lundi 25 avril 2011

Dance, fools, dance ! (1931)



Les magazines de jardinage abordent très rarement un aspect caché de la nature, quand elle s’emballe et qu’elle joue avec nos nerfs. On fait généralement du « how to », comment choisir les plantes, comment les installer et les tailler. Tecknikart de son côté, poursuit son travail de moquerie des geeks de la nature, ceux qui font pousser des tomates dans leur cuisine, indoors, ce qui est une absurdité totale quand on pense à la dose de soleil brut, tapant, violent, pour qu’une tomate ait un goût de quelque chose. Après les idiotes qui font leur compost dans la même cuisine avec des lombrics (eeek !), le jardinage est en train de dépasser toutes les limites du n’importe quoi. Et je ne peux rien dire, je n’ai rien écrit sur ce blog depuis un mois. Le printemps est décidément arrivé trop tôt.

Ce n’est pas la même chose qu’en 2004, quand il a fait si chaud dès le mois de mars après la sécheresse de 2003. Les grillons s’étaient réveillés vers le… 15 mars (pour comparer, ils s’y sont mis ici cette semaine). Cette pelouse était déjà pratiquement grillée par le manque d’eau et les grillons s’étaient mis à grignoter méthodiquement le moindre brin d’herbe qui osait pousser, tout ça dans un délire de chant qui était si puissant qu’il produisait une onde sonore qui vous plaquait contre la porte quand vous osiez sortir de chez vous. Moi, ça ne me dérangeait pas, je suis toujours heureux à l’idée de ne pas utiliser la tondeuse.

Bref, cette année, c’est pas si grave mais la sécheresse est bien là, assez perturbante pour exagérer l’avancée du printemps avec des pics de chaleurs vraiment pas normaux. Ce mois d’avril a foutu en l’air tout ce qui était prévu de longue date pendant cet interminable hiver pendant lequel on a eu assez de temps pour rêver aux plantations et décider à l'avance du travail à faire. Mais la nature s’est emballée, peut-être à cause du Gulf Stream qui ne fonctionne plus normalement, il n’y a pas eu du tout de giboulées de mars et pas de pluie en avril non plus. Cela fait longtemps que les seaux en bas des gouttières sont vides et secs, les parisiens sont heureux, pas nous.

Je me rappellerai toujours le regard sombre qu’avait mon père quand il revenait des champs et qu’il pestait parce que ça allait trop vite, parce que les vergers étaient envahis en quelques jours par un parasite quelconque, parce que l’orage avait fait tomber les fleurs, parce que la pluie ne venait pas, parce qu’il fallait aller chercher quelque chose à la coopérative alors qu’il fallait aller labourer tout de suite, parce que c’est comme ça, les plantes n’attendent pas. Il parlait alors de scoumoune pour les grandes catastrophes, mais c’était souvent un énervement passif face au déclenchement de la nature, que les agriculteurs respectent et voient venir, comme les pêcheurs avec la mer.

Chez moi, c’est beaucoup plus terre à terre. Quand il faut finir un livre pour le 30 avril, et je déteste dépasser mes deadlines, le mois le plus important de l’année, en termes de plantations, est foutu. Quand, en plus, j’ai des dizaines et des dizaines de gros pieds de vivaces à diviser et planter moi-même dans les jardins des amis Ray et Chantal, c’est la panique. Chaque jour sans pluie est un risque accru quand on divise et plante, chaque pic de chaleur fragilise un peu plus les jeunes sujets. Lors d’un mois d’avril normal, pluvieux et assez frais, il suffit de diviser la vivace, faire un trou, la planter sans ménagement, tasser la terre, bien arroser et attendre que la pluie fasse le reste, gardant la plante à l’humidité, tassant la terre un peu plus – on est tranquille.

En ce moment, c’est tout le contraire qui se passe. Bien sûr, il fait beau, ce qui a d’énormes avantages aussi. Les fruitiers n’ont pas eu leurs fleurs lessivées par la pluie, tous les insectes butinent et fécondent à mort, pas de gelées dangereuses, les fleurs restent plus longtemps belles, sans agression extérieure et l’on peut désherber au soleil sans vergogne avec du vinaigre dans le pulvérisateur, ce qui grille les mauvaises herbes en un temps record. Les oiseaux et les insectes sont heureux, puisqu’ils n’aiment pas la pluie.

