jeudi 29 décembre 2011
Le Garcia de la honte
De toutes les tuiles qui me sont tombées dessus en 2008, une des plus perverses aura été la sortie de La meilleure part des hommes de Tristan Garcia. J'ai dit ce que je pensais de ce livre dans des interviews pour la presse étrangère, là et là, mais en France j'ai pratiquement fermé ma grande gueule. J'étais tellement écœuré que je n'arrivais pas à exprimer ce que je ressentais.
Pour ceux qui ne savent pas, et je ne leur reproche rien, il y a des évènements autrement plus graves à notre époque, tout a commencé quand le responsable des pages culture de Têtu m'a téléphoné, en plein été 2008, pour m'apprendre qu'un bouquin allait sortir à partir de mon affrontement avec Guillaume Dustan. C'était un roman, je mets en italique car dans mon esprit naïf, un roman représente une catégorie littéraire autrement supérieure mais bon, et cet inconnu total, Tristan Garcia, avait décidé de consacrer son premier livre à cette grande bataille de la prévention sur le sida : responsabilité versus bareback. Au lieu d'aider à résoudre le problème, ce livre a apporté encore plus de confusion à une discussion politique qui avait débuté en 2000, huit ans plus tôt. Les romans n'ont pas pour vocation de résoudre un conflit, certes, mais je considère qu'ils n'ont pas vocation, non plus, à mettre de l'huile sur le feu. Les essais et les manifestes sont écrits pour ça. Mais quand l'histoire ne vous appartient pas comme c'est le cas pour Tristan Garcia, quand vous n'y avez pas participé, même de très loin, et que vous n'avez pas levé le petit doigt contre le sida pendant les vingt-cinq premières années de l'épidémie, une certaine humilité exige de ne pas débouler dans le proverbial jeu de quilles pour causer encore plus de tort parmi ceux qui, eux, se sont vraiment battus contre la maladie. Vous pénétrez de plein pied dans un mauvais karma qui mérite justice, ou au moins, une baffe très violente en pleine gueule, ou un grand coup de pied dans les couilles, quelque chose dont on se souvient longtemps. Je n'ai ni l'argent ni l'envie d'attaquer les gens en justice pour ce qu'ils peuvent dire de moi, je considère que tout le monde est libre, c'est la vie, mais cela ne m'empêche pas de souffrir et de penser que Tristan Garcia est un ver de terre.
Ce n'est pas que son roman ait interverti les rôles, les déclarations et les colères de mon affrontement avec Guillaume Dustan sur la prévention du sida. Je ne lui reproche même pas son manque de courage quand il n'a pas pris la peine de m'annoncer lui-même la sortie de son livre, moi le seul survivant de cette affaire (Dustan est décédé en 2005). Je n'en veux même pas aux éditeurs qui ont cru bon de publier ce livre, sachant le mal que cela provoquerait.
Ce qui est grave dans ce livre, quand on ne connaît pas l'histoire qui a motivé cette guerre sur le bareback, c'est que les lecteurs, quand ils finissent ce bouquin, n'ont aucune idée de la profondeur du sujet, entre responsabilité militante et égoïsme culturel. Le seul apport de Tristan Garcia dans la lutte contre le sida aura donc été néfaste, alimentant les contre vérités, les mensonges sur une discussion réellement fondamentale alors que, je répète, il n'a lui-même rien fait contre cette épidémie. C'est comme si les gens souffraient et que vous décidiez de mettre de l'acide sur leurs plaies tout en s'enorgueillant de s'approcher de si près des malades. La jeunesse et la candeur de Tristan Garcia, au moment de la sortie de son livre, sa manière de prétendre "Oh je ne savais pas que ça allait te perturber" est une chose éminemment insultante et je considère personnellement que l'âme de cette personne est désormais souillée pour de nombreuses années. D'abord, on n'écrit pas un livre sur une personne décédée depuis peu (Dustan) comme ça, avec insouciance. On a un minimum de respect. Ensuite on n'écrit pas un livre sur un survivant, comme ça, avec la même insouciance, surtout quand la vie du "romancier" est une page blanche, quand vous êtes zéro, nada, rien du tout. On se ne se fait pas mousser sur le travail des autres. On n'écrit pas un livre sans connaître les "tenants et les aboutissants" du sida (tiens, Garcia, je ne l'avais jamais utilisée de ma vie, cette expression ridicule, et je te l'offre ici car c'est le signe de mon mépris pour toi).
Car aujourd'hui, cette guerre entre Dustan et moi est terminée et je suis at peace with Dustan, exactement comme lorsque je reçois le livre de Frédéric Huet, sorti en septembre dernier, je n'ai rien de méchant à dire sur ce livre, c'est un témoignage sur une histoire d'amour et c'est tout. Je respecte. Tandis que Garcia, à un moment, je dois exprimer ce que je ressens car autrement ce serait vu comme un désintérêt de ma part ou, pire, une acceptation. Et lisez moi bien. Ce livre est une partie de ma vie mais distordue, mon personnage ne me ressemble pas dans la vraie vie, il est même le contraire de ce que je représente et de ce que j'aime, c'est crade. Vous croyez lire un livre sur le sida mais c'est l'antisida. Ce n'est même pas virologiquement correct, bordel! Vous croyez que c'est parce que c'est du roman qu'on a le droit de tout dire sur cette maladie? Mais vous vous prenez pour qui, éditeurs, jury de Prix de Flore, à pénétrer de cette manière dans cette maladie? Vous avez fait votre homework, pour savoir que vous faites du mal à des gens en publiant une histoire qui nous plonge tous dans la honte - ou vous faites semblant de ne pas le savoir? Vous avez Google chez vous? Dans dix jours je sors un bouquin qui raconte 30 ans d'épidémie, et même si c'est écrit d'une manière personnelle, vous, qu'avez-vous fait pendant ces trente dernières années de maladie?
Mais ce qui me pousse à écrire aujourd'hui, ce n'est même pas ce livre qui m'a fait tant de mal, puis le prix de Flore qu'il a reçu, puis les éditions américaines, allemandes et probablement espagnoles de La meilleure part des hommes. Ce n'est même pas le fait que derrière le Prix de Flore il y ait Frédéric Beigbeder, qui était l'ami de Dustan, qui encore une fois me poignarde dans le dos alors qu'on ne s'est jamais rencontrés. Ce qui me met en colère, c'est ce que j'avais dit à Garcia en 2008.
Par mail, je lui avais dit : "Déjà ce bouquin c'est la honte et tu devrais être vraiment être ashamed de ce que tu as fait, à moi et Dustan. Mais si tu fais un film ou quoi que ce soit à partir de ce bouquin de merde, alors tu vas m'entendre. AND. YOU. DON'T. FUCK. WITH. ME. YOU. LITTLE. PIECE. OF. SHIT." Or, cet été 2012, qu'est-ce que j'entends auprès d'un ami de Caen? : "Heu Didier, tu es au courant qu'une pièce de théâtre est en train de se monter sur le bouquin de Garcia?" Ben non, je ne le suis pas, si Garcia n'a pas les couilles de me dire qu'il se fait encore du fric sur mon dos, comment le saurais-je?" En plus je DETESTE le théâtre de toute manière, je ne connais pas les attachées de presse du spectacle vivant et c'est d'ailleurs sûrement pour ça que je ne suis pas un barebacker car 98.6% des gens que je connais qui vont au théâtre ne sont pas safe (une observation personnelle, vous en faites ce que vous voulez). Et là, j'apprends par Hélène Hazera, il y a quelques mois, que la pièce se "monte" à Paris avec encore plus de fric qui tombe dans le compte en banque de Garcia. Et Hélène me dit "Peut-être serait-il temps que tu dises ce que tu en penses". Vous voyez où je veux en venir. Non seulement Garcia fait du mal à Dustan et moiself, mais en plus il y a du commerce derrière. Je ne suis pas vénal, tous les gens qui me connaissent peuvent en témoigner, je suis au chômage depuis 2008 (vraiment une année sensass pour moi lol) et le mec, pas un merci ou quelque chose. Il a fallu que je lui demande, MOI, les éditions étrangères de La meilleure part des hommes pour les recevoir. C'est hallucinant.
En anglais, on appelle ça un asshole, un terme qui est beaucoup plus péremptoire que le "trou du cul" français. Cela décrit un mec qui fait un truc pas correct, uniquement parce qu'il n'a pas de scrupule, parce que ses éditeurs lui disent "Coco, c'est génial!". Et Garcia va vivre pendant des années avec le prestige de son Prix de Flore à la con et désormais il y a une pièce de théâtre avec un metteur en scène qui gagne du fric, des acteurs et des actrices qui gagnent du fric, et des éclairagistes et des mecs qui prennent le ticket de théâtre à l'entrée et même le mec qui balaye les tickets de théâtre sur le trottoir le lendemain matin. C'est toute une organisation qui suit un livre paru en 2008 sur un mensonge, une arnaque. Et tout ça avec des noms astucieusement intervertis, des petits détails de littérature légèrement modifiés afin que le service juridique derrière ce livre puisse dire "C'est bon, on l'envoie à l'imprimerie". C'est absolument haram de faire un truc pareil, c'est le roman dans ce qu'il a de plus abject, un sous-produit de notre époque qui ne respecte rien ni personne.
