Le porno a
sauvé ma vie. Pendant toutes ces années de solitude et de terreur à cause du
sida, le porno m'a permis d'avoir accès à une sexualité par procuration, ce qui
est le plus important service que ce média offre à des centaines de millions de
personnes tous les jours, à n'importe quel moment. Quand le sexe faisait défaut,
quand il était synonyme de mort et de maladies, quand on avait surtout peur de
transmettre le virus (c'était mon cas), il y avait toujours cette option,
finalement inoffensive, qui nous reliait à des fantasmes qui restaient réels
dans notre imagination. Être témoin de ce que les gens font, comme dans
n'importe quel domaine de création culturelle, était une manière de rester
vivant, de garder le contact avec le corps des autres, leur beauté, leur
attirance. Pour une fois, le sexe pouvait être vu sous un angle généalogique,
avec une évolution illustrée des pratiques, des looks, des différents pays. En
l'espace d'un demi-siècle, j'ai été témoin de l'évolution du porno. Au début
une production marginale et souvent underground pour devenir ce qu'il est
aujourd'hui : un media aussi important que la musique ou le sport.
Le sexe de
l'après sida
Trente ans
après l'apparition du virus du sida, les options thérapeutiques VIH sont si
efficaces que la peur de la sexualité est redevenue à un nadir qui rappelle ce
qui s'est passé chez les gays à la fin des années 70 et surtout le début des
années 80. Une redécouverte du sexe, en inventant de nouvelles manières de se
rencontrer (backrooms, sex clubs, etc.). Le débat sur le bareback a duré 15 ans et il est désormais épuisé. Avec La PreP, la prévention VIH
dispose aujourd'hui d'un traitement préventif plus efficace qu'un vaccin
toujours hypothétique. Depuis quelques années, le retour à une sexualité sans
crainte est général, chez les gays mais aussi chez les hétéros. La très grande
majorité d'entre eux n'est sûrement pas au courant des dernières avancées médicales,
l'information sur le sida est à son plus bas niveau, le déni persiste mais
globalement tout le monde est conscient que le sida, dans les pays occidentaux,
est un problème "réglé".
La hookup
culture, inventée par les jeunes
Ce
changement de paradigme sexuel dans la société accompagne ce que l'on appelle
la hookup culture, un phénomène très présent dans les universités américaines où
les rencontres sans lendemain, spontanées, "au feeling", sont presque
devenues la norme. 90% des étudiants américains pensent que la vie sur le
campus est dominée par cette tendance, développée lors des vacances de Spring
Break et surtout grâce à l'usage du téléphone portable et du sexting. Tout est
enregistré, diffusé sans anonymat, avec les noms des participants. Dans les vidéos
gays, on voit des kids de 18 ans faire de l'abattage dans leurs chambres de
campus, ce qui n'existait absolument pas il y a encore une décennie. Ils ont réinventé
la backroom. La hookup culture est le signe d'un abandon sans précédent de la
pudeur et les jeunes révèlent leur anatomie et leurs tatouages sur Twitter et
Tumblr, les réseaux sociaux sans censure qui autorisent la nudité (contrairement
à Facebook). L'usage banalisé des drogues est aussi un facteur important. Le
Viagra est consommé hors de sa population d'âge initiale. Des nouvelles drogues
de synthèse spécifiquement liées au sexe sont désormais disponibles via
Internet. On a parlé de révolution sexuelle dans les années 60 et 70 mais le
XXIème siècle est celui d'une révolution du sexe qui semble prolonger celle qui
a commencé il y a un demi siècle.
