lundi 31 mai 2010
L'overdose gay de Lady Gaga
J’aimerais dire un truc sur Lady Gaga. Nous en sommes désormais à la millième citation de la star bionique en défense des droits des gays. C’est tellement répétitif que l’on se demande pourquoi les médias LGBT prennent encore la peine (car c’est une peine croyez-moi) de trouver des superlatifs nouveaux par rapport aux déclarations précédentes. Je pose la question : pendant combien de temps une star peut-elle radoter sur la pédalerie ?
Hey, je n’ai rien contre les stars globales qui prennent fait et cause en faveur des droits des personnes gay, bi, les lesbiennes, les trans, les intersexuées et les questionning et whatnot (le whatnot va devenir très central dans les années qui viennent, il me semble). Cela fait deux ans que Lady Gaga est connue, cela fait un an qu’elle est N°1 major, et un fil conducteur suit cette explosion cross-over. Elle n’arrête pas de parler des gays. C’est une obsession. C’est parti du traditionnel « Mon public gay est vraiment groovy » à « Je défends les droits des personnes LGBT » au récent et définitif : « Je défendrai toujours les droits des personnes LGBT, jusqu’à ma mort ! ».
Bien sûr, il y a des variantes. Si elle se casse les deux jambes, elle pourra dire : « J’ai beau être immobilisée right now, mais cela ne m’empêchera pas de défendre les droits des personnes LGBT avec mes bras ». Quand elle recevra son premier Oscar, elle dira : « Tout ceci aurait été impossible sans les papas gays adoptifs ». Et quand elle sera morte, il y aura sur sa plaque : « Lady Gaga. Elle a défendu les droits des homosexuels ».
La question que je me pose, donc, c’est combien de temps on peut tenir avec un discours si con ? Je sais bien : il reste de nombreux coins du monde où Lady Gaga n’a pas encore « breaké » et si vous mettez ça dans le contexte de la Mongolie, le discours pro gay de Gaga a un potentiel libérateur inouï, gay truth is marching on, même à Ulan Bator. Mais comme nous apprend le 19 mai dernier un très triste article du NYT, la Mongolie a actuellement des problèmes autrement plus graves avec le dernier hiver hyper dur et une sécheresse sans précédent qui viennent d’achever 20% du cheptel national. C'est énorme pour un pays qui vit de l’élevage et du coup, des disaines de milliers de Mongols sont mis "à la rue".
La Mongolie attendra donc pour le message émancipateur de Lady Gaga, qui est pourtant en train de se déverser sur 95% du reste de la planète. Son cri pro-LGBT précède désormais la musique, les apparitions, les concerts, les masques-chapeaux vénitiens / Leigh Bowery de l’hyprastar du XXIème siècle. Elle a un moteur intégré qui lui permet de répéter sans cesse, en 300 langues et 547 idiomes s’il vous plait, les mêmes phrases pro-gay et cette répétition met en valeur l’aspect robotique de cette jeune chanteuse qui, quand elle a une idée, la pousse à son paroxysme.
Vient alors un moment où les personnes LGBT elles-mêmes comment à s’interroger sur une telle insistance. Les personnes LGBT sont-elles les seules, à travers le monde, à mériter un tel mouvement de sympathie ? Mieux : que va-t-il se passer lorsque les conseillers de Gaga vont lui dire qu’il est temps de passer à une autre minorité souffrante ? Faut-il s’attendre à des conférences de presse avec des mémos imprimés sur papier Bristol 350gr qui expliquent que Lady Gaga est en train de pratiquer un switch stratégique des homosexuels vers les gens du voyage ? Ou alors répondra-t-elle dans les interviews : « Vous savez, c’est fini mon discours en faveur des personnes LGBT car je suis passé à autre chose de plus novateur. J’attire votre attention sur le fait que les autistes ont développé un mouvement de libération grass roots qui est très proche du Gay lib. Leur slogan, c’est « We’re strange, get used to it ». J’aime beaucoup ça. Moi-même je suis strange. Je prépare un remix de "In My Language" ».
Pour une vieille comme moi, qui a été témoin de la présence de plus en plus importante du discours gay dans la pop depuis 40 ans, Lady Gaga représente un sujet d’émerveillement et de gerbe à la fois. Elle s’empare du sujet avec une telle obsession qu’on se demande qu’est-ce qui lui prend, et surtout : pouvons-nous récupérer notre sujet s’il vous plait, maintenant qu’il appartient plus à Lady Gaga qu’à nous ? Nous nous sommes fait voler ce qui nous appartenait ! Ça devient comme Bono pour l’Afrique : c’est le blanc qui devient plus célèbre que Mandela et ça ne plait pas à tout le monde, I’m telling you !
Franchement, si j’étais dans un groupe LGBT radical (ooooooh, c’est déjà une idée si difficile à imaginer !), je crois que je préparerais un happening où Lady Gaga serait confrontée à des folles qui auraient des pancartes : « STOP EATING MY DIN DIN, BITCH ! » ou « C’est ma brioche que tu manges, Marie Antoinette ! ». Il y a de nombreux sujets qui ont été ainsi détournés par des célébrités. Au début, ça se passe bien, tout le monde est content de découvrir une nouvelle porte-parole, surtout quand elle est aussi énorme que Lady Gaga. Après tout, c’est l’artiste N°1 de Now. On devrait être ravis. Alors, pourquoi cette gêne ?
Parce que ce serait intéressant de mesurer, dans quelque temps, si le discours rabâché de Lady Gaga sur les droits des gays fait reculer l’homophobie et aura aidé le mariage gay, par exemple. Après tout, de telles études sont faciles à faire et je parie même que les premiers chiffres sont sur le « bureau » de Lady Gaga as we speak. Mais si ce n’est pas le cas, par exemple si son discours gagaesque n’a pas le moindre impact en Ouganda ou au Malawi, est-ce que ça veut dire que nous aurons offert notre identité à Lady Gaga, sans rien dire, pour qu’elle gagne plus de fric ? Elle ne ferait pas mieux de s’engager pour la Palestine, c’te conne ? Vous voyez ce que je veux dire ?