Alors, depuis la sortie du livre de Garcia, en 2008, il m'a fallu trois années, lentement, pour parvenir à relever la tête. Ce livre paru cet été-là, c'était un poison et il m'a détruit, cela m'a fait du mal car jamais, Dustan et moi, nous nous sommes affrontés avec l'idée de faire du fric sur notre dispute. Nous savions que notre affrontement serait discuté et commenté à travers Paris, qu'il serait le sujet de moqueries et de potins imaginaires. Nous avons perdu des amis communs dans cette guerre et il y a toujours des hommes et des femmes à qui je ne pardonnerai pas d'avoir choisi Dustan. Mais! Dustan est mort et il ne peut pas répondre. C'était un homme de loi et s'il avait vu La meilleure part des hommes, il aurait probablement fait un procès, lui. Les bourgeois font des procès. Pas des gens comme moi. Mais ce n'est pas parce que Dustan est mort et que je suis au chômage que je ne peux pas m'élever une fois de plus contre le mal qu'on nous a fait en dénaturant ce que nous avons dit, lui et moi. Alors, faites votre pièce de théâtre à la con. Je vous maudis. Et je ne sais pas ce que Dustan dit, mais il est déjà dans l'au-delà, et il est en train de tirer des ficelles que vous ne pouvez pas voir. yet.
mardi 6 décembre 2011
Sperme et "Jizz Art" sur Tumblr
Quand j'étais un ado homosexuel, une des choses qui me posait le plus de problème était d'imaginer le sexe des hommes que je voyais dans la rue. J'avais du mal à trouver une cohérence entre l'apparence publique de ces hommes et leur sexualité intime et j'avais compris très tôt que ce que l'on nous apprend à l'école, quand on se déshabillait avant d'aller à la piscine, était un mensonge universaliste. « On est tous faits pareils ». Je pense que ce lavage de cerveau culturel et social est une des raisons pour lesquelles nous développons, nous les gays, un gaydar subjectif sur ce qui est gay ou pas, qui a une belle bite ou pas, qui baise bien ou non. En regardant quelqu'un, notre cerveau calcule inconsciemment tout un faisceau de questions / probabilités qui peut nous donner une idée de ses secrets et le côté merveilleux de la découverte consiste à accepter ce fait si injuste : nous ne sommes pas faits pareil. C'est gros comme le nez sur la figure. Certains hommes sont plus beaux que d'autres, certains sont beaux de partout, ils sont vraiment bénis en naissant et notre équilibre, dans la vie, c'est d'accepter ce « Have & Have Not » dans la sexualité, car il n'y a rien à faire. Il faut l'embrasser, pas le combattre.
Bien sûr, nous savons que ce gaydar est aléatoire. Certains homosexuels sont absolument impossibles à reconnaître, soit parce qu'ils sont parvenus à se cacher si bien qu'ils se fondent dans le paysage, soit parce qu'ils sont tellement masculins que rien ne transperce leur carapace, certains ont des petites bites alors qu'on est persuadés du contraire, et d'autres ont des grosses bites qui ne sont pas belles (ça existe, sisi). Ce qui est en train de changer dans le gaydar, ce n'est pas les sites de rencontre où vous savez tout sur le mec en question avec plein de cases cochées sur tout et n'importe quoi, même s'il mange de la main gauche, c'est Tumblr. Et je vois à quel point Tumblr nous change, exactement comme Facebook nous a changé quand on s'y est mis il y a 4 ans. Car Tumblr, qui se spécialise dans les photos et images, comme un Twitter de l'illustration, est aujourd'hui le principal réseau social de l'anatomie humaine. Plus de 70% des photos postées montrent des hommes comme vous et moi (enfin moi je suis pudique, je suis incapable de me montrer comme ça) qui se déshabillent devant le téléphone portable et montrent leur bite dans leur salle de bains, chez eux, ou n'importe où d'ailleurs. Cet exhibitionnisme n'est pas du tout celui des réseaux de drague, puisque le but n'est pas ici de se rencontrer et de draguer. C'est tout simplement le premier moment de l'histoire de la photographie où les hommes se montrent tels qu'ils sont, sans pudeur ni artifice d'éclairage ou de Photoshop, élucidant un peu plus le mystère de leur physique et de sa représentation publique.
OK, les trois quarts du temps, les mecs ont des bites superbes, ce qui ressemble à un catalogue mondial des plus beaux mecs de toutes les couleurs, et il y a en ce moment, par exemple, une montée en puissance sans précédent du physique asiatique, sûrement un autre marqueur de l'importance économique et de la libération des mœurs à l'Extrême Orient. Toutes les races sont là, dans leur présentation la plus simple et la plus right in your face. Et même si cette représentation des bites est nettement au-dessus de la normale car on a forcément envie de forwarder les plus belles bites, donc mécaniquement les biais sont nombreux, Tumblr est le miroir de ce qui est aimé et apprécié, et c'est aussi le vecteur d'autres images. Il y a des blogs où les mecs ont des petites bites ou des bites normales, vraiment comme vous et moi.
Tumblr est le réseau social qui change le plus vite les conceptions toutes faites. Et c'est pourquoi l'affrontement entre le réseau majoritaire, Facebook, est très réel avec le réseau minoritaire, Tumblr. Les gens de FB ne comprennent pas l'intérêt de Tumblr (dont la qualité première réside dans l'absence de censure, alors que FB est contrôlé) tandis que les fans de Tumblr se moquent de FB comme un modèle de pensée déjà dépassé, limité, pratiquement débile. En fait, la suprématie physique de ces hommes est en train de casser l'uniformisation masculine telle qu'elle a été forgée pendant des années avant la photographie numérique. Ce ne sont pas forcément les sexes merveilleux de ces hommes que l'on découvre sur Tumblr, c'est toute leur attitude générale, leurs tatouages, l'immense création que cela représente aujourd'hui, et toute l'attitude qui va avec. Les jeunes d'aujourd'hui sont réellement mieux foutus qu'avant car la modernité de la société a modifié leurs corps, leur musculature, leur maintien, même leurs complexes. Ils sont plus à l'aise, c'est indéniable. Et surtout, on comprend que cet universalisme physique, « On est tous pareils » est un concept créé par les Blancs pour imposer le physique des hommes blancs.
Il y a un autre aspect dont personne ne parle, c'est que Tumblr est aussi le média qui reflète à quel point l'abandon de la capote est banalisé, dans les photos de pénétration, les GIF où on voit les mecs baiser, etc. Mon analyse est que ce reflet est paradoxalement plus proche de la réalité, car on voit bien que ces mecs ne sont pas forcément des freaks, cette pratique concerne tout le monde, des très jeunes aux très âgés. Un des derniers symboles culturels de Tumblr, très récent, qui date à peine de quelques mois, est ce qu'on pourrait appeler le « Jizz Art ». On voit de plus en plus de photos de baise avec des mecs sans capote, mais dans cette catégorie apparaît désormais toute une production de photos d'art avec des sexes en gros plan, avec une qualité d'image et des couleurs ahurissantes, qui montrent des bites en train de jouir, avec des jets de sperme (« jizz ») qui ressemblent presque à de l'art abstrait. Tout le monde sait ce que je pense du safe sex (que du bien, pour résumer), mais ces photos ne montrent pas forcément le sperme en contact avec des muqueuses ou la bouche, des fois c'est juste une explosion, un feu d'artifice, une merveille de la nature, comme on filme un geyser. Bien sûr, il y a aussi du Jizz Art bareback, mais ce n'est pas limité à ça. Le sperme redevient à nouveau un sujet artistique, il n'est plus le sujet de la terreur et on voit ici la conséquence artistique des dernières études scientifiques dans le sida qui démocratisent l'idée selon laquelle le sperme pourrait être « lavé » par les traitements antirétroviraux.
Je trouve ça fabuleux, exactement comme j'ai toujours aimé l'art érotique gay, les dessins et la photographie, comme le reflet de ce que nous sommes vraiment, où ce que nous rêvons de devenir à travers l'effort, le sport, l'image, le développement de la personalité. Ce que le reste de l'art (le cinéma, la musique, etc.) ne montre pas vraiment. Tumblr est le media le plus gay actuellement, gay dans le sens positif du terme bien sûr, là où l'affirmation est évidente car ces hommes, ces milliers d'hommes se montrent tels qu'ils sont face au monde entier. C'est du coming-out en masse. Ce n'est donc pas uniquement de l'exhibitionnisme, c'est de l'affirmation, l'assurance que l'ego peut être un moyen de s'affirmer quand on est exclu par ailleurs, soit parce qu'on est pauvre ou en difficulté. Tumblr est de la poésie / porno, on passe directement de l'image crue de cul au portrait le plus intime de deux hommes ensemble, ou d'un homme seul qui boit son café ou qui marche dans la rue. C'est le media des hommes car, si les femmes sont éminemment présentes sur Tumblr, il existe enfin un équilibre nouveau, celui de la beauté masculine sous toutes ses formes, qui montre que la femme n'est plus l'objet central de l'érotisme. Nous sommes à nouveau dans le monde de l'homme, celui du physique qu'il a longtemps caché parce qu'il était trop puissant, trop beau, trop évident. Trop dangereux.
mardi 25 octobre 2011
Un monde d'hommes
Il y a des hommes que je n'ai pas aimés dans ma vie et je commence à accepter le fait que je ne les rencontrerai jamais. Sur Tumblr, on est régulièrement confronté à des idées comme "You only live once" ou "Bad decisions make beautiful stories" et à chaque fois, une partie de moi frémit car je sais que c'est un idiome dangereux qui encourage le risque le plus idiot. Et surtout, cela sous-entend que le moindre écart à cette obligation d'aller au bout de la pire connerie est une déception existentielle, ce qui est parfois vrai, mais il faut rappeler que la vie nous empêche parfois de réaliser tous ces rêves parce qu'il existe d'autres obligations qui sont au-dessus de ces rêves et l'expérience de la vie nous oblige, précisément, à ne pas se laisser dépasser par la frustration de ces rêves parfois impossibles à réaliser.
Depuis plusieurs années, je n'arrête pas de me dire que si j'étais tombé amoureux d'un Espagnol, ma vie aurait bifurqué d'une manière très importante en me dirigeant vers le sud au lieu d'aller vers l'ouest. J'aurais dépassé mes complexes face à la langue espagnole que j'admire tant et j'aurais découvert toutes ces étendues de terre à l'intérieur du pays, celles qu'on voit dans certains films d'Almodovar, une des régions les plus romantiques pour moi.
De même, je n'ai jamais rencontré d'Italien et je considère que cette lacune est un des échecs de ma vie car la langue est aussi si belle et c'est d'ailleurs pourquoi je n'ai jamais mis le pied à Rome. Pour moi, c'était la seule ville à visiter avec un Italien amoureux, il n'était pas question que je découvre cette ville comme les autres, avec un plan et au hasard. C'était amoureux ou rien du tout. Et puis, il y a tout le reste de l'Italie, car ce que j'en ai vu était déjà si énorme que je ne me sentais pas assez fort pour affronter ça tout seul, je suis un vrai gay classique dans ce sens, ces paysages italiens et grecs, pour ma génération, c'est le summum de tout, ça va au plus profond de nos tripes.