Les jeunes
sont beaucoup plus précoces que leurs aînés dans leurs pratiques. Ils utilisent
fréquemment les sex toys et rejouent les scènes de porno qu'ils regardent sur
leurs portables. Certains, à 25 ans, disent avoir déjà tout fait et se
demandent comment leur sexualité évoluera dans le temps puisque de nombreux
fantasmes sont déjà réalisés - et parfois déjà usés. Le porno est un des
domaines qui expliquent et illustrent ce qui se passe dans la sexualité de nos
sociétés. La production ne cesse de se développer dans des pays qui n'étaient
pas connus pour être des sources de niches érotiques comme l'Argentine, la
Colombie, la Turquie - et on n'a encore rien vu de la Chine et de l'Inde... D'autres
pays leaders comme les Etats-Unis, l'Allemagne, l'Angleterre et l'Espagne
produisent l'avant-garde du porno hardcore. Ce livre est donc un essai, avec de
nombreuses références et liens hypertexte, qui explique en quoi le porno change
la sexualité moderne, tout en respectant (même par la contradiction) les théories
féministes qui s'y opposent.
Le porno
est politique
J'ai déjà
beaucoup écrit sur le porno. Gay surtout, mais souvent en mettant en
perspective ce qui se passe chez les gays et les hétérosexuels. Dès le début de
la création de Têtu, en 1995, nous
avons décidé que ce média gay et lesbien devait parler du porno d'une manière à
la fois positive et encyclopédique. Ensuite, j'ai compris que ce que j'écrivais
devait être encore plus franc, direct, et c'est pourquoi j'ai créé mon propre
site en 2008 qui possède l'intégralité des textes écrits sur le sexe. De la décoration intérieure jusqu'à la notion du temps dans le X, je me suis amusé à raconter ce que je voyais. Et j'ai
vite réalisé que ces textes étaient les plus lus. L'étape suivante fut de
proposer des textes sur le X pour des medias généralistes comme Vice, Slate ou Brain. J'étais étonné de constater que les rédacteurs en chef de
ces médias, hommes ou femmes, étaient très encourageants. J'ai compris que les
hétéros avaient fait d'énormes efforts depuis une décennie. L'homophobie n'était
plus la même. Le bro love, qui désigne une amitié poussée entre hommes, pendant
les binges d'alcool ou de MDMA, a banalisé la nudité, la promiscuité, la
rigolade "sans tabou".
La fin du
séparatisme gay / hétéro
C'est à ce
moment qu'il m'a semblé évident qu'une jonction était en train de se former
entre le sexe gay et le sexe hétéro. Là où persistait une gêne mutuelle, sinon
un dégoût, apparaissait une curiosité réciproque avec des pratiques de plus en
plus généralisées, comme le fist, comment se doucher avant une pénétration
anale (pour les filles) et d'autres conseils sur le mode de l'humour comme :
sucer à fond, faire des biffles. Le débat sur le mariage gay dans de nombreux
pays a encouragé ce rapprochement entre les sexualités. Tous les thèmes qui étaient
réservés à la culture gay il y a encore dix ans se trouvent aujourd'hui diffusés
par les médias hétéros qui aiment parler de la signification du gay for pay,
des looks modernes (tattoos, pilosité, barbes). Tout ceci encourage une mixité
de plus en plus importante des identités gays, hétéros, bi, trans, voulue par
une jeune génération qui est désormais leader en ce qui concerne les pratiques
sexuelles. Les jeunes, gays ou hétéros, pratiquent le fist dès 20 ans, quelque
chose qui n'existait absolument pas il y a 25 ans. La commercialisation des sex
toys y est pour quelque chose mais des phénomènes de masse sont apparus ex
nihilo comme ces partouzes que les jeunes anglais organisent en rentrant du lycée,
chez eux, avant que leurs parents rentrent à la maison. Tout est fait par
texto. L'influence de Craigslist dans les rencontres rapides aux Etats-Unis est
telle qu'elle a des répercutions épidémiologiques dans la diffusion de certainesIST. Craigslist a imposé l'idée banale que l'on peut négocier du sexe comme on
négocie n'importe quoi sur AuBonCoin. Certains hommes baisent avec des partenaires
pour se faire de l'argent de poche afin de s'acheter des cigarettes. C'est une
prostitution locale, banalisée, avec une notion de troc élargie à son
paroxysme. C'est la hookup
culture, le fait de baiser tout de suite et sans engagement, filles et garçons,
un phénomène absolument nouveau dans cette tranche d'âge.