Comme la sécheresse sévit sur les deux tiers du territoire, grosso modo toute la partie ouest et centrale, toute plantation devient risquée. Normalement, on peut toujours pousser les plantations plus tard, tricher un peu, dépasser mai et même juin. Mais là on a un temps de juin en avril et en mars c’était déjà mi-mai. Tout va beaucoup trop vite. La saison des primevères coucous a été hallucinante cette année, les bords de route grouillaient de ces fleurs simples qui sont pratiquement mes préférées du règne végétal (j'en ai des rouges aussi, encore plus belles). Mais les grosses chaleurs ont fait passer les fleurs plus rapidement et, chez moi, je dois arroser mes propres primevères, ce qui est une hérésie. Le rosier le plus précoce chez moi, le Primavera, qui est précisément appelé ainsi parce qu’il fleurit avec la première primevère, avec ce jaune doux et frais qui les caractérise, a encore fleuri plus tôt que les années précédentes (c’est tellement étrange de voir un rosier fleurir en début avril, il faut absolument en avoir un dans tout jardin et le mettre devant une fenêtre, en plein soleil, pour voir ses pétales simples en contre jour. Vous êtes là à faire des spaghettis et tout à coup, vous restez devant la fenêtre, hypnotisé, oubliant que l’eau est en train de bouillir).

Quand un jardin arrive à l’âge adulte comme le mien, beaucoup de choses doivent être divisées. Les vivaces deviennent trop grosses, il faut les partager pour leur donner une deuxième jeunesse, c’est ce qu’elles attendent. Alors, il faut avoir des amis pas loin et remplir leurs jardins naissants de toutes ces vivaces qui ne peuvent rester chez vous car elles sont trop nombreuses. Et quand il s’agit de soulever un gros pied de miscanthus, de le sortir de terre, le diviser à la bèche ou au gros couteau, l’amener chez des amis, faire des trous, planter çà nouveau, arroser, et que vous faites ça avec 30 énormes pieds de centaurées dealbatas, de carex pendula, de marjolaine qui envahit tout chez moi, des euphorbes, des tenuissima, des milliers de muscaris qui se sèment dans le gravier et qu’il faut transbahuter dans la terre, les euphorbes fétides, les anémones Honorine Jobert, les pulmonaires, le fenouil vert et bronze, le pick-up est rempli et il faut planter ça en une après midi, presque en courant, sous le soleil et la chaleur, avec une horloge interne qui dit « Attends, ça va être encore plus dangereux chez Ray avec sa terre qui est de la glaise pure et chez Chantal, c’est sympa aussi puisqu’elle n’a pas encore de tuyau d’arrosage et qu’il faut tout arroser avec le bidon ». C’est maintenant ou à l’automne prochain, il n’y a pas d’alternative, ce n’est pas en juin ou en été que l’on plante, en tout cas pas chez moi.

Vous allez dire, même dans le jardinage, il faut qu’il râle. Mais non. La sécheresse a réduit les nappes sous-terraines, les agriculteurs pompent l’eau comme des branques pour faire lever des semis qui devraient, normalement, germer tous seuls, les arbustes sont en train de réaliser que, mince, ils n’ont plus de réserve d’eau pour leurs racines et les arbres sont hésitants entre l’appréciation de la chaleur et le manque de ressources. Il n’y a vraiment que les animaux à être contents, les papillons sont là, les souris font des bébés partout, les fourmis se croient en Afrique et les oiseaux gueulent comme s’ils avaient pris possession de l’affiche de la Gay Pride, eux aussi.