L’overdose homosexuelle de Lady Gaga n’engage rien et ne coûte rien. Si elle parlait de Ouïghours, il y aurait un impact. Parler des gays comme elle le fait depuis deux ans, c’est sucer la substance homosexuelle sans vraiment transformer les choses. Grâce à Gaga, le sujet gay est encore plus dévoyé, délavé, sans que les gens se posent vraiment des questions sur les gays. C’est un sujet comme la météo. C’est comme si Gaga disait : « J’adore le soleil ! ». Ah ouais, super. Tu vas être super contente avec le réchauffement climatique, bitch.
mercredi 19 mai 2010
Jenny
J’ai vu Jenny Bel’Air l’autre jour au vernissage de Maga et elle m’a apporté le DVD qu’elle a sorti sur sa vie, ses performances, son histoire. Je me suis mis en retard pour le regarder parce que j’avais des trucs à faire, sorry. C’est étonnant que FB nous rapproche, car je n’ai jamais eu une relation, disons, intime avec Jenny. Je regarde toujours avec intérêt ce qu’elle dit, exactement comme je me sens heureux qu’Edwige ait accepté ma demande sur FB. On sait que ça ne veut pas dire grand chose une amitié FB, bien que, mais il y a des personnes comme ça qu’on ne connaît pas mais qu’on admire énormément. Je n’ai jamais eu de discussion directe avec Edwige et avec Jenny, c’était surtout des blagues et des manifestations d’amitié. Quand j’étais jeune, je les respectais, avec peur même, car leur fonction au Palace était tellement décisive pour ceux qui n’avaient pas de sous et on ne savait vraiment jamais si on allait pouvoir entrer. Pourtant, on n’a jamais eu de problème avec ce genre d’autorité non plus. Jenny, Edwige, Paquita Paquin étaient des filles que l’on vénérait, sans avoir l’occasion d’exprimer ce respect d’ailleurs, car on ne savait pas comment elles allaient réagir. C’était des filles mystérieuses, avec des humeurs, catastrophiquement jugementales quand elles s’y mettaient. Mais, comme dit Jenny dans le docu, « c’était un métier de mec » et c’était très important qu’elles le fassent, ce métier, car c’est ce qui rendait l’entrée du Palace plus moderne, plus proche de nous aussi, les pas célèbres, les pas riches. Face à elles, on était dans une position de supplication qui passait surtout dans le regard, tout en montrant qu’on avait du caractère quand même, c’est pourquoi (selon nous !) notre place était si nécessaire à l’intérieur.
Je ne faisais pas partie de la bande du Petit Robert et des autres cafés de la bande à Jenny, mais je l'ai suivie au fil des ans, et Jenny est devenue de plus en plus gentille. J’aime sa manière d’être entourée parfois de jeunes folles qui la voient comme une mère, qu’elle est pour nous, comme d’autres vieilles folles, des folles qui ont toujours un avis sur tout et qui ont des trucs à raconter, souvent en blaguant. Dans le film, par exemple, elle dit qu’elle ne trouve pas le sexe des femmes très beau et ça passe comme ça, personne n’a à critiquer parce qu’elle a le droit, l’expérience, enfin tout ce qu’elle a fait dans sa vie pour garantir que c’est sincère et pas méchant. Comme dit Patrick Vidal : « C’est un pilier ». Elle fait partie de ces personnes qui encadrent notre culture, des personnalités qui servent de boussole pour savoir où on est. Et puis Jenny a écrit un livre dans lequel on sent bien qu’il y a une personne très calme derrière tout ça, très domestique, un peu solitaire (comme son frère) qui a réussi à survivre, qui fait partie des pierres précieuses de notre époque, celles qui n’ont jamais explosé parce qu’elles sont trop authentiques, parce qu’elles n’ont pas eu de « plan de carrière ».
Ces folles imposent notre respect parce que nous sommes plus jeunes qu’elles (de pas beaucoup mais bon) et qu’elles nous ont servi d’exemple, c’est connu. Mais je les regarde parfois avec un autre œil, ça peut durer quelques secondes, et je les vois à côté de halos de personnes qui étaient proches d'elles.
Un ami me disait l’autre jour qu’en lisant le journal de Keith Haring, il n’arrêtait pas de se demander ce que l’art serait devenu s’il n’était pas mort. Je sais, on peut dire ça de tout le monde, même au niveau personnel. Mon angle, c’est qu’il serait formidable d’écrire un script de film où des figures importantes du sida ou de la culture gay réapparaîtraient et commenceraient à hurler sur tous les toits en prenant conscience du monde d’aujourd’hui. Il est de bon ton de ne pas faire parler les morts, mais moi je n’ai pas de problème avec ça, je trouve ça poétique. Dans les gens du sida que j’aime bien, surtout ceux qui avaient un talent oratoire, je me demande ce que dirait Vito Russo. Quelle ferveur mettrait-il dans ses discours ? Randy Shiltz, que dirait-il sur l’épidémiologie qui nous entoure ? David Feinberg, quelles blagues ferait-il sur le cynisme gay et sur les pédales de Chelsea ? Keith Haring, quelle serait l’immensité de son travail, vingt ans après ?
Il y aurait une assemblée générale avec toutes ces folles, dans un délire Stonewall ou "Angels In America", qui se mettraient toutes à crier chacune à leur tour dans leur domaine d’excellence, et elles seraient retransmises à des centaines de milliers de personnes sur Internet. On aurait enfin le plaisir de les entendre s’exprimer avec éloquence et drôlerie et colère, après toutes ces années pendant lesquelles on s’est demandé ce qu’elles aurait dit. L’éloquence ! Les cris ! La stamina !
Dans le domaine gay, nous avons perdu une énorme quantité de pensée homosexuelle et d’engagement. Nous sommes toujours à moins 30% de ce que nous aurions été aujourd’hui si ces hommes avaient pu poursuivre leur impulsion dans le mouvement. Cette perte de guidance a été prise en main par une génération plus jeune et c’est bien. Dans le dernier numéro de Out, il y a, une fois de plus, un de ces listings des 50 personnes LGBT les plus influentes aux Etats-Unis et The Advocate fait la même chose pour les LGBT de moins de 40 ans. On se demande ce qu’on attend pour faire ça en France. On verrait que la relève a été assurée, mais le charisme manque toujours. De tels listings permettraient d’y voir plus clair, mettre un visage sur un nom, savoir qui fait quoi.
Dans le documentaire, Jenny se pose la question : « Pourquoi ils sont tous partis et pourquoi je ne l’ai pas ? ». Le mot sida est tellement pudique chez elle, la profondeur de la question est telle, ça ne dure que quelques secondes. Jenny vit seule aussi parce qu’on sait qu’elle passe une partie de son temps à se demander pourquoi elle est vivante, alors que les halos des personnes l’entourent. De toutes les célébrités de notre communauté, c’est celle qui est la plus proche des esprits. Elle parle doucement, en cousant ses tissus, seule, dans la pénombre du film, et on sait que lorsque la caméra s’en va, quand elle soupire, le souvenir de ces personnes disparues est là. Parce qu’elle y pense plus que nous, qu’elle se laisse aller à une rêverie, elle a plus de temps pour imaginer ce que ces personnes diraient si elles revenaient, ou ce qu’elles auraient fait s’ils étaient restées en vie. En fait, ce sont eux qui lui disent.