J'ai rencontré un Allemand et il m'a beaucoup influencé. J'ai eu la chance de tomber amoureux d'un jeune Canadien moustachu blond qui m'a laissé admirer son accent et ses expressions concrètes. J'ai eu beaucoup d'Anglais et même des skinheads avec l'accent écossais mais jamais eu de mec avec l'accent cockney ou de Liverpool ou de Manchester et je n'ai malheureusement pas eu le plaisir de vivre, même une courte période, avec un Irlandais à l'accent prononcé. J'ai eu un Chilien qui m'a appris des choses et qui baisait avec une régularité réconfortante, un peu comme ce bourge Versaillais souriant, poilu blond de partout, toujours à l'aise, toujours expansif, toujours en sueur. J'ai eu de belles histoires avec des Antillais qui sont parvenus à me faire très vite comprendre que j'avais un don inné pour leur plaire et m'accommoder de leur étrange caractère.
Mais je n'ai jamais rencontré de mecs avec des dreadlocks ce qui est une tristesse dont je ne me remets toujours pas, je n'ai pas eu d'histoire d'amour avec un arabe ce qui explique beaucoup de complexes, et je ne parle même pas ici du continent africain car vous ne voulez pas que j'aborde ici ce sujet tellement il est vaste. J'ai eu un Grec aux jambes blondes poilues (il y a un terme pour ça dans la langue grecque je crois mais je l'ai oublié), mais cela n'a duré que le temps d'un blow-job, je n'ai jamais rencontré de Turc poilu de partout et surtout des jambes, je n'ai pas eu un seul homme d'Europe Centrale et plus loin, de Géorgie, un pays qui symbolise pour moi un des centres telluriques du monde. J'ai eu un Israélien tellement gentil et qui sentait si bon que cela m'a ouvert l'esprit sur beaucoup de choses, je n'ai jamais rencontré de Russe mais cela ne me gêne pas car c'est une partie du monde qui ne m'intéresse pas, mais j'ai eu un Polonais généreux, blond et poilu, qui baisait si bien qu'il en a fait son métier.
Un des grands trous noirs, c'est de ne pas avoir eu d'histoire avec un Japonais, du genre de celui qui joue dans "L'empire des sens", mais je me dis de plus en plus que ces Japonais-là sont totalement inabordables pour des raisons extrêmement nombreuses et peut-être même n'existent-ils plus. Je n'ai pas rencontré d'Indien ou de Pakistanais et ça commence à me pomper grave car je les trouve incroyablement masculins et poilus et je suis assez en colère quand j'en vois de très jolis à Paris, surtout parmi les jeunes de la troisième génération. Les Chinois et les Coréens m'impressionnent de plus en plus, comme tout le monde de suppose, car le XXème siècle a fait semblant de ne pas les voir.
L'Amérique du Sud, c'est comme l'Espagne et le Portugal, des hommes d'une beauté hallucinante et là aussi, je fais partie de ces rares gays qui n'ont pas dépensé toutes leurs économies pour les rencontrer car je ne trouvais pas casher de faire du tourisme sexuel. Résultat : pas d'Argentins, pas un seul Brésilien, ce qui me met de facto dans une case où je dois être la dernière folle au monde à ne pas avoir été en contact direct avec leur beauté, probablement la plus aboutie sur la planète Terre. Il y a ici un sujet qui mériterait un livre tant la frustration est immense, pas uniquement dans le strict cadre sexuel, mais tout ce qui se cache derrière, les villes, les plages, la nourriture, les immenses étendues de pampas avec des graminées qu'on ne trouve que là-bas et qu'on est juste au stade de découvrir. Bien sûr, la langue, la musique, l'architecture, tout.
En remontant vers le nord, ce sont toutes les grandes îles qui me sont passé au-dessus de la tête, Cuba et Haïti, alors que je connais tant de gens qui sont tombés amoureux de ces pays, et le Venezuela et ses 2000 kilomètres de plages pratiquement intouchées et le piiiiiiiiiire pour moi, c'est le sud des Etats-Unis, la Nouvelle Orléans, la Géorgie, la Caroline du Sud, l'Alabama, la Louisiane, tout ça, le plus bel accent au monde pour moi, une sorte de piège fatal du sex appeal, quelque chose qui fait que vous êtes en demande de chaque mot, de chaque expression qui sort de la bouche d'un homme, ce qui est une situation très rare si vous y pensez une seconde. C'est comme un plus produit qui devient en fait presque plus important que la beauté et la sensibilité de l'homme, un puits sans fond, quelque chose qui se renouvelle chaque jour miraculeusement dès le réveil, même quand celui-ci s'avère difficile. C'est une introduction à tout ce méli-mélo complexe du sud, l'esclavage et la catastrophe, le choc de deux races qui se mélangent, l'origine de tout.
J'ai eu ma part d'Américains mais je n'en ai jamais eu assez, bizarrement, au stade où je pense désormais en langue anglaise, dans mon esprit les premiers mots qui me viennent sont souvent dans cette langue et il faut parfois que je me pose la question : "Mais comment on dit ça en français déjà?". Je n'ai jamais rencontré de Latino et ce qui me rend triste aujourd'hui, c'est surtout de ne pas avoir rencontré de métis Américain - Japonais ou Américain - Chinois car you don't wanna me to dwell on this.
Tout ce qui est protégé par le Pacifique est dans mon cœur le summum du summum. Tous ces peuples qui ont inventé le surf et le tatouage, les Maoris et les autres et plus on s'approche de la Nouvelle Calédonie, de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie, je ne pourrais même pas le décrire dans un texte si court. Tout le monde sait dans ma famille que mon père a failli s'installer en Nouvelle-Zélande avant de partir de l'Algérie et nous avons passé notre jeunesse à lui reprocher de ne pas l'avoir fait. Là aussi, mon amour pour ces hommes et toutes les ethnies qui peuplent ces îles est accentuée par une erreur du destin, quelque chose qui était si proche. La vie de ma famille aurait été toute autre et je rage de ne pas avoir grandi dans ces vallées remplies de moutons et des plus belles graminées au monde, et de voir ça à partir du début, dans les années 60 quand c'était vraiment vraiment un monde pauvre. Nous aurions grandi avec les chevaux et les moutons et les hommes qui les élèvent, avec la mer si froide mais si riche, la proximité avec l'Australie et le Japon et l'Indonésie. Quelle erreur de destinée, tout cela pour arriver dans le Lot-et-Garonne.
On aurait vécu avec la terre rouge, nos mains seraient épaisses et brulées par le soleil, nos corps se seraient développés malgré les complexes de l'homosexualité d'alors, nous saurions survivre pendant plusieurs jours dans la dureté de la nature, bref je serais un homme Brokeback Mountain au lieu d'être un activiste sida. Je serais reconnaissant à mon père de nous avoir extirpé du drame algérien que nous payons encore jour après jour, année après année, décennie après décennie et j'aurais forcément développé une fascination sans borne pour la culture française, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Je ne suis jamais allé dans ces pays, redoutant toutes les choses qui m'émerverveillent, les paysages et les hommes, pour ne pas voir ce à quoi j'ai échappé. Inconsciemment, j'ai utilisé toutes les excuses financières, ou la longueur des voyages, ou la peur de tout laisser tomber pour recommencer à zéro à partir du choix malheureux de mon père, ce choix qu'il a pris pour respecter sa famille et ses propres fils, ce choix qui l'aurait pourtant rendu plus libre. Ces choix qu'on ne peut pas toujours faire, contrairement aux slogans que l'on nous impose aujourd'hui comme "Vivez votre vie comme si c'était le dernier jour" ou "You only live once", des slogans que l'on impose aux jeunes pour des raisons strictement commerciales et qui nourrissent finalement la vente de jeans et d'Energy drinks. Cette Nouvelle-Zélande, qui vient de gagner la Coupe de Rugby, qui aurait pu être mon pays, je n'ose même pas la découvrir car je crois que je me mettrais à trembler dès l'apparition du premier homme barbu blond ou des graminées à flancs de colline, brutalisées par le vent et le froid, et par tous ces hommes d'Australie, surtout ceux qui sont arrivés de Grèce il y a quelques décennies et ces accents différents qui sortent de leurs bouches. C'est juste too much et s'il n'y avait pas eu le sida et l'obligation de me soigner dès 1986, je serais parti, je le jure, je serais parti loin pour renouer avec le rêve de mon père qui ne s'est jamais réalisé.
dimanche 23 octobre 2011
Les noix
Il y a une impression désagréable dans la récolte des noix. Je crois que c'est un trait commun à toute l'agriculture, le moment de la récolte, c'est le plus énervant de l'année. Même si la récolte est bonne, comme cette année, et que les noix n'ont jamais été si grosses et si belles grâce à la pluie cet été, la vie quotidienne change car il faut les ramasser le matin et soir, c'est impératif.
Mon père avait déjà ça pendant la récolte des prunes, dans le Lot-et-Garonne. Il ne fallait pas l'embêter à ce moment-là. Comme la ferme était au centre de 4 fours à pruneaux, le travail se faisait jour et nuit car les fours ne doivent pas s'arrêter et il faut surveiller la cuisson et débarrasser les cagettes cuites pour y mettre les prunes à cuire. Chaque fin d'été, le bruit des fours était incessant, un vrombissement qui s'associait au parfum renversant, celle de la prune qui cuit, comme si une immense tarte aux prunes embaumait l'air, un parfum si chaleureux qu'on se demande pourquoi un parfumeur ne l'a pas encore commercialisé.
Ah bon, ça existe? Donc les noix sont à la merci de mes écureuils qui n'arrêtent pas de les piquer et de les enfouir dans les massifs, ce qui me donne une pépinière de jeunes noyers dans mon jardin, de très bons cultivars car ils viennent d'un arbre très solide et reproducteur. Le matin quand je me réveille, je le vois déjà en train de faire des allers et retours pour me piquer les noix sur le sol et il commence dès le lever du jour le petit salopiot et si je ne vais pas ramasser ce qu'il n'a pas déjà volé, il a gagné quoi.
J'ai beau offrir ces noix aux amis pendant tout l'hiver, ce noyer donne tellement que je ne sais pas quoi en faire. En plus, on ne ramasse pas les noix comme ça. D'habitude, ma pelouse est grillée en fin d'été et les noix se voient bien au milieu des premières feuilles mortes. Là il faut les chercher dans la pelouse toute verte qui pousse encore et enlever cette petite barbe noire qui entoure la coque parce que ce n'est pas joli autrement. Je ne garde que les grosses noix, les autres je les jette à la base de l'arbre, ça fait un petit cadeau à l'écureuil et peut-être même un decoy pour qu'il ne prenne pas les plus belles.
