Je disais que le jardin a bénéficié de beaucoup d’eau en début d’année, jusqu’au mois de juin et que ça a continué avec des vagues d’orages qui se sont succédées jusqu’au 16 juillet, ce qui n’est pas très habituel. Le grand massif de graminées, planté l’année dernière, est presque adulte. Toutes les variétés ont poussé très fort cette année. Je suis en train de me demander si je n’ai pas planté trop serré, comme d’habitude. On est tellement content d’essayer des herbes différentes qu’on a tendance à vouloir en mettre beaucoup, pour que ça fasse de l’effet plus rapidement. Alors que tous les catalogues, tous les livres nous avertissent de ne pas faire cette erreur. C’est une des grandes bêtises du jardinier amateur et j’admets avoir été étonné par la force de ces plantes. Je n’aurais jamais pensé qu’elles iraient si vite. Les premiers miscanthus sont en train de porter leurs plumes. Tant qu’aux Calamagrostis, ils ont eu assez d’eau pendant le printemps, au moment de leur poussée, pour être superbes aujourd’hui. Cela donne presque le tourni de voir autant de textures de feuilles. Je n’ai plus besoin d’arroser pour que ça pousse, elles se débrouillent toutes seules. Au centre du massif, les artichauts ont été tellement contents qu’ils ont poussé cette année jusqu’à trois mètres de hauteur. C’est une variété du sud, donnée par mon frère Philippe, qui fait des petits artichauts qu’on mange crus avec du sel et un peu d’huile d’olive. Ce qui me rend dingue, c’est de réaliser que je suis devenu accro aux Calamagrostis, je crois que ce sont mes graminées préférées. Ils sont tellement immenses, plus de deux mètres cette année, droit debout, et les plants n’ont que deux ans. À la sortie d’Evreux, ils en ont mis des centaines au milieu de la route, en ligne, on ne voit que ça. Je me dis maintenant que j’aurais dû presque planter uniquement ça. Un champ entier de Calamagrostis. C’est joli 365 jours par an. C’est pas tout le monde qui peut dire ça.
Ce champ de Calamagrostis, je vais le faire chez Ray. Cet été, je lui ai promis de monter un mur de pierres d’1m80 et je dois le faire. Mais il ne pleut toujours pas et il fait trop chaud. Maintenant, je ne me lance plus dans le ciment quand il n’y a pas de nuages, on transpire trop. Je dois aussi nettoyer tout son jardin, ça va me prendre des jours et des jours de travail. Son jardin sera plus joli que le mien quand il sera terminé. En fait, il sera la somme de tous toutes les erreurs de mon jardin que je ne reproduirai pas chez lui. Maximum effet pour lowest maintenance.
Le mien, je l’ai laissé tranquille depuis cet hiver. Il y a des coins du jardin où je ne suis pas intervenu du tout. De temps en temps, ça fait du bien à un jardin de rester intouché pendant presque une année. Il y a des plantes qui se ressèment, on peut ainsi multiplier le nombre de ses vivaces, c’est complètement naturel pour les animaux. Et ça repose aussi. Là j’ai un lièvre dans le jardin qui s’est installé près de la cabane. Tous les soirs il se promène sur la pelouse et il reste là, à prendre l’air, à regarder autour de lui. Chaque année, un lièvre cherche à s’installer chez moi, c’est peut-être le même d’ailleurs. Il y a deux ans, l’herbe était si haute au moment de tondre que je suis passé avec le motoculteur sur un petit lapin qui s’était blotti dans l’herbe, comme ils font quand ils ont peur ou qu’ils cherchent à se cacher. C’était pas joli à voir. Redrum on the lawn. C’était vraiment impossible pour moi de voir cette toute petite boule de poils.
Bref, le fait d’avoir laissé le jardin à l’abandon, presque pas entretenu, a attiré ce lièvre et aussi la fouine qui s’est installée dans le grenier. Il y a des vivaces qui ont germé dans des coins inimaginables, il y a des fleurs qui venaient de la voisine, probablement, qui se sont mises à pousser juste devant la maison. Même une variété de verbascum que j’essayais de faire germer depuis deux ans qui est arrivée toute seule, de je ne sais où. C’est la première année de repos de ce jardin et même s’il n’est pas très bien entretenu, il est comme en pause. Tout s’est installé.