C’est alors qu’on voit Jenny avec un DVD à la main et on est content qu’un DVD raconte son histoire parce qu’il y a plein de trucs qu’on ne savait pas sur elle et surtout, si ce DVD n’était pas sorti, nous aurions pris ça pour une autre malédiction. Et puis, vraiment, on voit dans ce DVD les personnes qui sont les halos dont je parlais plus haut. Elles sont dans l'ombre, il suffit d'un programme super nouveau comme dans "Blade Runner" pour scanner le noir, pénétrer dans l'image, aller plus profond dans la fibre des tissus ou de la texture de l'air. Mais ils sont là.
vendredi 14 mai 2010
29 millions de silences
Un ami m’a fait remarquer qu’il y avait une incohérence dans le fait de parler autant du silence dans mon portrait dans Technikart de ce mois, alors que le premier slogan d’Act Up était « Silence = Mort ».
C’est un bon point. Je sais bien que le fait de parler du silence avec une telle insistance, dans le cadre d’un article sur la house, cela fait vieux jeux. Genre le mec qui a passé sa vie dans la musique et qui tourne la page pour se retrancher dans le silence. Vu sous cet angle, ce n’est pas glorieux, en effet. Il y a un aspect de défaitisme que je revendique, mais c’est précisément le genre de choses que le silence sait guérir.
J’ai toujours aimé les premières affiches d’Act Up sur Silence = Mort. Ensuite, il y a eu des années pendant lesquelles ce slogan a été trop vu, trop usé, comme une marque innovatrice qui serait usée jusqu’à la corde. Mais je peux toujours me transporter au moment où elles me faisaient frémir dans la rue. À Act Up, je n’aimais pas passer mes soirées à coller des affiches en plein froid, ou sous la pluie, mais j’étais heureux de passer le lendemain en vélo pour voir ces affiches sur les murs et regarder les gens qui passaient devant. C’est un grand plaisir de savoir que l’on peut briser le silence politique en s’adressant directement aux passants avec un message direct.
Bien sûr, le silence activiste de l’époque n’est pas le silence qui me plait tant aujourd’hui à la campagne. Le silence dont parle Act Up, c’est l’absence d’information et d’expression dans le sida qui a bien sûr éclaté grâce au militantisme et à Internet. La beauté des affiches « Silence = Mort » ne peut être comprise si on ne la met pas dans le contexte de la fin des années 80. Si on n’a pas connu ça, c’est alors très difficile de percevoir les frémissements que provoquait ce design dans la rue.
Il y a un très bon édito de George Prochnik dans le NYT du 1er mai dernier qui affirme que les gens qui aiment et défendent le silence ne sont pas parvenus, jusqu’à présent, à faire comprendre au monde que le bruit est vraiment quelque chose qui nuit à l’humain. « Now Don’t Hear This » commence par nous rappeler que le 28 avril a été l’International Noise Awareness day : vous ne le saviez pas, normal, c’est encore une journée consacrée à un problème dont on ne parle pas. L’auteur de l’article, qui a aussi publié en avril dernier « In Pursuit of Silence », explique cet échec en disant qu’il faut arrêter de se focaliser sur les conséquences néfastes du bruit sur la santé, chez les enfants ou chez les personnes qui sont fragiles au niveau du stress et du cœur. Pourquoi ? Personne ne veut écouter, même si les milliers de personnes qui vivent autour des aéroports savent très bien de quoi il s’agit quand on dit que « des études menées sur le sommeil montrent des élévations importantes du stress en réponse à des bruits comme le trafic aérien, même quand les personnes restent endormies ». Ces messages sur la nocivité du bruit ne peuvent avoir de vrai impact quand l’actualité est prise par une marée noire dans le Golfe du Mexique ou par des millions d’oreilles sollicités sans cesse par le téléphone, l’iPod, les jeux vidéos et le bruit du voisinage, puisque la grande majorité des habitants de nos pays vivent désormais dans un environnement périurbain. Nous sommes dans une société de l’hyperbruit, chez les riches comme chez les pauvres.
George Prochnik dit qu’à la place de radoter sur le bruit, il faudrait créer un débat passionné sur le silence. On sait que l’architecture et l’écologie du bâtiment permettent une meilleure qualité de vie dans un environnement isolé du bruit. Toute la société devrait être dirigée vers une organisation qui permettrait aux gens de ne pas craquer comme des branques parce que le bruit devient une nuisance insupportable.
Dans mon cas, je ne pouvais pas attendre que la société, en particulier la ville de Paris (here we go again), se modernise assez pour me retenir. Il fallait que je me barre, très vite. À la fin, je n’ai eu que des appartements à Paris où le bruit était vraiment a pain in the ass. Quand Prochnik dit que nous n’avons pas réussi à expliquer aux gens à quel point le silence est important, par exemple pendant au moins les vacances, il y a quand même beaucoup de monde sur le sujet. « A Book of Silence « de Sara Maitland a été un succès et le livre m’a même rassuré quand je me posais des questions sur le besoin catégorique de silence que je ressentais. Je me demandais si je ne devenais pas, hum, antisocial. En fait, c’était juste la société qui venait me faire un poke dans le fond de ma campagne, comme s’il fallait reproduire ici, dans les champs, le bruit de la ville.
Dans son livre, elle explique à quel point le silence a un pouvoir indescriptible : les gens qui parlent du silence ont souvent du mal à trouver leurs mots. Bien sûr, Sara y parvient très bien, avec des centaines de références érudites et mystérieuses à la fois. Elle parle des associations d’idées souvent admises dans la société, entre le silence, la folie et la mort et pourtant tout ce qu’elle écrit est très mystique, surtout quand elle raconte ses 40 jours et nuits sans bruit dans une cabane et les expériences de tous les illuminés connus pour avoir vécu dans le silence. Il y a des dangers dans le silence, et j’en ai mi-même parlé dans « Cheikh », de ces années de solitude et d’écart progressif de la musique. Moi, je vois le silence d’une manière très prosaïque, plus domestique. C’est ce qui entoure ma vie. D’ailleurs, ce n’est pas que j’ai arrêté d’écouter de la musique. C’est plutôt que le silence a tout envahi.