Il faut avoir un panier en grillage pour permettre aux noix humides de mieux sécher, moi je les laisse au soleil pendant la journée, recouvertes d'un tissu autrement l'écureuil vient se servir dedans directement le petit salopiot. Quand on a fini un coin sous l'arbre, on tourne tout autour du tronc dans un mouvement concentrique. Souvent, les plus belles noix ne sont pas sous l'arbre, elles sont à son extrémité extérieure, elles viennent des nouvelles branches plus exposées au soleil, ou elles ont roulé en tombant. Quand on a fini de faire le tour dans un sens, on recommence la même chose dans l'autre sens car il y a toujours des noix qui se sont cachées derrière une touffe d'herbe. Enfin, quand j'ai fait deux tours, je regarde toujours sous l'arbre avec le soleil derrière moi. La couleur des noix qui restent sur le sol ressort alors avec leur belle tonalité qui brille sous la lumière. Il faut aussi utiliser son pied pour sentir les noix sous les feuilles mortes, donc ça fait bouger toute une section du bassin pour gagner la taille fine. Après ça, je peux considérer que la récolte est finie. Avant le soir.
Ca tombe bien parce que ça fait un peu mal au dos. J'ai des amis qui n'aiment pas ramasser les noix et c'est vrai, il y a un côté tatillon et obséquieux dans cette récolte qui ne ressemble pas à celle des pommes ou des poires, même les petits fruits rouges. C'est un peu comme les prunes en fait. On s'en met plein les mains, les doigts deviennent noirs (juste un peu, arrêtez de crier), un ami m'a dit que ça ressemblait aux marques des poppers et c'est vrai, j'avais oublié ça. Mais l'odeur est magnifique, même si certains ne l'aiment pas. Après tout, le noyer est rempli de l'odeur du tanin, une substance que l'on conseille de ne pas ajouter aux massifs de fleurs ou dans le potager car c'est toxique. Pourtant, une des beautés de l'automne, c'est aussi d'écraser dans ses mains quelques feuilles de noyer et de renifler l'odeur poivrée dans le creux de la paume.
Le noyer ne demande aucun entretien, aucun traitement, mais il faut penser à couper les branches qui poussent à l'intérieur de l'arbre car elles ne servent à rien et réduisent la circulation de l'air. C'est un arbre qui n'aime pas la taille donc il faut le faire maintenant (je crois), mais je n'en suis pas sûr, quand la sève se retire des branches pour l'hiver.
C'est un arbre merveilleux pour la sieste et oui, c'est vrai, il est frais en été quand il fait chaud et non, je ne crois pas qu'on attrape un rhume parce qu'on a dormi dessous. En général, surtout en Normandie, le noyer a la délicatesse de coordonner sa récolte avec les derniers beaux jours de soleil comme en ce moment mais parfois, certaines années, elle tombe en pleine saison des pluies et ce n'est pas drôle du tout. Il faut ramasser les noix avec les gants, tout est gluant à cause des coques externes qui pourrissent et il y a toujours la goutte d'eau qui tombe de l'arbre dans votre cou, grrrrrr. Tout est humide, les noix doivent être mises dans un seau d'eau pour les nettoyer un peu, et ensuite mises devant la cheminée pour les sécher et qu'elles retrouvent leur belle couleur blonde. Tout ce qui n'est pas ramassé sera mangé, soit par les écureuils, soit par les corbeaux. Mais c'est le meilleur moment pour regarder ces animaux et l'écureuil est tellement excité qu'il s'approche de la maison car il cache les noix dans tous les massifs, même les plus proches. Il est capable de venir mettre une noix derrière une pierre juste à côté de la porte d'entrée. S'il pouvait, il irait en mettre dans le réfrigérateur de la cuisine.
Ils sont si mignons. Ils jouent à plusieurs dans le grand pin, ils font leur nid dans les charmes près de la maison, ça ressemble à une petite boule de nid de pie à base de brindilles et de feuilles, très haut dans l'arbre, ce qui fait que les jours de tempête ça doit être assez shaky. Avoir un noyer et un châtaignier côte à côte, comme chez moi, c'est l'assurance d'avoir des écureuils pendant des années et des années, bien qu'ils soient très fragiles et perdent beaucoup de petits.
Le noyer à aussi cette couleur d'écorce unique avec un lichen qui forme des taches grises presque argentées et d'autres jaunes vif, un excellent motif de papier mural si je peux me permettre. C'est un peu comme les gens de la mode qui n'ont pas encore compris que le plus joli motif de kaki camouflage, c'est celui du platane. Sortez dans la rue, regardez un platane et imaginez une veste Stüssy ou Supreme avec ce motif. Ah bon, ça existe? Moi je dis ça je dis rien, j'ai pondu le concept de la dernière expo d'Olympia Le-Tan lui disant il y a 5 mois qu'elle devrait faire des sacs à mains à partir des gros livres sur le sida ou les encyclopédies médicales qui sont toujours super bien reliées avec du brochage de la mort, des titres gauffrés en doré, des trucs comme ça sur gros tissu. Bing, elle fait une expo super jolie avec des drôles de canapés en forme de seringues et de logos de la Croix Rouge. Conceptuel or what.
Bref, l'écorce de noyer est magnifique et on aimerait bien porter ça sur soi, une veste avec ce motif-là, c'est reblogué 10.000 fois sur Tumblr, sans problème. Enfin, ce qu'il faut dire sur les noix, c'est que leur récolte n'est pas facile mais c'est celle qui ressemble le plus à la récolte des œufs de Pâques. Bon moi je n'ai jamais été dedans et quand on était petits, il y avait tellement peu de bonbons à récolter dans le jardin, et en plus avec 3 grands frères qui allaient plus vite que moi, c'était un non évènement, mais je suis sûr que parmi les lecteurs de ce blog certains y trouveront une sorte d'excitation fétichiste que je n'encourage pas mais qu'il était bon de signaler à toutes fins utiles.
vendredi 7 octobre 2011
Le jardin, là maintenant
Oui, j'ai rien écrit de fondamentalement nouveau sur ce blog depuis deux mois à part ma déclaration pour Hubert Duprat et c'est pas comme si j'avais rien foutu, je suis resté blocada devant mon ordi tout l'été pour écrire deux bouquins et je reprends ce blog là où je l'ai quitté (conceptuel) : le jardin. Il est, comment dire, stupendous. Il a tellement plu en juillet et aout que je n'ai même pas eu à perdre du temps à arroser et en fait, je n'ai presque pas regarder le jardin pousser. Certains jours, je n'avais même pas le temps ou l'envie d'aller chercher le courrier.
En fait, tout ça était prévisible. Printemps très sec, été pluvieux, les agriculteurs du coin l'on vu venir et c'est pour ça qu'ils ont semé, en pleine canicule de fin du printemps, des champs de maïs qui demandent beaucoup d'eau. Ils ont fait le pari de semer une plante qui aurait été incapable de pousser si le manque d'eau persévérait et ils se sont dit que la pluie arriverait au milieu de l'été, quand le maïs pousse très vite avec la chaleur. Avec la pénurie de céréales à travers le monde, ils sont sûrs de faire des bénéfices record. Ils vont se faire plein de fric, comme en 2007. Donc la prochaine fois que vous les entendrez se plaindre à la télé, vous pourrez leur dire pouet pouet.
Le jardin est si beau chaque jour davantage que je n'ose pas m'en approcher. Je le jure. De mes fenêtres, je vois les miscanthus qui fleurissent à une hauteur que je n'ai jamais vue. Certains font bien 3m50 de hauteur. Au bout de trois ans, ce massif a bénéficié lui aussi de toute l'eau de l'été, des orages en pagaille, et tout se mélange, sans la moindre mauvaise herbe. C'est hallucinant de perfection et je rappelle que je ne m'en suis pas occupé de tout l'été. Donc le massif se tient désormais tout seul, c'est pratiquement impossible d'y pénétrer et chaque jour, chaque variété différente de graminée est en train de lancer ses têtes vers le ciel, on les voit pratiquement pousser. Contrairement à l'année dernière, où il avait fait sec et la majorité des miscanthus n'avaient pas fleuri, cette année tout le monde y va de son plumet, avec chacun une texture, une couleur et un duvet différent. Même le pied de Sorghastrum nutans "Indian Steel" qui avait végété pendant ses deux premières années de plantation est heureux avec ses tiges qui se dégagent bien au-dessus du feuillage. Pareil pour les miscanthus Purpurascens qui faisaient la gueule, leurs tiges se préparent et j'attends de voir ce que ça donne car cette variété est connue pour faire des tiges bien droites avec des plumets verticaux, ce sont eux que l'on voit souvent dans les films chinois ou japonais quand vous voyez des étendues d'herbes argentées qui ondulent sous la tempête.
Tout est vert, tout pousse, pour culminer fin septembre et octobre, le moment où tous les miscanthus sont parvenus en floraison. Je sais, tout ceci ne produit pas beaucoup de pollen contrairement au champ de cosmos que je plantais il y a 8 ans.
Mais il y a une foule d'insectes dans ces herbes et des bourdons sur les eryngeiums et bien sûr des campagnols. Hier soir j'ai vu sur le bord du massif, sur la pelouse, une longue crotte de la fouine qui vit sous le toit de ma maison : plein de poils de souris et un bout de coquille d'œuf d'oiseau. Funky. Il y a aussi les araignées magnifiques, les argiopes, qui se sont installées, que j'ai reconnues ensuite dans le "Guide de la nature, milieu par milieu". Une belle bête qu'on voit toujours la tête en bas dans sa toile, avec son ventre strié de noir et de blanc qui copie les couleurs de la guêpe pour faire peur à ses ennemis.
Les artichauts ont des têtes droites de 4 mètres de haut, je ne mens pas. Encore cette année, j'ai refusé de les manger car les fleurs étaient trop belles. Je les laisse sécher sur place pour l'hiver. J'avais beaucoup plus de chardonnerets à l'époque des cosmos, mais il reste quelques couples qui restent dans le jardin tout l'hiver et qui se nourrissent des graines qui s'ouvrent avec le froid.