Et pendant cette course à la montre, car il faut aussi faire tout ce qu’il faut faire à ce moment de l’année: traiter contre les maladies et les pucerons, planter les derniers rosiers, tondre la pelouse, arracher les mauvaises herbes qui deviennent bonkers, couper les miscanthus et les passer au broyeur, nettoyer les allées et le potager, ranger la cabane (pas fait), curer le fossé du bord de la route (pas fait), aller chercher le bois offert par le voisin (pas fait), acheter 800 Kg de gravier pour le chemin (pas fait), déterrer les buis pour les mettre ailleurs (pas fait) et des centaines de boutures (pas faites). Quand on rajoute à ça le livre à finir, les articles pour Minorités, un autre livre à commencer, ma mère qui déménage, je ne me suis même pas attaqué au ménage de printemps. Pour la première fois chez moi, l’intérieur de la maison est plus sale que le jardin. C’est rempli de poussière ici !!!

Parce que c’est ça, un jardin. C’est pas lovey dovey tout le temps. On n’est pas toujours dans la sérénité et le zen et tout ça. Les plantes vous observent passer devant elles alors qu’elles vous attendent, comme un champ d’agriculteur est observé par les voisins agriculteurs qui se moquent parce qu’on n’a pas encore passé la herse pour casser les mottes de terre qui durcissent chaque jour davantage. Il y a un coin de mon jardin où je n’ai pas mis les pieds depuis des mois, ça doit être envahi de serpents. C’est le bordel quoi. Le jardin peut être dans votre esprit comme une idée qui vous nargue. C’est comme certaines fleurs qui ne durent que 5 jours. Votre appareil à photo est juste à côté de la porte d’entrée et vous avez tellement de choses à faire que vous réalisez, chaque soir, que vous n’avez toujours pas pris la photo. Et chaque année, cette fleur n’est pas photographiée car elle a le chic d’apparaître au moment du printemps où vous êtes le plus charrette et guess what, vous n’avez jamais cette photo à regarder en hiver pour vous faire rêver de la belle saison.

Quand on grandit dans un environnement agricole, c’est encore pire car on sait que ce que l’on ne fait pas pour les plantes, c’est de l’argent gagné en moins. Moi ça va, je ne vais pas vendre des fraises que je n’ai pas, mais si on ne change pas un arbuste de place parce qu’il est devenu trop grand ou parce qu’il étouffe et qu’il est assoiffé tout le temps, il peut mourir. Vous avez acheté une plante cher (ou pas), elle est devenue adulte et belle (ou pas), vous l’avez entretenue pendant des années (ou pas) et elle crève. Si vous ne lui trouvez pas un autre endroit pour vivre en avril dernier délai, il ne vous reste qu’à prier pour qu’une catastrophe n’arrive pas avant le mois d’octobre pour la bouger pour de bon dans un meilleur spot.

Alors, vous comprenez, quand vous recevez des messages de folles qui disent « je viens – je viens pas » ou qui vous envoient un message au dernier moment pour vous dire qu’elles ne viennent pas « parce qu’il fait trop beau », c’est un peu comme le connard barebacker qui était venu chez moi il y a 6 ans et qui m’avait dit qu’il y avait « trop de fleurs ». Les gens sont vraiment stupides avec la nature de nos jours. Ils ont perdu le fil.

16 commentaires:

  1. HIV positif since 1984 !!!

    RépondreSupprimer
  2. I'm a journalist, writer, AIDS activist. I've always been out as a gay man. Out as HIV positive since 1987 too.

    Try to top that

    RépondreSupprimer
  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  4. Oh that's a good one! Congrats! Good for you xxx

    RépondreSupprimer
  5. le livre on pourra bronzer avec sur la plage ?

    RépondreSupprimer
  6. oui enfin, je ne sais pas si c'est un bon bouquin pour la plage eheh

    RépondreSupprimer
  7. L'avantage de tes livres est qu'ils sont très bien à lire sur les plages volcaniques de Santorin et, dans le même temps, ils ont la spécificité de rendre toute plage volcanique.

    Donc, si je me résume, même loin de Santorin, on y est. C'est un voyage carbon free.

    Je trouve cela quite kisskool : )

    Nathan

    RépondreSupprimer
  8. Bon évidemment, ce ne sont pas des livres pour les dindes, les poules et les boas d'appartement, qui préferaient tellement être ailleurs !

    Juste des livres pour les animaux courageux et fiers !

