jeudi 4 février 2010

Dehors


J’ai noté ça dans un des derniers Indiana Jones. À un moment, un personnage se tourne vers Harrison Ford et lui dit : « Beliefs, Dr Jones, is a gift that you have left to receive ».

C’est fait, la pleine lune du dernier week-end a changé le sens des nuages et du vent. Depuis hier, il fait meilleur. C’est peut-être la fin du pire de l’hiver. Si vous avez tenu jusque-là sans vous pendre, il y a une chance pour que vous surviviez.
La fin janvier, le début février, c’est le moment de l’année qui fragilise le plus le moindre espoir, ou les rares certitudes qu’il nous reste. Dans le jardin, par exemple, pendant ces quelques semaines du début janvier, il y a tant de choses à faire, mais le froid est toujours trop puissant, surtout la nuit, qu’il faut faire très attention à ne pas faire trop de conneries. Et certains jours, même avec des gants, il fait vraiment trop froid. Il y a du vent, de la pluie, du givre. La terre est détrempée, faut pas trop y toucher. On peut planter des arbustes à racines nues qui se débrouillent toujours, mais tout le reste… Un seul gros coup de gel et la plante grille sur place.
On passe alors son temps à regarder par la fenêtre et faire des listes mentales : il faut faire ceci, cela. Et il faut être patient car, pour l’instant, c’est impossible. Trop froid pour monter dans les arbres pour élaguer. Trop tôt pour planter des vivaces ou les changer de place. Trop humide pour traiter les fruitiers. Trop glauque pour se promener. Pour beaucoup, c’est le moment anti-jardin, il faut laisser les plantes se débrouiller toutes seules pour évaluer leur résistance. Je sais qu’il existe des gens gentils qui emmitouflent leurs plantes, leurs potées et leurs sculptures. Moi je trouve qu’elles doivent se démerder toutes seules et surtout je trouve ça trop laid, ces voiles d’hivernage.
C’est pas comme si j’étais janséniste et que j’attendais que le Léviathan s’abatte sur mon jardin. À part les artichauts et les fushias, je ne protège pas beaucoup mon jardin. Je choisis des plantes résistantes comme je choisis mes amis, un peu solides. Il y a plein de plantes délicates que j’aimerais avoir, mais quand je lis qu’elles ont besoin de ceci et de cela, qu’elles sont chichiteuses pendant l’été et qu’il faut les surveiller pendant l’hiver, c’est vite décidé.
Dans le catalogue de Thierry Denis, c’est même un trait recherché. Comme ce pépiniériste est dans le Morvan où il fait parfois très froid en hiver et très chaud en été, les plantes qui savent résister sont celles qui ont du succès.
Ce qui m’amuse, c’est de voir comment on évolue au jardin. Je le vois avec les amis qui s’installent eux aussi pas loin de chez moi. Dès qu’on arrive à la campagne, les premières plantes choisies ont toujours une floraison blanche. Je l’ai remarqué chez les amis, gays ou pas, hommes ou femmes. Quand on leur demande ce qu’ils vont planter, ils ont tous des envies de blanc. Au moins, on est sûr de ne pas se tromper. Ils rêvent tous de bouquets blancs. Moi-même, la première année, je n’ai choisi que des rosiers lianes blancs, des seringats, des anémones Honorine Jobert, des hortensias paniculata, tous les clichés quoi !
Et puis, trois ans après être parti de Paris, on se met à regarder les catalogues en plissant des yeux. Avant, on passait vite devant ces pages avec des fleurs qui arrachent, les plantes cheap des catalogues comme Jacques Briant. Et puis tout d’un coup, on se met à penser : « Attends, ces fushias de grand mère complètement bioniques, ils sont drôles ! ». Ou alors « Ces rosiers pète feu comme American Pillar, c’est pas mal ! ». Et « Ces rudbeckias avec une couleur atomique, ça change ! ». Et c’est là qu’on se met à tenter un truc complètement dingue comme la reine-marguerite « Hulk », le résultat d’un chercheur botanique qui a trop bu, dans le genre « L’île du docteur Moreau », mais version Dr Folamour. En fait, il suffit de regarder tout ce qui est laid dans le jardinage pour se dire qu’il y a forcément un cultivar qui rachète l’espèce (pas les forsythias quand même).
Par exemple, je déteste les bégonias, mais Lala les adore et je sais que certains sont beaux. Les arums, les fleurs des curés ! Ben non, il y en a maintenant qui sont absolument far out, violet foncés ou pourpre presque noir. Les glaïeuls : catastrophe des sixties ! ben il en a qui sont verts fluos !