Les grandes révélations de cette année, ce sont deux plantes achetées pour les tester. La première est Stipa capillata, qui a fait dès cet été une demie douzaine d'épis de 50cm de hauteur, un artifice de graines si fines qu'il faut vraiment s'approcher pour les discerner. Elles sont très douces quand on les prend dans la main pour les faire glisser à l'intérieur de la paume. Dès le première année. Je me demande comment ce pied sera dans deux ou trois ans, ce sera sidérant. C'est une plante à installer en groupe, c'est trop joli. Ou en pot.
La seconde, Elymus Hystrix, était vendue comme une graminée qui accepte la mi-ombre, ce qui est assez rare pour celles qui font plus de 80cm de haut. Et c'est vrai, je l'ai mise dans un pot pour la tester à l'endroit d'un nouveau massif que je terminerai cet hiver, sous un châtaignier, et elle est si impressionnante que tous mes amis à qui je la présente sont bouche bée (comme on dit). C'est une graminée qui dès la première année produit une jolie touffe de feuilles basales fines d'où surgissent de grandes tiges bien droites avec un goupillon au bout qui ressemble à un porc-épic (d'où son nom). On dirait un immeuble de Dubaï, un délire architectural : à la mi-ombre, dans le sous-bois, on voit ces étincelles qui captent le moindre rayon de soleil, surtout si le fond des arbres est sombre. Elle est généreuse, elle tient bien droit, une vraie tour, et si l'on cueille les tiges pour en faire un bouquet, elle produit une seconde vague au mois d'août. Je vais faire un massif avec 10 pieds de cette merveille!
Les anémones Honorine Jobert sont bonkers, les roses et les blanches, je sais c'est un cliché cette vivace, mais c'est la première année où elles sont si belles et elles envahissent le moindre espace entre les graminées. Les plus beaux sont les panicauts "Heavy Metal" avec des feuilles glauques grises en épis pointus qui se dressent très haut, et encore, je n'ai pas réussi à trouver les plus beaux de tous, le "Northwind" qui est supposé être une sorte de fusée verticale qui résiste à tout, même en hiver.
Le flop du jardin de cet été, c'est tout le côté nord de la maison qui ne s'est pas remis de la sécheresse du printemps, malgré la pluie arrivée en été. Tout a été raté dans ce coin, même les fougères qui ont été mangées par je ne sais pas quoi, je n'ai jamais vu des fougères se faire dévorer de la sorte. Les primevères sont presque toutes mortes, sympa pour ma fleur préférée, et même les primevères à étages sont si malheureuses qu'elles n'ont pas produit d'épis. C'est tellement dégoûtant que je détourne le regard. Les osmondes royales ont grillé, ça me rend vénère, le rosier Mermaid a trop souffert de la taille radicale que je lui ai imposée car il devenait ingérable à monter sur le toit de la maison. Je crois qu'il va mourir et tant pis, ça lui apprendra, c'est un rosier trop piquant. Vraiment, c'est un rosier magnifique, mais mettez-le dans un endroit abrité où vous n'aurez jamais à le tailler, c'est un baobab ce truc. De toute manière, je sais déjà ce que je vais mettre à la place.
Et puis les premières poires n'ont pas été bonnes, peu de goût, de toute manière elles sont arrivées en plein rush de deadline de rendu de livre et je les ai vues tomber au sol et se faire manger par les merles. C'est affreux d'avoir des fruits du jardin et de ne pas les manger, mais c'est comme ça, arrêtez de crier, j'étais tout seul et je n'allais pas avaler 2 kilos de poires par jour, je n'ai pas besoin de faire de régime moi, je ne suis pas du tout attiré par les mecs bedonnants, je suis naturellement svelte grâce au VIH. Fat Fat Fat is not my game.
Depuis, les autres variétés de poires sont délicieuses et là ce sont les noix, j'en ramasse matin, et soir et les châtaignes n'en parlons pas, j'en ai VRAIMENT trop. Bon, j'arrête, j'ai des amateurs de jardins qui viennent demain et il faut que je tonde la pelouse before the Germans get there.
mardi 4 octobre 2011
Google is Outing's best friend
Pour la première fois de ma vie, j'ai envoyé un texte à l'International Herald Tribune pour leurs pages Op-Ed. Il n'aura fallu que 24h pour recevoir un mail de rejet. Et ça, ça veut dire beaucoup de choses de la part d'un quotidien que j'adore.
Last february, Le Monde published an interesting article regarding the french obsession about knowing which personality is Jewish. Okay... Apparently, the French google the names of famous politicians and personalities to check what appears first in terms of identity on search engines. Another article from Le Nouvel Observateur also went on wondering who is Jew with similar questions about identities.
In the past two weeks, a debate is happening in Italy as a big bunch of politicians are being outed as homosexuals. The French gay media has been responding with horror, like if it was discovering the issue. And everytime a sex scandals happens in France (which seems to be quite often these days since the DSK Affair), people want to found out the truth about what is not really said in the media. Because private life is so particularly well protected in this country, "Off the record" has become a parallel outlet. And wondering who is gay is a common interest because so few people actually come out. As a result, gay activism is at a standstill in France and coming-out has been erased from the LBTG agenda. Same sex mariage is still not a law, compared with surrounding countries. Not a single deputy at the National Assembly or the Senate with a proper coming-out. It should not come as a surprise that people use their fingers and keyboards to seek who are the most coward people in our gay elite. If they have a pathological fear of their identities, we do not.
Thankfully, there is Google. Google reveals everything you want to know. Each time someone asks Google the Oracle if a very famous actor or politician is gay, the search engine saves the request and the more people ask the same question, the higher the request ranks. It certainly does not answer the question like a statement would but it does shows that you're not the only one asking it. It makes Google coming-out's favorite aggregator. Enter someone's name in the search engine and witness what the power of statistics can do with a simple rumor.
It's fascinating no gay activist group has already used this powerful tool. The vast majority of the French gay and lesbian elite is not out. Worse, they do absolutely nothing for the cause, they stay silent. Some of them actually use the secrecy surrounding their sexuality to impose more taboo on the topic in their political party. They work in education but do not feel concerned by homophobia in school, high school or University. They are CEO's of big companies but endorse bullying and discrimination. They are journalists but subtly avoid any news concerning LGBT matters.
According to Valérie Touranian from ELLE, the DSK case was the catalyst for a change. She said there will be a before and an after DSK but we're still waiting for the "after" part. In France, most leaders insist private life must be preserved. No wonder gay marriage is blocked when LGBT leaders themselves support such a narrow-minded political vision.
So we thank Google for being coming-out's best friend.
Enter the name of the female or male politicians you suspect the most following your gaydar and check the results. The word gay comes first ? Bingo ! But there's more. Sometimes the name of the partner comes right under the word gay. But even don't stop there. On the first page or the second, you'll find a naïve person talking about his encounter on his blog "Wow, I did not know XX was gay ! I met him at a gay club in South of France and he told me he was gay himself !". Or better yet, you'll get the testimony of the hustler he spent time with in 2009 or 2010.
So thank you, Google. Albert R. Hunt said in an editorial in the New York Times: "What electors never forgive is hypocrisy". With a few goodwill, this could be a new golden age for LGBT activism. Everything's there... just reach out for it.
Didier Lestrade is a journalist, author, co-founder of Act Up-Paris and Têtu. He is out as a gay man and as HIV positive.
samedi 1 octobre 2011
Hubert Duprat
De tous les artistes que je connais, à part mon frère Lala, Hubert Duprat est le seul avec qui j'ai grandi. Nous étions tous les deux dans le même lycée d'Agen, c'était mon seul vrai ami, celui qui a averti le Principal le soir de ma tentative de suicide, à 17 ans, quand je m'étais réfugié sur le toit d'un parking à étage du centre ville, avec pour seuls objets le premier livre édité en France sur les graffitis de New York, et le premier livre sur la Factory d'Andy Warhol. Plus tôt dans l'après-midi, j'avais acheté 200 comprimés d'aspirine et une bouteille d'eau minérale et après avoir avalé (difficilement) les comprimés âcres et secs, j'attendais que le soleil se couche sur la ville, avec des tons de rouge et d'orange, regardant ces livres qui me faisaient rêver d'un au-delà plus grand, plus tolérant, plus wild.
Hubert Duprat était mon confident et j'étais le sien dans un lycée religieux intransigeant, à la discipline intraitable, et nous étions en terminale. Les seuls bons profs étaient ceux qui traitaient d'histoire et de géo et la vie était dure, sans argent, sans culture, dans une ville stupide où même les gays étaient méchants et pervers. Nous étions tous les deux fils d'agriculteurs, mon père du côté de Sainte Livrade-sur-Lot, lui du côté d'Aiguillon. Ses parents étaient gentils et nous nous retrouvions souvent chez un ami commun, Ariel, là où j'ai pris mes premiers LSD.
C'est dans cette campagne ensoleillée qu'Hubert m'a parlé pour la première fois d'archéologie et de minerais, une de ses passions d'alors. Il était capable de reconnaître de loin les tracés des voies romaines et, au début, j'étais incrédule, je pensais qu'il était impossible de discerner dans les champs des routes datant de 2000 ans. J'ai su plus tard que ces vestiges sont visibles par voie aérienne et j'étais fasciné par sa collection de pierres et de silex.
Nos vies se sont séparées après le Bac (qu'il a réussi, moi pas), mais nous avons passé 30 ans à suivre chacun le travail de l'autre et dès le début, avec ses objets d'arts conçus à partir des Trichoptères qui formaient des fourreaux de protection à base de pierres précieuses, d'or et de diamants, j'ai compris que j'avais eu la chance de grandir avec un garçon qui avait une vision, à mi-chemin entre l'art conceptuel et le musée de curiosités. Pendant longtemps, j'ai pensé qu'il m'était impossible d'écrire correctement sur son travail. Les textes érudits qui décryptaient ses expositions me semblaient incroyablement complexes, une manière de parler et d'écrire sur l'art qui m'a toujours irritée, celle d'Art Press de notre époque. Pourtant, les gens de ma génération ont bénéficié d'une éducation artistique assez poussée dans les années 70, nous avions toutes les bases pour comprendre les grandes familles de l'art et quand nous sommes arrivés à Paris, nous avons scrupuleusement visité tous les grands musées, et les petits aussi, comme celui de Gustave-Moreau. Hubert s'est installé dans le Sud, moi à Paris. Nous avons gardé le contact, même épisodiquement, tous les deux très respectueux du travail de l'autre.