Je vis dans un endroit élevé où le bruit est toujours poétique. En général, il n’y a pas de bruit du tout. Mais c’est comme les pubs sur les écrans de télé avec « 29 millions de couleurs » (mfff). Il doit y avoir 29 millions de silences car ils sont tous différents. Chez moi, il y a une départementale au bout du chemin, mais il n’y a pas beaucoup de voitures. Il y a des agriculteurs, mais ils sont rarement dans les champs, à part au moment des foins. Le vendredi, certains tondent leur pelouse. Il y a une concentre de motos de temps en temps en été. Le dimanche, il y a parfois un cortège de mariage qui passe. Il y a le carillon de l’église dans la vallée et une fois par mois, la sirène d’un village encore plus loin vers la Mayenne. Et tout le reste du temps, ce sont les oiseaux. C’est tout.
Cela veut dire que la nuit, c’est tellement silencieux que certains invités sont inquiets. Le sommeil n’est gêné par rien, absolument rien. On peut dormir les fenêtres ouvertes. En hiver les chouettes et les corbeaux sont magiques, c’est un truc qui vous fait sourire à chaque fois. Ce silence, c’est une chose si merveilleuse qu’il vous appelle dehors, la nuit, pour écouter le vent qui rebondit sur la colline. Chaque feuille morte crisse en s’envolant avec un bruit de papier froissé, on imagine le clignotement muet d’un avion qui traverse le ciel, ou le mini-buit que fait un orvet qui glisse sur la pelouse mouillée comme celui que j’ai vu hier. Je l’ai poussé du doigt pour le faire frétiller et se cacher dans un abri.
Là où je suis, je suis tellement sevré de bruit que je peux même accueillir des bruits passagers très lourds, comme ces avions militaires qui passent chez nous très bas et qui font un bruit pas possible. La rumeur dit qu’un des pilotes a son père qui vit dans un village à 5 kilomètres et qu’ils se disent bonjour quand l’avion passe, son père devant le jardin. Bref ce mec fait chier toute une région parce que son papa lui dit bonjour, mais c’est pas grave. Quand j’étais jeune, je remerciais le ciel (so to speak) tous les jours parce que je vivais enfin à Paris. Aujourd’hui, je me lève tous les matins et je sais que lorsque j’ouvre les rideaux de ma chambre, il y a toujours une fraction de seconde pendant laquelle je remercie le silence de cette journée. Encore une nuit sans bruit et encore une journée sans bruit qui commence.
Je suis convaincu que le silence est la seule chose qui explique pourquoi je n’ai pas besoin de psy. Ça me nettoie la tête, et de nombreuses études ont montré le lien notre le silence et la guérison. Ce silence, c’est donc quelque chose de beau, mais c’est aussi quelque chose qui vous fait du bien. C’est un truc qui mérite de faire des sacrifices dans la vie, comme gagner moins d’argent, ou peut-être même mettre sa carrière en jeu. Je SAIS très bien que personne n’a les moyens aujourd’hui de vivre sans le bruit du métro, du train, des voitures, du travail quoi. Et je sais très bien qu’une majorité des gens ne pense même pas que le bruit soit un problème. Dans mon cas, au contraire, c’est comme si j’étais tombé dans un baril de Thoreau et je ne suis plus le même depuis.
C’est merveilleux de désapprendre si vite. Avant, je connaissais par cœur le métro et le plan des bus de Paris. Deux après m’être installé à la campagne, j’ai commencé à oublier. Une des histoires préférées de mon père, celle qu’il raconte chaque fois que je le vois, c’est comment je l’avais surpris en 1980, la première fois que j’étais revenu à la campagne, trois ans après en être parti. Mon père était venu me chercher à la gare d’Agen et il faisait nuit quant on est arrivé. À un moment, dans la voiture, je regardais dehors et j’ai dit : « Mais il fait tout noir dehors ! ». Mon père m’a fait répéter, il ne comprenait pas. En trois ans à Paris, j’avais oublié que la campagne est sombre la nuit. Mon père m’avait regardé en riant, comme si c’était foutu, j’étais vraiment devenu un Parisien perdu.
Ce que je veux dire, c’est que le silence vous reprend très vite quand vous le rencontrez à nouveau. Il vous enrobe de partout, il vous fait oublier les sources de bruit, les unes après les autres, méthodiquement. C’est comme une grosse gomme qui effacerait les bruits qui sont dans votre mémoire, ceux qui vous ont rendu la vie pas facile à un moment. Et vous les oubliez, les uns après les autres.
À la place, il faut apprendre le chant des oiseaux. Les uns après les autres. En ce moment, j’en suis à la sittèle torchepot.
lundi 3 mai 2010
Vernissage Magazine (english)
What’s really fun about doing an opening is the opportunity to take pictures of people who, maybe, in real life, wouldn’t be too happy having their image stolen. People think: “Whatever, it’s her day, that queen, she can get away with it”, so they are less fussy about image control. When I saw that red-head boy from FB, (whose name I’m trying to remember), exactly as beautiful as on FB, even more, and then some, it was as if Magazine pictures were taking life, as if the masculine physique was walking through three decades launching a new wave of classical beauty, like a genetical/poetical lapping, that one admires from the side, because that is the true unfairness of life, that some others can approach what we can only admire for afar, this thing, this incredible red hair.
All of this is not very original, it only takes two hundred people that you throw in the air like jacks, to see the most beautiful flowers blossom on the city pavement (see the pics here). As I no longer live in Paris, people tell me this king of gathering is rare, that the police arrive as soon as a group of beautiful guys or beautiful girls forms itself, that there are fences around the Cox to regulate the overflow. And since I don’t believe it and tell people “Come on, there’s got to be parties almost everywhere when the weather’s fine”, people look at me as if I have not understood yet.
I may bitch about mayor Delanoë and mock him when he goes to Chicago to talk about Paris, what I mostly note is that he is incapable of speaking in English, as a feature in Le Figaro tells us. When the mayor of New York was elected, the guy had Spanish lessons to be able to talk directly to his Hispanic electors. In Paris, the mayor still doesn’t know how to speak the only international language he needs to know. Two hours of English lessons a week, is that so difficult?
