dimanche 16 janvier 2011
Si Kafka avait été DJ....
Il y a un mois exactement, j'ai publié ici un texte d'un ami, Yves, qui critiquait la musique qui passait dans les soirées bears. Une grande discussion a suivi, sur FB et ailleurs, et DJ Yohm, qui est un ami aussi, m'a proposé d'écrire une réponse pour expliquer son point de vue. J'ai mis du temps pour le faire, je suis en retard et je m'en excuse. So it goes like this...
Si Kafka avait été DJ...
… Je parie qu’il serait pédé, séropo et voudrait jouer de la musique “pointue” dans des soirées pour Ours (Bears si vous préférez).
“Weg-von-hier', das ist mein Ziel”, vous connaissez?
Cela décrit une situation kafkaïenne qui pourrait être celle que ressentent un certain nombre de DJ’s aujourd’hui, suite à de nombreuses critiques.
Et de se poser la question:
En fait, à quoi sert un DJ?
C’est un vieux débat que nous abordons, nous DJ’s de tous bords, connus ou anonymes, depuis que nous avons commencé à pousser quelques disques près d’une simili piste de danse.
Le DJ est un bâtard. Ni musicien (à l’origine de la création de son statut), ni simple juke-box (ou en tout cas qui tente de faire croire qu’il est plus que cela).
Au départ, il a eu droit à peu d’égards. On ne l’a considéré comme artiste qu’après l’assimilation du phénomène des raves parties et de la house music. Il a fallu en France un Laurent Garnier pour se rendre compte de ce que pouvait offrir un DJ a son public. Et découvrir aussi qu’il pouvait être à son tour musicien.
Pourtant le monde du remix est également son domaine, et cela depuis la disco, donc bien avant les années 90.
Aujourd’hui on est en 2011 et le rôle du DJ est enfin reconnu. Et bien mieux valorisé. On sait qu’il est capable de produire à son tour, d’étonner, de détonner, de mixer le non-miscible, d’oser, de se lâcher, pour le plus grand plaisir soit des oreilles, soit des jambes et parfois des deux.
Mais pourtant voila que des voix s’élèvent à nouveau. Le DJ doit-il avant tout “servir” un public?
Doit-il faire ce que l’on attend de lui? Doit-il plaire à tout prix? Doit-il vendre son âme à l’enfer du “commercial” comme il y a un enfer du politiquement correct....
Il y a plusieurs facettes dans ce que certains considèrent comme un métier, et d’autres comme un passion.
C’est peut-être le grand écart entre ces deux approches qui sème la confusion: il y a les DJ’s qui pratiquent pour (essayer d’) en vivre, et les “amateurs” au sens noble du terme, qui s’adonnent à une passion et aimeraient malgré tout partager cette dite passion.
Vouloir vivre du fait de passer des disques amène à plusieurs réflexions: il y a de l’argent en jeu. La rémunération d’un tel DJ dépend plus ou moins directement de la fréquentation du lieu où il opère, et donc de la satisfaction du public. Il est de facto tenu à une notion de “rendre service”, vision professionnelle que l’on rencontre dans une foultitude d’autres métiers.
Faire plaisir musicalement, c’est un service. C’est faire entendre au public ce qu’il a envie d’entendre à un instant donné. En cela, ces DJs devraient-ils être considérés, presque, comme des employés de service.
Cela ne ressemble-t-il pas à cette profession que l’on nommait un temps, du joli nom, peut-être un peu désuet, de disquaire? Profession qui requiert de grandes qualités d’écoute et d’anticipation des désirs du public.
Pour d’autres DJ’s, c’est la passion qui les anime avant tout, bien avant la nécessité d’une fiche de paye; une passion très personnelle pour la musique et que l’on veut faire découvrir aux autres. Le sens de l’action que mène alors le DJ est plutôt flou, protéiforme, et difficile à saisir.
Il devient délicat de parler de travail, plutôt d’un ouvrage, ou d’une œuvre, au sens premier du terme. Un DJ ne passe pas des morceaux au hasard. Il les sélectionne. Il opère donc un choix. Ce choix est personnel.