Récemment, Hubert m'a envoyé deux livres et catalogues sur l'ensemble de son œuvre et je me suis dit qu'il était temps que j'exprime mon émerveillement pour tout ce qu'il a fait. Je n'avais pas besoin de décrire son cheminement avec des références érudites et je pouvais en parler avec des mots simples car ce qu'il fait m'émeut d'une manière très magique. Il y a chez lui un élément naturel et concret qui est en phase avec ce que j'admire dans la nature et chez les artistes qui font battre mon cœur plus vite, comme Richard Long, Andy Goldsworthy ou l'art artisanal japonais. Des hommes qui font des choses profondes et mystérieuses à partir de l'équilibre instable des objets naturels. Avec une méthode rigide et calculée, Hubert ouvre une porte mystique puissante qui persévère à travers le temps comme un objet vaudou, ou un objet païen et pourtant religieux. Ce qui m'a émerveillé dans les mises en scène d'Hubert, c'est le craftmenship, un travail artisanal dont je ne comprends toujours pas le mécanisme.
Par exemple, de toutes les pièces qu'il a conçues, celle que j'aime le plus ne sont pas les larves de Phryganes, que j'ai vu pourtant naître, mais "Coupé-Cloué", les troncs d'arbres recouvert de clous dorés. Ce sont ces objets qui m'ont fait poser ces questions naïves, "Comment tu as fait?". Techniquement, je voyais le travail répétitif des assistants, mais j'étais abasourdi par la précision du détail, ces lignes de clous si bien dessinées qui mettent en valeur, sans les cacher, les courbes des troncs d'arbre. Pour moi, c'est un travail très masculin, exactement comme j'ai fini par associer instinctivement le legs féminin du design de Barbara Kruger et de Jenny Holzer. J'ai toujours été envieux de ces hommes comme Richard Long qui passent des jours à marcher ou Andy Goldsworthy qui passe des mois à tourner autour de ruisseaux ou de murs de pierres. Quand Hubert m'a raconté ses voyages à Madagascar pour trouver et choisir les éclats de calcite qui sont à la base de ses constructions, j'ai compris qu'il était passé à un niveau supérieur de son travail tout en restant très fidèle à ses origines archéologiques et minières.
Et pendant ce temps, j'étais conscient de la difficulté de vivre de son travail, de l'incompréhension de sa démarche car elle reste sincèrement indépendante. Il me parlait de la difficulté d'enseigner dans des écoles d'art où l'on ne dessine plus désormais, exactement comme les professeurs réalisent aujourd'hui que leurs élèves de 12 ans passent leur vie devant YouTube sans avoir la curiosité d'aller sur Google pour découvrir tout ce que Internet peut offrir.
C'est surtout son côté intègre que j'admire le plus, une sorte de défaitisme face à la dureté du marché de l'art, comme le marché des médias est pourri, au tel point que je finis par développer un rejet pour des photographes comme Tony Richardson (ce soir chez Colette, of all places) ou Wolfgang Tillmans, qui sont intrinsèquement intéressants mais qui deviennent gerbants à cause de leur opportunisme commercial. A vouloir toujours vendre, toujours courir après le succès en se foutant à poil comme les pédés se mettent à 4 pattes sur les sites Internet pour gagner une bite, ces artistes ont perdu la dignité qu'ils avaient au début et je fais partie de ces gens démodés qui pensent que la dignité est le degré ultime de l'art, c'est ce que l'on atteint en fin de compte quand on a tout réussi et si l'on pousse le bouchon trop loin, a bridge too far, c'est l'ensemble de l'œuvre qui vacille car tout le monde n'est pas Picasso, Warhol ou même Jeff Koons.
J'aime l'art d'Hubert Duprat comme j'aime l'art de Djamel Shabazz, parce que j'y vois une ligne qui ne s'est jamais brisée entre leurs dernières créations et leurs racines modestes. Nous avons beaucoup souffert, de nos complexes et de la société dans laquelle nous avions grandi car notre adolescence a été quasi dramatique, d'une dureté implacable, celle de la chaleur étouffante du Sud-Ouest quand cette terre riche, lourde, se craquelle sous le soleil pour devenir aussi imperméable que les gens qui y vivent, toujours à vous juger et vous rendre la vie plus difficile. Ce furent des années de cauchemar quand elles devaient être les plus belles de la jeunesse et lui hétéro, comme moi homosexuel, nous avons reçu ça en pleine figure sans que personne ne nous aide ou nous comprenne. De là est né le voyage d'Hubert vers la pierre et le mien vers la musique. Nous avons grandi avec le complexe de vivre à mi-chemin entre les belles grandes villes que sont Bordeaux et Toulouse, dans un no man's land de fruits et de légumes, une plaine du Lot et de la Garonne nourricière, mais étrangement réfractaire à toute culture et cela nous a marqué à tout jamais. Même si désormais nous sommes tous les deux assez âgés pour être parvenus à dépasser tout ça depuis longtemps. Mais j'ai été témoin de la blessure d'Hubert, et il a été témoin de la mienne, et il m'a sauvé la vie, le soir des 200 aspirines, du livre des graffitis de New York et de la Factory recouverte de papier aluminium.
lundi 26 septembre 2011
Le moment
- The moment you stay in the garden until the very last minute of daylight, smoking a pipe, and you wish the sun would stay 10 more minutes
- The moment you thought that would never happen, when your garden is tidier than your home
- The moment you wake up in the morning and you look outside with a mug of coffee and you see the squirrel already stealing the nuts from your nut tree
- The moment a plant pops up where you never expected like a tulip in the middle of a mixed border and you never put it there and it's fabby because it's totally random
- The moment you dig in a very dry corner and a sleeping salamandre appears in the ground, so beautiful
- The moment you get invaded by a plant, wheter euphorbia or symphytum, and you surrender, saying "OK, you want all the space, take it!"
- The moment you pull bad weeds on the terrace and you tear a self seeding rare plant, shiiiit
- The moment a bluetit keep on knocking on the window pane and it annoys you, what a fucking liberty
- The moment in september when butterflies go bonkers on sedums
- The moment in winters when all the big rocks stand out and overshade anything else
- The moment you wish you had a little stream
- The moment everything gets windy and rainy and dark in september and everybody is depressed except you because you live in nature
- The moment the weasel comes in your attick at midnight every night to play and stay the night or go hunting
- The moment you stay in the garden and enjoy and wonder why a boy is not at your side
- The moment you wish you had MDMA and go crazy with the cows
- The moment you develop a new theory : people nowadays are so obsessed with music because they lost touch with fucking nature
- The moment you have to give friends lots of plants and fruits because you have way too many of them
- The moment you realize a special plant will never be happy in your garden no matter hard you try and you have to accept it
- The moment birds all go quiet in the middle of august
- The moment you discover you could more or less write about gardening in English
- The moment just before dusk when little bats fly around the house
- The moment when you hate mowing but it has to be done
- The moment you wonder if you could have sex outside again
- The moment good friends make blackberry jam in the kitchen
- The moment you step outside at night in the winter in freezing cold with a planket on your shoulders to stare at the moon & stars before going to bed
- The moment when lightning strikes!
- The moment you wish you had noted everything you do in the garden just like you used to
- The moment you put on Veneer or Monolake "Gobi The Desert" and it's like the nature outside
- The moment you're so excited because you're going to devote a full day stealing wild plants in the fields or the side of the road to plant them in your own garden
- The moment in june when crickets make so much noise in the lawn that you believe it's coming from the TV
- The moment friends arrive for the week-end and they crash on the iron bed outside for the longest nap ever
- The moment howls shout at each other just outside your house on the big pine tree
- The moment an English shamen gay friend tells you holws are doing exactly the same thing around his own house!
- The moment you leave home to go to Paris and you wish you could stay
- The moment you spend turning the compost upside down and it kills your back
- The moment you think you should have done a totally different garden and you shrug the idea because what U did was inevitable
- The moment the FedEx man congrats you for the garden
- The moment the good wind cleans it all
- The moment you start the fire outside to burn all the bad weeds and stuff you can't put in the compost and it smells so good
- The moment some apple falls on you and ouch that was not necessary
- The moment Tumblr gave you the idea for this piece
- The moment something in the light of the day reconnects you with the kid you were growing in a farm
- The moment you're thankful for what you've got
- The moment when crows go East
- The moment church bells ring in the village of the valley
- The moment everything stands still
jeudi 15 septembre 2011
Man in the streets
I have always been amazed at the way old clichés about famous towns linger, like the Paris that you see in the latest Woody Allen film, Midnight in Paris, a 1920-ish city of light that never looked that shiny and stupid. Paris is still used for that nostalgia effect, distorted by the bourgie state of mind of Woody Allen, a man who can’t seem to direct a flick that doesn’t belong to the blasé rich of the Upper East Side.
My vision of New York is of July 1987 when I fell in love with the man of my life during a heat wave. It was around the same time that house music was having it’s most sincere moment. I was religiously taping Marley Marl’s WBLS mixes. I still own the cherished tapes and they still sound damn good today. When you’re a 29-year-old Frenchman and you discover—and dance—at Better Days, Escualitas, The Saint and the Paradise Garage in one whopper of a night, you fall in love with the guy who got you there, who’s grinning and saying, at the end of the night, “I told you so, honey.” Jim Dolinsky (R.I.P.) was very white but all I was listening in New York in 1987 was either black or latin music. East 4th Street between B & C was the most beautiful place in the world for me and I will never forget the strange chemical smell in the hallway, something that got quickly Pavlovian, as I knew there was pleasure and happiness right behind that door.
I believed in long distance love affairs, even in a time before fax, Internet and mobile phones. The long letters from Jim typed on white clean paper are still here to prove it. Though I learned I was HIV-positive the year before, New York gave me a reason to live, through music, love, clubbing, ACT-UP and a dash of E. It’s no bullshit.
1987 was a magical year on many levels. I had met Jim six months before in Paris and he had brought me to this town that I was bound to love from the get-go. All my friends kept coming back from the States and saying, “Oh, Didier, you’ll love New York, it’s so you.” That prediction annoyed me and I kept on postponing NYC. I was broke anyway, couldn’t afford it.