But I’m straying again. So here am I, red-faced after my one and only glass of Veuve Cliquot of the evening (86 bottles all in all), surrounded by loyal friends who I usually see at funerals, or in my party memories, or some that I had not seen for a long time like Médéric who was the first to arrive, or that I had not seen for 20 years like Jeanne de France, (whose portrait is photocopied in the gallery). Rolf Stürmer gets out of an envelope a picture of me taken by Unglee that he had stolen from me 26 years ago, and another portrait taken in bed, the morning after our first night together. Everybody agrees that I looked like a Kabyle boy at the time, and then Fred arrives with his new boyfriend, a huge Arab boy, built and hairy, with a kindness both authoritarian and reserved, a sure thing blend when it comes to sex-appeal. I bite my lips trying not to make a fool of myself because I adore Fred to bits and I’m always in heaven when he finds a guy who appreciates him and knows how to be affectionate with him. Robert has arrived, and so have Jean-Yves who keeps bringing big cans of beer and Jean-Christophe, teasing as always, (« Hey, there’s a change, your expo looks like your guest-room with all its collages »), and here is Julien, this 19 year-old kid met on FB, who plays guitar in a punk group he has already left : his thing is to play bare chested, and he has an huge musical culture. Richard Hell and all. He had said that he would just come for a while, because he knew nobody and thought he would feel uncomfortable, and then he spent the next two hours with Nicolas Bacchus, Patrick Sarfati and friends of his, who were all amazed to see such a solar kid with precise questions about an era from when before he was even born, and not afraid to take us into his arms for a cuddle.
It was the start of a moist evening, with a 35% thunder storm chance, ideal to put little superficial polemics on the side, with the presence of guys from Monstre and Kaïserin, (Butt was not there, how surprising), and kisses were blown in good spirits. House was also represented with a bunch of DJ’s or music people like Gilbert, Guido, Romain BNO, Daniel Wang, Patrick Vidal, Fred Djaaleb, Fabrice Desprez and Nick V, and Philippe Laugier came even though he was exhausted because of Mika. In the gallery, there were some rose petals on the floor, bought at the Carnaval des Affaires, métro Grands Boulevards, with rose blossoms, and Baby Johnson talcum powder (for no reason, a good idea is always a good idea), and even some mint branches for the divinities. I was always stunned by the openings of Saint-Germain-des-Près at the end of the 70’s, when the Greeks surrounding Dimitri Xanthoulis hung golden leaves and olive branches to the ceiling to symbolise their exile and keep alive the Hellenic mystery in Paris. There had to be a little bit of vegetal in this expo, something that would crush under people’s feet, creating an imperceptible perfume. I gave the last bunch of mint to the Algerian lady who cleaned the gallery floor an hour before the opening.
In his longing for all of his friends to love each other, Hervé Lassïnce came with Jean-Marc Lalanne, so that I would make nice. Eric Bouïs came with his gang, so did Alice, Isabelle Méda told me she had Act Up archives to give to me because her mother did not know what to do with the boxes that were gathering dust. Patrick Thévenin knew everybody in sight. I did not have the time to talk to Christophe Hamaide Pierson or Franck Boulanger, it’s a shame. Emmanuel Brunet came with his new motorbike, Olivier Köbler showed me his new car on his iPhone, I met for the first time Mustapha’s husband, who is a darling, JC Breysse had an outstanding T-shirt from Provincetown (yawn), Nicolas Giordano was as sexy as in his pics, there was a fabulous bearded/built Arab guy who worked in the Franprix opposite, whom I complimented because his shop was as cold as the coldest air-conditioned shops in New York, but I think he did not take it well, he probably thought it was a ecological remark, and everything went well, even the security guy who was so nice and beautiful that we could have chucked everyone out and keep him only it would have been enough (frank handshake, direct eye-contact, a perfect study subject for a Magazine portfolio, a nice guy already).
There was a misspelling of « antediluvian », in the expo text, (typical of me using a word I don’t know), and Christelle told me that people thought I had affronted some air on purpose under the poster, but I told her no, these bubbles were there simply because I didn’t do my job well.
I think that Magazine, 23 years after it ended, attracts as many freaks as before. It was not an expo designed to show how it was done before, to establish some sort of superiority, it only takes one look at the lay-out of this fanzine to see its fragility. It was the occasion to throw on the side-walks of a city people who have known the 1980-1987 era, those who survived, how we don’t know, those who have heard of Magazine, and the other curious ones. Many of the comments were about what had changed in the photographic style of the era, and the risqué side of the erotic drawings we published, that would be surely difficult to publish nowadays.
About the way all of this was still modern, as well as being passé. I told Kaiserin that what attracted us was the look of the model into the camera’s eye. At the beginning of the 80’s, this direct look was rare, it implied a need to assert oneself in front of the photographer and therefore in the face of the outside world. Or, on the other end, all the photographer’s work was to convince the model, never a professional, to stare for a long moment into the camera or at some distant point out of focus. There is a lot of pose and stillness in these pictures, we see a lot of frozen boys, or in Unglee’s work, a lot of crossed arms, which is often an easy trick to get rid of the model’s stress. We did not publish a lot of movement, like it is done today, we did not try to “tell a story” as in fashion. Every 6 months, we went to see photographers and asked them to show us their most secret work, not necessarily the images that would be the most successful, the most commercial. We were looking for the most personal ones, the ones that proved experimenting, that showed their latest findings.
We were into model worship. I think that what differentiates us fundamentally from the current press was our obsession for the masculine anatomy. When I’m in the metro, I always focus on a face that appears, and they are everywhere, and they need a portrait to be taken. While I was gluing photocopies of Magazine on the walls of the gallery, a quote by illustrator Czanara appeared at random in front of my eyes, it said something like « I am done with physical beauty, but I am still not done with the face ». Well, I’m not done with neither of them, and I am always subdued when I see an Arab boy or a black boy who would deserve to be famous, or an Asian boy with a little something that we are not used to in France, or a young Pakistani guy who should be a star. Faces change. They should be celebrated, credited. Melting pots produce new wonderful things. Eyes are different, so is the hair implant, the mouth movement are not the same depending on the language, culture affects even the way people put gel in their hair.
At the time of Maga, I was more reactive to the photographs of George Dureau, an American artist who worked a lot in New-Orleans, than the portraits of Maplethorpe, for instance. Dureau showed black people from the South as they really were, some without a leg, but always with a sex-appeal enormously more powerful than Maplethorpe, as efficient as he was. I could stare at these portraits for a long time, as well as the ones by Duane Michaels. It’s easy to understand: these are artists who are into the admiration of others, when Maplethorpe was already into the admiration of himself, of his own style, which makes him much more commercial.