Quelles sont les motivations de ces choix? Son unique plaisir? Le plaisir qu’il sait qu’il va procurer aux autres? Sa curiosité musicale? Ses propres goûts qu’il va mettre en avant à travers la musique qu’il aime chez les autres?
Est-ce une artiste raté qui va chercher dans la musique d’autrui celle qu’il n’est hélas par capable de composer lui même? Est-ce un dénicheur de son, car la production musicale actuelle est d’une telle importance que finalement les “sélectionneurs” de musique sont tout aussi importants que ceux qui en créent? Est-ce une assembleur de génie, qui a développé l’art de mettre ensemble, et pour cela a poussé plus ou moins loin une technique, aujourd’hui reconnue, et qui s’adjoint de systèmes électroniques et informatiques toujours plus sophistiqués?
Oui, le DJ est dans tous les cas artisan.
Mais qu’est ce qu’un artisan?
Permettez moi cette citation:
“ Outre la mise en œuvre des procédés qui font l'objet de l'apprentissage, un ouvrage réussi exige de l'artisan quelque chose d'autre, (...) quelque chose qui ne s'apprend pas et qu'en désespoir de cause nous appelons le « tour de main »...”
Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 42.
Et n’en deviendrait-il pas artiste, en poussant encore plus loin l’appropriation des morceaux qu’il choisi, de telle sorte à entrer dans une quasi composition originale, tant le mix est poussé et l'originalité du choix des morceaux inégalable par rapport à un autre DJ.
Voila le portrait des multiples facettes de ce personnage.
Mais les frontières ne sont pas aussi rigides. Car la question du succès (donc commercial) se pose aussi pour l’artiste.
Il y a des artistes maudits, et d’autres qui sont plein aux as.
Mais qu’attend le public d’un DJ?
Je pense qu’il y a autant de réponses différentes que d’individus différents venus mettre leur pied un jour ou l’autre sur un “dancefloor”.
Du coup, tout débat devient stérile, et tourne vite en rond.
Comme “on ne peut pas plaire à tout le monde”, mieux vaut se poser la question de voir si un DJ est à même de trouver son public....et au public de trouver son DJ.
Un DJ, une soirée, ce n’est pas quelque chose que l’on impose. Ce sont les gens qui vont chercher, comme un film ou un bouquin, leur soirée, leurs DJs.
C’est aussi en cela une démarche similaire au parcours qui nous fait approcher l’art, en général.
Et du choix il y en a. Des endroits différents dans lesquels se produisent des DJ’s différents.
On aime, on n’aime pas. Finalement tout cela ne se discute pas.
L’important c’est d’avoir le choix. Et pour cela il y a les directeurs artistiques, les responsables des différents lieux. C’est à eux à proposer la diversité.
La diversité s’obtient dans la durée.
Chaque soirée a ses spécificités. Chaque DJ, si on le perçoit comme artisan, a son univers musical. Et il vous est simplement proposé de le rencontrer.
Un DJ a une programmation, et des goûts. Ceux-ci sont vite connus.
Aujourd’hui plus qu’hier avec Internet, Facebook, les blogs, etc.... le DJ publie ses playlsits (parfois) et ses mixes, on peut écouter avant de choisir. Le zapping est aisé.
Le DJ, comme tout artiste, propose, le public dispose.
Les directeurs artistiques font leur programmation en fonction de ce qu’ils croient être les goûts de leur public.
Nous espérons seulement que le public ne vient pas dans des soirées ou des concerts par hasard, et qu’il garde une attitude musicale active.
Qu’il soit encore en mesure de trouver l’énergie de se déplacer pour ce qu’il lui plait. Et de développer son propre sens critique; plutôt que d’écouter passivement et avoir l’impression qu’on lui bourre les oreilles, alors que c’est toujours lui qui a la zapette entre les mains.
Larry Kramer écrit
Quand je reçois un message de Kramer, je sais qu'il ne sera repris par personne ici, alors que son bouquin de 1000 pages et plus va enfin sortir dans quelques mois et qu'il serait temps de s'intéresser à nouveau à ce grand homme. Bref, les réjouissances du trentième anniversaire du sida approchent et CNN a consacré une émission sur le sujet par Anderson Cooper. Larry ne figure pas dans le reportage, trop grande gueule, mais a écrit un texte à l'occasion, que je reproduis ici. Très intéressant aussi, son introduction réservée à sa longue liste d'amis, qui explique le contexte de sa contribution sur laquelle je ne suis pas d'accord à 100% mais, hey, c'est Larry Kramer, et n'importe quoi de sa part est supérieur à (.......) remplissez la case.