La révolution
des applications de drague
Cette idée
de sexe sans engagement a longtemps été le privilège des gays mais aujourd'hui,
les hétéros baisent comme les gays d'il y a 30 ans. Les applications de
rencontre style Grindr semblaient impossibles à transposer chez les hétéros,
elles sont désormais disponibles. Tinder permet de mélanger gays et hétéros, ce
qui ne s'est jamais fait auparavant. D'autres applications permettent la drague
d'une fille qu'on vient de croiser dans la rue. Le portable est devenu une
interface qui rend la drague moins agressive, moins physique. Les filles
revendiquent de plus en plus une position dominante dans la drague : elles définissent
les critères du désir, de la position sociale et comment cela doit se passer.
Les adolescents considèrent que le sexe n'engage pas forcément une relation. La
hookup culture est donc une étape importante dans l'émancipation des femmes au
moment de choisir leurs partenaires. Quand on regarde sur Google, une grande
partie des magazines internationaux a déjà écrit sur ce phénomène mais il reste
un livre qui recenserait ce qui se passe et comment cette révolution est en
train d'affecter les codes de la rencontre.
L'angoisse
des parents n'y peut rien
Le porno
est aussi majeur que la musique ou le sport parce qu'il appartient désormais à
ces sujets dont tout le monde parle, hommes ou femmes. Il est le dessus de
l'iceberg qui permet d'utiliser le sexe comme un sujet d'humour et de
provocation (le thème principal des stand-up comedians et des films d'ados). Il
est la source des inquiétudes des parents et des médias, il est au centre des
questions sur l'évolution des mœurs et des sentiments, il est un élément
fondamental d'identité et d'éducation sexuelle. Même si on refuse d'en regarder
(il y a quand même beaucoup de personnes que cela n'intéresse pas), le porno
illustre et modifie nos désirs. Il les anticipe et les développe, il crée des
niches érotiques là où, souvent, il n'y avait rien. Dans la grande discussion
politique sur le porno, son influence sur les jeunes et la sexualité des femmes
imposée par les hommes, son impact sur les applications de rencontre, le porno
est vu comme un danger de société. Il touche à des débats très modernes sur la
prostitution, le travail du sexe, la promiscuité sexuelle, les abus sur les
mineurs, le tourisme sexuel, une éducation sexuelle toujours tristement en
retard. Le sexe fait évoluer la société trop rapidement selon une grande partie
de la population. Les tabous subsistent dans les familles et à l'école.
Le 21ème
siècle est donc celui du porno. À cause ou grâce à Internet, sa diffusion n'a
plus de limite. Ce qui était rare il y a encore vingt ans est devenu visible
par tous. À partir du tronc commun de la sexualité basique, une multitude de fétichismes
a été créée avec des significations profondes, tribales. Nos désirs sont le résultat
d'une hiérarchie d'images, belles ou traumatisantes, exactement comme le cinéma
influence notre culture à partir de son histoire. Personne ne s'étonne que le 7ème
art soit analysé d'une manière érudite, encyclopédique. Le porno est arrivé à
un niveau de sophistication et d'influence mondiale qui permet aussi de le présenter
comme un mouvement culturel à part.