At 9pm, the door to the gallery closed. Just before that, I managed to get Kriss in, (he had just arrived and had not seen the expo) and I introduced him to Sébastien Lucaire who is a big fan of Kriss Bab El Ahlam’s posts on FB. When I saw Sébastien arrive, an hour earlier, I said to him « Wait here », and I gave him the only frame that did not find its place in the expo. It was a portrait of Michael Clarke, taken during a shoot at Patrick Sarfati’s 25 years ago, and since I had met Michael Clarke and the BodyMap gang with Jeffrey Hinton through Sébastien, I thought it fair to give to him. Alfredo Piola asked me how much I sold these exposed pictures and I answered, in pied noir mode, « cheap cheap » and Robert pulled a face because it IS cheap (as in « You’re really daft Didier, you should charge more”), and Alfredo optioned the portrait of the Redskins guitarist. JC Napiz, the editor of my chronicles book in Libé came, always a bit stressed, because the book is one week late at the printers. Night was falling, and it was becoming a little bit chilly, people were leaving slowly, and there were about 50 friends sticking around. Rolf was asking if Pascal Ferrant had come and how was Misti, who did not come either.
We went to eat au Phénix with the DJ’s and the people from the gallery and Red Bull, my husband began to talk politics, and Laurence’s ex boyfriend arrived, a man called Fred, I think, tattooed, who looks like he was battered at surfing, but I was told it was more like in hip hop battles. Very beautiful, very classy, with a rundown air, sort of guy who’s been through stuff in foreign places, see ? But the most beautiful guy of the evening, the most outstanding was the one working at the Rex, a butch tattooed hairy guy, with a face so attractive that you don’t know if you must spend the few seconds in front of him, looking at his face or his body. An A Class guy, who looks like a straight guy who looks gay who looks straight who looks gay who looks straight who looks gay, etc. Elodie Boisseau was noticing Marc and my wowing of him and I said in a low voice : « Oh you know, we are just meadow flowers », and at the same time I had in mind that melody Uma Thurman sings in «The Producers » : « That face, that face, that beautiful face ! ».
Sometimes, I wonder if girls understand our gay obsession with the male face. Of course, they understand, but it’s as if they find it hard to admit it. Peggy, when she last came to my place to work on the site, ended up by telling me that she was overwhelmed by these collages on my walls with pictures of men. When I asked her if lesbians had the same fascination for women’s faces, she answered : « I don’t think so, no ».
- « You mean lesbians are not in love that much with women’s faces ? I hope you’re joking ?»
- « Yes, but not as far as sticking them on the wall, it’s more abstract than that ».
This is maybe, the last word, (for the moment), on this Magazine expo. I photocopied pictures we published in Maga because I think that is, along with the erotic drawings we published, what made this fanzine something apart. Of course, there were interviews and the nice little central adverts that went with the porno short stories, but I only had two walls at my disposal and had to really focus on the work of all the artists who worked for Magazine for free. I know that collage and photocopies are a really cheap media in today’s galleries, I suppose nobody does that, although I could write a long story about what I think of collage, why this technique is still relevant, why it’s a very 70’s thing, very Biba, very simple to make, and very attractive in terms of idea association. But the thing is, I had to present the work of the photographers and the erotic illustrators. That’s the most important thing. When Magazine will be numerised on this site, we will be able to describe in more detail what we were trying to say in the interviews, and after all, you can read a few on the walls of the expo, but the most beautiful thing that remains is the face, in black and white, the memory of these men, what they have become, if they are alive or not, how their life has been since these portraits were taken, what they gave us while we dreamed in front of their image, how the look on their face has influenced our way of living and fucking, if we have tried to imitate them or not.
dimanche 2 mai 2010
12, rue du Mail
Ce qui est agréable, quand on fait un vernissage, c’est qu’on a l’opportunité de prendre en photo des personnes qui, peut-être, dans la vraie vie, ne seraient pas trop contentes de se faire voler une image. Les gens se disent : « Bah, c’est son jour, c’te folle, on peut bien lui accorder ça » et donc ils sont beaucoup moins à cheval sur la propriété de leur image. Quand j’ai vu arriver ce garçon rouquin de FB dont je suis en train de chercher le nom, exactement aussi beau que sur FB, et même plus, and then some, c’était comme si les photos de Magazine prenaient vie et que le physique masculin traversait trois décennies en provoquant une nouvelle vague de beauté classique, comme un clapotis génético-poétique qu’on admire car on y est forcément à l’écart, puisque c’est ça l’injustice de la vie, puisque d’autres ont la chance d’approcher ce que nous on regarde de loin en admirant ces cheveux roux, ce truc incroyable.
Tout cela n’est pas original, il suffit de jeter ensemble, comme des osselets qu’on lance en l’air, 200 personnes sur les trottoirs de la ville pour voir les plus belles fleurs s’épanouir (vous pouvez voir les photos ici). Comme je ne vis plus à Paris, on me dit que de tels rassemblements se font rares, que les flics débarquent dès que des groupes de beaux mecs et des belles filles se forment, qu’il y a des barrières autour du Cox qui régulent les débordements. Et comme je n’y crois pas et que je me montre incrédule en disant « Arrêtez, il doit y avoir des fêtes un peu partout avec du monde dans la rue quand il fait beau », on me regarde comme si j’avais pas encore pigé. J’ai beau dire des méchancetés sur Delanoë et me moquer quand il va à Chicago pour parler de Paris, mais ce que je retiens surtout c’est qu’il est toujours incapable de parler anglais, comme le raconte un papier du Figaro. Quand le maire de New York a été élu, le type s’est farci volontairement des leçons d’espagnol pour s’adresser directement à ses élus hispaniques. À Paris, le maire ne sait toujours pas parler la seule langue internationale dont il a besoin. Deux heures d’anglais par semaine, c’est pas sorcier.
Mais je divague encore. Passons à autre chose, me voilà tout rouge juste après ma première et dernière flûte de Veuve Clicquot de la soirée (86 bouteilles suivront), entouré d’amis fidèles que je vois d’habitude lors des enterrements, ou dans mes souvenirs de soirées ou certains que je n’ai pas vus depuis longtemps comme Médéric qui est le premier à arriver ou que j’ai pas vus depuis 20 ans comme Jeanne de France (dont le portrait est photocopié dans la galerie). Rolf Stürmer sort d’une enveloppe une photo de moi faite par Unglee qu’il m’a volé en cachette il y a 26 ans et un autre portrait pris dans le lit, le matin de notre première nuit ensemble. Tout le monde s’accorde pour dire que je ressemblais à un Kabyle à l’époque jusqu’à ce que Fred arrive avec son nouveau copain, un immense beur baraqué et poilu avec une gentillesse à la fois réservée et autoritaire, un mélange toujours détonnant au niveau du sex-appeal. I bite my lips trying not to make a fool of myself parce que j’adore Fred to bits et je suis toujours aux anges quand il trouve un mec qui l’apprécie et qui sait être affectueux avec lui. Robert est arrivé, Jean-Yves et Jean-Christophe aussi, toujours aussi moqueur (« Ah tiens, ça nous change, ton expo ressemble à ta chambre d’amis avec tous ces collages »), je vois arriver Julien, ce kid de 19 ans rencontré sur FB qui est guitariste dans un groupe de punk qu’il a déjà quitté, son truc est de jouer torse nu sur scène et surtout de posséder une culture musicale assez maousse. Richard Hell et tout. Il m’avait dit qu’il passerait en coup de vent car il ne connaissait personne et qu’il pensait ne pas être à l’aise et en fait il a passé les deux heures suivantes avec Nicolas Bacchus, Patrick Sarfati et d’autres amis à Sarfati qui étaient tous émerveillés de voir un kid solaire qui avait des questions précises à poser sur une période antérieure à sa naissance et qui n’avait pas peur de nous prendre dans ses bras pour faire un câlin.