Note: Anderson Cooper did a special last night (jan. 14, 2011) about 30 years of AIDS. for the most part it was a pretty lackluster and bloodless affair, with the exception of a magnificent appearance by Elton John and a moving one by Mo'nique. The rest of it was pretty much pablum, recycled stuff from eons of too familiar footage, and appearances by people with nothing new or challenging to offer. While the producer spoke to me for hours to pick my brains, he made it plain from the beginning that i was not going to be asked to be on the show because of my outspokenness (and because I threatened jokingly—yeah right—to ask Anderson when he was going to come out and be seen with his boy friend publicly), which, when I heard the cast of who was going to appear, was fine with me. instead, I was invited to write this opinion piece to say what they would not welcome on the show.
What troubled me most about the show was Anderson himself. It was a noble gesture for a reporter, closeted or not, to put on an AIDS special, but did he have to be such a wimp on it himself? Reporters are meant to ask questions, and good questions (Anderson once had a reputation for doing just that; what in the world has happened to him?); the questions Anderson asked were puerile beyond belief. He challenged no one with anything. Ss that what good reporters do? He had America's leading AIDS doctor, Anthony Fauci, on: how could Anderson not challenge him with some of the points that I made below (in a piece Anderson's folks asked me to write for him)? or indeed to raise one single point anywhere else on the show that I write about below.
The most honest part of the program came at the very end when he asked Elton (whom Anderson kept fawningly deferring to as "Sir Elton;" even Elton gave him a look as if to say, enough of that already, boy), if he was positive about the future. Elton, after a long pause, a very long pause, where you could see this great man deciding whether to say what he really thought, which was "no i am not hopeful about the future," mumble some painful words along the lines of "after thirty years we are still here talking about the same things!" and then he too offering up a platitude of hope, disingenuous in the extreme.
One wonders why Anderson put on the show at all. At least he gave me the chance to write this piece. It appears to have had a goodly number of Facebook recommendations (evidently the be-all and end-all of today's pulse taking) along with some thousand of the nastiest, most hateful comments imaginable. I am told this is usually the case with posted comments: the nutcases are ready and waiting to pounce. Still it is always disheartening to see in black and white the visible manifestations of just the hate i speak of in my article below.
larry
AIDS IS A PLAGUE ALLOWED TO HAPPEN
By Larry Kramer, Special to CNN
January 14, 2011 1:20 p.m. EST
Editor's note. Larry Kramer co-founded Gay Men's Health Crisis and founded ACT UP, an activist organization that has campaigned for treatments for HIV/AIDS. His play, "The Normal Heart," about the early years of AIDS and directed by Joel Grey, will be produced on Broadway by Daryl Roth and will star Joe Mantello; it will also be filmed next summer starring Mark Ruffalo and directed by Ryan Murphy. "The American People," his novel about the history of homosexuals in America, will be published by Farrar Straus and Giroux. Kramer, whose partner is David Webster, is HIV+ and the recipient of a liver transplant.
New York City (CNN) -- I want this article to break your heart. But it deals with a subject that has had a tough time of it in the break-everyone's-heart department. I'll bet that a number of you will be more angry at me than sympathetic by the time you finish reading it. If indeed you finish reading it.
From its very beginning, most people have not wanted to know the truths about AIDS. This is an indisputable fact that continues until this very minute. I have been on the front lines since Day 1, so I know what I'm talking about.
Here are 10 realities about AIDS, and I've learned them the hard way:
1. AIDS is a plague -- numerically, statistically and by any definition known to modern public health -- though no one in authority has the guts to call it one.
2. Too many people hate the people that AIDS most affects, gay people and people of color. I do not mean dislike, or feel uncomfortable with. I mean hate. Downright hate. Down and dirty hate.