Donc, pour en revenir à Harrison Ford (y'en a qui suivent pas, là), on pourrait dire que c’est le pire moment du jardinage dans l’année. Ceux qui ont la chance d’avoir un hangar ou un abri peuvent bricoler à l’intérieur, faire du rangement, réviser les outils, tout ça. Mais mon abri à moi prend l’eau et quand il fait froid, ce n’est pas vraiment un endroit où j’aime trop aller. De toute manière, j’appelle cette partie du jardin le « coin du forcené ». Mon but, c’est que ça ressemble à la tanière du serial killer dans « Le silence des agneaux ».
Comme on ne peut rien faire, c’est le seul moment de l’année pendant lequel on regarde son jardin avec l’impossibilité d’intervenir. On est interdit parce que ce n’est pas le bon moment, surtout avec cet hiver froid actuel. Ce qui est génial, c’est que le jardin est beaucoup plus clair en ce moment qu’en été. La moindre branche qui ne va pas, elle saute à la figure. Toute la charpente des arbres et des arbustes est transparente. On voit l’arbre dans toute sa grandeur car il ne se cache pas derrière les feuilles. On voit mieux les pousses de l’année, avec leurs tiges qui passent leur premier hiver. On voit les branches qui ont souffert du vent et de la neige et l’on sait exactement là où il faut couper pour rééquilibrer l’arbre.
Quand je vais chercher le courrier, vers 13 heures, je traverse le jardin pour aller au bout du chemin. Sans crâner, je peux vous dire que c’est plus agréable que d’aller en bas de l’immeuble, je vous assure. Parfois, je reste là, au retour, au milieu du jardin, le courrier dans la main, et je m’arrête pour regarder un truc sans savoir que je me suis arrêté. Je regarde un détail. C’est comme si je bloquais. Et quand on sort pendant la pleine lune, comme le week-end dernier, j’en parle même pas tellement c’est un cliché. C’est à couper le souffle. La nuit, les arbres sont tellement visibles, avec toutes leurs branches en l’air, littéralement en train de crier sous la lune : « Regarde moi ! Regarde-moi bordel ! ».
Alors, ok, ok, on les regarde. Donc, ce moment de l’année, c’est pratiquement celui que je préfère. On voit tout, je le répète. Et on ne peut rien faire car il gèle et il fait froid et le jardin n’aime pas être dérangé quand il souffre du froid. Alors on regarde sans toucher et le jardin est vide. Mais c’est ça qui le rend encore plus visible car il est là, comme le cahier de tout ce qu’il faudra faire dans l’année qui vient. Le plan est là parce que tout se voit mieux, il n’y a pas de mauvaises herbe, tout est nu. Et on voit mieux ce qu’il faut faire : cette plante ira là, ce massif doit changer, je n’interviens plus dans ce coin, il est autosuffisant, et « ce rosier ne donne rien, j’en ai marre d’insister, je le jette ! ». C’est donc pendant ce moment où le travail est impossible qu’on a une vision claire, en tant que jardinier, de ce qui arrive.

C’est là où tout le délire de Farmville sur FB m’inquiète pour ceux qui y passent leurs journées. La ferme, le jardin, c’est vraiment pas un endroit où l’on passe tout son temps à produire. Le moment le plus décisif, pratiquement, c’est quand on ne peut pas toucher au jardin et aux champs, précisément.

5 commentaires:

  1. fleurs de mémé, clair de lune, to do list, j'adore ce post...