C’était un début de soirée assez moite, avec un risque d’orage de 35%, idéal pour mettre de côté des petites polémiques superficielles avec la présence des garçons de Montre et de Kaiserin (Butt n’était pas là, how surprising) and kisses were blown in good spirits. Il y avait aussi beaucoup de house avec une ribambelle de DJ’s ou de mecs de la musique comme Gilbert, Guido, Romain BNO, Daniel Wang, Vidal, Fred Djaaleb et Nick V et Philippe Laugier est passé même s’il était crevé à cause de Mika. Dans la galerie, il y avait sur le sol des pétales de roses achetés au Carnaval des Affaires du métro des Grands Boulevards, avec des boutons de roses et encore du talc Baby Johnson (y’a pas de raison, une bonne idée est une bonne idée toujours) et même des branches de menthe pour en appeler aux divinités. J’ai toujours été marqué par les vernissages de Saint Germain des Près à la fin des années 70, où les Grecs entourant Dimitri Xanthoulis accrochaient des feuilles recouvertes d’or au plafond et des branches d’olivier pour symboliser leur exil et faire vivre le mystère hellénique à Paris. Il fallait un peu de végétal dans cette expo, quelque chose qui s’écraserait sous les pieds des gens en créant un parfum à peine perceptible, et j’ai offert le dernier bouquet de menthe à la dame algérienne qui a passé un coup d’aspirateur et une serpillière sur le sol de la galerie une heure avant d’ouvrir les portes.
Dans son envie de voir tous ses amis s’aimer les uns les autres, Hervé Lassïnce est venu avec Jean-Marc Lalanne pour que je lui fasse la bise. Eric Bouïs est venu avec sa bande, Alice aussi, Isabelle Méda m’a dit qu’elle avait des archives d’Act Up à m’offrir car sa mère ne savait pas quoi faire de ces cartons qui prenaient la poussière, Patrick Thévenin knew everybody in sight. Je n’ai pas eu le temps de parler à Christophe Hamaide Pierson ni à Franck Boulanger, it’s a shame. Emmanuel Brunet est venu avec sa nouvelle moto, Olivier Köbler m’a montré sur son iPhone sa nouvelle voiture, j’ai rencontré pour la première fois le mari de Mustapha qui est un chou, JC Breysse avait un t-shirt outstanding venant de Provincetown (yawn), Nicolas Giordano était aussi sexy que dans les photos, il y avait un beur barbu baraqué hallucinant qui travaillait dans le Franprix en face à qui j’ai fait un compliment car son magasin était aussi glacial que les boutiques les plus climatisées de New York, mais je crois qu’il l’a mal pris parce qu’il a du croire que c’était une critique écologique, et tout s’est bien passé, jusqu’à la gentillesse du mec qui faisait la sécu qui était tellement beau et gentil qu’on aurait pu virer tout le monde pour ne garder que lui et cela aurait suffi (poignée de main franche, regard direct, le parfait sujet d’étude pour un portfolio de Maga, un mec bien quoi).
Il y avait une faute à "antédiluvien" dans le texte de l'expo (typique quand j'utilise un mot que je ne connais pas) et Christelle m'a dit que les gens pensaient que j'avais fait exprès d'emprisonner de l'air sous le poster, mais je lui ai dit que non, ces bulles étaient là simplement parce que j'avais mal fait mon travail.
Je crois que Magazine, 23 ans après sa disparition, attire autant de freaks qu’avant. Ce n’était pas une expo pour montrer comment on faisait les choses avant, pour établir une quelconque supériorité, il suffit de regarder la maquette de ce fanzine pour voir tout de suite ses fragilités. C’était une occasion de jeter sur les trottoirs d’une ville des gens qui ont connu l’époque 1980-1987, ceux qui ont survécu, on ne sait pas comment d’ailleurs, ceux qui ont entendu parler de Magazine et les autres qui sont curieux. Beaucoup de commentaires tournaient sur ce qui avait changé sur le style photographique de l’époque, et sur le côté osé des dessins érotiques qu’on publiait et qui sûrement, seraient difficiles à publier de nos jours. Bref, dans quelle mesure tout ça était encore moderne tout en étant dépassé.
Je disais à Kaiserin que ce qui nous attirait, c’était le regard du modèle dans l’objectif de la caméra. Au début des années 80, ce regard direct était rare, il supposait une envie de s’affirmer face au photographe et donc de s’affirmer face au monde extérieur. Ou alors, tout l’effort du photographe consistait à convaincre le modèle, jamais professionnel, de fixer longuement la caméra ou de regarder un point fixe hors champ. Il y avait beaucoup de pose et d’immobilisme dans ces photos, on voit beaucoup de garçons statiques ou, dans le travail d’Unglee, beaucoup de bras croisés, ce qui est souvent un truc facile pour casser le stress du modèle. On ne publiait pas beaucoup de mouvement, comme cela se fait aujourd’hui, on ne cherchait pas à raconter des « histoires » comme dans la mode. Tous les 6 mois, on allait voir les photographes et on leur demandait de nous montrer leur travail le plus secret, pas forcément les images qui auraient le plus de succès, celles qui étaient les plus commerciales. On cherchait à trouver, plutôt, celles qui étaient très personnelles, celles qui attestaient d’une expérimentation, qui montraient leurs dernières trouvailles.