3. Likewise, both people who don't have sex the way they do (if they have it at all) and people who take drugs in order to feel better in a world that they find wretched are considered two highly expendable populations by the powerful forces that control this world.
4. AIDS was allowed to happen. It is a plague that need not have happened. It is a plague that could have been contained from the very beginning.
5. It is a plague that is not going to go away. It is only going to get worse.
6. There is no cure and the amount of money expended toward finding one is pathetically small, miniscule, puny, and totally indicative of a system and a government and a country and a world that does not want to end this plague.
7. There is no incentive for pharmaceutical companies to find a cure since they are making billions selling, at highly inflated prices, the many anti-viral drugs that those infected must consume -- drugs that only keep us living but still infected just enough to continue to possibly still infect others.
8. Educational campaigns, indeed all attempts at prevention, have been too stupid, useless, lily-livered, and nicey-nicey to accomplish much of anything.
9. There is no one of any use really in charge of this plague, in America or anywhere else in the world -- and it is a worldwide plague by now -- and this lack of decent, responsible and humane leaders has been so since its beginning in 1981. They lie to us. I consider most of those who have been or are in charge as equal to murderers.
10. One out of every five men who have sex with men in America is now HIV-positive, and more than 50% of gay men do not know it. Doctors in Chelsea say the statistics for that New York neighborhood have jumped from one out of five to one out of four. At the rate things are going, almost all gay men in America could be HIV-positive, which a lot of people would really like to see happen.
These are appalling statistics, appalling statements, appalling facts, and yet no one responds to them when I raise them. Why should they? Too many people want too many other people dead, and it is fearful and as we continue to see over and over, often dangerous to confront them.
Governments and bureaucrats and presidents and politicians and the people who run this world lie to people. They tell us HIV is under control. They tell us case numbers are decreasing. They tell us that all is being done that can be done. They tell us HIV is too complicated to eradicate. They tell us gay people and people of color have made more progress than ever before. These are all lies.
We must not believe them. How could we when, in one place or another:
-- They also tell us we can't get legally married.
-- They also tell us that we cannot legally adopt children.
-- They also tell us religions will not recognize us.
-- They also tell us we can't serve our country yet.
-- They also tell us our real history cannot be taught in schools.
-- They also tell us that gay students cannot organize in schools.
-- They also tell us that people who murder us are not committing hate crimes.
-- They also tell us we cannot insure our partners.
-- They also tell us our partners are not legal.
-- They also tell us we cannot have equal opportunities.
-- They also tell us we can't kiss each other or hold each other's hands in public.
-- They also tell us that our Supreme Court doesn't want to know about any of this, doesn't want to make us free and equal, doesn't want to honor the Bill of Rights.
If you want to know why AIDS is a plague, I have just told you why.
I could add a thousand more "they also's." I could expound and expand and add so many facts and figures to the above they'd put you to sleep. I helped start the two major AIDS organizations in America. I have watched almost everyone I once knew die.
For some 30-plus years, I have been trying to tell the world where this plague came from and why, and I will continue to do so until I die, too.
You see, I simply can't get the memories and the ghosts of just about every friend I had out of my life. And since there is no doubt in my mind that this plague of HIV/AIDS that took them from me was and continues to be allowed to happen, I am duty bound to tell this hideous history as best and as fully as I can. It's the least I can do.
That is correct: This plague of HIV/AIDS was intentionally allowed to happen. It still is. Nothing has changed in the intentionality department. Hate has a way of hanging around forever and too often winning out in the end.
vendredi 14 janvier 2011
Archives envy
Ce qui est passionnant quand on publie ses archives sur le net, c’est de regarder en détail le traffic que cela provoque. Il y a des documents qui plaisent et qui font plaisir à tout le monde parce qu’ils s’y retrouvent. Il y a les vieilles photos en noir et blanc des années 80, tout le monde aime ça aussi, c’est innoffensif et ça n’engage à rien. Les articles vieux de 10 ans, déjà ça commence à être compliqué, ce n’est pas assez daté pour être vintage et c’est trop polémique pour être accessible à tous. Les chroniques qui ressemblent à ce que dit le détective dans « True Blood : « Avant ils se moquaient de moi parce que je disais la vérité, maintenant ils se moquent de moi parce que j’avais raison », ça les fait chier.