What I’m telling you here I’ve written many times in French. I get the feeling now and then that it’s all a dream. Jim’s death, a few years later, was a total fail for me. When he was sick, I was helping and I didn’t mind kicking away his cute little dachshund, always eager to lick the feces on the bathroom floor when Jim was too sick to reach for the toilet. I cleaned and bleached everything. That was AIDS at that time: a disease of bowels on the loose, people going blind or losing their minds altogether, tied on their hospital beds. Real fear came later when he was dying in his own flat that I loved so much. I failed and didn’t know what to do, going into town to shop at Gap to clear my mind in the most selfish way. It took that death in particular to learn how to do the right thing with others in the following years. Maybe you have to fuck up in a big way the first time around.
After that, New York was an epicenter of pain for me and when I got to walk in the East Village again, Jim’s street was a magnet where everything had changed but me. I was no longer invited. I felt guilty going to Dance Tracks, I felt guilty staying true to Frankie Knuckles. I even felt guilty enjoying Sound Factory and then Body & Soul. I had lost the most important man of my life, the one I never had an argument with. The one that never rose his voice at me and to whom I never raised mine. I was so thankful for all the things he had shown me and for being the man I was dreaming of in my teens: a beautiful smiling man with pearly white skin, a fantastic smell and a neat cut dick. And such a good dancer. Damn.
It took a solid ten years to overcome the loss. It gets better as they say, but New York made me feel uneasy. I moved to the countryside in 2002 and New York is the only city that almost makes me regret my house and the Normandy landscapes around it. I still can’t explain it. It’s a paradox. New York is all things urban. I don’t know. But I’ll tell you something. Of all the things that disappeared in Manhattan, like the Pop Shop, Dance Tracks, Physique Memorabilia, the odd flyer with Larry Levan’s name on it, Sound Factory, the seedy porn shops of the Village, SYP in front of Pyramid, the Bar on First Avenue—it’s the old feeling of Odessa that I miss the most. I loved it there. It was the place where I could be face to face with Jim and absorb every little detail from the street.
I never loved NYC for the big things: the MoMA, the Guggenheim, the Statue of Liberty, the Empire State building—OK the Brooklyn Bridge is awesome. I love the little things, the ones that go cheap: the Cinnamon Dentine, the carrot cakes on the counter of delis, the takeaway food, the piers down Christopher Street, cheap lube, Ivory soap, Johnson & Johnson baby bedtime powder. That sums me up all right: I was the man in the streets, not at the Eagle.
I guess there is no other French journalist who’s been so adamant about his love for America. It closed a lot of doors for me, as our culture looks down on gay guys like me who marvel at the beauty of boys from NYU. It’s not Foucault for me, it’s David B. Feinberg. It’s not Queer studies, it’s Vito Russo. I marvel at American men, I have many theories about their size and allure. At 53, I’m still taken away by the mystery of their genes and beautiful accents. Louisiana men, talk to me. My love goes to the working class and the suburban guys, men you see in amateur sex movies like Sneek Peek, the foundation of the Brian Kenny world, the guys you see on Tumblr with their iPhones taking pics of themselves.
New York is still all this to me, walking in the streets for hours even when I don’t like walking anymore (older age maybe). In New York, I can even see America beyond New Jersey, the deep lands I never got to see: guys in Boulder, Colorado with their shirts off, the outdoors, the horses and tall grass, the Joe Gage myth…
It’s all political too. I know it’s part of the propaganda that shadows the ills of America in the rest of the world. I do know that. But I believe it in my bones. I’m coming to terms with the fact I will never experience again this love before my time is gone, that I won’t drive from Dallas to Marfa, Texas, to check out men in the gas stations on the way. I’m a working-class queen far away from the working-class men of America, whether white, black, Latin, Asian, Italian or Irish, and that’s my curse, but it’s OK because my main man gave me New York and Cherry Grove and a glimpse of what was far beyond. In 1987.
Ce texte a été écrit pour le site Keep Your Lights On.
mercredi 29 juin 2011
la vida es espléndida
Le jardin est merveilleux en ce moment. Je le dis parce qu’il faut que ça sorte comme une urgence politique syrienne ou un autre sujet de controverse mondiale comme : est-ce qu’on peut avoir un follow-up journalistique de qualité sur ce qui se passe au Yémen SVP ou on va encore nous offrir la preuve que les médias sont trop paresseux à rester dans leurs hôtels pour occidentaux ?
Avec la pluie des derniers 15 jours, c’est toute la nature qui a été rassurée, dans le genre « OK, on est un mois en avance sur tout, cette année les poires vont arriver en juillet et les premiers miscanthus sont en train de sortir leurs plumets alors que jamais jamais jamais on les voit avant août au plus tôt », mais toutes les plantes étaient dans la dernière ligne droite du calvaire de la sécheresse. Les fruitiers en espalier ont tellement souffert que quelques branches entières ont séché d’un coup, c’est normal je ne leur donne pas assez d’eau alors qu’il faut y aller pour avoir de gros fruits, je le sais, et certains hortensias ont fait la gueule, comme les fougères après un joli départ, les chèvrefeuilles aussi et je ne parle pas de la pelouse qui a grillé mais ça je m’en fiche et les primevères d’été je ne compte pas dessus cette année – déjà si elles ne meurent pas je serai content, mais le reste du jardin a résisté vaillamment (comme on dit) à une période sans pluie très rare, surtout en Normandie.
Du coup, ce printemps a été exceptionnel pour toutes les roses, tellement heureuses de ne pas subir les averses qui abîment les pétales, les clématites aussi qui sont parfois fragiles et le crambe cordifolia qui a fleuri pour la première fois après deux années de patience, avec ce panaché inouï de fleurs minuscules de chou qui ressemblent à du gypsophile nucléaire. Dans un parterre de graminées qui poussent, on dirait une boule radioactive, un nuage qui se détache avec des petites étoiles partout. Avec la stipa gigantea, ce fut la plante phare du mois dernier même si autour il y avait toutes ces fleurs, les aliums en boule, les ancolies de toutes les formes qui s’hybrident pour créer des couleurs vraiment zarbi, même les coquelourdes se mélangent entre les blanches et les shocking purple, les campanules ont été suprêmes, mais les deux pieds de stipa gigantea, l’un à côté de l’autre, c’est un émerveillement total, une couronne de tiges de deux mètres de haut avec des graines d’avoine qui s’ouvrent comme un feu d’artifice qui revint chaque année toujours plus fort à partir d’une plante qui ne demande aucun entretien, strictement aucun. Il faut juste la place dans un endroit dégagé, en plein soleil, assez proche pour pouvoir la toucher, afin de faire un point focal et dès qu’elle sent qu’elle ne sera pas dérangée par ses voisines, alors elle prend le dessus et s’impose à tout le monde. Il faut lui donner de la place.
Ce massif central de graminées, planté il y a 3 ans quand j’ai eu ce petit problème cardiaque est désormais adulte. Oui, avant j’avais un champ de cosmos qui attirait beaucoup plus d’insectes et de bêtes de toutes sortes, ça buzzait non stop all day long et il y avait ces grosses sauterelles vertes que j’adore car elles sont le signe que tout va bien, mais c’était trop d’entretien et désormais toutes ces plantes ont pris leur place et s'élargissent, je n’ai même plus à désherber, les vivaces se mélangent et se chevauchent comme les eryngium planum qui font des rejets dans les rares endroits non envahis par les asters et les anémones d’automne. Il n’y a plus de place libre, le dégradé entre les différentes variétés de miscanthus, de panicums, de poa cita est juste parfait, on dirait que ça a été fait avec une app mais non, et j’ai même mis de temps en temps quelques glaïeuls cheapos au milieu de tout ça qui sont super choucards. Tout est sauvage avec des scabieuses qui fleurissent non stop et qui germent ensuite dans des endroits pas possibles comme entre les pierres de la terrasse, il faut pratiquement leur marcher dessus pour aller à la table pour manger et je commence à comprendre ce que je lisais sur les graminées, sur le fait qu’elles attiraient certains oiseaux pour les nids, je me disais « Nan c’est pas possible, il n’y a pas assez de volume pour faire un abri » et maintenant je vois bien que ce massif est impénétrable à part pour les chats des voisins qui, de toute manière, ne peuvent pas accéder à des grosses touffes de miscanthus d’un mètre de diamètre avec des tiges si serrées que cela forme une carapace.
Quand je passe devant ce massif, je peux bloquer sans réfléchir devant les fleurs du verbascum bombiciferum, j’en ai enfin planté deux même si la terre est trop bonne là où ils sont, il faut les mettre dans les endroits les plus ingrats car c’est vraiment une molène qui vit de rien mais il faut vous rappeler que j’ai l’air d’un méchant garçon comme ça à taper sans cesse comme un branque sur Delanoë mais ce jardin, vous n’imaginez pas à quel point c’est une source de bonheur. Je n’en reviens toujours pas de la possibilité de me fritter sur FB à cause de Caroline Fourest tout en pouvant, dans la minute d’après, sortir de la maison pour aller là où ça se passe et regarder ce qui a changé par rapport au jour précédent. Oh, ce Hystrix patula que j’ai acheté cette année a ses tiges qui sortent de la pénombre du petit bosquet, c’est vraiment une graminée qui peut rester droite à semi-shade et puis il y a la stipa capillata qui est en train de sortir des épis si fins qu’on croit que c’est vos lunettes qui sont rayées ou qu’il y a un cheveu sur vos verres, et puis il y a ces Melica qui sont parmi mes graminées préférées avec leurs chaton de poutou qui ressortent au soleil, il y a les verbascums sauvages qui lancent leurs grosses tiges vers le soleil, les sauges sclarea Turkestanica qui sentent le camphre et qui poussent partout, et ce pied de chicorée sauvage qui me donne chaque matin 60 petites fleurs bleues ciel pur que j’adorais tellement quand j’étais petit car il y en avait partout sur les bords de chemin dans les années 60 et ce Helianthus Lemon Queen de Thierry Denis qui est vraiment la plante que vous devez absolument acheter sans réfléchir car le moindre petit godet de rien du tout vous offre dès la première année un baobab de fleurs lemon incest et au bout de 2 ans à peine vous êtes OBLIGE de le diviser pour en mettre partout tellement ça pousse vite, il faut faire un effet de masse avec une plante aussi généreuse, là aussi sans entretien. Et il y a les knautias pourpres que j’ai semées au pire moment l’automne dernier quand Deom Christian m’a envoyé les graines et qui ont passé tout l’hiver si dur dans un pot avec une vitre de verre dessus, c’était voué à l’échec et je les ai réussies, et il y a mes calamagrostis adorés bien sûr, un vrai rideau de tiges bien droites qui sont l’architecture de ce massif avec ces immenses artichauts de 3 mètres de haut que m’a offert mon frère Philippe et qui sont si beaux que je n’ose pas les manger et les mûres à tiges blanches offertes par Jean-Luc qui sont en train de produire ce bois argenté qui sera le plus beau à regarder en hiver quand il n’y a rien à regarder et le vent passe dans tout ça et fait moutonner les herbes comme dans une séquence de Ridley Scott ou de Terence Malik, il ne me manque plus que la main de Russel Crowe pour caresser tout ça car il n’y a rien de plus beau qu’un homme au milieu de tant de délicatesse foliaire. C’est un attrape nigaud pour lover ce jardin et quand mon ami Fred Javelaud m’envoie un fichier avec toutes ces photos prises lors du dernier week-end, je suis là à sauter d’excitation comme quand je reçois le dernier paquet de Falcon.