On était dans le worship des modèles. Je crois que ce qui nous différencie fondamentalement de la presse actuelle, c’était notre obsession pour l’anatomie masculine. Quand je suis dans le métro, je suis toujours en train de bloquer si un visage apparaît, et il y en a partout, qui méritent un portrait. En collant des photocopies de Magazine sur les murs de la galerie, une citation du dessinateur Czanara est apparue par hasard devant mes yeux, qui disait un truc comme « J’ai fait le tour de la beauté physique, mais je n’ai toujours pas fait le tour du visage ». Moi je n’ai fait le tour ni de l’un ni de l’autre et je suis toujours subjugué quand je vois un black ou un beur avec un visage qui mériterait d’être connu, ou un asiatique qui a un truc qu’on ne connaît pas assez en France ou un jeune Pakistanais qui devrait être une star. Les visages changent. Ils méritent d’être célébrés, crédités. La mixité produit des choses nouvelles qui sont merveilleuses. Les yeux sont différents, l’implantation des poils aussi, les mouvements de la bouche ne sont pas les mêmes selon les langages, la culture affecte même la manière de mettre du gel dans les cheveux.
À l’époque de Maga, j’étais beaucoup plus sensible aux photos de George Dureau, un américain qui a beaucoup travaillé à la Nouvelle-Orléans, que par les portraits de Maplethorpe par exemple. Dureau montrait des blacks du sud vraiment tels qu’ils étaient, certains avec une jambe en moins, mais toujours avec un sex-appeal énormément plus puissant que celui de Maplethorpe, pourtant très efficace. Je pouvais regarder ses portraits pendant de longs moments, comme je regardais ceux de Duane Michaels. C’est facile à comprendre : ce sont des artistes dans l’admiration des autres, alors que Maplethorpe était déjà dans l’admiration de lui-même, de son propre style, ce qui le rend beaucoup plus commercial.
À 21h, la porte de la galerie s’est fermée, avant je suis parvenu à faire entrer Kriss qui venait d’arriver et qui n’avait pas vu l’expo et je lui ai présenté Sébastien Lucaire qui est admiratif de tout ce que poste Kriss sur FB. Quand j’ai vu Sébastien arriver, une heure auparavant, je lui ai dit « attends ici » et je suis allé chercher la seule photo encadrée qui n’a pas trouvé sa place dans l’expo. Il s’agissait d’un portrait de Michael Clarke, pris lors d’une séance de photo chez Sarfati il y a 25 ans et comme j’ai rencontré Michael Clarke et la bande de BodyMap avec Jeffrey Hinton grâce à lui, je trouvais normal de le lui offrir. Alfredo Piola m’a demandé combien je vendais ces photos exposées et j’ai répondu, en pied noir, « pas cher » et Robert a fait une grimace car c’est effectivement pas cher (du genre « t’es conne Didier vraiment, tu devrais charger davantage » et Alfredo a réservé le portrait du guitariste des Redskins. JC Napiz, l’éditeur du bouquin des chroniques de Libé est passé, toujours un peu stressé car le livre a une semaine de retard à l’imprimerie. Il commençait à faire nuit et même un peu frisquet, les gens partaient au fur et à mesure et il restait une cinquantaine de copains qui restaient là. Rolf se demandait si Pascal Ferrant éait venu et comment allait Misti qui n'est pas venu non plus.
On est allés manger au Phénix avec les DJ’s et la bande de la galerie et de Red Bull, mon mari a commencé à parler politique et l’ex boyfriend de Laurence est arrivé, un homme qui s’appelle Fred, je crois, tatoué qui a l’air d’avoir morflé à faire du surf, mais on me dit que c’est plutôt des battles de hip hop. Très beau, très classe, avec un air rundown, qui a vécu des trucs à l’étranger quoi. Mais le plus beau de toute la soirée, le plus formidable, c’était celui qui travaille au Rex, un mec tatoué poilu barbu viril avec un visage si attirant qu’on ne sait plus s’il faut passer les rares secondes pendant lesquelles on est en face de lui à regarder son corps ou son visage. Une sorte de classe A du mec qui a l’air hétéro qui a l’air gay qui a l’air hétéro qui a l’air gay qui a l’air hétéro, etc. À Elodie Boisseau qui remarquait notre émerveillement à Marc et moi, j’ai dit à voix basse « Oh tu sais nous on est des fleurs des champs » et en même temps me venait à l’esprit la mélodie que chante Uma Thurman dans « Les Producteurs » : « That face, that face, that beautiful face ! ».
Des fois, je me demande si les filles comprennent bien notre obsession de gays pour le visage des hommes. Bien sûr, elles le comprennent, mais c’est comme si elles avaient du mal à l’admettre. Peggy, quand elle est venue chez moi la dernière fois pour travailler sur le site, a fini par me dire que ça la dépassait, ces collages sur mes murs avec des photos d’hommes. Quand je lui ai demandé si les lesbiennes avaient cette fascination pour les visages de femmes, elle m’a répondu « Je ne crois pas non ».
- « Tu veux dire que les lesbiennes ne sont pas à ce point amoureuses des visages de femmes ? Tu rigoles j’espère ? »
- « Si mais pas au point de les coller au mur, c’est plus abstrait que ça ».
C’est peut-être ça, le dernier mot (pour l’instant) sur cette expo de Maga. J’ai fait des photocopies des photos qu’on publiait dans Maga car je considère que ça, avec les dessins érotiques qu’on publiait, c’est ce qui rendait ce fanzine si à part. Bien sûr, il y avait les interviews et les jolies petites publicités centrales qui accompagnaient les nouvelles pornos, mais je n’avais que deux murs à ma disposition et il fallait vraiment mettre l’accent sur le travail des artistes qui avaient donné leur boulot gratuitement à Magazine. Je sais que le collage, les photocopies, c’est un média vraiment cheap dans les galeries d’aujourd’hui, personne ne fait ça je suppose, bien que je pourrais faire de longs textes pour expliquer ce que je pense du collage, pourquoi cette technique et toujours d’actualité, pourquoi c’est un truc des années 70, très boutique Biba, très simple à faire, qui possède beaucoup d’attrait en termes d’associations d’idées. Mais, le truc, c’est qu’il fallait représenter ce travail des photographes et des dessinateurs érotiques. C’est ce qui est le plus important. Quand Magazine sera numérisé dans ce site, on pourra décrire plus en détail ce qu’on essayait de dire à travers les interviews, et après tout, on peut en lire quelques-unes sur le murs de l’expo, mais le plus beau reste le visage, en noir et blanc, le souvenir de ses hommes, ce qu’ils sont devenus, s’ils sont vivants ou non, comment a été leur vie depuis ces portraits, ce qu’ils nous ont donné en rêvant devant leur image, comment leur regard a influencé notre manière de vivre et de baiser, si on a essayé de les imiter ou pas.