Et puis, il y a les récentes publications de Magazine. Quand j'ai mis les premières le 31 décembre dernier, il y a eu un intérêt, c’est vrai, mais moins prononcé que ce que j’imaginais. Je n’ai pas pris la mouche, après tout les gens font ce qu’ils veulent et puis les jours qui suivent le réveillon, tout le monde est de mauvais poil et pas très réveillé de toute manière. C’est quand l’interview de Butt sur Magazine a été publiée que le pic des visites a été impressionnant. Soudain, mon site dépassait tous les records précédents, je n’avais jamais vu autant de monde, c’est comme si c’était le premier jour des soldes dans un grand magasin. Le nombre de visiteurs après Butt m’a étonné. Visiblement, les étrangers qui vont sur le site de Butt sont beaucoup plus curieux que les français, pourtant plus directement concernés puisque la majeure partie des textes est en français. Faut dire que ça commence à être drôle: peu de médias gay français intéressés par l’expo Maga et de ces archives alors que Butt en parle, ça commence à être ridicule pour eux, m’enfin…
Tout le monde sait que pour motiver un intérêt durable sur n’importe quel site, il faut le nourrir tous les jours. Ce qui est totalement burdensome et factice de toute manière. On n'est pas la Poste et je n’ai pas envie de devenir slave to my own website après avoir passé 40 ans à être slave to the rhythm. Ma première analyse, c’est que les français sont moins intéressés par l’idée d’archives que les américains (le site de Butt est à New York, pas à Amsterdam). Ce n’est pas parce que les américains ont une population 5 fois supérieure à la nôtre, ils sont sincèrement curieux de découvrir des archives qu’ils ne comprennent pas entièrement mais qui font partie de la culture gay en général. Les français sont intéressés par les archives de Magazine, mais mollo, et c’est leur droit. Par exemple, ils sont très rares à forwarder sur leur site les archives de Maga, à en parler sur FB, Twitter et Tumblr, alors que les américains sont plus enclins à encourager un reblog, un commentaire.
On va encore dire que je privilégie la culture américaine, que je regarde toujours ce qui est positif chez eux et le négatif chez nous. Après tout, les américains ne se sont pas beaucoup mobilisés quand les librairies LGBT ont fermé les unes après les autres. Et la disparition de ces librairies célèbres et symboliques, comme A Different Light à New York et San Francisco, Giovanni’s Room à Philadelphie, accentuent ce phénomène alors que Les Mots à la Bouche de Paris existe encore. Un commentaire intéressant sur un site américain déplorait la fermeture de ces librairies gays et la perte de l’ambiance qu’on y trouvait. Il y avait dans ces endroits un feeling important et chaleureux. Alison Bechdel a fait beaucoup de BD à partir de l'univers des librairies lesbiennes. Pour ma part, à chaque fois que j’allais à New York ou à Londres, je ne pouvais pas concevoir de ne pas aller faire un tour tout de suite à Oscar Wilde Memorial Bookshop ou Gay’s The Word.
Toute cette longue introduction (si vous êtes encore à lire ceci, c’est que vous êtres vraiment une persone curieuse) pour arriver à la description d’un des endroits que j’aime le plus au monde. J’ai souvent exprimé mon amour pour Housing Works, mais je n’ai jamais écrit de texte qui explique pourquoi j’aime tellement cette librairie sur Crosby Street à New York. Housing Works est une association qui a été créée au pire moment du sida. L’idée était simple. Les malades du sida mourraient et laissaient derrière eux des collectons entières de livres et de disques. Au lieu de jeter tout ça à la rue dans la précipitation d’un enterrement souvent problématique, Housing Works proposait de récupérer ces collections et les revendait. Et avec le bénéfice de la vente, l’association aidait les malades en leur offrant des appartements thérapeutiques pour ceux qui n’avaient plus de toit avant de mourir.