C’est comme une création qui se voit clairement mais dont on ne connaît pas le cheminement intellectuel. Tout commence à partir des catalogues de plantes et une feuille blanche avec un plan et une visualisation de ce que ça va donner dans 2 ou 3 ans, et quand on arrive au bout de 3 ans de patience et d’entretien, on est vraiment étonné de réaliser que la préparation a donné des résultats bien au-delà de ce qu’on pouvait imaginer au départ. Vous avez bien calculé la hauteur des plantes choisies, leur emplacement, tout pour que le regard monte naturellement du premier plan avec les petites plantes, puis vers les plants de taille moyenne pour culminer vers les géants du milieu du massif et après ça redescend de l’autre côté avec le même système. Et les plantes le savent, elles se soutiennent les unes les autres, sentant qu’elles sont épaulées pour résister aux orages et aux coups de vent et qu’il faut tenir jusqu’à l’automne qui est le moment d’extase des graminées pour arriver en hiver où là, votre jardin est plus beau que tous les autres car c’est le moment où les graminées donnent leur plus produit bonus ++, quand le froid et le gel les mettent en valeur.
Bref, le jardin a été sauvé par la pluie et les orages, il était parti pour une très mauvaise année et la pluie est arrivée à la dernière limite de ses résistances et toutes les plantes et tous les semis prennent, c’est le moment de l’année où le châtaignier émet son odeur de sperme si étrange et quand les oiseaux arrêtent de chanter sauf ce crétin de pinson qui n’a pas encore pigé qu’on est un mois en avance sur tout et que c’est le mois du chill-out et du barbecue. Ecrire deux bouquins dans des conditions pareilles, moi je le souhaite à tout le monde sauf à Caroline Fourest bien sûr, je me demande quel est son jardin secret à elle.
jeudi 23 juin 2011
L'enfer de Solidays
C’est le moment de l’année où ces affiches atroces apparaissent sur les murs et dans le métro et même à la station essence et god knows quel autre support-surface encore. Je n’ai rien écrit sur Solidays de ma vie donc pour une fois ça ne sera pas du radotage bien que, vous me direz, il paraît que je passe mon temps à donner des bons points à certains et des cartons rouges à d’autres, ce croyais que ça s’appelait de l’opinion et donc une bonne chose mais passons. Je déteste Solidays. Chaque année, c’est comme le Sidaction, je me mets en mode pause, attendant que ça passe en laissant cette machine se déployer comme une énorme structure tentaculaire sensée représenter l’aboutissement de toutes nos chimères de militantisme sincère. C’est comme ça quand on est séropositif, il ne faut pas s’attendre à tout aimer dans le sida (je dis ça pour rire vous savez), il y a des événements qui vous font encore plus honte que le fait d’avoir un visage amaigri à cause des lipodystrophies. Les lipos quoi ? Man, vous savez vraiment que dalle.
D’abord, je n’ai jamais rien compris à ces grandes messes de récolte de sous sur le sida. Solidays, c’est comme le dîner de l’Amfar à Cannes ou le bal des folles costumées à Vienne, il faudrait me payer très cher pour y mettre les pieds. Finalement, ce sont toujours des rassemblements de pouffiasses qui ne font rien pour le sida le reste de l’année et qui ont trouvé une niche rien que pour elles, comme ça elles ne se sentent pas « alliénées » par le sujet. À Cannes, je me suis toujours demandé si quelqu’un allait enfin faire un jour un papier pour raconter dans le détail ce qu’ils mangent, vraiment, ce qu’on leur met dans l’assiette pour que ça coûte si cher et comme tout le monde est anorexique dans ce milieu du cinéma et de la mode, si ça serait pas conceptuel de leur faire payer 10.000$ pour un Happy Meal de Mac Do. À Vienne, il y a tellement de connes qui jouent au Carnaval de Venise qu’on a juste envie de se mettre à côté de la porte d’entrée et de leur foutre une mandale dès qu’ils ont payé le ticket. Paf ! Paf ! Paf ! La blague à répétition ! Et Solidays, je rêverais de faire un papier sur : ce concert est nul. Non cet autre concert est nul. Non, celui-là est vraiment de la dauberie totale. Non attends, y’a M qui va jouer, c’est sûrement le pire qu’on peut imaginer nan ?
Le point commun à tout ça, ce sont des milliers de personnes qui n’en ont rien à foutre du sida, mais qui en profitent pour se montrer avec des robes qui valent plus que le budget santé du Mozambique et tiens, on va faire raccord puisqu’un grand joaillier de la place Vendôme m’a prêté pour le dîner de l’Amfar une rivière de diamants qui a été trouvée grâce à 1000 Africains sûrement séropos qui sont morts en creusant des trous pas sécurisés et je te parle pas du désastre écolo autour. Chez Solidays, je trouve ça tellement grossier que je m’empêche de réfléchir au fric que ça prend pour rassembler l’armée de roadies nécessaire pour monter toutes ces scènes, ces sonos, ces lumières, ces chiottes en plein air, cette machinerie d’organisation qui n’a absolument rien à voir avec le sujet.
Solidays, c’est un endroit où vous allez voir de la musique pas gratos, et c’est pas grand chose d’autre. Les associations sont là pour faire semblant d’éduquer la masse de kids qui ne savent même pas ce qu’est une chlamydiose et pourquoi les séropos brûlent 25% d’énergie en plus uniquement pour alimenter ce système immunitaire qui attaque des millions de particules de VIH par jour, as we speak. Ah vous ne saviez pas ça ? Ben c’est pour ça que les séropos ont la ligne, c’est pas parce qu’ils vont chez Weight Watchers mfgrr.
Et puis ces concerts, c’est quoi, c’est de la merde. Vous avez vraiment besoin d’un festival de plus pour « découvrir » la mauvaise musique française ? C’est quoi, vous n’avez pas assez d’Universal dans votre vie, il vous en faut une louche en plus ? Ah bon, vous ratez Arielle Dombasle à la Gay Pride et vous n’avez pas déjà vu 20 fois Bernard Lavilliers? Ou alors vous voulez vous infiltrer dans la bande de kids qui sont venus de Bar-le-Duc en bus et vous voulez leur faire peur en leur disant que vous avez eu des condylomes il y a 10 ans ? C’est drôle je l’admets, mais est-ce bien sérieux ? Et le village des associations, vous avez vu tous ces « volontaires » qui sont là à se faire chier avec leurs dépliants que personne ne lit et qui s’envolent au moindre coup de vent mais qui sont là pour prouver que l’association en question a bien envoyé 10 militants sur 3 jours pour s’assurer de recevoir un chèque de subvention à la fin de l’année car, bouh, la chute des subventions sida va faire très mal ? Tout ça c’est du paraître, on fait semblant de mener une politique d’outreach, les artistes font semblant, le public fait semblant, et tout le monde est là pour dire que, bah, si on fait 500.000 euros de bénef, ça veut dire qu’on aura dépensé 5 fois plus pour l’avoir. Là aussi, c’est une industrie qui finance le son, les affiches, le marketing, l’air qu’on respire, le sujet du sida qui est banalisé à travers un événement qui est sorti du cerveau de je sais pas qui d’ailleurs, le parrain c'est encore Antoine de Caunes ? Ah oui.
Ah mais Didier tu peux pas dire du mal d’Antoine de Caunes ! C’est le fils du père, le père de la fille, le mari de sa femme, c'est la substantifique moelle de Canal, tu vas prendre cher ! M’en fous. Je trouve que ça ressemble à une immense machine de PR pour Canal, tu passes au Grand Journal, je te garde une place sur l'affiche. Et pendant des années, on s’est demandé où allait cet argent et franchement, on ne savait pas du tout. Allez voir leur rapport d’activité sur le site, c’est transparent, mais je ne sais pas si j'ai compris ce qu'ils font concrètement. Enfin moi je reçois des dizaines et des dizaines de mails sur le sida par jour, je suis au confluent de beaucoup de spams et de newsletters et je vous garantis que je ne reçois jamais rien sur Solidays. Ils sont un peu down low quoi. En tout cas si vous savez où l'argent est allé, vous avez plus de chance que moi.
Alors je ne sais pas s’il faut dire merci à Solidays comme on le dit à Danette, mais je crois que c’est tout le monde qui leur dit merci. Longchamp, les transports publics, les vendeurs de merguez, les artistes qui ont tous besoin d’une date sur leur « Summer Tour », les fabricants de papier hygiénique et d’eau minérale, les parents parce que les kids ont une « activité culturelle » avec un environnement où les capotes sont gratuites mais personne ne les utilise, les frères ennemis Jean-Paul Huchon et Delanoë qui s’imaginent que Solidays entre dans leur case du volontarisme sida dans la région Ile-de-France, le milieu sida qui ferme sa gueule car il aura un petit chèque pour Noël (330.000 euros pour 48 associations en France, ça fait 6875 euros de moyenne, bof), l’armada de folles qui travaillent toute l’année sur un événement qui ne dure que 3 jours, un peu comme les autres folles qui travaillent sur la Gay Pride, merde c’est le même week-end, peut-être qu’ils ont outsourcé le management dans un élan généreux de co-branding, ah oui n’oublions pas les corbeaux qui auront de quoi manger avec toutes ces miettes de sandwiches qui vont rester sur l’herbe écrasée, et le cycle de la nature qui apportera un nouvel été, un automne, un hiver et un autre printemps avant la prochaine édition, pour fêter grandiosement la gueule de bois des présidentielles de 2012.
Vu sous cet angle, c’est excitant.