    Don't give up the fight !

    N.

    RépondreSupprimer
  9. Bon évidemment, ce ne sont pas des livres pour les dindes, les poules et les boas d'appartement, qui préferaient tellement être ailleurs, d'ailleurs !

    Juste des livres pour les animaux courageux et fiers !

    Don't give up the fight !

    Nathan

    RépondreSupprimer
  10. Nathan, that was sweet! Merci, je sais mais merci. Après ça, je sais pas quoi dire...

    RépondreSupprimer
  11. Tu ne dis rien, Didier. Tu continues à écrire.

    Ton retour parmi nous est proche.

    Yeah, I know, it's a kind of prophetic....

    Why not

    @++++++++++++++++

    Nathan

    RépondreSupprimer
  12. Les chats ok, mais les tomates en appart (sauf si t'es plein nord) où est le problème !? J'en fait un plan dans un gros pot pour un pote et ça marche très bien, ciboulette/basilic/persil au pied et le gars s'est baffré de délicieuse Gardener-delight (non-taillées)la saison dernière en région parisienne et je suis en train de lui en refaire un avec un plant maison de Betalux, t'as un prob avec tout ce qui est vivant dans l'urbain en dehors de l'humain ou bien?...peut-être faudrait-il s'attaquer à l'urbanisme, le logement etc mais c'est un gros morceau.
    bon, sinon oui c'est la zermi pour la flotte et maintenant c'est plus comme avant va falloir les espèces & nous faire dans l'impro.
    T'es fils de croquant alors tu vas ptêt pas aimer mon propos mais alors que je viens de voir passer une de ces grosses poucaves perché sur son bouffe-fuel rutilant avec ses 20m de perches et ses grosses couilles en plastoc remplies de Lasso...heuu j'ai envie de lui hurler "crève salope ta vie vaut pas 100 balles" (Metal Urbain), ce qui va certainement lui arriver à respirer sa merde (et il en est informé). Va toucher ta sub de l'€urope pour produire ton blé dégénéré sur lequel les fils de blatte de traders vont spéculer, plein de perturbateurs endocriniens qui fait que l'agronomie est à la pointe du Qeer en faisant que les générations futures seront tous pourvues d'une foune et d'une teub à la fois, trop folle la vie youpi. Pis surtout partagez pas votre gros pognac avec vos collègues que 2pardons (valent mieux qu'un?)photographie si bien qu'on arrive à tous pleurer lors des messes-expos en ville (pis après la messe on rentre chez soi soulagé,c'est pas tout ça mais lundi faut faire tourner la machine à saloperies).
    Ouai j'suis colère au cube.
    Sinon encore, bien les liens que je connaissais pas, j'suis accroc au jardinage même si je ne suis pas très brillant.
    Et pis le barbaque qu'aime pas les fleurs qu'il aille se barbeculer ailleurs non mais!
    tRdRLrDr

    RépondreSupprimer
  13. Ahlala, dernier commentaire super drôle, il y a 67 référencs dans ce post! Tu es qui toi, tu peux pas mettre un prénom au lieu d'anonyme? Flemmard! Métal Urbain! J'avais écrit un texte où je sortais plein de méchanetés sur les agriculteurs... Oui mais là il est 19h30 et j'ai trop faim pour aller sur google.

    RépondreSupprimer
  14. bah mon nom te dira pas grand chose, hein, m'étonnerai qu'on se connaisse. J'suis héterreausexuel et je connais pas de pareilhosexuel dans mon entourage (ou alors ils me l'ont pas dit)hormis une lesbienne sadique qui m'a persécuté quand j'étais objecteur de conscience. Mais j'taime bien toi et Peggy Pierrot :
    1_t'as l'air calé en jardinage (5 points).
    2_t'as de l'humour (5 points).
    3_t'as une approche politique éminemment intéressante (quoique pédécentré un peu)(7 points)
    17/20 sur le net, tu mérites d'être suivi (c'est que mon jugement hein).
    Note perso, parce que sur minorité, certains me les cassent sévère (style Chambon, lui c'est 5/20, con et prétentieux pour l'instant)
    Bon app a+

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.