Non seulement le concept est unique et totalement généreux, mais surtout: il marchait. Grâce à une éthique et une organisation rigoureuse, les livres et les disques en vente provenaient directement de personnes disparues et on sentait dans ces objets le passé de là personne décédée. Certains livres étaient annotés, certains avaient même des dédicaces des auteurs, certains avaient des dédicaces d’homme gay à homme gay, et puis beaucoup de ces livres possédaient un parfum rare de la culture d’alors. Aujourd’hui, l’essentiel des livres vendus par Housing Works ne provient plus vraiment des personnes décédées par le sida, mais ce sont toujours des lots qui arrivent tous les jours, par cartons entiers, d’un décès, d’un déménagement, d'un divorce, d’un drame quelconque.
Ce n’est pourtant pas le drama qui m’intéresse ici. Housing Works est loin d’être un endroit lugubre. C’est un grand loft, ouvert sur la rue, avec une passerelle circulaire au premier étage, comme une bibliothèque classique, avec des rayons et des rayons de livres présentés par thème. Et ce qui est merveilleux dans cet esprit américain de la passion du livre, c’est qu’il y a un petit bar qui vend des jus de fruits, des cakes et tout ce qui est délicieux et simple dans le cadre d’une recherche de livre. Un autre intérêt non négligeable: dans une ville où il est si difficile de trouver un endroit pour faire pipi ou caca, il y a des toilettes libres toujours propres (avec de très beaux lavabos, fact fans). Donc quand on se promène dans Manhattan, il est toujours judicieux de prévoir un détour par Housing Works pour prendre un verre, se réchauffer (en hiver) et passer au pipi room.
L’ambiance de cet endroit est magique. On peut y rester des heures sans avoir le moindre regard d’interrogation de la part d’un employé. L’humeur est studieuse mais cool, les gens discutent à voix basse. Tout est en bois. Il y a une section LGBT assez renversante, avec des livres anciens et modernes. Il y a des sections historiques et scientifiques, tous les sujets en fait, c’est une sorte de mini-Strand où le prix des livres est affolant: 1 dollars pour un classique, quelques dollars pour un collector. Le seul dilemme est de se demander comment on va ramener tous ces bouquins en France, si lourds dans les bagages à l’aéroport.
Les années passent, tout change, mais dès que j’arrive à New York, Housing Works est toujours une des premières choses que je fais dès le lendemain de mon arrivée. C’est un lucky charm, une manière de commencer le séjour du bon pied, comme aller voir ce que vend la boutique Supreme, juste à côté. C’est un rituel de bienvenue, qui me donne aussi une idée de l’actualité littéraire américaine car dans le lot des livres, beaucoup sont récents. En un clin d’œil, on se met à la page du discours politique du pays. De part son histoire, Housing Works est une boutique gay frienfly, mais qui n’est pas gay en soi. C’est un endroit minoritaire, mixte, des femmes, des noirs, des latins, anything. Je me rappelle qu’un jour, je devais être particulièrement sentimental et quand je suis passé à la caisse, j’ai fait une sorte de déclaration, du genre « Je viens ici à chaque voyage à New York depuis 15 ans et je voulais vous dire que j’adore cet endroit » et le vendeur gay m’avait regardé avec un look détaché, comme si j’étais en plein overshare, et je m’étais senti con, mais je n’avais pas regretté d’avoir dit ce que j’avais sur le cœur. Comme Marvin Gaye quand il avait composé un double album à son ex-femme, « Here My Dear ».
Bref, tout ce texte pour parler d’archives. Internet ferme les librairies les unes après les autres et c’est normal. C’est irréversible, mais il y a dans ces endroits un feeling unique. Après tout, dans 10 ans, je suis persuadé qu’il y aura des livres qui feront l’apologie des premiers Starbucks à Paris, comme celui à côté du Cox à Paris. « Tu te rappelles le Starbucks à côté du Cox ?" diront les jeunes folles d’aujourd’hui, qui y passent des heures à papoter, à parler sur leur portable ou faire whatever the fuck they feel like doing. Donc je ne fais que susciter chez vous l’envie d’aller à Housing Works la prochaine fois que vous irez à New York. N’oubliez pas que ces endroits sont appelés à disparaître, comme la merveilleuse Pop Shop de Keith Haring qui se trouvait à 50 mètres de Housing Works. Il faut respirer l’ambiance de ces endroits avant qu’ils ne soient dispersés par le vent moderne d’aujourd’hui.