lundi 10 décembre 2012

Weekend à Paris




J'aime aller voir Skyfall avec un homme que j'aime qui me tient la main pendant tout le film, qui rit pendant les moments drôles et qui me dit quand on arrive à la scène de Macao "Tu vois, c'est plus la peine de faire des films de SF, ça ressemble exactement à Blade Runner avec tous ces immeubles et ces pubs qui s'affichent sur tous les étages". Pendant le film, ma main est posée sur sa cuisse, juste pour être plus près, le sentir réagir quand 3 VW Beetle se font écraser par un Caterpillar avec Daniel Craig aux commandes.

Paris est sous la pluie et le vent, les prostituées de Marcadet Poissonniers font toujours autant de bruit la nuit, on les entend du 5ème étage de l'appartement de Robert qui nous a prêté son chez lui pour 4 jours, le dernier weekend avec celui que j'aime qui est tombé amoureux d'un autre. La veille, il m'a invité dans un petit restaurant africain de Château Rouge, un endroit qu'il m'avait montré lors d'un weekend au mois de mars, quand tout allait bien, même le fait de sortir en boite, quand tout le monde était heureux de me voir heureux. Dans le restau, il y a des Sénégalais qui disent à une autre table : "Quand j'arrive dans la banlieue de Dakar, je vois partout ces 4X4 énormes et je ne comprends pas comment ils font pour avoir des bagnoles pareilles avec un salaire de 1500 euros" et il y a des échafaudages dans la salle principale qui tiennent le plafond et le patron maghrébin parle de ce qui se passe en Egypte parce que c'est le vendredi avant les manif pro et anti Morsi. La nourriture est bonne, c'est notre première soirée, le lendemain, on va se faire couper les cheveux chez un coiffeur en bas de l'immeuble, 8 euros pour une coupe par un jeune Indou alors que le reste de la boutique est tenu par un coiffeur africain. Il y a donc deux radios qui mettent de la musique, d'un côté de la pop indienne mainstream et de l'autre du rap français pas mal. Ça va bien ensemble, on dirait un mash-up naturel, sans incongruité. L'après midi de samedi, on fait un truc interdit: aller dans le Marais car il a besoin de s'acheter du gel Silicone chez IEM et voir les bouquins de BD aux Mots à la Bouche. On s'en sort pas trop mal, pas de troll sur le chemin. En passant, on voit les graffiti GUD sur le Centre LGBT.

On n'a pas beaucoup d'argent donc on fait des trucs simples comme manger un kebab et regarder le vendeur turc qui est un gros nounours bandant avec un sourire gentil et un peu de poils qui poussent dans le creux de sa chemise bleue. Il me faut de nouvelles chaussures parce que mes Reeboks ont 2 ans et même si j'aime les sneakers quand ils sont usés, à un moment il faut en changer sinon les gens commencent à se poser des questions sociales et je trouve aux Halles des New Balance pas chères qui ressemblent exactement à celles que j'achetais il y a 10 ans à New York pour le tiers du prix de celles qu'on trouve à Paris. Toujours le même look, toujours fidèle à une marque même si tous les hipsters portent des trucs avec 25 nuances Pantone juste sur la semelle. C'est notre dernier weekend ensemble et j'ai décidé de faire les choses bien, pas de drame ou de reproches, pour que la séparation se passe bien même si je suis désormais officiellement seul et que ces 6 derniers mois de brolove m'on aidé à traverser un été pas drôle et un automne encore moins. J'ai RDV chez la dermato pour mon check-up annuel, tout va bien. J'ai RDV chez les avocats. Je dîne chez Alice qui me raconte qu'un ami commun lui a sorti récemment une phrase super drôle : "J'en ai marre de baiser debout" pour dire "J'aimerais bien rencontrer quelqu'un et faire ça chez moi, dans un lit quoi".

Après on se retrouve au Bonne Nouvelle avec une bande d'amis proches, on est assis sur une banquette au fond avec 2 jeunes pédés de 20 ans qui nous regardent comme si on était too much, exactement ce qu'ils ne veulent pas devenir, alors qu'il y a objectivement 2 ou 3 bombes parmi nous. On les terrorise un peu, juste pour rire, pas méchamment, du genre "On sait qu'on vous fait peur mais quand même, ça va, vous êtes gays aussi". Arnaud Crame met des disques bien, pas trop fort, exactement comme il faut. Je regarde mon barman préféré avec son look de brésilien intello funky bouclé poilu souriant mais il y a Bruno Juliard assis à une table dehors, beaucoup plus précieuse qu'à la télé, on est tous d'accord, et mon ex raconte que j'avais failli lui faire un truc shady à la gare de Saint Etienne il y a plus de 6 mois. Sur le trottoir et à l'intérieur de bonne Nouvelle, il y a facilement 10 personnes qui écrivent pour Minorités, et Themba me dit qu'il a fini un nouveau texte.