Un sujet
littéraire vierge
En 2015,
la sexualité reste le sujet caché de notre culture. Pourtant, quand un article
est publié sur le sujet, même avec un angle pointu, il peut devenir un objet
mainstream. Les grands journaux abordent régulièrement ces sujets parce qu'ils
sont le reflet de ce qui est réel et intime. Le sexe fait vendre mais le sexe
reste toujours aussi mal décrit. Il fait encore peur et peu s'aventurent, à
visage découvert, dans un vrai traitement du sujet. Même à travers les blogs,
peu en discutent ouvertement. Relativement peu de films, de livres, encore
moins d'expositions et de travaux sociologiques. On demande à l'auteur de
garder ses distances, de ne pas trop se révéler. Et il est difficile de trouver
le bon équilibre entre ce qui est privé et scandaleux. C'est un domaine où l'écriture
à la première personne est obligée, sinon la crédibilité en souffre. On ne peut
pas parler du porno dans un esprit d'anthropologie participative polie. Parler
du porno engage la personne car la masturbation est obligatoirement un passage
naturel, partagé presque quotidiennement par tout le monde. C'est un rite
intime, auto-suffisant, que l'on peut même d'écrire comme hygiénique au niveau
mental. C'est l'activité sexuelle la moins dangereuse pour soi et pour les
autres. Et qui se répète de l'adolescence à la vieillesse, ce qui lui donne une
valeur quasi existentielle. Je dis souvent que le porno, c'est ce qu'on regarde
quand on est libre de regarder ce que l'on veut. C'est aussi ce que l'on fait
quand on est seul. C'est ce que l'on regarde quand on n'a pas les moyens, ou le
courage, de la prostitution. C'est une occupation qui n'a pas de concurrence
dans la vie amoureuse. Même lors de mes plus belles histoires d'amour, je me
suis toujours branlé et je l'ai toujours dit à mes partenaires.
Le sexe
comme illustration du melting pot ethnique
C'est ce
qui rend le porno si universel. On peut regarder un film porno japonais en
France, un film porno brésilien en Afrique, un film porno berlinois en
Californie. Tous les pays et toutes les origines ethniques sont désormais représentées
dans les plateformes de téléchargement. Pour moi, le porno est l'ultime outil
contre le racisme puisqu'il nous fait découvrir des hommes de toutes les
origines et de tous les âges. La place des arabes dans le X est un phénomène relativement récent. On les entend parler, on découvre des manières de
faire l'amour qui ont des spécificités locales, nationales. Par exemple, ces
films sont un moteur de rapprochement inter générationnel qui n'a jamais été
aussi assumé que de nos jours. Ce n'est pas seulement les Cougars et les
daddies, le mélange des générations est un autre signe de la pénétration
domestique de la hookup culture. La curiosité motive les jeunes et facilite les
échanges. Sans lui, les préjugés culturels existeraient toujours et on doit
considérer le porno comme un vecteur important de changement dans nos sociétés
qui montrent par ailleurs tant de signes de blocages politiques ou causés par
les crises qui effraient notre époque.
À la
limite, le sexe est une des rares ré-inventations d'un monde bouleversé par sa
jeunesse. Après avoir travaillé plus de 15 ans sur la prévention du sida, ce qui m'a enfermé dans un rôle de lanceur d'alerte, j'étais impatient de commencer un livre qui me réconcilierait avec la sexualité, d'une manière positive et moderne. Je viens de recevoir le refus de l'éditeur que j'avais choisi. Je cherche un autre éditeur qui y verrait, lui, une "viabilité commerciale". Spread the word.
Salut,
RépondreSupprimerJ'ai adoré votre texte.
J'ai passé le mois de juillet à lire des bouquins d'anticipation, des références, genre:
Un bonheur insoutenable, d'Ira Levin.
Le meilleur des mondes, d'Aldoux Huxley
Un truc m'a frappé dans ces bouquins (et dans 1984 d'Orwell aussi, il me semble, mais ça fait un bail): le sexe y est toujours décrit comme ultra banalisé, débarrassé de tous les tabous. Et en même temps, il est une constituante essentielle dans l'asservissement de la population des mondes autoritaires qui sont décrits.
J'avais déjà eu la réflexion en le lisant et je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec ce que vous décrivez dans votre article.
C'est étrange de voir comment, au siècle dernier, l'idée d'une libération sexuelle ultime incarnait en fait la quintessence du totalitarisme déguisé.
Bon bref, je dois emmener ma mère prendre un train, pas le temps d'en écrire plus, vous voyez où je veux en venir (peut-être...)...
Que pensez-vous de tout ça? Je suis un peu paumé, pour ma part...
mriehen@laposte.net
Papier debile comme d ab
RépondreSupprimer🤢🤢🤢🤢🤮
Il ne ni ecrire, ni penser.
RépondreSupprimerDe la connerie pure ce lestrade