J’ai mis du temps à lire "Hope and History ", le dossier du numéro de septembre de The Advocate consacré à Obama. En termes de réactivité Internet, ça donne : FAIL. Pire : tous les amis ont déjà lu l’article, sauf moiself. J’avais râlé intérieurement en voyant la couverture du numéro avec un grand « NOPE? » à la place de « HOPE ». J’hésitais à lire l’article parce que je me disais : « Voilà, les gays sont égoïstes, ils sont les premiers à lâcher Obama ». Et ça m’énervait.
En résumé : le journaliste Michael Joseph Gross revient sur l’immense espoir apporté par l’élection d’Obama. Le switch un peu difficile des gays qui, avant les primaires, avaient choisi Hillary comme meilleure prétendante à la Maison-Blanche. Les nombreuses occasions prises par Obama dans ses discours pour saluer et encourager les attentes LGBT. La lune de miel des 100 premiers jours.
Et puis l’attente.
Les 100 jours d’Obama sont finis depuis longtemps et la communauté s’impatiente. Pire, la liste des choses à faire n’avance pas. Le mariage gay est bloqué, les associations LGBT qui lobbient Washington semblent plus excitées à l’idée de se faire inviter aux soirées de la Maison-Blanche plutôt que… faire pression. Et surtout Obama aurait dû régler depuis longtemps déjà une de ses promesses pré électorales en révoquant la politique « Don’t Ask, Don’t Tell » à l’armée. Un seul décret de sa part aurait pu effacer des années d’exclusion de gays et de lesbiennes. Il n’avait pas vraiment besoin de passer par le Parlement pour ça. Et puis, il y a eu toutes les autres fâcheries : la présence de Rick Warren lors des cérémonies d’inauguration, etc, etc .
C’est à partir de ce constat que Gross développe l’angle de son article. On croyait que ça allait être une litanie de critiques à l’encontre de l’administration Obama (qui en passant, n’est toujours pas complètement installée dans ses bureaux). Mais il se tourne vers la communauté. Pour Gross, Obama n’a pas tenu ses promesses, pour l’instant, parce que les LGBT ne sont pas assez agressifs. Il faut comprendre Obama, dit-il, non comme un allié, mais comme n’importe quel président qu’il faut bousculer. Obama peut faire avancer les droits LGBT. Mais la vraie question est : les LGBT peuvent-ils créer un mouvement qui, réellement, peut faire pression ? Obama a besoin d’une base très engagée pour faire basculer une nation américaine qui ne considère pas forcément le mariage gay comme une urgence face aux autres problèmes de la société. En ouvrant la porte aux idées LGBT, Obama teste les organisations qui les soutiennent. En termes politiques, il les défie même. Cette révolution sociétale, il faut que les gays l’obtiennent en faisant du bruit, en se mobilisant, en étant très agressifs face à la majorité du pays qui hésite encore sur la question du mariage.
Ce qui s’est passé avec la Proposition 8 en Californie est très révélateur. Si l’opération s’est soldée par un échec, les organisations LGBT en ont déjà tiré les conclusions avec même des autocritiques sur la stratégie suivie. Mais la campagne, en elle-même, a montré qu’une nouvelle génération de militants avait été trouvée. C’est une formidable avancée. Mais il faut aller plus loin. L’article de The Advocate prend alors un accent d’appel aux armes. C’est relativement rare dans les pages de la presse gay américaine. Avec un hommage insistant pour le vieux des vieux, Larry Kramer, qui n’en démord pas depuis dix ans : « Nous ne sommes pas ici pour faire des amis. Nous sommes ici pour obtenir nos droits ».
Michael Joseph Gross affirme : « Le mouvement national pour les droits des gays est enlisé entre l’activisme et la politique politicienne, entre la colère et l’ambition ». Traduisez : ceux qui nous défendent sont surtout intéressés par les nouvelles opportunités de l’administration Obama. Ils veulent assurer leurs carrières avant tout. Travailler de l’intérieur, soi-disant. Cette génération a oublié ce qui a contribué aux grandes victoires du mouvement gay et sida des vingt dernières années. Ces personnes qui menaient le combat appartenaient à une génération qui se considérait « gay first and foremost ». Gay d’abord – et gay surtout. C’est cette notion séparatiste qui leur a permis de se positionner face au pouvoir d’une manière intransigeante, dans un coming out permanent, avec des demandes très précises, très pragmatiques, très concrètes.
Or cette attitude gay n’est plus vraiment celle que partage la nouvelle génération LGBT. En termes d’identité, oui. En termes d’engagement, non. Leur idée, c’est d’utiliser le combat contre l’homophobie comme une caisse de résonance des demandes LGBT face au pouvoir. Ils disent : « Regardez, c’est intolérable, ça doit changer ». Mais ce n’est pas ce levier qui va unir les différentes générations de gays et de lesbiennes, c’est insuffisant. Celles qui ont obtenu des avancées dans les décennies précédentes et qui trouvent que les jeunes sont « paresseux et trop sûrs de leur droit ». Et ce n’est pas non plus le combat contre l’homophobie qui va changer le regard des jeunes pour les vieux, souvent jugés « irascibles et nostalgiques ». Quelque chose doit unir ces deux générations ; autrement la division restera et fragilisera le combat. Si nous sommes divisés, nous ne pourrons pas obtenir ce que nous demandons.