Bon, là, bien sûr, tout le monde est content parce qu’il ne pleut pas et que l’automne est magnifique. Paris a eu de la pluie au début du mois de septembre, mais nous, dans ce coin de Normandie, on n’a rien eu. Cela fait donc trois mois sans eau, et le jardin souffre presque autant qu’à la fin de la canicule de 2003. Mais ça ne m’a pas emmerdé comme les autres années de sécheresse. D’abord, j’étais content de ne pas avoir à tondre car la pelouse est complètement grillée, partout, même dans les endroits où c’est plus humide. Beaucoup d’arbres caducs sont en train de perdre leurs feuilles, plus rapidement que les années précédentes. Je jardin en a déjà marre, il veut passer à autre chose. Normalement, on devrait être déjà à retourner la terre et planter les vivaces ou les diviser et là le sol est totalement sec pour le début octobre. En termes de jardinage, c’est un peu dingue, surtout pour la région. C’est si aride qu’il ne faut surtout pas choquer les plantes en les transplantant ou même en les taillant trop court. Même pour les boutures, c’est dangereux. C’est un moment où le jardin sait que la pluie ne va pas venir avant au moins une semaine, peut-être même dix jours encore. Les plantes ont compris ça, elles se mettent en repos forcé, au bord de l’épuisement. Elles en ont vraiment marre. Mon père m’avait dit en septembre que le temps tournerait à l’équinoxe, comme il le fait toujours (le temps, pas mon père), mais pas cette année. J’ai passé cette saison à tester les plantes au maximum. Oui je sais, on va se moquer de ça aussi. Mais cela fait plus de deux ans désormais que je n’achète que des plantes et des arbres qui supportent les pires sécheresses, donc cet été a été une bonne occasion de vérifier si ce qu’on disait était vrai. Et c’est vrai. Ces Poa labillardieri et ces Fetusca mairei sont merveilleuses, comme les Carex morrowi "Ice Dance". Du coup, je vais en mettre plus et donner à Ray ce qui ne réussit pas si bien. Avec les graminées, je n’ai plus à arroser anyway. Tous les matins, en ce moment, la brume est encore là quand je me réveille, il fait même gris et froid, et les graminées accrochent chaque moment de brume, on dirait qu’elle tirent les vapeurs à elles avec leurs tiges. Et puis après, ça se découvre d’un coup, en dix secondes. Et il commence à faire de plus en plus chaud. Le linge sèche en une heure. Et toutes les variétés de miscanthus fleurissent les unes après les autres. Malgré la sécheresse, les graminées sont si belles qu’elles sont en train d’offrir au jardin son plus beau semestre. L’automne et l’hiver.
Un petit roseau m’a suffi
RépondreSupprimerPour faire frémir l’herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi
Un petit roseau m’a suffi
A faire chanter la forêt
Ceux qui passent l’ont entendu
Au fond du soir, en leurs pensées
Clair ou perdu,
Proche ou lointain…
Ceux qui passent en leurs pensées
L’entendront encore et l’entendent
Toujours qui chante.
Il m’a suffi
D’un petit roseau cueilli
A la fontaine où vint l’ Amour,
Sa face grave
Et qui pleurait,
Pour faire pleurer ceux qui passent,
Et trembler l’herbe et frémir l’eau ;
Et j’ai, du souffle d’un roseau,
Fait chanter toute la forêt.
Henri de Règnier 1864-1936
(Jeux rustiques et divers)
A la lecture de ce billet, je retrouve la même tonalité heureuse que dans le livre "Cheikh" lorsque vous décriviez la création de ce coin de paradis qu'est devenu votre jardin.
RépondreSupprimerL'agréable dans votre style, c'est l'impression que vous donnez d'écrire pour vos lecteurs comme si vous vous adressiez à des amis...