    RépondreSupprimer
  2. t'aurait un potager tu verrais ça d'un autre œil, j'ai planter des fèves avant hier et de l'ail rose mais je partage totalement tes blocages sur les arbres à la pleines lune ou le fait d'aller chercher son courrier au fond du jardin et de revenir 1/2 plus tard en ayant ris des décisions de jardins irrévocables.

    RépondreSupprimer
  3. Il était une fois deux jardiniers qui s’aimaient d’amour tendre. C’était le temps où les fleurs étaient libres d’aller et venir au gré des vents. Jardiner c’était les appeler doucement, les couvrir de douceurs et les regarder rire dans la brise. Les villageois se moquaient des jardiniers mais ils aimaient le charme des fleurs, la douceur des pétales, les odeurs envoûtantes. Un jour, la très méchante sorcière, très en colère, jeta un sort aux deux jardiniers : Que meurent vos fleurs ! Le plus vieux des jardiniers réfléchit et dit aux fleurs, la méchante sorcière va envoyer la tempête, je vais vous attacher au sol. Alors il alla chercher de la ficelle très fine et attacha les fleurs à la terre orangée. Les fleurs pleuraient : Jardinier, comment pourrons nous vivre sans aller nous baigner dans le fleuve aux eaux tourbillonnantes, sans frôler les arbres aux branches douces, sans suivre le vol des papillons ? Le vieux jardinier soupira, c’est une autre vie mais c’est la vie. Le plus jeune jardinier refusa d’attacher ses fleurs. Il insulta le vieux jardinier, tu sauves les fleurs pour le plaisir des yeux des villageois, pour le plaisir des couleurs et des odeurs. Je mourrai avec les fleurs car je hais les villageois. Une nuit très sombre, très noire, très triste, arriva la tempête et ce fut le désastre. Dans le matin qui suivit la nuit très sombre, très noire, très triste, des fleurs avaient à jamais disparu et de désespoir, le jeune jardinier s’enfonça dans le fleuve sans retour. Restèrent les fleurs sauvées par le vieux jardinier. C’est depuis ce temps oublié que les fleurs ont des tiges. Les fleurs oublièrent le vieux jardinier, oublièrent le jeune jardiner. Certains parfums évoquent le souvenir de leur amour perdu. Quand les villageois serrent des bouquets dans leurs bras, ils retrouvent le goût amer de l’ancien temps. Les nuits très sombres et très noires, ils aperçoivent les fantômes de ceux qui s’aimèrent et se haïrent pour des fleurs.

    RépondreSupprimer
  4. le Forsythia, encore appelé "le mimosa de Paris" (Oui Didier) est une oléacée dont il est dit que sa floraison est spectaculaire ce qui a du justifier sa prolifération. Cette fleur, qui fleure le rot dominical proféré lors d'une promenade digestive post Starsky & Hutch au coeur du "lotissement", entre le thuya et le sapin bleu (en fait souvent un épicéa nain (Picea pungens 'Glauca Globosa'), porte le souvenir d'heures adolescences difficiles où sa floraison coïncide narquoisement avec les printanières poussées d'acné, spectaculaires elles aussi. Effectivement donc, fuck le Forsythia! A noter que les araignées rouge lui sont nuisibles.

    RépondreSupprimer
  5. coucou,

    Je découvre ce blog de Didier . Ces histoires de jardinages me donnent des palpitations de jalousie, moi qui ai troqué mon jardin à Saint Maur pour un appart à Saint Germain et trois jardinières .. une soif de grattage de terre, à mains nues tant pis . Je sens mes pupilles se dilater quand je pense aux forthisias qui ne vont plus tarder, aux grimpantes à pomponner, aux dimanches matins chez Truffault .

    je t'embrasse Didier, un grand sourire s'accroche à mes oreilles en pensant à toi
    Catherine Piault
    . Tiens, jette un oeil là dessus ... http://3note.com/blog/2010/01/rave-attack/

    je ne sais pas écrire alors bon, le texte.. c'est un peu léger, mais le coeur est plein

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.