L’article se termine par une exhortation. Pour que le mouvement LGBT avance, il doit créer, à nouveau, sans complexe d’infériorité, une énergie organique, celle qui a permis à Act Up de devenir la machine qui a eu tant de succès. Il faut créer à nouveau cette énergie, avec d’autres moyens, mais elle doit aussi donner la possibilité de travailler d’une manière physique pour que les personnes LGBT se retrouvent côte à côte. Créer cette énergie, ce momentum, est le seul moyen de faire en sorte que le combat pour les droits des gays ne soit pas englouti par les urgences de l’Amérique : la crise économique, la guerre, l’écologie, la couverture médicale universelle, le conflit au Proche-Orient. Selon The Advocate, si les gays n’obtiennent pas ces nouveaux droits maintenant, il existe de réels dangers pour qu’ils ne puissent l’obtenir à mi-mandat. Et avant les élections présidentielles ? Obama aura raison de dire qu’il lui sera impossible de se faire élire sur une idée si segmentante.
Maintenant, mon avis. Cet article de The Advocate est fantastique. Je veux dire, j’adorerais voir un truc comme ça écrit dans un média gay français. Une direction si claire, si extravagante, si juste ? Il faut avoir le courage de se découvrir ainsi, de se déshabiller, pour s’engager et appeler à une mobilisation générale du mouvement LGBT malgré ses divisions – et elles sont réelles en Amérique comme en France. Par exemple, Frank Rich, le célèbre chroniqueur du New York Times, a mis le doigt plusieurs fois sur les hésitations d’Obama concernant les questions LGBT. Et c’est un sujet très révélateur. Obama et la communauté noire ont un petit blocage vis-à-vis des gays, c’est indéniable. Cela ne sert à rien de le cacher. La communauté LGBT, de son côté, préférait Hillary Clinton comme présidente. Il y a les restes d’un racisme mutuel. Mais Obama, et la communauté noire chrétienne des Etats-Unis savent aussi que tôt ou tard, ils devront accorder aux gays les droits qu’ils exigent. La demande politique est trop similaire à celle qui a motivé le mouvement pour les droits civiques.
Mon avis est que si le mouvement gay ne parvient pas à s’organiser pour créer un vrai rapport de force national, avec des comités, des manifs, des collectes de fonds, de la colère, une nouvelle image, un nouveau ton, etc, ce sera un échec. Car, dans ce cas, l’article de The Advocate aura été le triste symbole que les gays ont été les premiers à retirer leur soutien à Obama. Politiquement, cela peut être très néfaste. La crise économique, elle aussi, elle surtout, a son agenda. Le mariage gay est-il la priorité de l’Amérique aujourd’hui ? Les gays eux-mêmes sont-ils parvenus à montrer qu’ils pouvaient renverser l’épidémie de sida qui les affecte tant ? S’ils n’arrivent pas à réduire l’augmentation des cas de sida chez les gays, comment les mouvements LGBT peuvent-ils se montrer sous un angle exemplaire ? Les gays seraient-ils égoïstes ? En poussant leurs droits face aux catastrophes économiques qui les concernent, certes aussi, mais qui touchent beaucoup plus de monde, parviendront-ils à créer des alliances avec d’autres groupes aux USA beaucoup plus marginalisés ? Comment répondre à ceux qui leur demanderont pourquoi ils ne sont pas plus « patients » ? Et comment expliquer une des incohérences que montre cette enquête de The Advocate : Chris Hugues, le co-fondateur gay de Facebook, celui qui a conçu la campagne d’Obama sur Internet (avec le succès que l’on sait) n’a été contacté par aucune des organisations LGBT pour utiliser ses connaissances afin de transformer l’image des LGBT grâce au media le plus important d’aujourd’hui... Le premier travail du mouvement LGBT, c’est d’utiliser intelligemment ses leaders les plus modernes. Ce n’est pas encore le cas.
Je m'excuse d'avance pour les fautes de français ...
RépondreSupprimerJe constate qu'en ce moment, les énergies de mes ami(e)s LGBT se concentrent de plus en plus sur la question de l'assurance maladie ... a priori c'est une évolution néfaste si l'on considère que la question des droits civils gais est la plus importante, mais quand on y réfléchit, les deux questions sont liées. Aucun besoin de souligner qu'un grand nombre de personnes LBGT sont atteintes de maladies chroniques, surtout le sida mais aussi le cancer du sein, des poumons, etc., et que celles-ci profiteraient d'une réforme qui leurs permetterait de vivre sans crainte de faire faillite suite à une urgence médicale. Sans exagérer, on peut même dire qu'une telle réforme aiderait le mouvement gai, en libérant des activistes de leurs « carrières » auxquels ils sont attachés pour nulle autre raison que pour avoir une assurance santé.
La question des rapport noirs-gais est elle aussi liée à la santé. Les ASO (AIDS Service Organizations), fondées et depuis longtemps soutenues par les LGBT, ne pratique aucune discrimination contre les hétéros ; du fait que la communauté noire est elle aussi fortement atteinte par le sida, et qu'elle bénéficie énormément des services fournis par ces groupes gais, on peut dire que malgré les propos discriminatoires d'une part et d'autre, les noirs et les gays mènent le même combat. Or, pendant la campagne sur la proposition 8 ici en Californie, personne n'a parlé de cette question, ce que je trouve un peu bizarre, surtout en vue de la disparition des subventions gouvernementales.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerHi Peter
RépondreSupprimerOui, je vois bien que les activistes que je connais aux USA, comme Gregg Gonzalves, sont très engagés sur le sujet de la couverture sociale. Bien sûr, je trouve ça bien. Bon, quand tu dis que la plupart des gays qu'on connait sont dans structures sur les soins parce qu'ils sont attachés à leurs assurance santé... It's a bit strong. Mais je vois très bien ce que tu dis, dans le sens que cela n'encourage pas beaucoup le renouvellement des générations. En tout cas, en France, c'est un peu ce qui se passe.