'est être un dans le réconfort d'une jumellité. Être un avec quelque chose (la nature, la musique, le sport), c'est avoir travaillé au plus profond de soi pour s'abandonner tel que l'on est tout en assimilant tous les codes et les règles qui font que l'on peut faire le grand saut. As One, c'est l'idée d'un habitant de la Terre, non pas parce qu'on est tous pareils comme voudrait nous le faire croire l'universalisme, mais parce qu'on est tous différents. Et très différents.


As One, en tant qu'idée, a disparu des paroles de la musique en une décennie à peine. Tout à coup, le R&B, la techno et la pop ont décidé qu'il fallait tourner la page et adopter le point de vue des kids. Ces derniers vivent ce besoin de rassemblement dans "une nouvelle forme de désillusion qui accepte la simulation de la compassion comme suffisante - pour la journée". Bref, tout est moi moi moi dans ce monde moderne.


As One a perdu sa dimension généreuse. Ces 40 années d'appel au rassemblement ont effectivement révolutionné le monde car nous vivons mieux qu'avant. Mais As One n'est plus une exigence. As One était une idée de camaraderie qui a presque disparu, par exemple, chez les gays. Et cette désillusion n'est pas seulement économique et politique. Nous ne faisons plus confiance à nos dirigeants et c'est chacun pour soi. Pourtant les crises sont toujours une période, aussi, pendant lesquelles nous disposons plus de temps pour nous occuper des autres. Alors pourquoi As One est un concept qui a disparu depuis la fin du siècle dernier?


La réponse se trouve dans les paroles d'Earth, Wind & Fire. Et ce qui se dit, encore, malgré tout, dans le Hip Hop. Ou dans "Friends" d'Amii Stewart. Bien sûr dans "Imagine" de John Lennon. Dans les mots de Martin Luther King qui ont été tellement samplés par la house. C'est un message que l'on passait de génération en génération, comme une légende vocale : "Je te dis ça parce qu'avant il y a eu Marvin Gaye avec "Mercy Mercy Mercy (The Ecology)". Et 23 ans après Marvin, il y a "I'm Your Brother" de Round One. Et 9 ans après, il y a "He Said" de Dominique.


Mais ces disques sont désormais des petits bleeps dans un ciel toujours aussi vaste alors que le bruit de la musique, aujourd'hui, est celui du moi moi moi. Au stade où même si les artistes modernes sont formidables, on refuse de se faire avoir. OK Beth Ditto, tu es brillantissime mais c'est trop toi. OK Daft Punk, vous avez réussi à traverser 15 ans de techno, mais c'est trop vous vous vous. Et même si le monde s'écroule sur nos têtes et que la récession ne va pas cesser de nous appauvrir, pouvons-nous croire à un nouvel espoir, un nouveau "Fantasy"? Celui d'être ensemble malgré l'adversité car non, les disputes ne nourrissent pas l'ego (POR FAVOR!?) mais le bien commun. Pour être As One, pas seulement sur FB et Twitter et Tumblr, mais ensemble devant le coucher de soleil. Et sans mettre un casque sur les oreilles ou un téléphone dans la main. You can do it.

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