À un moment, on décide de prendre le métro pour aller à la Mona parce que j'ai beau être téméraire, mais pas assez pour affronter 200 personnes que je connais à la BLT où tous les gays vont ce samedi soir. Dans le métro, je vois des bandes d'étudiants bourrés de 20 ans qui chantent des trucs qui semblent sortir de "La Nouvelle Star" et je me dis Groumf. Bien que sur le quai, Arlindo montre à Asven comment il faut marcher sur un runway et il se met à danser comme MC Hammer dans Can't Touch This. Je fais des compliments à Marc en lui disant "Tu t'habilles comme un vrai gay désormais" mais il croit que je me moque alors que c'était bien sûr un compliment.

À Mona on arrive à 6 et Fred Pellegrino nous fait entrer, il y a Nick V à la porte avec qui je discute trop peu dans la nuit mais il est occupé et des fois c'est comme ça, on est arrivés assez tôt et le club se remplit avec beaucoup de monde qui, je dois dire, n'a aucune connaissance de ce qu'il faut faire pour ne pas bousculer les gens qui ont le malheur de boire une grande pinte de bière et qui traversent le dancefloor sans faire attention mais tout le monde me dit "C'est partout comme ça maintenant" et il y a même deux couples hétéros qui dansent le rock alors que c'est de la bonne house qui passe mais bon. Dans le backstage, il y a Fred Djaaleb et son boyfriend Martin qui est le seul mec de toute la soirée qui me capte en un regard, pas besoin de parler, je vois comment il est et il voit comment je suis. Il y a cette fille, Julia, qui commence une battle verbale en impro où elle insulte Kader et Fred et on rigole tellement que je dois m'assoir pour apprécier. She rocks! C'est sûrement un des plus glauques backstages que j'ai vus de ma vie mais c'est pas grave et derrière la porte Nick V et Mike Huckaby sont en train de travailler la foule comme il le faut, les 5 premiers mètres devant les DJ's, ce sont tous des kids de 20 ou 30 ans qui sont vraiment des amoureux de house. Vers 4 heures du matin, il me vient à l'idée que ça y est, je suis le mec le plus âgé dans le club, il y a encore des étudiants sur les tables qui chantent "HAPPY BIRTHDAY" pour une de leurs copines avec des bouteilles de Champagne et je me dis à nouveau Groumf, ça on l'aurait jamais vu avant tellement c'est corny. C'est la première fois que je sors en boite depuis que je me suis cassé la jambe cet été et ma cheville commence à faire mal.

Dans les peintures qui recouvrent les murs de la salle du bar de la Java, il des dessins complètement old school d'un Paris imaginaire des années... c'est assez difficile à dire... 50, 60 ou 70, je ne sais pas. Les gens passent sans vraiment regarder le narratif de la fresque mais je reste longtemps à observer les détails, la manière avec laquelle les arbres sont peints. Les étranges perspectives des immeubles, le vernis de crasse qui recouvre certaines scènes, le peu de personnages humains dans ce qui est, après tout, une illustration de vie urbaine d'une période oubliée, que les jeunes de Mona n'ont jamais connue. Je dis à Asven : "Le truc super cool, ce serait d'écrire 10.000 signes sur ces peintures que personne ne regarde" alors que cette salle de bar, dans la boite, a un côté vraiment agréable, avec des banquettes rouges de restau sur lesquelles on peut s'assoir. 

À 6 heures du matin, le club se termine et je passe la tête devant les platines pour faire un signe à Nick V, ensuite j'attends dehors avec Tom que Rodolphe sorte du bordel du vestiaire et on marche tous les deux en descendant vers République en blaguant sur les choses drôles et moins drôles de la soirée. Il a dansé toute la nuit et surtout à partir de 4h quand la musique est devenue plus techno, s'étonnant que le public ne réagisse pas plus à un classique de UR que tout le monde connaît. Il est content et moi aussi car je ne pensais pas rester si longtemps. Quand on rentre, on est contents de se mettre au lit après une douche, et je ne fais pas grand chose du dimanche, ma cheville fait très mal donc il faut attendre. L'après-midi, Rodolphe va à la messe et ensuite prend l'apéro avec ses amis et quand il rentre il fait une bonne omelette et des pattes et je lui dis en souriant : "C'est notre last supper" et lentement, en silence, il se met à pleurer. Je le console. Tout a été dit, il n'y a pas un caillou d'unfinished business qui n'ait pas été retourné et retourné et remis sur place pour tout se dire, on s'endort dans les bras l'un de l'autre et le matin il se lève à 5h pour prendre son train pour Saint Etienne. Moi je me rendors tout de suite dans son odeur du lit comme je faisais avant quand il partait travailler.

C'est fini.

Quand je rentre chez moi, la seule bonne nouvelle c'est qu'il fait beau sur Le Mans, pas un seul nuage, belle lumière d'hiver. Je n'ai plus mal à la cheville. Ma voiture m'attend à la gare, je passe au Carrefour m'acheter du tabac pour pipe à la vanille, c'est le seul endroit qui vend ça, je ne sais pas pourquoi. Comme toujours, je traverse la banlieue pavillonnaire de Condé-sur-Sarthe en me disant qu'il y a forcément un mec pédé de 25 ans gentil sexy qui m'attend dans toutes ces maisons, le soleil tape en plein dans le bare brise, j'espère que mon mototracteur sera livré demain pour tondre la pelouse et nettoyer un peu ce jardin pour les 80 ans de ma mère, le weekend qui vient.


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